CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le traditionnel clivage culturel opposant les villes des pays dits développés aux pays dits du Tiers monde, le Nord au Sud, trouve un terrain d’étude singulier en Asie du Sud-Est, par le rapprochement des processus d’urbanisation que l’on peut y observer avec les pays du Nord. À Djakarta, Kuala Lumpur, Bangkok, comme dans la plupart des grandes villes des pays de cette région, l’internationalisation des flux financiers et des modes de construction a fait son œuvre. La « verticalisation » des formes urbaines, signe d’une modernité transnationale [King, 2004], a gagné du terrain à l’instar des grandes villes occidentales. Ce rapprochement des processus d’urbanisation entre le Nord et le Sud a par ailleurs accompagné une convergence des modes de vie, sous l’effet du double essor de l’enrichissement de la société asiatique [Robinson et Goodman, 1996] et de la mobilité internationale [Knafou, 1998 ; Urry, 2005].

2Jusqu’au milieu des années 1980, ce mouvement a souvent été perçu de manière ambiguë. Ainsi, était-il courant de qualifier les pays d’Asie du Sud-Est les plus dynamiques économiquement de « Dragons de l’Asie » : une façon d’entretenir une différence, voire peut-être une méfiance vis-à-vis de ce processus de « sortie du Tiers monde » qui, par ailleurs, avait pour conséquence de stigmatiser cet « ailleurs oriental » que les occidentaux se sont attachés à construire au cours de l’histoire [Said, 1980]. Aujourd’hui, de nouveaux schémas de lecture sont apparus, avec comme objectif commun d’éclairer les mutations à l’œuvre dans les processus d’urbanisation, en s’appuyant notamment sur la nouvelle donne économique et culturelle liée à la circulation des hommes, des biens et des techniques à l’échelle de la planète.

3En 1986, John Friedmann introduisit d’abord le terme de « World City » [Friedmann, 1986], relayé plus tard par celui de « Global City » [Sassen, 1991]. En France, ce renouvellement théorique trouva son écho dans les travaux de Pierre Veltz [1996] portant sur les nouvelles formes de polarisation spatiale, représentatives de l’ « économie d’archipel » propre à la mondialisation. Ainsi, depuis plus de vingt ans, les questions liées à l’évolution des villes ont trouvé une forme de consensus général autour du thème de la mondialisation [Marcuse, 2000] avec un ensemble de sous-questions, comme celle portant sur le repérage en Asie d’une avant garde de l’urbanité contemporaine [Rimmel, 1997 ; Marshall, 2003].

4Cette perception de l’évolution des grandes agglomérations d’Asie selon un modèle commun a néanmoins ses limites. En effet, dans une compétition économique à l’échelle mondiale, il apparaît que chaque agglomération constitue un enjeu déterminant : celui d’offrir des avantages locaux en vue de capter les bénéfices des flux de la mondialisation. D’où les différentes formes de classement faisant valoir l’attractivité de ces villes dans une optique de marketing urbain à l’échelle mondiale [Hall, 2001].

5La prise en compte de ces nouveaux échanges internationaux fragilise les anciens découpages géopolitiques et économiques, comme celui associant l’Asie du Sud-Est à un ensemble de pays historiquement défini. De ce point de vue, l’usage de la notion d’Asie Orientale [Pelletier, 2004] apparaît aujourd’hui légitime, car elle élargie cette zone d’échange au Japon et à la Chine devenus des partenaires privilégiés des pays d’Asie du Sud-Est. À ce recadrage à l’échelle des nations, on doit intégrer une autre échelle complémentaire de perception de ces mutations : celle mettant au jour l’idée de région. Pour Scott [2001], la notion de « ville-région mondiale » (global city region) est plus pertinente que celle de ville mondiale ou globale, car elle permet de désigner ce qu’il nomme l’ « autre face » de la mondialisation : « ses particularités locales dans un monde où la géographie n’a pas été et ne peut pas être abolie ».

Le cas de Singapour

6Singapour constitue le terrain sur lequel s’appuiera notre analyse. À partir de 1965, année ou le gouvernement acquiert sa pleine souveraineté, cette nouvelle cité-État s’engage dans une vaste entreprise de réaménagement de son territoire sur la base d’un plan directeur, appelé dans sa phase préliminaire Ring Plan  [1]. Dès cette époque, l’objectif de penser le développement de Singapour comme une entité urbaine nouvelle, réunissant tous les aspects institutionnels d’un État-nation moderneindépendant, tout en misant dans son développement sur ses connexions aux flux mondiaux de l’économie, dont elle constituerait un relais, est à l’ordre du jour. Comme le rappele Charles Goldblum [1986, p. 516], le thème de la « totalité urbaine » et de « l’environnement total » sont très tôt présents dans le discours officiel singapourien condensée sous l’expression de « global city »  [2].

7Or, sur le terrain, l’état physique des infrastructures et du bâti apparaît comme en décalage par rapport à ces intentions de départ. En dépit des différentes mesures d’assainissement entreprises par les autorités coloniales au début du XXe siècle (construction d’égouts, « curetage d’îlots » par le percement de voies secondaires, après la publication en 1907 du rapport Simpson), l’habitat à Singapour est généralement très vétuste. Par sa surpopulation et son manque d’entretien, le tissu résidentiel du centre ville est engagé dans un processus de dégradation. Cette situation a d’ailleurs été largement à la base de l’argumentaire en faveur de la rénovation urbaine : une action urbanistique de grande envergure que l’on peut appréhender à l’époque comme la projection spatiale d’un « projet global d’édification nationale et de transformation d’une société marchande largement issue de l’immigration et tributaire du système de domination colonial en un État-nation moderne » [Goldblum, 1996].

8À la fin des années 1980, on peut considérer que les principaux objectifs urbanistiques sont atteints, notamment ceux relevant du domaine du logement, avec la réalisation par l’organisme national de promotion du logement, le Housing Development Board (HDB), de plus de 600 000 appartements, dont la très grande majorité des Singapouriens sont aujourd’hui propriétaires [3]. Au début des années 1990, on assiste à un changement important dans la politique du logement avec la publication du Revised Concept Plan. Dans ce plan, les objectifs qualitatifs sont mis en avant au profit des objectifs quantitatifs, avec une participation renforcée de la promotion privée [Wong et Guillot, 2004]. Parallèlement, on assiste à un ralentissement de la production de logement public et à la mise en œuvre d’un vaste programme d’amélioration des logements existant (upgrading program). Conduit par l’Urban Redevelopment Authority (URA), l’instance publique chargée de la planification urbaine [4], ce changement d’orientation est associé à un ensemble de messages concernant le devenir de la cité-État. Pour le gouvernement, les années1990 marquent le début d’une « nouvelle étape » de l’aménagement de la cité-État (The Next Lap, 1991). À terme, l’objectif est de réaliser une « ville tropicale de l’excellence » (Towards a Tropical City of Excellence),

9Au-delà du caractère incantatoire de cette dernière formule, on doit s’interroger sur l’insistance du gouvernement depuis les années 1990 de systématiquement s’y référer. Selon nous, cette formule traduit une double intentionnalité dans le champ opératoire de la planification urbaine, dont on cherchera à identifier les fondements théoriques et les conséquences urbanistiques :

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  • d’une part, celle d’ancrer le développement de Singapour dans une réalité géographique et culturelle spécifique (l’Asie tropicale) faisant valoir à ce niveau des particularités locales identifiables ;
  • d’autre part, celle de projeter l’avenir de Singapour dans une logique de développement planétaire lié à la compétition économique mondiale (l’excellence), où l’on fait valoir un ensemble d’atouts relevant de critères performatifs.

Garden City : du détournement d’un concept à la construction d’un imaginaire urbain tropical

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Garden Living. Smell the frangipanis. Wake up to the thrill of birds and the scent of flowers. With more homes being built near parks, gardens and recreational areas, you don’t need to have a garden to enjoy living close to the nature [5].

12Le projet d’associer la planification de Singapour à la construction d’un environnement naturel tropical remonte à l’indépendance. En effet, dès les premiers travaux conduits après le retrait de l’administration anglaise, l’élément « nature » et la planification d’espaces verts (open space) constituent un paramètre important de la pensée urbanistique officielle. L’ancien Premier ministre, Lee Kuan Yew, en a fait à cette époque un enjeu de campagne. Ainsi, depuis l’indépendance, l’emprunt du concept de « cité-jardin » (garden city) au corpus de doctrines de l’urbanisme anglo-saxon a toujours été présent  [6].

De Queenstown à Punggol 21 : l’invention d’un « idéal néo-utopien »

13Si Ebenezer Howard, l’auteur du concept de cité-jardin, avait imaginé sa ville idéale selon une dimension discrète, à l’écart de la ville industrielle existante,l’interprétation qui en a été faite à Singapour est très différente  [7]. La ville nouvelle de Queenstown (Queenstown Industrial and Housing Estate) mise en œuvre par le gouvernement colonial au début des années 1950 traduit bien la façon dont cet héritage urbanistique transmis depuis l’Angleterre, a été localement réceptionné et recyclé. Au départ, Queenstown avait été conçue à la manière des villes nouvelles anglaises, selon un principe de voisinage préservant la vie privée (privacy) grâce à de faibles densités. Or, à partir des années 1960, on assiste à une transformation radicale de ses intentions et à la naissance d’un grand ensemble à forte densité (1 000 habitants par hectare), afin de répondre aux forts accroissements de la population urbaine. Cette formule sera généralisée à partir des années 1970-1980, faisant de l’habitat collectif vertical la forme résidentielle majoritaire pour la population singapourienne. Ainsi, tout en maintenant cette référence à la cité-jardin pour son évocation de la nature, c’est un autre corps de doctrine qui a été convoqué pour édifier les villes nouvelles qui succéderont à Queenstown : celui relevant de la ville fonctionnaliste avec, comme trait dominant, la standardisation et la « verticalisation » du logement.

14Au milieu des années 1990, soit quarante ans après le lancement de Queenstown, l’Urban Redevelopment Authority (URA) et le Housing Development Board (HDB) annoncent conjointement la mise en œuvre d’une ville d’un type nouveau, aujourd’hui en voie d’achèvement : Punggol 21. Les concepts de planification sur lesquels reposent l’édification de cette ville et la réalité construite qu’on peut aujourd’hui en observer, constituent une projection grandeur nature de cette « ville tropicale de l’excellence » et de l’interprétation la plus récente du concept de cité-jardin [Tan, 1999] faite par les autorités singapouriennes. Située à l’emplacement d’un village de pêcheurs dont elle a gardé le nom, la ville nouvelle de Punggol est présentée par l’URA et le HDB comme « une ville de bord de mer du XXIe siècle » (A Water Front Town of the 21st Century) : « At the down of the 21st century, a distinctive waterfront town will start to take shape in the North-East region. Punggol 21 will have attractive housing, modern amenities and a convenient transport system. It will offer Singaporeans the lifestyle of a tropical resort »  [8].

15Par rapport au précédent modèle de ville nouvelle, Punggol affirme d’abord sa différence par sa situation géographique, car elle est située sur la côte, au nord-est de l’île, et non à l’intérieur des terres. Ainsi, l’idée maîtresse de son plan est de tirer parti des caractéristiques naturelles du site, afin de donner à cette future agglomération un esprit de « ville de bord de mer ». Autre différence, le principe de l’unité de voisinage est abandonné au profit d’une division par un système d’îlots similairesau centre ville. Désormais piétonniers, les intérieurs d’îlots sont dotés d’équipements sportifs et de loisirs à la manière des ensembles de logement privatisés, autrement connus à Singapour sous le terme de condominium.

16Outre sa localisation et la conception de son bâti, il existe une autre différence fondamentale instituant une rupture avec le modèle précédent : Punggol est une ville entièrement résidentielle ne comprenant pas de zones industrielles  [9]. Sur cette question, rappelons qu’à la suite du propos d’Howard, l’idée fondamentale présidant à la conception des villes nouvelles singapouriennes était de constituer des « communautés autosuffisantes » (self-sufficient communities), c’est-à-dire des établissements humains ayant un certain degré d’autonomie en terme de services et un potentiel de développement hors du rayon d’influence du centre ville [Wong et Yeh, 1985]. La réalisation d’un tel objectif impliquait la prise en compte d’un grand nombre de paramètres liés à la vie quotidienne des habitants de ces villes : commerces, équipements publics, emprise des infrastructures, zones d’activités industrielles, etc. Désormais, à Punggol, ce projet est obsolète.

17Ainsi, tout le discours portant sur l’autosuffisance de la ville nouvelle a disparu. On projète une autre réalité physique, dans laquelle on donne une large part à un autre type de quotidien urbain, où les activités de loisir prennent une place dominante. Comme le suggère Victor Savage [1991], le concept de Garden City, tel qu’il est aujourd’hui interprété et exploité par les autorités singapouriennes, doit être perçu comme une sorte d’ « idéal néo utopien » à atteindre. On cherche à édifier un environnement urbain total où le cadre de vie, façonné par l’homme, s’inscrirait dans un vaste jardin partagé par l’ensemble des singapouriens. C’est effectivement ce qu’explique Sumiko Tan [1999] dans son ouvrage de promotion de la politique conduite par l’URA : « Avec de plus en plus de logement édifiés prés des parcs, des jardins et des aires de jeux, on n’a pas besoin d’un jardin [entendons ici un jardin individuel] pour profiter de la vie près de la nature… Pour ceux qui vivent loin des parcs et qui n’ont pas le temps de s’y rendre, il suffit de laisser la nature venir à vous. Des jardins privés (c’est-à-dire les balcons des appartements, d’après les illustrations) sont à votre disposition L’arrangement de palmiers, cactus ou bougainvilliers disposés sur votre balcon former un auvent de verdure pour vous protéger du monde extérieur »  [10].

De l’effet « post-table rase » : un régime d’ « iconomanie » généralisé

18Cet idéal néo-utopien « made in Singapour » ne s’est, bien entendu, pas effectué sur une page blanche. Sa mise en œuvre va de pair avec ce que de Konning [1992]appelle une « révolution territoriale » pour désigner la vaste opération de démantèlement des établissements humains existants, associée à l’extension de la superficie du territoire par la poldérisation. Aujourd’hui, la jungle tropicale qui occupait la majeure partie du territoire a quasiment disparu sauf dans la zone centrale : le « catchment area », où l’on trouve le parc naturel de Bukit Timah et une partie des réserves d’eau potable de l’île.

19Ainsi, sous le label de « ville tropicale », il ne s’agit pas de promouvoir l’édification d’un établissement humain dont la relation au milieu naturel s’inscrirait dans une continuité culturelle et environnementale locale. Il ne s’agit pas non plus d’un retour à la « ville végétale » d’Asie du Sud Est. Dans l’esprit des autorités singapouriennes, il en est autrement, On est dans une logique de « déréalisation du monde rural » [Goldblum, 1988], en raison notamment de la disparition du monde rural au profit d’une diffusion exclusive de l’urbain. Par les vertus de l’ordre naturel, on exorcise le désordre urbain et industriel, dans une optique d’harmonisation sociale, et ce en dépit des bouleversements topographiques (poldérisation, déforestation) par l’édification de la cité-jardin. Dans ce contexte, promouvoir l’élément « naturel » trouve son sens par son association à un double discours :

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  • d’une part, celui que l’on vient d’observer, où l’élément naturel devient une ressource commune, visant à palier l’impossibilité de chaque foyer de disposer de jardins privatifs du fait de la petitesse de l’île et du caractère très dense de son occupation. L’offre de cette ressource commune va de pair avec la présence d’un vaste dispositif de maintenance : le « Green and Blue Plan »  [11] ;
  • d’autre part, à un discours d’un autre registre, apparu plus récemment, où l’élément naturel est associé à des enjeux de nature patrimoniale. Dans ce deuxième cas, il s’agit de valoriser le « patrimoine insulaire » (island heritage).

21Depuis les années 1990, cette référence à l’héritage insulaire a fait son chemin : à l’instar de Punggol, un ensemble d’opérations résidentielles privées de grande envergure ont vu le jour sur la côte, comme à Tanjong Rhu, Telok Blangah ou Sentosa. Cette localisation près de l’eau ne semble toutefois pas elle seule suffire pour faire valoir les bénéfices que l’on peut en tirer au quotidien. Dans ce cas également, il faut labelliser. Ici, on fait appel à autre référent que la cité-jardin : la Méditerranée et la vie quotidienne qu’on lui associe (Mediterrannean life style) dont le club de vacance du même nom, installé non loin de Singapour, à Cherating et à Bintan, constitue en quelque sorte une « icône ». Ainsi, avec les récents aménagements del’URA, assiste-t-on à la volonté de retrouver un sens par rapport au lieu, mais sur la base d’un « surinvestissement symbolique » de son histoire et de sa géographie. On est dans une sorte d’ « iconomanie » généralisée pour reprendre la formule d’Anders [1956] : cette passion des images qui est aussi un aveu de ce « malaise de la singularité », malaise que cet auteur a brillamment exposé à son époque, par son observation des effets des nouveaux modes de communications.

22Ce rapport à l’image trouve son pendant dans les opérations de réhabilitation du patrimoine bâti conduites depuis le milieu des années 1980, dans les quartiers dits « ethniques » du centre ville (Chinatown, Kampung Glam et Little India) qui relèvent au fond de la même logique, même si elle opèrent dans des registres différents. Comme l’explique justement Gilbert Hamonic [1999], c’est, « moins la constitution d’une histoire qu’à la construction d’une mythologie de la nation que nous assistons. Fabrication artificielle, mais conduite de main de maître, où sont multipliés les signes d’un passé qui n’a jamais eu lieu et dont les procédés sont en vérité assez élémentaires. Ils consistent presque toujours à isoler un élément culturel signifiant de l’intérieur d’un système de significations pour l’absorber, le digérer et le rendre de la sorte parfaitement abstrait en l’insérant dans un autre système de significations au sein duquel il n’a pratiquement rien à faire ».

Vitesse et privatisation : l’excellence urbaine version singapourienne

23Dans sa formule « Toward a tropical city of excellence », l’URA associe la planification de Singapour à une autre notion : l’excellence. Dans une certaine mesure, la pensée howardienne pourrait aussi constituer une référence. En effet, dans son projet de cité-jardin, Ebenezer Howard avait misé sur une technique de transport innovante à l’époque : le chemin de fer. À Singapour, ce transport est une des clés de planification territoriale avec la présence du Mass Rapid Transit (MRT), dessinant une boucle connectant l’ensemble des villes nouvelles et la ville historique (Ring plan). À Punggol comme à Bukit Panjang, on trouve un deuxième type de réseau de transport ferroviaire interne à la ville nouvelle : le Light Rail Transit (LRT). Or, entre l’époque d’Howard et aujourd’hui, un autre moyen de transport s’est largement diffusé : l’automobile. C’est ainsi qu’en toute logique, un vaste réseau autoroutier irriguant aujourd’hui la totalité du territoire s’ajoute au transport ferroviaire.

24La construction d’infrastructure en grand nombre a sans nul doute constitué un facteur déterminant dans le développement économique du pays. Mais, l’originalité du cas singapourien dans ce domaine tient aussi aux formes de gestion de ces infrastructures pour en optimiser l’usage. D’abord, la construction d’autoroutes urbaines a été associée au développement des transports en bus permettant un accès rapide à l’ensemble du territoire pour les persones ne disposant pas d’automobile. Simultanément, la construction de ces autoroutes a été liée à la mise en place de mesures incitatives visant à réguler et à diminuer l’usage de la voiture individuelle. Depuis 1998, l’ensemble du réseau d’autoroutes est doté d’un système de péage électronique (Electronic Road Pricing) pour remplacer les systèmes manuels (Arealicensing Scheme)  [12]. Finalement, la valorisation esthétique de ces infrastructures n’a pas été écartée. Sur ce dernier point, les avantages offerts par le climat tropical jouent un rôle clef par la « végétalisation » des structures porteuses en béton armé des autoroutes urbaines, minimisant ainsi leur impact physique.

L’option de « l’île intelligente » : un renouvellement de la pensée du développement ?

25Ce choix de miser sur la technique et la construction d’un environnement urbain le plus performant possible notamment dans le domaine des transports, sans pour autant délaisser sa dimension esthétique, s’inscrit dans une dynamique initiée dans les années 1960, en accord avec les objectifs économiques prioritaires énoncés par les experts des Nations Unies. À cette époque, l’essor économique de Singapour reposait sur un « programme action » (action program) dont les infrastructures de transport constituaient un facteur d’attraction clef pour les investissements internationaux dans une optique de développement à l’export [Perry et alii, 1997]. Aujourd’hui l’espace alloué aux infrastructures (services urbains, routes, transports publics, port, aéroports, et leurs équipements associés) excède celui réservé aux logements.

26Ainsi, en contre point du projet de cité-jardin mettant en avant l’élément naturel, voit-on se dégager, un autre discours lié à d’autres objectifs, visant à associer la notion d’excellence urbaine aux impératifs de vitesse dans les déplacements et les échanges, à l’intérieur du territoire mais aussi avec l’étranger (port, aéroport). Depuis les années 1980, ce principe de développement a évolué vers un autre système, donnant une place plus large aux services et faisant appel à une main d’œuvre de plus en plus qualifiée. Simultanément, les investissements se sont déplacés, de la construction d’infrastructures physiques aux infrastructures supports des nouvelles techniques de communication et de l’information [Wong, 1999]. D’ou le concept d’ « Intelligent Island » (National Computer Board, 1991) émit par le gouvernement en même temps que paraissait le Revised Concept Plan, et l’idée que Singapour est entré dans une « Nouvelle étape » (Next Lap) de son développement. Selon les termes de l’Economic Planning Comittee [1991], il s’agit de faire en sorte que Singapour devienne « un centre de commande très efficace pour les marchandises, les services, le capital, l’information et les personnes »  [13].

27Cette implication du gouvernement dans la mise en œuvre d’infrastructures urbaines très performantes ou d’établissements éducatifs de haut niveau, a été un facteur déterminant dans la rupture du clivage économique, social et culturel Nord-Sud évoquée plus haut, avec comme conséquence le déploiement d’opérateurs très puissants dans le domaine de l’aménagement à l’export jouant un rôle clef dans le transfert de modèles à l’échelle régionale [Guillot, 2006]. Graham et Marvin [2001]expliquent que ces avancées techniques « transcendent les divisions entre villes développées et en développement et entre échelles locales et globales »  [14]. Les lieux urbains sont ainsi devenus des « translocalités » (translocalities) avec des liens et des connexions multiples variant dans leurs échelles [Smith, 1993].

L’avènement de « l’homme prothétique » et de la « pay-per society »

28Un autre volet de cette notion d’excellence urbaine liée à l’essor de la technique dans le développement économique de Singapour doit être perçu dans son interface avec la vie domestique. Pour le National Computer Board, à l’origine de la promotion du concept d’ « Île intelligente », l’objectif pour Singapour est de devenir « un des premiers pays au monde doté d’un réseau de communication reliant entre eux les ordinateurs des foyers, bureaux, écoles, et usines ». Dix ans plus tard, avec le lancement, en 2000, du projet « Singapore One », comprenant le câblage de tous les foyers par un réseau de télécommunication en fibres optiques, pour optimiser les services en ligne, offerts par les institutions gouvernementales et les firmes privées (commerce, loisir, etc.), cette notion d’ « île intelligente » a pris forme. Aujourd’hui, à Singapour, comme dans tout autre pays industrialisé, la dépendance de nos activités à ce méta-environnement électronique est quasi permanente : des déplacements automobiles gérés par le paiement électronique, à l’ensemble des informations reçues et envoyées via Internet, en passant par la gestion à distance de la température des logements par le biais de la climatisation.

29Dans son ouvrage, De la modernité, Jean Chesnaux [1983] souligne la propension de notre monde à créer un ensemble de comportements et d’effets spatiaux spécifiques liés au progrès de la technique. On doit notamment à la modernité un effet de « programmation-guidage » de la vie quotidienne qui affecte, à chaque espace du territoire singapourien, une tranche d’activité temporelle strictement formelle. La modernité produit ainsi des prothèses et donne naissance à ce que l’on pourrait appeler « l’homme prothétique », comme le suggère Françoise Choay pour qualifier la mutation qui infléchit la nature de la technique. Ce terme, explique cet auteur, permet en outre « de souligner la multiplication des médiations et des écrans que l’usage des dites prothèses introduit désormais entre les hommes et le monde, comme entre les hommes entre eux » [Choay, 1998, p.45]. Cette logique d’instrumentalisation du quotidien se retrouve finalement dans cette « pay per society » qu’un auteur comme Vincent Mosco [1988], avait dénoncé dès la fin des année 1980 caractérisé notamment par la montée en puissance des services privatisés et le déclin de leur gestion par les services publics  [15].

30À Singapour, on peut aisément illustrer cette tendance avec la diffusion de la formule des « 5C », associant l’organisation de la vie quotidienne de la société de classe moyenne (middle class society) à la possession de cinq biens dont la terminologie débute par la lettre C : car, cash, credit card, country club et condominium.C’est un fait qui se vérifie quotidiennement que certains ne manquent pas de dénoncer, comme S. Rajaratnam qui évoque à ce sujet le « money-théisme » des singapouriens par le culte qu’ils vouent à l’argent pour affirmer leur réussite sociale  [16]. Naturellement, il ne s’agit pas là d’un fait propre à Singapour, mais d’une tendance planétaire : au fur et à mesure que les services publics cèdent le pas devant la privatisation, on assiste à une augmentation des services payants.

Conclusion : au-delà du clivage Nord-Sud, la naissance d’un « hyper-lieu », relais des flux de la mondialisation en Asie Orientale

31Des premières années qui ont suivi l’indépendance de Singapour, où l’objectif était que chaque Singapourien « dispose d’un toit sur sa tête » (a Roof Over Every Head), à aujourd’hui, où le but visé par le gouvernement est que Singapour devienne un « foyer de classe mondiale » (World Class Home), ainsi que le Premier ministre Goh Chok Tong le suggérait à la fin des années 1990  [17], l’environnement physique, social et culturel de la cité État s’est métamorphosé.

32Cette métamorphose s’impose au monde aujourd’hui comme un cas d’étude pour saisir les fondements de la réussite économique d’une nation non occidentale, n’appartenant pas aux traditionnels foyers économiques du monde industrialisé. Ainsi, le cas de Singapour est exemplaire par rapport à la réévaluation du clivage culturel mentionné en introduction qu’il convient aujourd’hui d’effectuer : celui opposant les villes des pays dits développés aux pays dits du Tiers monde, le Nord au Sud. Comme le Japon le fit en son temps, Singapour démontre aujourd’hui comment une nation, non occidentale – mais dont l’essor économique a largement reposé sur les relations économiques établies avec l’occident –, n’a pas pour autant adopté de manière systématique et global ses principes d’aménagement spatiaux et territoriaux.

33Certes, Singapour n’hésite pas à prendre en compte un certain nombre de concepts clefs de l’urbanisme européen, tel celui de « cité-jardin ». Mais, comme on a pu le voir, c’est en procédant simultanément à un recyclage de ces concepts, en vue de les adapter au contexte et aux enjeux singapouriens. À l’image du Merlion, sorte de poisson à la tête de lion devenu le symbole de la cité État post coloniale  [18], la notion de « ville tropicale de l’excellence », élaborée par l’UrbanRedevelopment Authority, peut être appréhendée comme une « figure urbanistique » à la fois mythique et hybride, par les fondements théoriques qui l’a sous tend et les dispositifs opérationnels qui la caractérise. Cette particularité n’en demeure pas moins conceptuellement très efficace pour saisir la logique de la trajectoire suivie par Singapour en matière d’aménagement.

34En effet, au travers de cette notion « ville tropicale de l’excellence », et du caractère hybride qu’on peut lui associer, on voit se dégager un des ressorts fondamentaux de la pensée de l’aménagement à Singapour : la place accordée à l’instrumentalisation et à la marchandisation des atouts géographiques locaux. De ce point de vue, un parallèle avec l’époque coloniale pourrait être dressé. À cette époque, les autorités avaient à largement tiré les bénéfices de la situation géographique de Singapour pour développer une économie basée sur le commerce maritime à l’échelle planétaire. Dans le cas présent, c’est-à-dire dans une économie appartenant à l’ère post industrielle [Cohen, 2006] c’est un autre type de rapport au local que l’on entend mettre en évidence : un local dans lequel le symbolique et la dimension représentative du lieu acquiert une place déterminante.

35Comprendre la trajectoire suivie par Singapour dans l’aménagement de son territoire, et la réévaluation du clivage Nord-Sud que cette cité-État offre au monde, doit nécessairement incorporer le rôle éminent joué par les médias dans un processus inédit d’aménagement visant à réhabiliter une « statique » au lieu par les images, c’est-à-dire à contrecarrer le processus de « dé-sémentisation » du territoire généré par la fluidité des réseaux techniques, en vue de lui donner un sens nouveau. De ce point de vue, on est dans un processus urbanistique relevant de ce l’on appellera « la construction d’un hyper lieu ». Par l’importation de discours et de récits relevant de modes de vie et de référents culturels autres (comme celui lié à l’aire géographique méditerranéenne) associés à un stock d’images sélectives, on élabore un ersatz de lieu, c’est-à-dire un « lieu à la carte ». D’un point de vue économique, ce processus offre de nombreux avantages dans la mesure où ces hyper-lieux peuvent être facilement manipulés au-delà des frontières et participer ainsi à la capacité attractive de Singapour à l’échelle mondiale.

36On est bien dans cette logique d’ « iconomanie » mentionnée plus haut qui intègre ici les données de l’économie mondiale et la compétition que se livrent les villes globales pour attirer les flux financiers de la mondialisation. Dans ce contexte, ces hyper-lieux peuvent être perçus comme des « gages symboliques » (symbolic token) pour reprendre le propos d’Anthony Giddens [1994], c’est-à-dire « des instruments d’échanges » qui, comme l’argent, peuvent « circuler à tout moment, quelles que soient les caractéristiques spécifiques des individus ou des groupes qui les manient » (p. 30).

37De ce point de vue, Singapour n’est pas un cas unique dans le monde non occidental. Dubaï est un autre exemple, où l’on retrouve le même type d’instrumentalisation du local par le mondial par le biais d’un surinvestissement symbolique des particularités géographiques et historiques du lieu. Dans cet Emirat, c’est la réalité physique du désert et le mythe d’une péninsule arabique peuplée par des nomades (dont on sait qu’ils sont à présent minoritaires par rapport à la population desÉmirats Arabes constitués majoritairement de migrants) que l’on « iconomanise ». De ce point de vue, que ce soit Singapour ou Dubaï, le but visé est le même : offrir sur la carte mondiale des flux économiques un relais qui ne soit pas seulement un nœud d’échange performant sur le plan économique, par ses infrastructures de transport et de communication notamment, mais aussi un lieu identifiable et attractif par son offre culturelle. C’est une réalité que l’on doit inscrire dans une compétition économique spécifique : celle que nous mentionnions en introduction que se livrent les villes dites globales pour attirer les flux humains et financiers, générés par les affaires et le tourisme notamment.

38Ainsi, dans une économie générée par les flux de la mondialisation, ou chaque lieu de la planète gagnent sans cesse en accessibilité, « l’occidentalisation du monde » pour reprendre la formule de Serge Latouche [1990], n’opère pas de manière uniforme reproduisant les modèles élaborés dans les pays du Nord. Dans les villes dites globales, des trajectoires spécifiques sont visibles en matière d’aménagement, faisant valoir les particularités locales de chacune de ces villes. Singapour en est un exemple fort. Reste que ce processus de différenciation est largement contraint et que les particularités locales que l’on voit se constituer sont par ailleurs formatées par des exigences et des normes planétaires. C’est toute l’ambiguïté et la complexité des formes d’aménagement que l’on voit aujourd’hui se mettre en œuvre hors du monde occidental et que l’on ne peut en aucune sorte modéliser.

Notes

  • [*]
    Architecte urbaniste, Unité de recherche sur les mutations et les pratiques architecturales, urbaines et paysagères – École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne – Laboratoire Théorie de Mutations Urbaines, CNRS UMR 7543 – Xavier_guillot@hotmail.com.
  • [1]
    Les premiers éléments de ce plan d’aménagement de l’île figurent dans un rapport écrit par un groupe d’expert de l’ONU et paru en 1963 : C. Abraham, S. Kobe et O. Koenigsberger, Growth and Urban Renewal in Singapore, UN Report, November 1963. Jusqu’à l’élaboration de ce plan, l’aménagement de l’île était guidé par le Master Plan élaboré par l’administration coloniale dont la dernière révision fut adoptée en 1955. Après révision par les autorités locales, les propositions du Ring Plan donnent naissance en 1970 au Long Range Concept Plan : le plan d’aménagement sur 20 ans de Singapour. Révisé tous les cinq ans, le Long Range Concept Plan a constitué la matrice du développement physique de Singapour depuis 1970. Ce n’est qu’en 1991, qu’il fut entièrement revu par les instances locales de planification, pour donner naissance à un nouveau plan d’aménagement : le Revised Concept Plan.
  • [2]
    Voir par exemple l’ouvrage édité par WEE Teong-Boo, paru en 1977, intitulé, The future of Singapore – The Global City, (University Education Press, Singapore) et près de vingt ans plus tard, celui de Geoffrey Murra et Audrey Perera, intitulé Singapore. The Global City State, Folkestone, China Library, 1995.
  • [3]
    La création du Housing Development Board (HDB) s’inscrit dans le cadre du retrait de l’administration anglaise de Singapour : en 1959, l’île acquiert son autonomie interne puis, en 1965, sa souveraineté politique en tant qu’Etat indépendant. C’est donc dans le cadre de la nouvelle politique économique et sociale, menée par le People Action Party (PAP), que le HDB succède au Singapore Improvement Trust, l’instance gouvernementale qui, pendant la période coloniale, était en charge de la promotion des premiers logements publics.
  • [4]
    Créé en 1974 au sein du Ministry of National Development (MND), l’Urban Redevelopment Authority (URA) est l’organisme public autonome, qui succéda à l’Urban Renewal Department en charge de la rénovation du centre ville au lendemain de l’indépendance. Depuis cette date, l’URA est l’organisme gouvernemental sur lequel repose l’essentiel des décisions concernant l’aménagement du territoire en liaison avec le HDB qui centralise celles pour le logement public.
  • [5]
    Voir S. Tan [1999, p. 5].
  • [6]
    On trouve la mention de cette notion dans un discours du Ministre de la santé, Chua Sian Chin, effectué au parlement le 16 décembre 1968 : « The improvment in the quality of our urban environment and the transformation of Singapore into a garden city – a clean and green city – is the declared objective of the Goverment » (Singapore Parlimentary Debates, Official Report, 16 December 1968, Col. 396, citation mentionnée dans S. K. Lee [1995, p. 130]). À propos de cette référence à l’urbanisme occidental, Charles Goldblum [1988] explique, comment « tout l’environnement morphologique et social dont émerge, en Angleterre, le thème de la cité-jardin vient ici [à Singapour] se projeter, à l’écart de la société industrielle des métropoles européennes, mais dans l’univers industrieux qui en constitue la retombée locale – la ville asiatique, compacte, surdensifiée, faisant figure d’ « équivalent symbolique » des quartiers ouvriers de la métropole ».
  • [7]
    « La cité-jardin préconisée par Howard, qui en faisait une description précise mais peu réaliste est imprégnée d’une réaction malthusienne (30 000 habitants, plus 2000 agriculteurs dans la ceinture verte) et ruraliste (la ceinture verte qui entoure la cité-jardin a pour buts de produire l’alimentation des citadins et d’éviter toute conurbation) à la ville industrielle et à sa banlieue. Elle se veut autarcique, assurant la diversité des tranches d’âge, des groupes sociaux et des activités de production, afin d’atteindre un équilibre et d’être autosuffisante, sur le plan alimentaire comme sur celui des produits industriels », in P. Merlin et F. Choa,Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Quadrige/Manuel, 2005, p. 174.
  • [8]
    Note tirée de la brochure de présentation de la ville nouvelle éditée en 1996 par l’Urban Redevelopment Authority et le Housing Development Board.
  • [9]
    La superficie du site à urbaniser est de 957 ha sur laquelle on prévoit la construction de 85 800 logements en plus d’équipements publics. Les logements occupent 50 % des terrains ; le reste du site laisse la place aux équipements commerciaux et institutionnels (6 %), espaces publics et de loisirs (14 %), infrastructures routières (15 %), pièces d’eau (12 %) et réserves foncières (3 %).
  • [10]
    « For those who live too far from parks and don’t have the time to go back to the nature each day, let nature come to you. Private gardens (que sont les balcons) are yours for the making. An artful display of palms, cacti and bougainvillea in your balcony will form a canopy of green to shade you from the outside world » (p. 55).
  • [11]
    D’après le « Green and Blue Plan », élaborés dès les années 1960, la conception des espaces verts (open spaces) s’inscrit dans un objectif global de planification territoriale basé sur l’identification de quatre types d’espaces non bâtis (open spaces) :
    Natural space like mangrove swamps and wooden area ;
    Parks and gardens, such as regional and districts parks ;
    Sport and recreationnal grounds, including stadiums, golf courses, adventure parks and camping sites ;
    Park connectors, which serve as green links, connecting major parks and recreationnal areas and as green belts urbanised districts.
  • [12]
    Ce système, très innovant, constitue un exemple pionnier dans le monde aujourd’hui suivi par des capitales européennes comme Londres. Une des conséquences les plus évidentes de cette politique est, Singapour est aujourd’hui une des seules grandes agglomérations d’Asie où les embouteillages sont quasi inexistants.
  • [13]
    « A highly efficient switching centre for goods, services, capital, information and people ». Voir The Economic Planning Committee [1991, p. 40].
  • [14]
    « transcending division between the analysis of “developped” and “developping” cities and between “local” and “global” scales » [Graham et Marvin, 2001, p. 35].
  • [15]
    « We see the evidence of pay-per society all around us. There is pay per call in telephone, pay per view in television, pay per bit or screenful of material in the information business. Advertisers refer to pay per reader, per viewer, or per body when they place an advertisement. In the workplace, word processors know about pay-per key stroke. And so on… The essence of what is happening is this : new technology makes it possible to measure and monitor more and more of our electronic communications and information activities. Business and government see this as a major instrument to increase profit and control. The result is a pay-per-society. in Mosco, Vincent, “Introduction” : information in the pay-per society », in V. Mosco et J. Wasko (éd.), The Political Economy of Information, Madison, University of Wisconsin Press, 1988.
  • [16]
    Cité par Janadas Devan in J. Devan, « A rented plank called home », The Straits Times, National Day Special, 9 août 1997, section 3, p. 1.
  • [17]
    « Be a World Class Home » : tel est le message transmis par l’ancien premier ministre Goh Chok Tong dans un discours donné à l’occasion du passage de Singapour dans le troisième millénaire. Voir à ce sujet I. Zuraidah, « Singapore’s new goal : Be a world-class home », The Straits Times, August 23, 1999.
  • [18]
    Voir à ce sujet G. Hamonic [1999].
Français

En Asie orientale, le clivage opposant les grandes agglomérations des pays du Nord à celles des pays du Sud trouve un terrain d’étude singulier, dans le contexte de la montée en puissance de la mondialisation des flux financiers et des transferts d’expertises. En même temps que l’on assiste à une « trans-nationalisation » des processus d’urbanisation, on observe une volonté des gouvernements locaux de valoriser leurs particularités nationales dans l’optique d’augmenter leur potentiel d’attraction des flux de la mondialisation. Ce double processus est analysé à partir du cas de Singapour. Depuis les années 1990, le discours tenu par les autorités singapouriennes dans le domaine de la planification urbaine est associé à la notion de « ville tropicale de l’excellence ». Pour les autorités, il s’agit d’ancrer Singapour dans une réalité géographique locale et de projeter son avenir dans une logique de développement a-géographique liée à la compétition économique mondiale. Décrypter les fondements théoriques de ce discours et ses conséquences urbanistiques, tel est l’objet de cet article.

Mots-clés

  • cosmopolitisme
  • cité-jardin
  • diversité culturelle
  • excellence urbaine
  • hyper-lieu
  • infrastructure urbaine
  • mondialisation
  • planification urbaine
  • Singapour
  • ville tropicale

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Xavier Guillot [*]
  • [*]
    Architecte urbaniste, Unité de recherche sur les mutations et les pratiques architecturales, urbaines et paysagères – École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne – Laboratoire Théorie de Mutations Urbaines, CNRS UMR 7543 – Xavier_guillot@hotmail.com.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.041.0165
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