CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’aide au développement ne peut se justifier par la seule bonne volonté de son action. Le Maire de Nioro-du-Sahel rappelait ainsi au responsable d’une ONG venue électrifier sa ville : « Tu ne peux pas vouloir le bonheur de quelqu’un plus que lui-même ! »  [1]. Une mise en garde qui rappelle combien une opération de solidarité peut susciter nombre de malentendus et de contradictions. Par l’observation filmée des relations sociales, l’anthropologie visuelle permet de décrire la complexité des rapports qui se jouent entre les différents acteurs d’une mission d’aide au développement. À partir de ses trois documentaires réalisés en Afrique sub-saharienne [Nioro-du-Sahel, une ville sous tension ; Chambre d’hôtes dans le Sahel ; L’argent de l’eau], l’auteur examine les figures ambivalentes de l’aide au développement qui paraît tant indispensable et si juste.

2Face à l’immédiate apparence des faits, tout paraît si évident : ceux qui possèdent viennent aider ceux qui ont besoin. Un village du Burkina-Faso, une commune du Mali – du Vietnam ou d’ailleurs – souffre d’un manque d’équipement : après étude, une coopération décentralisée, une ONG ou un bailleur de fonds vient apporter une solution clé en main en installant un dispositif technique, méthode de gestion incluse. Le projet de l’aide au développement se justifie par le besoin des uns auquel répond la ressource des autres. Pourquoi la France aide-t-elle le Mali à développer son réseau d’eau potable ? « Parce que les Maliens en ont besoin ! » peut-on entendre comme réponse auprès des bailleurs de fonds. La logique du besoin s’impose comme un principe de réalité, de sorte que rien ne semble faire de doute sur le bien-fondé de l’opération.

Les rapports ambivalents de l’altruisme

3Justifier l’aide par l’évidence du besoin tend à masquer ce qui se joue entre bienfaiteurs et bénéficiaires, identifiant celui qui reçoit à la figure du « pauvre » oude « l’assisté ». Afin de se déprendre d’une telle logique argumentative, il convient tout d’abord de définir précisément les notions de besoins et de demande : celles-là mêmes qui légitiment l’aide apportée. « D’un point de vue moral, le besoin est le concept le plus fondamental, au sens où la bienveillance consiste à donner à autrui ce dont il a besoin, ce qui est dans son intérêt » [Morton, 1996, p. 397]. Le besoin manifesté par autrui constitue l’objet d’une moralité de sociabilité, définie sous le terme d’altruisme par Auguste Comte. Cette doctrine morale suggère une forme de dénégation de soi, excluant tout intérêt personnel. L’aide que nous pouvons apporter à l’un de nos parents dans le cadre de nos liens familiaux, par exemple, ne peut être qualifiée d’acte altruiste, car « lorsque nous aidons une personne à laquelle nous nous identifions personnellement, c’est nous-mêmes que nous aidons par extension » [Blum, 1996, p. 478]. L’altruisme se définit donc par sa portée universaliste, justifiant l’aide à autrui pour la simple raison qu’autrui est un être humain. À cet égard, notons que l’essor des ONG et l’engouement pour les actions humanitaires traduisent l’émergence d’un nouvel espace politique globalisé où chacun se reconnaît comme simple humain de la planète Terre  [2]. Tel est le constat de Marc Abélès, dans son ouvrage « Politique de la survie » : « La question de l’humain vient hanter les consciences, et nous tient en haleine et en alerte dans notre approche des événements du monde. » [Abélès, 2006, p. 161]

4Au-delà de toute morale universaliste pouvant soutenir l’acte altruiste, le dévouement à l’égard du bien d’autrui pose la question de la motivation : selon la théorie de « l’égoïsme psychologique », supposant que toute personne agit pour ses intérêts personnels, l’acte altruiste est toujours accompli en fonction du bénéfice que peut en retirer le donateur, telle qu’une forme de reconnaissance et d’estime de soi par exemple. Mais, ce simple raisonnement ne règle pas la question de l’intentionnalité de l’action. Toute personne qui s’implique pour le bien d’autrui, n’agit pas en vue d’obtenir mécaniquement une gratification personnelle de la part de son interlocuteur. En revanche, le bienfaiteur se sent valorisé par son acte altruiste, de telle sorte que l’on peut admettre que celui-ci aura le désir de recommencer afin de retrouver cette même satisfaction. Mais, cette reconnaissance résultera précisément de la dénégation de soi dont la personne saura à nouveau faire preuve à l’égard d’autrui, si bien que la personne continuera d’agir comme si elle n’agissait pas pour elle-même mais pour l’intérêt de son investissement. Une personne vise ainsi le bien d’autrui en raison de la valeur de son engagement dans l’action, autrement dit pour le bien qu’elle estime faire. Mais, dans ce cas, saura-t-elle s’investir également dans le résultat effectif de son action, quitte à remettre en cause les modalités justifiant son aide ? « Ainsi, la notion d’ “altruisme” semble se rapporter avant tout à la motivation à agir pour autrui plutôt qu’à la compréhension (du bien d’autrui) » souligne Lawrence A. Blum [1996, p. 479]. Cette compréhension se traduit davantage comme la manifestation d’une sollicitude, d’un état compréhensif à l’égard de l’ « autre » perçu comme une victime ou un laissé-pour-compte (figure du pauvre etdu marginal), et apparaît moins comme la recherche d’une réflexion commune, en vue de construire une action concertée. La valeur de l’aide se manifeste ainsi, autant, par la relation privilégiée établie entre bienfaiteur et bénéficiaire, que par l’apport de l’action elle-même. Dès lors, s’agit-il alors encore d’une action altruiste si l’engagement se fonde sur la constitution d’un rapport de partenariat, de liens personnels, voire d’amitié ?

5Précisons davantage la notion même de besoin, afin de mieux saisir en quoi il justifie l’aide apportée. La psychologie définit par « besoin » ce qui se rapporte à la survie de l’individu et de son espèce (besoins primaires) ainsi que les mécanismes motivationnels tels que l’affiliation au groupe ou l’imitation (besoins secondaires). Le besoin pourrait se caractériser par l’état de dépendance qu’il produit – au sens utilisé en toxicomanie, par exemple – ou, pour le dire autrement : « les besoins sont des désirs qui survivent à la non-satisfaction » et « qui restent constants lorsque les croyances d’une personne se modifient » [Morton, 1996, p. 400]. Le besoin vise un objet réel, de sorte que l’on peut dire que l’eau répond au besoin de la soif.

La corvée de l’eau organise l’activité quotidienne des femmes. Gavinané, région Nord-Ouest du Mali.

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La corvée de l’eau organise l’activité quotidienne des femmes. Gavinané, région Nord-Ouest du Mali.

« L’argent de l’eau »

(© C. Lallier, février 2005)

6En revanche, celui qui apporte de l’eau à l’assoiffé répond à une demande, même si ce dernier ne l’a pas explicitement sollicité, au sens où il s’agit d’un acte social et non naturel (l’aide apportée ne coule pas de source ! ). Selon cette perspective, nous pouvons considérer que l’aide au développement ne répond pas à un besoin mais à une demande. Or, la psychanalyse lacanienne a établi une distinction radicale entre la demande et le besoin : en effet, « dès lors que le sujet se met dans la dépendance de l’autre, la particularité que vise son besoin se trouve d’une certaine façon annulée » [Chemama, 2002, p. 245]. Ce qui prévaut, ce n’est plus la saisie effective de l’objet revendiqué, mais la réponse de l’autre en tant que telle. C’est une demande de reconnaissance adressée à autrui : « la demande est demande d’amour » [Roudinesco et Plon, 2006, p. 223]. Le nouveau-né crie pour manifesterson besoin. La mère interprète le cri de son enfant comme une demande, impliquant celui-ci dans le champ de la parole et du langage. Or, dès que la mère ne répond plus à la pleine satisfaction de la demande (lors du sevrage, par exemple), elle crée un manque de l’objet et produit chez l’enfant la découverte du désir.

7Ainsi, selon la terminologie lacanienne, le désir naît de l’écart entre le besoin et la demande : « Le désir s’ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin ». [Lacan, 1966, p. 814]. Le désir vise moins un objet précis que la jouissance perdue qu’il souhaite faire renaître, de telle sorte qu’il devient désir de ce qui est source de toutes les satisfactions, désir d’être aimé : « Le désir de l’homme trouve son sens dans le désir de l’autre, non pas tant parce que l’autre détient les clés de l’objet désiré que parce que son premier objet est d’être reconnu par l’autre. » [Lacan, 1966, p. 268] Reprenant la dialectique hégélienne de la conscience, Jacques Lacan traduit le désir comme le désir d’être désiré par l’autre. Par la demande, le désir s’inscrit dans l’ordre du symbolique, se déploie dans la parole : dans celle qui est « le lieu de l’unité et de la différence entre le corps de l’homme et son discours. [La parole qui] est l’expression du désir » [Vasse, 1977, p. 97]. Ce détour par la psychanalyse nous permet de percevoir différemment la démarche altruiste : dès lors, on ne peut plus la considérer simplement comme la simple réponse à un besoin d’autrui.

8L’acte altruiste manifeste également le désir d’aider, de sorte que celui qui fait preuve de dévouement pourrait ainsi faire valoir symboliquement son désir par unedemande auprès de celui qui « possède » le besoin. Selon cette perspective, l’aide au développement ne répond pas seulement à une demande exprimant un besoin mais aussi à celui qui désire aider. Cela ne sous-entend pas que le besoin n’existe pas et qu’il n’est pas utile et juste de venir en aide, mais comme ce désir existe également il serait tout autant utile et juste que cette envie soit reconnue en tant que telle comme l’autre motif de l’aide. Il n’y aurait donc plus simplement ceux qui ont la ressource répondant à ceux qui ont besoin, mais un rapport d’échange plus équilibré – une forme de transaction raisonnable – entre celui qui perçoit l’aide à son besoin et celui qui perçoit la satisfaction à son désir.

9Sans doute, bien des malentendus concernant des missions d’aide au développement reposent sur l’incompréhension, non pas uniquement du besoin mais également des motifs de l’aide. Le responsable de l’association des Niorois en France me demanda un jour, « Pourquoi font-ils cela pour nous ? » exprimant ainsi toute sa perplexité face à l’engagement du groupe de français venus bénévolement électrifier sa ville de Nioro. De même, quelques années plus tard, le jeune guide Abdoul me demanda dans son village burkinabé « Pourquoi les Français s’intéressent-ils tant à l’Afrique ? ». En effet, quel objet souhaité, quel plaisir attendu est visé par le désir d’aider l’autre ? Faut-il reconnaître, parfois, dans cette démarche altruiste la quête d’une origine, comme semble l’admettre un des agents EDF apportant gracieusement l’électricité à Nioro-du-Sahel :

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Ce que je retrouve ici en fait, c’est peut-être nos racines à nous, dans le sens où on apporte le confort chez eux ; où plus tard, ils pourront appuyer sur un bouton et avoir de l’électricité.

11En répondant ainsi à la demande du besoin de l’autre, cet agent indique qu’il satisfait aussi à son propre désir de retrouver ses « racines » professionnelles : autrement dit, le fait d’apporter réellement l’électricité à ceux qui ne l’ont pas, lui permet de retrouver du sens à son métier d’origine. Afin de mieux comprendre les raisons d’une telle motivation, notons qu’un agent EDF n’est qu’un des multiples acteurs d’une vaste organisation du travail, de sorte qu’il ne se représente pas – en tant qu’individu – comme celui qui apporte l’électricité. La réalisation de ce réseau urbain d’électricité à Nioro-du-Sahel, met en scène – en une action concentrée – tout le savoir-faire de la communauté des électriciens, valorisant en cela leur sentiment d’appartenance. Cette part réflexive de l’aide au développement, se traduisant par le besoin d’aider, devrait ainsi s’inscrire explicitement dans la constitution des projets entre bienfaiteurs et bénéficiaires. Sans doute cela conduirait-il à admettre qu’il ne s’agit pas d’une démarche altruiste, au sens strict du terme, et viserait ainsi à mieux définir l’objectif du projet de développement au-delà de toute justification morale a priori.

La perception d’une communauté de besoins

12Les relations entre bienfaiteurs et bénéficiaires font partie du processus d’aide, au sens où l’appropriation de l’objet technique repose initialement sur les liens symboliques entretenus avec les bienfaiteurs (ONG, comités de jumelage, bailleurs, …). En d’autres termes, « celui-qui-reçoit » ne se définit pas tant par rapport à la réponse apportée à son besoin que vis-à-vis de celles et ceux qui sont venus l’aider. Or, le dispositif technique ne peut rester le produit d’une mission d’aide au développement : les bénéficiaires doivent se l’attribuer comme leur bien propre. Mais, « pour que les populations puissent s’approprier [le dispositif technique], il faut qu’il y ait un détournement : une action de détournement, pour que le projet réponde à leur logique » explique l’anthropologue malien Yaouaga Félix Koné  [3]. Détourner le dispositif technique consiste à se défaire des règles d’usage et de gestion définies par la mission d’aide au développement, afin d’intégrer l’exploitation de l’équipement dans une logique économique et politique portée par le groupe social lui-même. Sinon, le matériel mis en place finira bien souvent par tomber en panne, à défaut d’être correctement intégré dans les échanges entre les acteurs sociaux. Mais, ce processus d’appropriation n’est pas aisé, car les bénéficiaires eux-mêmes interprètent bien souvent la valeur de leur dispositif technique, en vertu de la rareté de la ressource auquel il donne accès. Tel est précisément l’argument soutenu par un jeune homme de la commune de Gavinané, au Nord-Ouest du Mali, concernant l’usage des bornes fontaines  [4] :

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Moi je vois, vraiment, ce que nous avons déjà ici, c’est un trésor déjà : l’eau. Pour nous l’eau est un trésor. C’est un produit naturel qui est si précieux pour nous-mêmes ! Donc, sur le plan de l’entretien, nous allons l’entretenir… même à n’importe quel prix, on est prêt à l’entretenir.

14Pourtant, la logique du besoin ne suffit pas à instituer une bonne gestion des équipements. De même, la performance de l’aide au développement ne relève pas seulement d’apports financiers et d’infrastructures techniques fournissant la ressource. Tant que le réseau électrique ou de bornes-fontaines, par exemple, ne s’inscrit pas dans un contexte économique et social – qu’il ne constitue pas un objet de transactions entre les acteurs –, l’équipement installé risque de susciter dysfonctionnement et malentendus jusqu’à se trouver marginalisé.

15Ce processus d’exclusion du dispositif technique est également à l’œuvre dans nos institutions avec l’usage du téléviseur et du magnétoscope, par exemple. N’a-t-on jamais constaté combien il pouvait être difficile d’utiliser ces équipements audiovisuels pour une réunion ou un séminaire, tant il fallait organiser à chaque fois un assemblage de multiples compétences : avoir le bon câble, choisir le bon canal, utiliser la bonne télécommande, éviter les erreurs de programmation et les affichages intempestifs à l’écran, solliciter – in fine – « le » technicien… Autant de contraintes mal gérées qui finissent par exclure ou limiter l’utilisation de ces appareils. Pourtant, il va de soi que leur usage se révèle si indispensable dans notre société de communication et d’information qu’il paraît tout autant paradoxal que nous n’ayons pas su les intégrer à nos habitudes.

16Il en va de même pour l’usage de tout dispositif technique : les avantages fonctionnels du matériel ne suffisent pas à établir une bonne pratique de gestion assurant la pérennité de son installation. Faut-il encore que les équipements mis en place représentent une valeur d’échange entre les acteurs : en l’espèce, que le dispositif technique symbolise une manière de se tenir ensemble, de faire société, afin qu’il puisse s’incorporer dans la vie quotidienne du groupe social. Le bon fonctionnement d’un réseau d’eau ou d’électricité, d’un équipement sanitaire, scolaire –… ou audiovisuel – ne peut résulter de la seule réponse à un déficit matériel. Le dispositif doit correspondre également à « la part idéelle d’un rapport social » selon l’expression de l’anthropologue Maurice Godelier : autrement dit, à un ensemble de représentations, à l’application de principes et de règles, à un « mode concret d’organisation de [la] vie sociale » qui autorise un certain rapport entre les membres d’un même groupe [Godelier, 1984, p. 221]. En d’autres termes, on ne peut imaginer que des individus puissent utiliser durablement des bornes-fontaines, sans connaître et mettre en pratique les conventions qui en régissent l’usage commun.

17Cette « part idéelle » se perçoit différemment selon le rapport que l’acteur social entretient avec la circonstance observée : par exemple, je n’interprète pas de la même manière l’usage des dispositifs techniques selon qu’ils s’inscrivent dans le cadre familier de ma vie quotidienne ou qu’ils participent à la mise en représentation d’une situation qui me paraît exotique et par laquelle je qualifie l’ « autre » dans sa singularité. Lorsque j’observe une situation sociale qui m’est habituelle, je ne cherche pas à décrire l’application des règles et des principes par lesquels agissent les individus : je décris ce qu’ils font par leurs « accomplissements pratiques », selon l’expression des ethnométhodologues. Je ne cherche pas à savoir si ils agissent en tant qu’ils sont de telle appartenance culturelle, mais comment ils agissent dans la situation en cours. En revanche, lorsque la circonstance me paraît singulière, exotique, je suis troublé par l’environnement qui échappe à mes catégories. Je ne perçois pas l’activité des personnes comme une situation d’échanges, avec ses règles et ses principes : je l’interprète comme une scène typique, de sorte que l’organisation des pratiques sociales me paraît appartenir à un « ailleurs » auquel je ne peux pas prendre part et qui correspond à la « culture ».

18Dans cette perspective, la simple tâche des femmes prenant de l’eau au puits ne se comprend plus comme une situation de travail avec ses conventions et son économie mais comme une activité qui me paraît étrangère, dont je ne percevrais que la façade visible, masquant des logiques secrètes. Lorsque je découvre une région qui m’est inconnue, je suis étonné par les moindres détails de la vie quotidienne. Bien que je puisse décrire ce qui se passe, je me demande ce que font les personnes : que signifie leur action ? D’où vient le sens de leurs situations ? Tout se passe comme si l’environnement qui m’était étranger, voire insolite, jetait un voile de mystère sur les moindres faits et gestes. Je ne m’attache plus à décrire l’activité de l’ « autre » comme une co-action en ma présence, je me demande si son action a un rapport avec le contexte « culturellement » différent du monde qui m’est familier. Dès lors, je commence à chercher un sens caché… Lorsque la situation me paraît inhabituelle, je ne peux m’empêcher d’y chercher une énigme à déchiffrer, comme le constate Jean Bazin : « Dans toute situation où les actions dont nous sommes témoins relèvent d’un monde qui ne nous est pas familier […], nous avons tendance à supposer que ce qui nous manque n’est pas de savoir ce que les gens font (d’être en mesure de le décrire), mais de comprendre le sens de ce qu’ils font. Nous assimilons ce qu’ils font, leurs interactions, à un discours (ou à un “texte”) dont nous n’aurions pas la clef et dont nous aurions à donner une “interprétation” » [Bazin, 1998, p. 26]. Au fur et à mesure que je m’installe dans ce « pays » qui me paraît si différent, j’y reproduis mes habitudes et j’y construis un environnement personnel : dès lors, l’étonnement des premiers jours s’estompe et laisse place à un cadre d’interprétation par lequel j’établis un rapport que je qualifierai de singulièrement familier. Dès lors, les manières d’agir et les façons de parler de mes interlocuteurs ne m’apparaissent plus comme d’étranges coutumes mais je ne les interprète pas non plus comme la condition d’un vivre ensemble – telles que je pourrais le considérer dans un monde qui m’est habituel – mais comme le symptôme d’une manière culturelle d’agir, comme la preuve de leur altérité. Je dirai, « les bambaras ou les maliens agissent ainsi », ou « les Soninkés pensent que… », en sous-entendant qu’il y aurait une manière de penser en tant que bambara ou Soninké.

19Pourtant, les habitants d’un village n’ont pas besoin de la culture villageoise ou d’une identité ethnique pour puiser de l’eau ou labourer les champs ; de même, lorsque je prends le métro à Paris, je ne me réfère pas à La vie parisienne d’Offenbach ! Ce n’est pas parce que l’acteur social « n’est pas un idiot culturel », selon la célèbre formule de Garfinkel, qu’il agit comme un érudit, réfléchissant culturellement à son action comme un acteur de théâtre, suivant le scénario de son action, absorbé dans un tableau dont il conviendrait d’étudier toute l’herméneutique : il agit, tout simplement.

20Il convient donc de décrire toute situation sociale observée non pas pour ce qu’elle représente, mais en tant que circonstance d’engagement : cette dispositionpermet de reconnaître les individus, non pas selon leur mode d’appartenance culturelle ou communautaire, mais en tant qu’acteurs économiques, engagés dans des rapports sociaux et des sphères politiques. Mais dans ce cas, on ne peut maintenir la distinction entre ceux qui reçoivent et ceux qui apportent : vision totalisante à partir de laquelle le village ou la commune, s’interprète comme une totalité de besoins qu’il convient d’aider. La communauté villageoise s’apparente à une unité politique qui serait homogène et autonome, se définissant comme une entité en soi, ses autorités traditionnelles et sa population identifiée en catégories d’appartenance : par ethnie, par quartier, par unité d’habitation ( « concession »)… Ainsi, afin d’évaluer et de contrôler le bon emplacement des bornes-fontaines dans une commune, certains projets de développement procèdent au dénombrement de chaque habitant, maison par maison – pièce par pièce –, établissant ainsi des cartographies précises sur la répartition de la population. La mise en représentation du projet de développement se manifeste alors à travers un imaginaire cartographique, que celui se traduise par des schémas et des plans, ou tout simplement par une reconnaissance empirique des sites d’intervention, en arpentant le « terrain » comme un géomètre.

21Selon cette perception, les habitants représentent un groupe social homogène, gouverné par des règles qui lui sont propres, et qui serait d’autant plus solidaire que la difficulté économique conduirait « naturellement » ses membres à s’entraider. En 1973, déjà, Marc Augé stigmatisait ce communautarisme fondé sur « l’illusion villageoise » : « L’idée que dans le Tiers Monde, les habitants d’un village (ou d’un quartier) connaissent un mode de vie caractérisé par l’échange et le consensus en vue d’activités partagées fait partie de stéréotypes très anciens, pourtant régulièrement dénoncés par les anthropologues. » [Augé, 1973, p. 34]. Le bénéficiaire de l’aide au développement se définirait ainsi sous la triple figure du groupe solidaire– en tant qu’il se manifeste comme un isolat social –, du pauvre – en tant que celui qui est dans le besoin – et de l’étranger, en tant qu’il appartient à un autre monde de représentations. La mission d’aide au développement, elle-même, se reconnaît à travers cette triple condition : elle suppose tout d’abord d’ « aller à l’étranger », au double sens de voyager et d’aller vers l’ « autre » pour lui enseigner le bien.

22Le voyage humanitaire ou de développement, ne se justifie pas par le besoin du visiteur (tel que le touriste ou l’agent d’affaires) mais par le besoin du visité. La démarche altruiste repose sur cette inversion de la logique du besoin, de telle sorte que celui qui sollicite la rencontre estime répondre à une demande et non satisfaire à sa propre attente. L’ « autre » doit être identifié comme « pauvre » (dans le besoin) afin d’établir la catégorisation bienfaiteur/bénéficiaire, ce qui implique de se reconnaître soi-même comme celui qui possède. Ce processus est tout particulièrement à l’œuvre dans le tourisme solidaire. Cette forme de solidarité permet au touriste de régler la dette symbolique de son voyage, en tant qu’il bénéficie de la pauvreté de l’ « autre » pour retrouver un « monde perdu » : celui de la vie quotidienne « avant » le développement justement et dont il nourrit la nostalgie sous forme de traditions, d’authenticité et d’un « retour aux sources ». Or, cette quête d’un état antérieur se justifie paradoxalement par l’objectif de participer au développement de la région visitée : en revendiquant la volonté de préserver la vie deshabitants telle qu’elle se déroulait avant l’arrivée des voyageurs, le tourisme solidaire participe à la transformation des pratiques sociales et culturelles, comme toute activité touristique. Ce rapport contradictoire, paradoxal, définit précisément le temps anthropologique qui est à l’œuvre dans l’aide au développement et qui pourrait se résumer par un principe logique, selon les termes d’Arjun Appaduraï : si notre présent est votre futur, alors votre présent est notre passé [Appaduraï, 2001, p. 65-66]. L’aide au développement a ceci en commun avec la tradition ethnologique d’établir sa pratique de terrain sur une distinction de temporalité entre « eux et nous ». Tout semble se passer comme si on pouvait se dire : « on sait bien qu’ils sont nos contemporains, mais quand même… ». Johannes Fabian a mis en évidence ce déni de co-temporalité dans un remarquable ouvrage récemment traduit : Le Temps et les autres : « L’apologie de la distance fondée sur un déni des conditions du Temps partagé constitue la clé pour comprendre cette conception de l’objectivité empirique. » [Fabian, 2006, p. 123] Il ajoute quelques pages plus loin, à propos de l’écriture ethnographique : « Nous pensons que la recherche empirique ne peut être fructueuse que si le chercheur et l’objet de sa recherche partagent le même Temps. » [p. 129-130] La distance nécessaire à la pratique du terrain, qu’elle soit d’ailleurs celle de l’ethnographe ou du « développeur », n’est donc pas celle qui le séparerait d’une co-temporalité avec son objet mais d’une distance à soi par laquelle il peut mettre en suspens son jugement (l’époché husserlienne) et objectiver ses propres perceptions comme des données à interpréter.

Le responsable d’un projet de tourisme solidaire, au Burkina Faso, mobilise son équipe pendant le séjour des voyageurs.

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Le responsable d’un projet de tourisme solidaire, au Burkina Faso, mobilise son équipe pendant le séjour des voyageurs.

« Chambre d’hôtes dans le Sahel »


(© C. Lallier, février 2001)

23Dès lors, celui qui agit pour le bien d’autrui pourrait ainsi continuer à défendre l’objectif de son action [contribuer au développement], sans pour autant dénier son propre désir [retrouver ou maintenir les représentations du passé]. Il lui faudrait juste prendre en considération, « prendre au sérieux », ce rapport paradoxal qui lui permet précisément d’opérer un transfert de valeurs sur l’ « autre » et ainsi de s’estimer valorisé par sa relation altruiste.

24Ce n’est pas tant l’ « autre » qui a besoin de la solidarité du touriste que ce dernier qui désir se sentir solidaire : d’une part, en manifestant son soutien envers celles et ceux qu’il vient aider à travers son groupe (bien sûr, solidaire) et, d’autre part, en éprouvant le sentiment d’appartenir aux valeurs traditionnelles de solidarité qui participent à la représentation de la « communauté villageoise » ou de la famille africaine rencontrée. Le touriste solidaire cherche ainsi à se dépendre d’un simple « statut » d’agent économique – dont il ne serait que l’exécutant d’un système qui lui échappe – en acquérant un rôle effectif d’ « acteur » économique effectif de l’échange. Il tente d’échapper à sa propre marchandisation en intervenant lui-même comme instigateur du rapport marchand  [5]. Non seulement il estime contribuer aux ressources financières de ceux qui le reçoivent, mais il s’engage également à respecter une chartre de bonne conduite. En retour, le responsable d’un projet de tourisme solidaire, évoquera les voyageurs en parlant de « ceux qui sont venus nous aider ».

25Pour réaliser mon documentaire sur le tourisme solidaire, Chambre d’hôtes dans le Sahel, j’ai suivi le séjour de neuf touristes dans un village du Burkina Faso : ces voyageurs avaient accepté de servir de « cobayes » pour tester la qualité d’accueil de ces nouveaux prétendants au tourisme. Est-ce sans doute pour cette raison qu’ils présentaient tous des profils professionnels susceptibles de répondre à une telle démarche de solidarité : l’un d’eux travaillait dans un service ministériel chargé des anciens combattants issus des colonies, un autre s’occupait d’une association d’aide aux malades du Sida ; il y avait également un couple d’enseignants en retraite, une avocate, une fonctionnaire ; une autre proposait une chambre et table d’hôtes dans le centre de la France…

26Ces neufs touristes se reconnaissaient appartenir à un même groupe en tant qu’ils étaient perçus comme solidaires à l’égard de ceux qui les recevaient. Tout se passait comme si leur action de solidarité envers les habitants de ce village d’accueil contribuait à leur donner le sentiment d’être solidaires… entre eux ! N’est-ce pas le sens des remerciements que l’un des touristes exprime aux habitants de Koïrezena, en évoquant leur entente entre les neuf voyageurs :

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On ne se connaissait pas les uns et les autres : tous les neuf, on ne se connaissait pas. Et grâce à vous, grâce à votre pays, on a partagé ensemble plein de choses et on est devenu le temps d’une semaine – parce que nous allons repartir chez nous – on est devenu le temps d’une semaine, des amis. On a partagé énormément de choses et on avait un groupe très soudé. Voilà. Mais, ça c’est grâce à vous !  [6]

28Ce témoignage met en évidence le processus d’identification par lequel des individus se reconnaissent entre eux, se perçoivent dans leur appartenance à unemême communauté. L’économie solidaire constitue en cela une forme exemplaire de cette mise en représentation de l’aide au développement : au sens, où cette dernière repose sur la reconnaissance de soi par les valeurs que l’ « autre » peut lui attribuer. Ce processus implique de ne plus se reconnaître à travers ses propres besoins de rencontre et de découverte, mais de se définir en fonction de son action d’entraide et de développement de l’ « autre ».

29Cette opération symbolique suppose donc qu’un « autre » incarne ce qui est différent. L’habitant du village d’accueil, par exemple, identifié à son territoire – à son terroir – en tant que villageois, représente le tout-autre : ce par quoi s’établit la distinction avec le même, avec la forme identitaire qui désigne chaque touriste, en tant qu’il est membre du groupe. Il faut un tiers exclu pour que les membres d’un groupe se considèrent les « inclus ». Le tiers exclu constitue un « acteur symbolique » par lequel s’établit une communication entre des individus, pour reprendre l’analyse de Gérard Althabe : « Selon ce modèle, toute communication présuppose l’existence de trois éléments : deux entre lesquels s’opère l’échange et un troisième, le tiers exclu, occupant une position d’extériorité, de médiateur. » [Althabe, 1998, p. 69]. La communication par tiers exclu évoque tout particulièrement la circonstance d’échanges entre une mission d’aide au développement et leurs bénéficiaires : ces derniers représentant l’objet de l’échange entre les « développeurs ».

30Le projet de développement apparaît alors comme l’aboutissement d’un procès d’ingénierie sociale, réalisant des opérations techniques et mettant en place des procédures de gestion. Selon cette perspective, le groupe social concerné par le projet de développement est identifié à une « communauté de besoins » par tous les utilisateurs du dispositif technique mis en place par le développeur. Dès lors, on désignera le bénéficiaire en tant qu’il appartient à une « association d’usagers ». Au Mali, par exemple, les gestions de réseaux d’eau potable installés dans les communes rurales sont confiées à des associations d’usagers. Or, dans son acceptation habituelle, la notion d’ « usager » évoque une catégorisation de droits et de devoirs bien spécifiques correspondant à des cadres juridiques définissant la responsabilité et la défense des individus dans le cadre d’un service commun ou public. Mais, en l’espèce, l’emploi du terme « usager » se conçoit dans un sens exclusivement factuel : il identifie l’individu à sa seule fonction d’utilisateur d’un dispositif technique, ce qui revient à escamoter les règles sociales et les conventions juridiques qui légitiment les actions de chacun dans un groupe social. Telle est précisément l’interrogation que me renvoie Michèle Leclerc-Olive, lors d’un entretien concernant les « association d’usagers » des réseaux d’eau potable au Mali  [7] :

31

– C’est qui « l’usager » ? Parce que… ce ne sont pas des individus qui consomment l’eau, ce sont des familles !
– Là, clairement, c’est interprété comme des individus.
– Pour les gens qui viennent !
– Pour les bailleurs, vous voulez dire…
– Pour les bailleurs, oui. Mais, pour les gens là-bas… C’est quoi un « usager » ?C’est la personne qui vient physiquement chercher de l’eau, donc éventuellement une petite fille ou un jeune garçon qui n’a aucune autorité dans sa famille qui pourrait désigner et élire des délégués ?
– Et si c’est le chef de famille, ça pose un problème de l’appeler « usager » ?
– Non, mais on n’aura pas de femmes ! Je me souviens qu’il y a une insistance pour qu’il y ait des femmes dans ce comité [d’usagers]. Donc, comment ça va vivre, concrètement, localement… ?

32Il convient donc de dépasser ces modèles de représentation de l’aide au développement, – selon un clivage besoins/ressources – afin d’interroger les formes de légitimation des missions de développement, et de mettre en évidence la complexité des rapports Nord-Sud qui se jouent sur le « terrain ». Pour cela, il s’agit d’interpréter ces opérations de solidarité comme le produit d’une circonstance d’engagement entre des individus co-agissant ou agissant en co-présence, dans une co-temporalité, et s’efforçant de maintenir en permanence le cadre de leur échange. Il convient de rendre compte des actions de solidarité en tant qu’elles sont des circonstances où se travaillent les relations sociales : ce « travail » produit des transactions symboliques, qui mettent en jeu « la valeur sociale positive » de chaque individu, autrement dit le rapport de face-à-face et la représentation de soi entre développeurs et bénéficiaires.

La justification des modes de coopération

33Cette description d’une mission d’aide au développement, en tant qu’elle procède d’une circonstance d’engagement entre bienfaiteurs et bénéficiaires d’un « pays du Sud », s’appuie sur une ethnographie des interactions, telle que nous la propose Erving Goffman. Celle-ci consiste à rendre compte des opérations par lesquelles des individus produisent des activités, mais aussi comment ils se produisent dans leurs activités : comment ils se représentent dans une circonstance singulière, historiquement située. Pour le dire autrement, « il convient d’investir ethnographiquement les comportements » selon la suggestion de Dell Hymes. Cet anthropologue et linguiste américain propose de « considérer le langage et les autres modes de communication interpersonnelle comme un phénomène culturel essentiel, au même titre que les systèmes de parenté ou les modes d’organisation sociale » rappelle Yves Winkin dans son ouvrage Anthropologie de la communication [Winkin, 2001, p. 99].

34Selon cette démarche ethnographique, l’observation filmée consiste à rendre compte d’une situation sociale, non pas comme d’une totalité en soi mais en tant que circonstance d’engagement de pratiques singulières. Avec sa caméra et ses micros, l’ethno-cinéaste doit décrire l’activité observée à travers les interactions sociales qui sont à l’œuvre, en s’attachant aux tours de parole, aux formes de civilité qui préservent la face et garantissent la présentation de soi, selon la terminologie goffmanienne. Filmer une situation sociale implique d’être au plus près des échanges afin de rendre compte des modes de justification par lesquels les individus légitiment leur action ; il convient de mettre en évidence les rapports de pouvoir en sachant être attentif à l’ordre de l’interaction par lequel chacun des individus conduit son rôle selon son statut. En d’autres termes, il s’agit de filmer ce que l’on appellera « le travail des relations sociales » : soit, ce qui se travaille – ce qui se joue – entre les individus d’un même échange. La pratique de l’observation filmée implique la construction d’une relation sociale à part entière entre filmant et filmés, de sorte que le filmant peut s’insérer dans la situation filmée comme si sa présence pouvait être oubliée.

35Selon cette perspective, le documentaire ethnographique consiste à décrire les différentes opérations par lesquelles les individus se tiennent ensemble et font société. Lorsque le Maire de Nioro-du-Sahel rappelle au responsable de l’équipe de bénévoles venu apporter l’électricité, « Tu ne peux pas vouloir le bonheur de quelqu’un plus que lui-même » (cf. ci-dessus), il lui signifie qu’une mission de solidarité n’échappe pas aux règles de la relation sociale, au principe qu’elle se justifierait en vertu d’un idéal du progrès surplombant tout jugement. Le Maire stipule que la justification de l’aide ne repose pas sur un droit naturel à répondre au besoin de l’ « autre » mais s’inscrit dans le cadre d’un accord de coopération et de co-action entre les deux parties : en tant qu’elle est le produit d’une entente, de la négociation d’un droit. C’est précisément, ce qu’indique le Maire, en ajoutant à son interlocuteur : « Tu viens nous aider : on s’assoit, on se met à table, on se dit ce qu’on doit faire. Et le travail suit ce cours-là. »  [8]

36Une telle description du travail des relations sociales, permet de rendre compte des arènes politiques où se jouent – ou se produisent – les représentations du pouvoir : au sens où les distinctions territoriales sont à interpréter, non pas comme à l’origine des rapports entre des groupes sociaux, mais – au contraire – comme la production de leurs interactions. Nous reprendrons, en cela, la remarque de Georg Simmel : « la frontière n’est pas un fait spatial avec des conséquences sociologiques, mais un fait sociologique qui prend une forme spatiale » [Simmel, 1981, p. 606]. J’ai adopté, pour la première fois, cette posture non pas sur un « terrain » de l’aide au développement en Afrique sub-saharienne mais… à Paris, à la Gare du Nord, en 1995. En réalisant un documentaire ethnographique sur cette station parisienne, j’ai constaté que chaque mode de transport qui partage ce même espace urbain gérait sa propre zone d’activité, de sorte qu’il existait des démarcations formelles entre les territoires de la RATP et ceux de la SNCF. Si j’avais considéré ces délimitations pour ce qu’elles représentaient [c’est-à-dire, comme des conditions déterminant l’activité des agents], j’aurais interprété la Gare du Nord comme un assemblage de territoires produisant des communautés professionnelles dont j’aurais pu définir les traits distinctifs par des représentations culturelles. Or, il s’agissait, au contraire, de percevoir ces frontières comme la production du rapport social entre les groupes d’agents, institutionnellement définis selon leur appartenance à un mode de transport (SNCF, RATP/RER, métro, bus…) : à charge aux voyageurs de négocier le passage entre ces zones de travail et de réunifier l’espace Gare du Nord par le flux de leurs cheminements.

37J’ai abordé les « terrains » en Afrique sub-saharienne exactement comme à la Gare du Nord, en m’attachant à la production sociale de la frontière. L’ethnographie des interactions permet de prendre au sérieux chaque situation sociale en tant qu’elle est une circonstance d’engagement pour les individus, participant au cadre de l’échange. Ce qui m’intéresse, à chaque fois, c’est de décrire des rapports qui se jouent entre des groupes sociaux engagés dans un même projet d’activité, mais selon des modes de justification différents. Qu’il s’agisse des relations entre agents et voyageurs à la Gare du Nord ou des rapports Nord-Sud dans l’électrification de Nioro-du-Sahel ce n’est pas tant le récit des activités qui importe que les motivations et les arguments par lesquels chacun donne du sens à cette situation partagée. Pour cela, il convient d’observer les négociations qui sont à l’œuvre dans une activité sociale afin de rendre compte des modes de justification par lesquels les acteurs conduisent et légitiment leur action.

38En 1996-1997, j’ai réalisé Nioro-du-Sahel, une ville sous tension : un documentaire qui retrace le projet d’électrification d’une ville malienne par une équipe d’électriciens français bénévoles.

Deux apprentis-électriciens de Nioro-du-Sahel équipent un pylône sur la place du marché.

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Deux apprentis-électriciens de Nioro-du-Sahel équipent un pylône sur la place du marché.

« Nioro-du-Sahel, une ville sous tension »

(© C. Lallier, novembre 1997)

39Lors du tournage, j’ai suivi deux réunions provoquées par le Maire de la ville : celui-ci souhaitait rétablir une bonne coordination du projet qui commençait à susciter des tensions et des malentendus entre les acteurs. Il convoqua, tout d’abord, le responsable de l’équipe d’électriciens et rassembla, ensuite, ses élus avec les responsables locaux du projet. Afin de rendre compte de ces deux réunions avec le Maire de Nioro-du-Sahel, j’ai dû analyser la totalité des heures d’enregistrement couvrant ces échanges.

40La synthèse de ce matériau s’avéra particulièrement difficile : je ne parvenais pas à concevoir un montage satisfaisant des échanges, tellement les propos étaient entrecoupés par de nombreuses digressions, se perdant dans des considérations sans fin, ergotant sur des anecdotes. Par ailleurs, plusieurs références implicites relatives à des situations antérieures rendaient confuse la logique des raisonnements. Pour procéder à l’analyse de ces interactions et comprendre le processus denégociation à l’œuvre, je me suis appuyé sur le cadre théorique développé par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, dans leur ouvrage : De la justification. Les économies de la grandeur. J’ai procédé à une catégorisation des arguments exposés lors des échanges filmés, à partir des six modèles de justification proposés dans ce traité de sociologie : le Monde inspiré (religieux et artistique), le Monde industriel, leMonde civique, le Monde de l’opinion et le Monde marchand.

41Le projet d’électrification de Nioro-du-Sahel, par l’équipe d’électriciens bénévoles, repose ainsi sur une combinaison de logiques d’action entre le Monde industriel, le Monde domestique et le Monde civique. Entre ces différents modes de justification, les écarts d’interprétation finiront par créer de nombreux malentendus. Selon ce projet d’aide au développement, la distribution du courant doit s’effectuer en un vaste réseau urbain, rayonnant sur les quartiers de la ville à travers un dispositif de câble souterrain et de lignes aériennes. Dans le documentaire,Nioro-du-Sahel, une ville sous tension un des électriciens explique la logique de leur action, en traçant à grands traits sur le plan de Nioro-du-Sahel, le schéma d’implantation :

42

Alors, nous avons des demandes des Niorois, dispersées un peu partout dans cette ville, et rapidement, nous avons pris l’option technique de créer un « boulevard circulaire » de l’électricité qu’on alimente en 15 kv. « Boulevard circulaire » sur lequel on va placer un certain nombre de postes d’interconnexion et de transformation. On en a, en tout, cinq à peu près. Et à partir de ces postes, dans un rayon de 700 m environ… autour de chacun de ces postes-là, nous allons être capables de satisfaire à la demande de branchements.

43Cette représentation du projet d’électrification repose sur une interprétation de la ville comme un espace homogène et sur lequel vient se poser la structure d’un réseau urbain, selon des axes et des volumes bien déterminés. Cet ordonnancement de l’espace, par la configuration d’un dispositif technique, correspond au Monde industriel décrit par Boltanski et Thévenot : « L’espace mesurable est projetable sur une feuille de papier où se joue une partie de l’épreuve, grâce à la confection de “grilles”, d’ “états”, de “graphiques”, de “schémas”, d’ “organigrammes”, de “cadrages”… » [1991, p. 257]. Pour l’équipe d’électriciens, ce projet ranime avant tout l’esprit d’appartenance à une communauté professionnelle.

44Comme nous l’avons précédemment indiqué, les électriciens retrouvent à Nioro la grandeur du geste de leur métier, en apportant eux-mêmes le courant dans une ville isolée, sur les plateaux désertiques du Sahel : en installant des poteaux, des câbles et des groupes électrogènes, ils renouent avec les valeurs de progrès et d’humanisme de la science et de la technologie. Les membres de la mission d’aide au développement justifient ainsi leur action par les principes qui les unis à une commune appartenance : en s’impliquant dans l’électrification d’une ville du Sahel, les électriciens ont le sentiment de retrouver leur corps de métier ; de même, nous avions noté que les touristes revendiquaient – entre eux – une mutuelle solidarité, alors qu’ils participaient à une action d’économie solidaire envers les autres. Dans les deux cas, la notion de progrès soutient l’action altruiste, en tant que bienfaits apportés mais aussi comme motif d’implication. En cela, l’aide au développement relève du Monde industriel, au sens où « le “progrès” est la formule d’investissement dans le monde industriel » [1991, p. 258]. Aussi, lorsque le Maire déplore l’attitude autoritaire avec laquelle ont été conduits les travaux, le responsable du projet d’électrification contre-argumente en invoquant des valeurs du Monde industriel, telles que l’efficacité, l’énergie dans le travail et le sens des responsabilités :

45

Dites-vous bien qu’Étienne  [9] a énormément de travail sur les épaules. A énormément de responsabilités sur les épaules. Je l’ai dit ouvertement : je ne suis pas là pour m’asseoir dans des réunions. Vous voyez que je suis efficace sur le terrain. Il le faut. Regardez en face les réalités techniques… !

46Pour les électriciens, motivés par la réalisation technique de leur projet, les Niorois n’apparaissent pas comme les habitants de la ville – comme les citoyens de la commune – mais en tant que main-d’œuvre potentielle, disponible pour leur chantier d’électrification : ils sont jugés comme des manœuvres ou des collaborateurs selon des critères d’efficacité. De fait, les Niorois sont critiqués lorsqu’ils ne participent pas aux travaux et suscitent, à l’inverse, l’enthousiasme dès lors qu’ils viennent tirer des câbles.

47Ce désir d’électrifier une ville, pour le bien d’autrui, se nourrit de l’attente d’être accueilli comme la providence, en estimant que les bénéficiaires de cette générosité sauront s’investir autant que leurs bienfaiteurs – sinon plus – dans le projet. Tout se passe comme si les électriciens estimaient appartenir à une commune solidarité avec les Niorois, au principe qu’ils apportent le progrès, en échange de quoi ils reçoivent l’amitié des Niorois. Par cette reconnaissance, ils sont désignés comme un groupe solidaire de gens de métier apportant leur aide au développement de la ville. Cette implication humaine, affective et sociale, place la relation de travail entre Français et Niorois sous le régime de l’économie du don. Dans ce cas, le don de soi suppose, en terme de contre-don, l’appréciation du travail bien fait : autrement dit, la reconnaissance d’avoir un don pour exercer ce métier. Le don de son travail révélerait ainsi un don naturel pour ce travail.

48En résumé, le projet d’électrification repose sur une justification de type « industrielle » (progrès, efficacité, compétence) et « domestique » : liens personnels et affectifs, entraide, hiérarchie, culture de métier et partage de la « tradition africaine »… Mais, le projet des électriciens est interprété selon un troisième modèle de justification : celui du « Monde civique », revendiqué bien sûr par les interlocuteurs politiques de la ville. Or, dans la « grandeur civique », soulignent Boltanski et Thévenot, la valeur des personnes est prise en considération en tant qu’elle appartient à un collectif. Inversement, « la cité se défait lorsqu’elle s’abandonne au “particulier” » [1991, p. 240]. Lors de la première réunion, le Maire reproche au responsable du projet d’avoir fait de l’électrification de la ville une affaire personnelle. Or, dans le Monde civique tout arrangement entre des intérêts privés et des intérêts publics « est dénoncé en terme de paternalisme » [1991 p. 383] : on voit comment, dans le cadre de cette relation franco-africaine, lacritique du paternalisme peut se traduire par la stigmatisation d’un comportement colonialiste. Le Maire constate que le projet ne dépend pas d’une décision d’utilité générale, mais relève manifestement d’intérêts individuels, caractérisés par l’engagement personnel des électriciens. Par ailleurs, l’absence d’une instance politique appropriée afin de gouverner l’installation de ce réseau urbain d’électricité dans la ville favorise, selon lui, le népotisme dans les quartiers et le clientélisme auprès de la population (accusations de « copinage »). Face à ces risques de déstabilisation potentielle, le Maire place son autorité d’élu dans la balance de la justice collective : « Si vous n’êtes pas d’accord, je me retire. » De son côté, le responsable du projet revendique comme principe de justice, son investissement personnel, en rappelant ce qu’il a donné de lui-même pour le projet :

49

Sachez qu’Étienne met plus de deux millions par an pour vous, en France… à titre personnel ! Et si moi j’ai fait un cadeau de 12 500 F à Habib. Habib les a acceptés. Il ne m’a jamais dit : « Non Étienne, il ne faut pas. » J’ai dit : « Moi, c’est un cadeau que je fais au Comité de Jumelage. Tu payes les manœuvres. » Mais, moi ça partait du fond du cœur et non pas comment vous l’avez pris. Et ça je vous en tiens rigueur.

50Mais, en cherchant à faire valoir sa donation personnelle, Étienne ne fait que confirmer l’implication d’intérêts privés dans un investissement qui relève du bien public. Le cadeau offert ne fait que renforcer l’établissement d’un rapport particulier au détriment de l’intérêt général. L’issue de cet échange, sans concession, ne pourra s’établir qu’en vertu du maintien de l’ordre de l’interaction, au principe du respect des convenances sociales. Le Maire de Nioro requalifie ainsi le cadre de l’échange :

51

Bon, pour ma part aussi, je lui présente toutes mes excuses pour les écarts de langage que j’ai pu, sous les effets du courroux, tenir à son endroit. En tous les cas, il est un partenaire. Il est un ami. C’est des choses qui ne devaient pas arriver. Mais, j’avoue que quand les choses ne se passent pas comme elles doivent se passer, des frictions pareilles sont inévitables.

52Cette marque de correction (au double sens du terme de civilité et de réparation) consiste à traiter séparément le Monde domestique et le Monde civique. Le Maire présente ainsi ses excuses afin de préserver les termes de l’échange avec son interlocuteur, et peut ainsi fixer de nouvelles règles de coopération en s’appuyant sur des partenaires institutionnels pour conduire la suite du projet de développement :

53

Moi, je vais vous dire que le comité de gestion, le comité de jumelage et la municipalité sont « o-bli-gés » de travailler ensemble. De s’expliquer les choses en toute transparence, sans qu’il y ait des petites mesquineries et des blocages. C’est comme ça que je comprends. Mais le comité de gestion ne peut pas faire le travail à l’insu du comité de jumelage et à l’insu des autorités municipales. En ce moment, si cela se passe, c’est un échec cuisant.

54Cet examen précis des interactions m’a permis d’effectuer le montage des séquences filmées, en m’attachant à rendre compte au plus près des logiques d’argumentation de chacun. L’exploration des modes de justification par lesquels s’établit la coopération entre le groupe d’électriciens et les autorités de Nioro fut également la condition pour interpréter ce qui se jouait entre les acteurs, sans me limiter à la seule ethnographie des interactions. Décrire les relations de travail entermes d’engagement ne suffisait pas à comprendre en quoi le projet d’électrification pouvait menacer l’équilibre politique de la ville. Il me fallait saisir en quoi l’implication des électriciens, malgré une volonté de bien faire, se trouvait contestée par le Maire au nom de l’intérêt général de sa commune. Le cadre théorique des « mondes de justification » m’a aidé à représenter l’électrification de la ville, non pas tant comme la chronique des travaux ou le récit d’un conflit, mais comme une transaction de valeurs entre des individus et des engagements distincts.

55L’observation filmée du travail des relations sociales permet ainsi de rendre compte d’une situation sociale comme circonstance d’une transaction d’intérêts. Selon cette approche, l’anthropologie visuelle peut contribuer à l’examen des conditions de l’aide au développement à travers la complexité de ses relations de travail sur le « terrain ».

Notes

  • [*]
    Anthropologue, ENS-LSH/EHESS – Laboratoire d’anthropologie urbaine (LAU).
  • [1]
    Extrait de « Nioro-du-Sahel, une ville sous tension », documentaire de Christian Lallier, IRD, CNRS Audiovisuel, Citée des Sciences et de l’Industrie, GRETS, Europimages, ARTE, diffusion mars 1999.
  • [2]
    Nous pourrions, bien sûr, étendre notre analyse à la notion de « care » ainsi qu’aux nouveaux cadres théoriques qui se définissent autour d’une éthique de la sollicitude et du souci de l’autre.
  • [3]
    « L’Argent de l’eau », documentaire de Christian Lallier, Agence Française de Développement, Objectif Images, 2006.
  • [4]
    « L’Argent de l’eau », op. cit.
  • [5]
    Dans L’idiot du voyage, Jean-Didier Urbain décrit cet embarras du touriste face à lui-même, en procédant à l’inventaire des images négatives le stigmatisant : « Le touriste n’est plus alors seulement sot ou stupide. […] Cet animal devient proprement importun. Parasite “photophage”, ce nomade touche-à-tout s’infiltre, souille, viole et vole tout ce qui passe à sa portée – ne serait-ce que de son regard ». J.-D. Urbain constate que « ces caricatures […] ravalent l’homme en vacances au rang de produit », le transformant en touriste-marchandise que l’on exploite (Urbain, 1993, p. 39, 42-43).
  • [6]
    Extrait de Chambre d’hôtes dans le Sahel, documentaire de Christian Lallier, ARTE, Gédéon Programmes, juillet 2001.
  • [7]
    Extrait de L’Argent de l’eau, partie II, 4e Lecture « Règles du projet vs. règles locales », de Christian Lallier, Agence Française de Développement, Objectif Images, octobre 2006.
  • [8]
    Extrait de Nioro-du-Sahel, une ville sous tension, de Christian Lallier, Europimages, ARTE, 1999.
  • [9]
    Le prénom a été changé.
Français

Un projet d’aide au développement se justifie d’emblée par la ressource des uns apportée aux besoins des autres. Selon cette logique, les bénéficiaires sont reconnus comme les membres solidaires d’une même communauté de besoins, de telle sorte que la mission d’aide au développement se définit comme une réponse à la demande d’un groupe social homogène. Tout se passe comme si l’amélioration des conditions de vie contribuait au développement des mondes sociaux. Pourtant, bon nombre des équipements tombent en panne car l’expression des besoins ne suffit pas à instituer de nouvelles pratiques. Faut-il encore que le dispositif technique représente une valeur d’échange entre les acteurs, qu’il symbolise une manière de se tenir ensemble. Il convient donc de dépasser ce clivage « Besoins/Ressources » afin d’interroger les formes de légitimation des missions de développement et de mettre en évidence la complexité des rapports Nord-Sud qui se jouent sur le « terrain ».

Mots-clés

  • aide au développement
  • observation filmée
  • relations sociales
  • besoin et demande
  • désir
  • altérité
  • économie solidaire
  • travail
  • représentation
  • modes de justification
English

The need to help or the desire of the Other


A development aid project is justified right from the start by the resources of certain people provided for the needs of others. According to this logic, the beneficiaries are recognized as the interdependent members of one and the same community of needs, in such a way that the development aid mission can be defined as a response to the demand of a homogeneous social group. Actions proceed as if the improvement of living standards contributed to the development of social worlds. However, many of the installations fall into disrepair and break down because the expression of needs is not sufficient for the establishment of new practices. The technical device must indeed represent an exchange value between the different participants and symbolize a means of keeping together. It is therefore desirable to overcome the “Needs/Resources” division in order to examine the forms of legitimization of development missions and bring out the complex nature of the relations between North and South at play in this “field”.

Key-words

  • development aid
  • observation by filming
  • social relations
  • need and demand
  • desire
  • otherness
  • mutual economy
  • travail
  • representation
  • justification methods

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Christian Lallier [*]
  • [*]
    Anthropologue, ENS-LSH/EHESS – Laboratoire d’anthropologie urbaine (LAU).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.042.0091
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