CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Depuis quelques années, les politiques économiques nationales des pays du Sud (Pays de l’Afrique du Nord, Pays de l’Afrique Subsaharienne, Amérique Latine) sont orientées vers la promotion des investissements étrangers, la libéralisation de leurs économies et l’engagement dans un processus de privatisation. Ces politiques ont pour objectif, non seulement de mettre à niveau les entreprises du Sud et de les préparer à la mondialisation, mais aussi de rééquilibrer la balance des paiements par l’augmentation des exportations. Ces orientations stratégiques doivent également permettre la création et la génération de nouveaux emplois, le changement du statut social des employés en général, et l’arrêt des flux migratoires en particulier.

2Les politiques d’attraction des investissements étrangers se sont essentiellement basées sur la communication autour des bénéfices des délocalisations, des rachats d’entreprises, de la création d’entreprises par l’exploitation des ressources locales, ou l’exploitation de nouveaux créneaux non encore développés, en insistant sur la faiblesse des coûts de production dans les pays du Sud, par comparaison avec ceux des pays du Nord. Ces arguments, en particulier la comparaison des structures de salaires, ont pu séduire les entreprises étrangères, alors que l’investissement étranger représentait pour les pays du Sud une possibilité d’absorption des effectifs importants de chômeurs, et, pour la main-d’œuvre de ces pays, une perspective d’accroissement des salaires, qui bien que modeste en termes absolus, pouvait apparaître importante en termes relatifs.

3Attirer les investissements directs étrangers (IDE) et tirer avantage de leur présence sur leur territoire est devenu de la plus haute priorité pour les gouvernements, encouragés par la Banque mondiale [Deblock, 2004]. Néanmoins, les efforts déployés dans ce sens n’ont pas abouti?: alors que les investissements étrangers s’orientaient davantage vers les pays développés, les effets que l’on pouvait escompter des investissements effectivement réalisés ne se sont pas matérialisés, dans la majorité des pays en développement [CNUCED, 2005].

4Les efforts déployés par les pays du Sud pour une meilleure attraction des investissements étrangers conduisent à s’interroger sur leur impact sur ces pays. Quelle est la portée de ces IDE?? En quoi consistent-ils?? Quel est leur impact sur l’économie?? Ont-ils contribué à la réduction de la pauvreté, à la création d’emplois, au développement de structures productives?? Nous serons amenés, pour tenter de répondre à ces questions, à revenir, dans le cas du Maroc, sur les déterminants des investissements directs étrangers et les théories qui les expliquent.

5C’est dans ce cadre d’analyse et en nous basant sur nos enquêtes auprès des centres régionaux d’investissement créés spécialement pour la promotion des investissements au Maroc que s’inscrit notre contribution [1]. Nous nous attacherons à montrer les effets de l’investissement étranger sur la structure des emplois au Maroc, sur la lutte contre l’immigration des cerveaux et l’immigration clandestine. Pour ce faire, nous analyserons les emplois créés au Maroc par les investissements étrangers et les rapporterons aux flux migratoires de Marocains vers les pays du Nord.

Les investissements directs étrangers au Maroc

6À l’instar des autres pays du sud, le Maroc a mis en œuvre un certain nombre de politiques visant à attirer les investissements étrangers sur son sol et mis en œuvre à partir du milieu des années 1980 un programme d’ajustement structurel, sous l’impulsion de la Banque mondiale. L’adoption de ces politiques lui ont permis de se classer parmi les premiers pays africains destinataires des investissements étrangers à destination de l’Afrique en termes de stock sur la période 1999-2000, soit une entrée de 2?279 millions de dollars en 2003 [CNUCED, 2005]. Cependant, en termes de flux, les IDE à destination du Maroc se caractérisent par une grande volatilité liée à l’importance dans ces flux d’opérations ponctuelles de privatisations et de rachats. Au regard des déterminants du rôle et de l’impact des investissements étrangers sur les pays en voie de développement, nous essaierons de revenir sur les conditions de développement de ces politiques et leurs fondements théoriques pour analyser ensuite dans quelle mesure les IDE ont bénéficié au Maroc en matière de créations d’emplois et de réduction de chômage.

Les investissements directs étrangers?: un facteur de développement des pays du Sud??

7La migration des emplois vers le sud constitue actuellement une préoccupation majeure pour les pays développés comme pour ceux en voie de développement. Pour les premiers, fermeture d’usines et délocalisation engendrent des pertes d’emplois et une augmentation du taux de chômage Le contexte dans ces pays est, paradoxalement à la fois une situation de pénurie d’emploi et de diminution de la population active à partir de 2006 [OREM, 2005]. Les pays du Sud disposent au contraire d’un avantage comparatif à travers l’abondante main-d’œuvre à faible coût dont ils disposent. Pour les entrepreneurs du Nord, qui se placent dans une logique de maximisation des bénéfices et de minimisation des coûts, les pays du Sud représentent des opportunités en termes de richesses à exploiter et de marchés à conquérir. La mondialisation offre ainsi de nouveaux marchés à exploiter, combinant une demande solvable croissante et une main-d’œuvre bon marché.

8Soucieux des problèmes qui pèsent sur leurs économies, au nombre desquels on peut citer des taux de chômage élevés, des déficits budgétaires, des déséquilibres de balance des paiements, la dette, et la forte concurrence étrangère, conscients des avantages que présentent leurs ressources naturelles et humaines, les pays du Sud ont adopté à partir des années 1990 des politiques et stratégies d’ouverture de leurs marchés intérieurs aux entreprises étrangères. Ces politiques ont été encouragées par les recommandations du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, et encadrées par les termes de la conditionnalité de l’aide et des crédits accordés par ces institutions, en particulier dans le cadre des programmes d’ajustement structurel.

9Il est attendu de la part des IDE un apport conséquent de devises étrangères, la création de nouveaux emplois, le développement des infrastructures via l’implantation d’unités de production sur le territoire national, l’internalisation de compétences étrangères pour certains produits ou services (label, marque [2]), un meilleur positionnement sur le plan international, la mise à niveau des entreprises nationales et la création de réseaux de partenariats et de franchises. Autant de variables qui expliquent l’encouragement des politiques d’attraction des investissements étrangers par les institutions internationales, en particulier la Banque mondiale (BM), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).

10Jusqu’à récemment il existait donc un consensus sur les bienfaits du commerce international des produits et des facteurs sur le développement économique. Cependant, après deux décennies de mise en œuvre des programmes de libéralisation commerciale et l’évaluation des expériences menées dans un certain nombre de pays en voie de développement, les résultats sont décevants?: les pays concernés n’ont pas pu attirer des investissements étrangers de manière significative, et la croissance a stagné. Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer cet échec?: le développement des pays pauvres ne peut se faire en mettant seulement l’accent sur l’ouverture, et le développement intérieur doit être privilégié?; les investissements étrangers, quant ils existent, «?ne créent pas de nouveaux actifs, mais reprennent des actifs locaux et l’impact probable de ces derniers sur la croissance économique et le développement ne peut découler des modalités de la stratégie d’entreprise, mais doit être jugé dans le cadre des structures, des capacités et des stratégies économiques du pays considéré?» [CNUCED, 2005, p. 19].

11Ce constat a redonné force à la théorie du «?développement autocentré, c’est-à-dire, fondé sur les ressources et la demande interne?», défendue par les structuralistes et préconisée par la CNUCED [Abass, 2004, p. 2]. Selon la CNUCED XI, il faut encourager «?les politiques actives et progressives visant à promouvoir l’investissement productif, à mettre en valeur les ressources humaines, à développer une infrastructure efficace, à accroître les capacités institutionnelles, à renforcer les capacités technologiques et à appuyer les entreprises locales?» [Abass, 2004, p. 7]. On ne peut en effet attendre le développement des seuls investissements directs étrangers, et il convient de mettre en place les conditions d’apparition d’une réelle dynamique locale permettant aux effets attendus des IDE de se matérialiser. Le consensus quant aux bienfaits des IDE pour les pays d’accueil se maintient donc, mais l’accent est mis désormais sur l’absence d’automaticité des effets d’entraînement et la nécessité d’accompagner les politiques d’attraction des IDE.

12Le Maroc fait partie des pays qui ont mis en place des politiques d’attraction des investissements étrangers. Nous allons maintenant nous pencher sur l’origine de ce choix et son incidence sur l’économie marocaine en général, et l’emploi en particulier.

Politique d’attraction et structure des investissements directs étrangers au Maroc

13Pays nord africain voisin de l’Union européenne, le Maroc entretient des relations très étroites avec l’étranger et principalement avec l’Europe. L’activité économique au Maroc est basée essentiellement sur trois secteurs?: le tourisme (second en termes de recettes et d’entrée de devises), la pêche (deuxième pôle en termes d’exportation) et l’agriculture (14,7 % du PIB en 2004), tous trois orientés vers les marchés extérieurs. Toutefois, l’essentiel des ressources en devises du pays sont constituées par les transferts des résidents marocains à l’étranger (RME) et par le tourisme. L’activité industrielle est peu développée dans le pays, alors que les trois piliers de l’économie marocaine sont par leur nature fragiles et fortement dépendants des conditions climatiques, des aléas politiques et de la conjoncture mondiale (guerres du golf, invasions des criquets, fluctuations des prix du pétrole). Le Maroc a subi ces dernières années de lourdes pertes dans le secteur agricole en raison de la sécheresse [3] et des invasions de criquets pèlerins en provenance de l’Afrique subsaharienne ainsi que des difficultés d’exportation de ses produits agricoles vers l’Europe après la suspension de la signature des accords de pêche avec l’Union européenne, en plus d’une crise dans le secteur du tourisme après les deux dernières guerres du Golfe et les attentats du 11 septembre 2001.

14Le Maroc, qui avait accueilli les négociations du GATT à Marrakech en 1994, a entamé depuis plusieurs années une série de mesures afin de mettre à niveau son économie pour faire face à la mondialisation et aux conséquences de l’ouverture des marchés à l’international. Ces mesures ont porté sur la privatisation des entreprises publiques, la modernisation du secteur public, la mise à niveau des entreprises, la réforme du système bancaire, la réforme fiscale et juridique, et la réforme du système d’enseignement pour une meilleure adaptation de la formation aux exigences du marché du travail, qui ne cessent d’évoluer.

15La politique de privatisation avait pour but de rendre rentables les entreprises publiques qui étaient jusqu’alors déficitaires, mais aussi d’alléger la trésorerie de l’État. La privatisation a été enclenchée dans un premier temps par l’ouverture au public du capital de certaines entreprises comme la Compagnie des Transports Marocaine et par leur cotation en bourse. Dans une seconde phase, la privatisation a pris la forme d’une vente de licences (dans le secteur de la téléphonie mobile), puis d’une ouverture du capital du premier opérateur marocain des télécommunications Itissalat Al Maghreb [4] à deux investisseurs étrangers, Telefonica (Espagne) et Vivendi (France).

16Cependant, c’est véritablement avec la promulgation de la loi-cadre n° 18-95 portant charte de l’investissement, en novembre 1995, qu’a été lancée la politique d’attraction des investissements étrangers. Comme le stipulent les articles 1 et 2 de cette loi, les objectifs de l’État pour les dix années à venir sont «?le développement et la promotion des investissements par l’amélioration du climat et des conditions d’investissement, la révision du champ des encouragements fiscaux et la prise de mesures d’incitation à l’investissement?» [Loi-cadre n° 18-95, 1995] et ce, «?par la réduction de la charge fiscale afférente aux opérations d’acquisition des matériels, outillages, biens d’équipement et terrains nécessaires à la réalisation de l’investissement, la réduction des taux d’imposition sur les revenus et les bénéfices, l’octroi d’un régime fiscal préférentiel en faveur du développement régional, le renforcement des garanties accordées aux investisseurs en aménageant les voies de recours en matière de fiscalité nationale et locale et la promotion des places financières off shore, des zones franches d’exportation et du régime de l’entrepôt industriel franc?» [Loi-cadre n° 18-95, 1995].

17Grâce à ces mesures incitatives, à la création de la zone off-shore de Tanger, et à la signature des accords de libre échange avec les États-Unis, l’implantation d’entreprises étrangères au Maroc s’est renforcée, se traduisant par la création de nouvelles entités, le rachat d’entreprises, l’entrée dans le capital d’entreprises marocaines, ou par le biais de la franchise. Néanmoins, des questions se posent quant à l’impact de ces investissements étrangers sur le développement économique, leur étendue et leur contribution en matière d’emploi.

18Pour permettre le développement des investissements en général et des investissements étrangers en particulier à travers le processus de création des entreprises et la mise en œuvre des mesures incitatives citées dans la charte d’investissement, le Maroc a mis en place trois instances principales?:

  • la Commission des Investissements, créée en 1998 et présidée par le Premier ministre?;
  • la Direction des Investissements, créée en 1996 sous la tutelle du Ministère des Affaires économiques, des Affaires générales et de la mise à niveau de l’Économie?;
  • les Centres Régionaux d’Investissement mis en place depuis 2002.
Les deux premières instances opèrent au niveau national et ont pour mission de mettre en œuvre toutes les politiques d’attraction et de promotion des investissements étrangers, par la veille stratégique nationale et internationale, la communication autour de l’image du Maroc, et l’accompagnement des investisseurs étrangers. La dernière instance, à la différence des deux autres, travaille uniquement sur le plan régional. Les centres régionaux sont répartis sur les 16 régions du Maroc.

19Pour l’exercice 2003, la Commission des Investissements a approuvé 53 projets d’investissements (contre 38 en 2002), pour un montant de plus de 1,2 milliard d’Euros, ce qui devrait permettre la création de 14?569 emplois nouveaux, stables et directs, soit plus de 60 % de plus que pour l’année 2002 (8?929 emplois) (tab. 1).

Tab. 1

Bilan des investissements au Maroc en 2003

Tab. 1
Pays Nombre de projets Montant des investissements en millions d’euros Emplois Maroc 26 49,1 593 48,9 6?683 45,9 Reste du monde 27 50,9 620 51,1 7?886 54,1 dont Europe 19 35,8 290 23,9 4?341 29,8 Total 53 100,0 1?213 100,0 14?569 100,0 Source?: Direction des investissements [2004a].

Bilan des investissements au Maroc en 2003

20La décomposition de ces projets fait apparaître que les investissements étrangers représentaient 51 % du total des investissements en 2003, dont 27 % sous forme d’investissements directs et 24 % sous forme de partenariats entre entrepreneurs marocains et étrangers. Le montant global de ces investissements étrangers s’élevait à 620 millions d’euros et prévoyait la création de 7?886 emplois, soit un peu plus de la moitié des emplois générés par l’ensemble des projets (tab. 1).

21L’énergie et les mines sont l’un des principaux secteurs pour l’investissement domestique au Maroc. Le secteur a reçu en 2003 un montant d’investissement de 510 millions d’euros soit 43 % du total des investissements, représentant seulement 5 projets (tab. 2). Le secteur crée cependant peu d’emplois (2 % en 2003), et n’arrive qu’au 9e rang pour le montant des investissements étrangers réalisés (tab. 3).

Tab. 2

Investissements par secteur et création d’emploi au Maroc en 2003

Tab. 2
Secteur Nombre de projets Montant (millions d’euros) Emplois créés Total % Total % Total % Textile et cuir 18 34,0 23,96 2,0 4 887 33,5 Commerce et distribution agro-alimentaire 8 15,1 207,64 17,1 2 871 19,7 Industrie mécanique, métallurgique, électronique et électrique 10 18,9 187,46 15,5 2 696 18,5 Tourisme 9 17,0 232,20 19,1 3?726 25,6 Énergie 5 9,4 513,33 42,3 325 2,2 Nouvelles technologies de l’information 1 1,9 24,00 2,0 50 0,3 Préservation de l’environnement 1 1,9 1,34 0,1 14 0,1 Chimie, parachimie 1 1,9 23,00 1,9 n.c. n.c. Total 53 100,00 1 212,93 100,0 14 569 100,0 Source : Direction des investissements [2004a].

Investissements par secteur et création d’emploi au Maroc en 2003

Tab. 3

Répartition sectorielle des investissements étrangers, 1993-2002

Tab. 3
Secteur 1993-1997 1998-2002 1993-2002 Montant Part Rang Montant Part Rang Montant Part Rang Télécommunications 7,8 0,2 14 4?484,4 59,3 1 4 492,2 41,9 1 Industrie 670,1 21,2 2 1?146,2 15,2 2 1?816,3 16,9 2 Banque 674,1 21,4 1 476,8 6,3 3 1?150,8 10,7 3 Immobilier 153,3 4,9 7 367,8 4,9 4 521,1 4,9 4 Commerce 162,0 5,1 6 241,3 3,2 5 403,3 3,8 7 Énergie et mines 48,6 1,5 10 178,4 2,4 6 227,0 2,1 9 Services 338,0 10,7 5 137,1 1,8 7 475,1 4,4 5 Tourisme 120,3 3,8 8 103,8 1,4 8 224,1 2,1 10 Autres 980,5 31,1 - 429,9 5,7 - 1?410,4 13,2 - Total 3?154,6 100,0 - 7?565,6 100,0 - 10?720,2 100,0 - Source?: Direction des investissements [2004b].

Répartition sectorielle des investissements étrangers, 1993-2002

22Avec une part de 59,3 % des investissements étrangers pour 1998-2002, contre 0,2 % pour 1993-1997, le secteur des télécommunications est en effet désormais le secteur dominant des investissements étrangers au Maroc en termes de stock, pour un montant de 4,48 milliards d’euros. La création d’emplois dans ce secteur est cependant très faible?: ces investissements ont en effet été réalisés pour l’essentiel sous forme de rachat d’entreprises existantes. Le Maroc espère créer des emplois avec le développement des centres d’appel, mais, jusqu’à présent, et malgré l’importance relative du Maroc dans ce secteur en termes de délocalisation [5], les effets sur l’emploi total ont été faibles. Le problème de la formation professionnelle est important, dans ce secteur comme dans les autres secteurs de l’économie marocaine. Pour tenter de remédier à ce problème, le Maroc vient de lancer, avec l’appui de la Communauté européenne, un projet de plus de 65 millions d’euros d’appui au développement de la formation professionnelle dans les secteurs du Tourisme, du Textile et des Technologies de l’Information et de la Communication. D’autres pays s’avèrent en effet plus performants en termes «?de technologie et de compétences, les infrastructures de communication restent insuffisantes, et le coût de la communication est relativement élevé malgré la libéralisation du secteur entamée depuis 1996?» [MFP, 2002, p. 2].

23Le secteur textile ne figure pas parmi les principaux secteurs d’investissement étranger, mais se place en tête de la création d’emplois, avec 4 887 emplois créés en 2003 (soit 33 % de l’emploi total), et 18 créations d’entreprises, soit 34 % du nombre total de projets (fig. 2). Le secteur textile-habillement est le premier employeur dans l’industrie au Maroc. Du point de vue de l’emploi, c’est un secteur traditionnellement intensif en main-d’œuvre, essentiellement féminine. Mais ces dernières années ont vu s’accroître le taux de substitution du travail par le capital. Ce secteur a connu en 1999-2000 une croissance négative, tandis que la croissance sur la période 1996-2000 était très faible, à 1,7 % [BIT, 2003, p. 2]. Cette baisse est liée à une diminution de l’investissement, et plus généralement à l’efficacité de la branche, confrontée à une concurrence croissante, à la fois sur les marchés extérieurs et sur le marché intérieur (produits chinois). C’est l’exportation qui crée le plus d’emplois, même si le marché intérieur reste important pour la branche. Les prix des produits marocains à l’exportation ont baissé plus vite que ceux de ses concurrents, mais les marges bénéficiaires ont également reculé, entraînant la cessation d’activité de nombreuses entreprises du secteur [BIT, 2003]. Le secteur textile-habillement est caractérisé par une main-d’œuvre dont le taux d’analphabétisme est particulièrement élevé (73 % pour les hommes et 64 % pour les femmes), ce qui constitue un obstacle à la formation professionnelle de la main-d’œuvre [BIT, 2003, p. 9]. Le personnel d’encadrement et les techniciens sont en nombre insuffisant, ce qui explique la co-existence d’un taux de chômage élevé dans la branche avec un taux élevé d’offres d’emploi non satisfaites. Le BIT note par ailleurs la précarité du statut des travailleurs, dont 90 % n’ont pas de contrat de travail et ont des niveaux de rémunération faibles. Le secteur est actuellement en restructuration, mais son dynamisme va être mis à l’épreuve dans un contexte de libéralisation des échanges et d’abandon des accords multifibres.

24Le tourisme, qui ne figure pas non plus de manière proéminente dans les investissements étrangers, arrive en seconde position pour l’emploi, avec un programme d’investissement de 230 millions d’euros pour neuf projets, soit 19 % du montant total des investissements, et une prévision de création de 2?322 emplois, soit 26 % du total d’emplois créés (fig. 2).

25Après cette présentation de la structure de l’investissement étranger au Maroc, sa taille et sa répartition sectorielle, nous allons essayer d’analyser l’impact de ce dernier sur l’emploi.

Investissement étranger?: un impact modeste sur l’emploi [6]

26Les investissements étrangers ont augmenté d’une façon importante, répondant ainsi à l’objectif fixé par la charte des investissements, mais ont en majorité consisté en des prises de participation dans les sociétés privatisées. Ce type d’investissement ne peut être comparé à des projets visant la création de nouvelles unités de production et de nouvelles entreprises permettant la création d’emplois nouveaux. Il s’agit là essentiellement, de rachats d’entreprises existantes dont la rentabilité est bien établie (comme par exemple Itissalat Al Maghrib ou la Régie des tabacs), ce qui explique le faible taux d’emploi dégagé par la totalité des investissements des projets approuvés par la commission. En effet, le transfert des entreprises publiques au secteur privé aurait permis, selon le rapport de la division de la privatisation, de?: «?lancer des programmes d’investissement à la fois de restructuration et de modernisation des moyens de production des entreprises privatisées?». En 2003, l’opération a engendré une perte d’emplois limitée à 1,5 % sur un effectif de 17?000 postes au profit d’une meilleure qualification du personnel par l’encouragement des départs volontaires et des départs en retraite anticipée.

27Selon la direction de la statistique et sur la base des données du dernier recensement de la population et de l’habitat de 2004, la population active de 15 ans et plus était de 10,8 millions de personnes et le taux d’activité était de 51,1 % en 2004 (tab. 4). L’enquête nationale sur l’emploi de la Direction de la Statistique (Recensement de l’habitat et de la population 2004) révèle qu’environ 441?000 postes d’emplois ont été créés en 2004 (249?000 en zone urbaine et 192?000 en zone rurale). Ces emplois étaient concentrés en zone urbaine. Rapportés à la nature des emplois créés, autrement dit au statut professionnel, ces créations concernent essentiellement les travailleurs indépendants dans des activités informelles (+186?000) et les «?aides familiales et apprentis?» (+101?000). Le nombre de chômeurs est, au début des années 2000 légèrement supérieur à un million, ce qui, rapporté à la population active, donne un taux de chômage légèrement supérieur à 10 %. Le chômage est un problème particulièrement important dans les villes, où il atteint près de 20 %, tandis que 88,1 % des chômeurs sont des citadins. Les chômeurs sont en majorité des hommes (72,0 %) et des jeunes de moins de 35 ans (81,7 %).

28Au regard de ces chiffres, la part des investissements étrangers dans la création des emplois apparaît très limitée. Ainsi, si l’on admet, dans une vision optimiste, que le nombre d’emplois créés chaque année par les investissements étrangers est égal à 8?000 postes en moyenne, ce chiffre, rapporté au million de chômeurs du pays, donne une contribution à l’emploi d’environ 0,8 %. C’est un taux très faible comparé aux montants des investissements étrangers réalisés et au taux d’emploi, qui était de seulement 45,8 % en 2004 (tab. 4).

Tab. 4

Situation du marché de travail (15 ans et plus), 4e trimestre 2004

Tab. 4
Emploi Chômage Urbain Rural Ensemble Urbain Rural Ensemble Effectifs (en milliers) 4?503 5?164 9?667 986 133 1 119 Taux de féminisation dela population active (%) 22,9 29,1 26,0 29,3 18,6 28,0 Taux d’activité (%) 44,7 60,0 51,1 18,0 2,5 10,4 Selon le sexe (%) Hommes 71,4 83,5 76,6 16,5 2,9 10,1 Femmes 19,8 35,6 26,2 23,0 1,6 11,2 Selon l’âge (%) 15-24 ans 30,7 53,5 41,9 33,2 3,9 14,8 25-34 ans 60,5 67,2 63,3 25,6 3,4 15,9 35-44 ans 56,5 71,3 61,6 9,6 1,3 6,3 44 ans et plus 35,1 55,5 43,2 3,9 0,7 2,2 Selon le diplôme (%) Sans diplôme 38,9 61,0 50,8 9,1 1,6 4,2 Avec diplôme 51,4 53,1 51,7 25,8 9,6 22,9 Taux d’emploi (%) 36,7 58,4 45,8 - - - Part de l’emploi rémunéré dans l’emploi total (%) 6,8 52,3 31,1 - - - Source?: Enquête nationale sur l’emploi, Direction de la statistique, Rabat, mars 2005.

Situation du marché de travail (15 ans et plus), 4e trimestre 2004

29Pour une population active employée d’environ dix millions de personnes en 2004, la contribution directe des investissements étrangers à l’emploi total est inférieure à 1 %. Elle reste donc modeste. Au regard des capitaux investis cependant, la contribution des investissements étrangers apparaît plus favorable à l’emploi que l’investissement domestique en 2003 (tab. 1). La faiblesse relative de la création d’emploi par les investissements directs étrangers tient donc plus à la faiblesse des investissements étrangers dans le stock total d’investissements dans le pays que dans leur caractère intensif en capital. Cela peut s’expliquer par le rôle que joue le coût du travail dans l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers, le Maroc bénéficiant d’un avantage comparatif par rapport aux pays du Nord. Le pays est cependant en position défavorable par rapport à ses concurrents, particulièrement d’Asie, et devra déployer à l’avenir des efforts supplémentaires pour demeurer une destination attractive pour les investisseurs étrangers. Les pays émergents d’Asie offrent en effet, outre des coûts du travail plus bas que le Maroc, une main-d’œuvre dont le niveau d’éducation?/?formation est relativement plus élevé que celui des travailleurs marocains [7]. Selon le Ministère des Finances et de la Privatisation, «?74 % de la population occupée [au Maroc] est non diplômée et seulement 15,5 % de celle-ci a reçu une formation fondamentale?» [MFP, 2002, p. 16].

30La situation de l’emploi au Maroc et l’importance du chômage contribuent à nourrir les flux migratoires de marocains vers l’étranger. Nous allons maintenant nous tourner vers l’analyse de la situation socio-économique de l’emploi au Maroc pour éclairer le rôle des investissements étrangers, leur importance et leur contribution à la résolution des problèmes liés à l’emploi que sont le chômage, l’émigration clandestine, et la fuite des cerveaux. Il s’agit ici d’évaluer le retour sur investissement, non pas pour les entreprises étrangères, mais pour l’économie du pays.

Une migration internationale toujours importante

31Les flux de migration internationale, formelle ou informelle, à partir du Maroc, restent importants. Sans compter l’immigration que l’on qualifie de clandestine, le nombre de Marocains émigrants ou candidats à l’émigration vers les pays du Nord (UE, Canada, USA) ne cesse d’augmenter [Mrini, 2003, p. 7]. Si l’essentiel des migrants marocains restent des travailleurs non qualifiés, dont l’activité économique dans le pays d’accueil peut être ou non salariée, le profil des émigrants vers l’Union européenne s’est modifié ces dernières années [Mrini, 2003, p. 2] au profit des femmes et des jeunes, suite à la mise en place de politiques d’immigrations sélectives par les pays d’accueil, qui se sont traduites, en France par exemple, par le recours au rapprochement familial. On note également un nombre d’émigrants avec un niveau d’instruction et de professionnalisation plus élevé qu’auparavant. Les vagues précédentes d’émigration (1945-1970) étaient constituées principalement de personnes d’âge mûr, illettrées, qui travaillaient dans les mines et le bâtiment. En revanche, depuis les années 1990, la mobilité internationale des travailleurs hautement qualifiés, dans les domaines des nouvelles technologies, de l’éducation, de la santé et de la finance, s’est accrue. Ce mouvement a été accentué par le vieillissement de la population des pays de l’OCDE et par la pénurie du capital humain dans ces pays.

32Dans le même ordre d’idées, l’OCDE constate qu’«?un effectif de scientifiques et d’ingénieurs qualifiés est essentiel au progrès de la science, à l’innovation et à la croissance de la productivité, mais on constate avec inquiétude que les jeunes se désintéressent de la science dans de nombreux pays de l’OCDE. En effet, le nombre de diplômés des disciplines scientifiques et techniques est en baisse, alors même que la demande de progrès scientifique et d’innovation technologique est en hausse. Ainsi, pour que l’Union européenne atteigne l’objectif qu’elle s’est fixé, qui consiste à porter ses dépenses de R&D à 3 % du PIB d’ici à 2010, on estime qu’elle aura besoin de 700?000 nouveaux chercheurs. Mais d’où viendront-ils???» [OCDE, 2005, p. 6].

33Face à ce phénomène, les gouvernements des pays de l’OCDE ont adopté de nouvelles politiques visant à attirer la main-d’œuvre qualifiée des pays du Sud?: chercheurs, étudiants, cadres en activité. L’OCDE note également qu’au cours de la période 1998-2003, les pays de l’OCDE ont connu une forte augmentation du nombre d’étudiants étrangers [OCDE, 2005]. Un certain nombre de pays développés comme l’Australie, le Canada ou la France ont en effet cherché à attirer les étudiants étrangers et à les retenir après leurs études. Les émigrés à destination du Canada et des États-Unis sont principalement des cadres ayant une formation de haut niveau (Bac+ 4) et une expérience professionnelle d’au moins six mois [8]. Ce phénomène peut être analysé comme une «?fuite des cerveaux?», ou comme un processus de mobilité professionnelle internationale, selon que l’on se place du point de vue des pays source d’émigration, ou du point de vue des candidats à l’émigration cherchant à améliorer leur parcours professionnel [9].

34L’émigration de personnel qualifié permet aux pays du Nord de combler leurs besoins en matière de force de travail, ce qui permet aux pays du Sud d’alléger leurs problèmes en matière d’emploi et de population [OCDE, 2004, p. 7]. Les pays du Sud tirent profit de l’émigration, mais de manière limitée, étant donnée la sélectivité qu’exercent les pays hôtes vis-à-vis des candidats à l’immigration. Selon Z. Mrini?: «?l’émigration internationale a certes eu un effet positif sur l’emploi. Mais cet effet n’a jamais été important, sauf peut-être dans une certaine mesure dans les régions à forte intensité migratoire. Car la proportion de chômeurs parmi ceux qui partaient était limitée comme l’ont montré les enquêtes réalisées au Maroc dans les années 70 (7 à 13 % en milieu rural et 19 % en milieu urbain). Mais il faudrait noter que le taux de chômage parmi les émigrants du milieu urbain a eu tendance à augmenter?: il est passé de moins de 17 % dans les années antérieures à 1960, à près de 24 % au milieu des années 70 et plus de 40 % dans les années 90, taux largement supérieur au taux de chômage moyen dans les villes. De toute façon, il y a un problème de dimension?: si la migration devait résorber le chômage grandissant dans les pays du Maghreb, il aurait fallu qu’elle soit autrement plus intensive, qu’elle soit démesurée?» [Mrini, 2003, p. 3].

35Le Bureau international du travail note par ailleurs que le statut des travailleurs marocains à l’étranger, comme celui des autres immigrants dans les pays développés, est de plus en plus précaire. Sans parler des travailleurs employés illégalement, et dont la protection en matière de droit du travail ne peut pas être assurée, les entreprises du Nord recrutent de manière croissante sur contrat à durée déterminée, et octroient des visas correspondant à ces durées d’emploi [BIT, 2003].

36Par ailleurs, l’émigration est une source conséquente de revenus pour le Maroc par le biais des transferts de capitaux de ses ressortissants à l’étranger. Le nombre élevé de travailleurs marocains à l’étranger se traduit en effet par un volume substantiel de transferts, qui représentent une part importante du PIB et des revenus, tout en fournissant une source importante de devises [Agénor, El Aynaoui, 2003, p. 15-16]. Les transferts des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE) ont ainsi clôturé l’année 2004 sur une hausse de 7,4 % par rapport à 2003 en dépassant les 3,7 milliards d’Euros, soit l’équivalent de 8,4 % du PIB, contre 1,39 milliard d’Euros en terme d’investissements et prêts privés étrangers [10].

37Le Maroc gagne plus en termes d’emplois à l’extérieur du pays qu’en termes d’investissements étrangers à l’intérieur du pays. Cependant, ni l’émigration ni, jusqu’à présent, les investissements étrangers, ne constituent des sources de création d’emploi à la mesure des besoins du Maroc. Le taux de chômage au Maroc reste important, y compris parmi les diplômés, atteignant ainsi 11,9 % en 2003 au niveau national, soit 1,3 million de personnes, avec un taux de 24 % chez les diplômés [Ministère des finances, 2004].

38En ce qui concerne le Maroc, on ne peut pas parler de migration des emplois vers le Sud. En effet, le nombre des investissements étrangers est très faible, et leur montant et ampleur restent faibles par rapport aux investissements nationaux. Le nombre d’emplois créés à travers les investissements étrangers est insuffisant comparé au taux de chômage et aux emplois générés par l’investissement national. L’analyse de la nature et du tissu des investissements étrangers indique une absence d’investissements de grande envergure créateurs d’emplois?: les projets d’investissements étrangers au Maroc correspondent essentiellement à des projets de privatisation d’entreprises publiques qui ne conduisent pas à une création effective de nouveaux emplois, mais plus à une restructuration des entreprises, à une réduction des transferts budgétaires de l’État en faveur des entreprises publiques, à une dynamisation de la bourse des valeurs, à une libéralisation de l’économie, et à une génération de recettes substantielles pour le budget général en faveur des investissements dans des secteurs sociaux. La privatisation des entreprises du Maroc engendre chez les employés un sentiment d’insécurité par rapport aux statuts dans la fonction publique et/ou à leur ancien statut d’autant plus fort que l’entreprise qui acquiert le capital est étrangère. Ce phénomène a également pu être observé dans les pays du Nord, comme en témoigne par exemple le cas des réactions suscitées par le projet de privatisation d’EDF/GDF en 2004.

39La grande majorité des emplois créés au niveau national correspondent à des auto-emplois. En fait, l’emploi salarié au Maroc ne représente que moins du tiers de l’emploi total, l’essentiel de l’activité économique s’exerçant dans des entreprises familiales agricoles ou artisanales. L’essentiel des emplois créés par les investissements étrangers au Maroc le sont dans des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, et dans lesquels la demande porte essentiellement sur la main-d’œuvre faiblement ou non qualifiée. La demande de personnel qualifié reste en revanche forte dans les pays du Nord, permettant une émigration soutenue.

40La compétitivité est l’un des défis majeurs pour le Maroc. Les entreprises marocaines ne sont pas en mesure, seules, de faire face à la concurrence des entreprises multinationales, de part leur structure, leur taille et leur mode de fonctionnement. L’accord de libre échange entre le Maroc et les États-Unis a par exemple suscité de nombreux débats sur sa portée, son étendue et son effet sur l’économie nationale. La concurrence entre les pays du Sud en termes d’attraction des investissements étrangers est très vive. Alors que chacun essaie à sa manière de séduire les investisseurs étrangers, les avantages concurrentiels relatifs sont réduits. Dans ce contexte, les pays du Sud-est asiatique et la Chine exercent un attrait particulier sur les investisseurs étrangers en raison de leurs faibles coûts de main-d’œuvre, du niveau globalement élevé d’éducation de cette main-d’œuvre, et de l’importance commerciale de ces marchés émergents. D’autres pays du Sud sont moins attractifs pour les investisseurs potentiels en ce que leur demande solvable apparaît comme insuffisante pour justifier l’investissement. Les problèmes d’ordre politique et sécuritaire constituent également un obstacle au développement des investissements étrangers dans certains pays d’Afrique, d’Amérique Latine, et du Golfe.

41Dans ce contexte, le Maroc possède des atouts pour le développement des investissements étrangers au regard de sa situation géographique, économique et sociale, comparée à celles d’autres pays de taille comparable et de sa proximité, historique et géographique avec l’Union européenne. Les tentatives du Maroc pour diversifier ses sources d’investissement en tentant d’attirer les investisseurs arabes des pays du Golfe se sont jusqu’à présent heurtées à la préférence de ces derniers pour les pays plus riches, où le retour sur investissement est plus important.

Conclusion

42D’un côté, l’immigration vers les pays du Nord des travailleurs du Sud en quête d’un nouveau cadre de vie ne cesse d’augmenter. D’un autre côté, les pays du Nord commencent à connaître des problèmes de pénurie de la main d’œuvre, de vieillissement de la population et sont confrontés à des «?fuites d’entreprises et d’emplois?», si l’on peut les qualifier ainsi, vers les zones où les coûts de production sont moins élevés, tels que les pays du Sud. Il est donc tout à fait normal de parler d’une migration des emplois, mais dans quel sens??

43La situation actuelle est paradoxale?: délocalisations et pertes d’emploi suscitent des inquiétudes alors qu’elles demeurent limitées, et les pays du Nord essaient de stopper les flux migratoires en provenance des pays du Sud alors qu’ils devront faire face, à terme, à une pénurie de main-d’œuvre liée à leur dynamique démographique et sont d’ores et déjà confrontés à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, qui les conduit à élaborer des politiques d’attraction des étudiants, chercheurs et cadres qualifiés ainsi que la régularisation des sans-papiers. La tendance semble donc être de déplacer les emplois faiblement ou non qualifiés vers le Sud, tandis que les importations de main-d’œuvre qualifiée en direction du Nord s’intensifient. Pourtant, la main-d’œuvre qualifiée elle-même est moins coûteuse à employer localement que dans les pays d’accueil. C’est ce dont témoignent les tendances récentes à la délocalisation dans le secteur des télécommunications. Il reste à déterminer cependant jusqu’à quel point, par exemple, le développement des centres d’appel au Maroc se traduirait véritablement par une création d’emplois stables, ou si les investisseurs choisiront de déplacer leurs centres d’appel en fonction des conditions offertes par les différents pays du monde, dans la mesure où, contrairement à l’industrie, le capital fixe dans le tertiaire est minime, rendant les emplois potentiellement plus mobiles.

44Le Maroc a un surplus de main-d’œuvre, et un taux de chômage élevé, en particulier parmi les diplômés. Le problème de l’attraction des investissements étrangers réside en partie dans le fait qu’en termes de coûts de main-d’œuvre, le Maroc est dans une situation intermédiaire, moins onéreux et plus souple en matière de législation du travail que les pays du Nord, mais plus coûteux que nombre d’autres pays du Sud, en particulier lorsque le coût est rapporté à la qualification. Le taux de croissance de l’économie est faible, et la création d’emploi repose en partie sur les performances du pays dans les secteurs du tourisme, de la pêche et de l’agriculture qui contribuent le plus à la création d’emploi, ces trois secteurs étant soumis aux aléas naturels et aux logiques politiques. Dans l’industrie, l’essentiel de l’emploi se concentre dans la filière textile, qui a connu des revers ces dernières années, et qui subit une concurrence de la part d’autres pays du Sud, concurrence qui devrait se renforcer avec la libéralisation des échanges de la filière.

45Alors que le problème des délocalisations est considéré comme majeur dans le nord, la contribution des investissements étrangers au Maroc a été très modeste au cours de la dernière décennie, qui a pourtant vu ces investissements s’accroître de manière significative. C’est particulièrement vrai au regard des flux d’émigration. Pour le Maroc, on ne peut donc vraisemblablement pas parler de migration des emplois, dans la mesure où la migration vers les pays du Nord constitue une contribution autrement plus importante à l’emploi des travailleurs marocains.

Notes

  • [*]
    Enseignant-Chercheur, Université Ibn Zohr, École Nationale de Commerce et de Gestion, 37/S, QR SALAM, 80000 Agadir, Maroc, yel_wazani@hotmail.com.
  • [**]
    Enseignant-Chercheur, Université Ibn Zohr, École Nationale de Commerce et de Gestion, 37/S, QR SALAM, 80000 Agadir, Maroc, malikasouaf@yahoo.fr.
  • [1]
    Enquêtes réalisées dans le cadre des travaux de recherche de l’Observatoire Régional des Métiers de l’Entreprise, ORME, Université Ibn Zohr, pour le compte du Conseil Régional de Souss Massa Draâ, 2002-2004.
  • [2]
    C’est le cas des activités touristiques où le nom de certaines chaînes hôtelières joue un rôle important dans le marketing touristique et le développement des sites où elles sont implantées?: Groupe Accor, Club Med.
  • [3]
    Le produit agricole a enregistré de fortes fluctuations en raison de l’ampleur et de la distribution des pluies dans l’année. Le régime de croissance s’en est trouvé très perturbé avec des effets directs à court terme?: baisse de la production agricole céréalière, hausse des importations correspondantes, réduction des consommations intermédiaires qui sont adressées aux autres branches, baisse des revenus de travail tirés de l’activité agricole. Le manque d’eau a donc freiné le dynamisme du régime de croissance marocain [Billaudot, 2005].
  • [4]
    Devenue ensuite Maroc Telecom.
  • [5]
    En France, l’offshore représenterait un peu moins de 50 % des intentions de délocalisation des centres d’appel. Il existerait aujourd’hui au Maroc une quinzaine de centres de contacts constituant environ 3?000 positions de travail (contre 3?000 centres d’appel en France et 170?000 positions). Les emplois délocalisés dans le secteur apparaissent donc relativement peu nombreux ils représentent cependant au Maroc près de 9 % des emplois délocalisés dans les centres d’appel, et on prévoit que le nombre de postes dans le secteur pourrait atteindre 10?000 au Maroc en 2008 [Données provenant de CESMO Consulting, 2004].
  • [6]
    Cette étude de l’investissement étranger au Maroc se base essentiellement sur les données et statistiques publiées par la Commission des Investissements. Les rapports de cette commission contiennent en effet des données sur la quantité des projets d’investissements approuvés, leur origine, leur valeur et le nombre d’emplois créés.
  • [7]
    À titre de comparaison, le taux d’alphabétisation en 2003 de la population de plus de 15 ans est de 90,9 % en Chine, de 90,3 % au Viêt-nam, de 84,3 % à Maurice, de 61 % en Inde… et de 50,7 % au Maroc [PNUD, 2005, p. 231-234].
  • [8]
    Le Canada et les USA établissent une grille de critères très sélective des candidats à l’immigration, dont le diplôme et l’expérience?: Sélection Préliminaire pour le Canada, Carte Verte pour les États-Unis.
  • [9]
    C’est par exemple le point de vue de Kuzvinetsa Peter Dzvimbo, au Département des ressources humaines de la Banque mondiale, qui préfère à l’expression de «?fuite des cerveaux?» celle de «?migration internationale du capital humain qualifié des pays en développement?», Wal Fadjri, 7 octobre 2003.
  • [10]
    «?La conjoncture nationale vue par la Direction des Études et des Prévisions Financières?», Ministère des Finances et de la Privatisation, novembre-décembre 2004.
Français

Résumé

Les pays du Sud ont commencé depuis les années 1990 à pratiquer des politiques de communication et d’attraction des investissements étrangers. Ces investissements devaient contribuer au développement de leurs économies et à la résolution des problèmes liés à la population et à l’emploi. Malgré les efforts déployés par ces pays, notamment le Maroc, en matière de communication et de promotion des investissements et malgré les multiples réformes entamées dans les divers domaines et secteurs de l’économie, la portée et l’impact des investissements étrangers sur l’emploi restent limités, en particulier au regard des flux d’émigrants marocains vers les pays du Nord. Cet article se propose d’analyser l’impact des investissements directs étrangers au Maroc sur la création d’emploi et les tendances récentes en matière d’émigration.

Mots-clés

  • investissement étranger
  • emploi
  • chômage
  • immigration
  • migration

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Youssef El Wazani [*]
  • [*]
    Enseignant-Chercheur, Université Ibn Zohr, École Nationale de Commerce et de Gestion, 37/S, QR SALAM, 80000 Agadir, Maroc, yel_wazani@hotmail.com.
Malika Souaf [**]
  • [**]
    Enseignant-Chercheur, Université Ibn Zohr, École Nationale de Commerce et de Gestion, 37/S, QR SALAM, 80000 Agadir, Maroc, malikasouaf@yahoo.fr.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011
https://doi.org/10.3917/autr.037.0019
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