CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comme l’ouragan Katrina et le tremblement de terre au Pakistan l’ont confirmé en septembre 2005, les catastrophes dites «?naturelles?» sont de puissants révélateurs des fonctionnements et dysfonctionnements des sociétés qu’elles frappent [1]. Au-delà de leur caractère destructeur et de leurs bilans toujours plus lourds, les catastrophes sont aussi des déclencheurs?: elles donnent lieu à des transformations, enclenchent de nouvelles dynamiques et favorisent l’émergence de nouveaux discours. Le temps de l’après-désastre, qui va de l’urgence à la reconstruction, est un moment particulièrement propice pour observer ces phénomènes, dans la mesure où il permet la rencontre d’acteurs aux stratégies différemment ancrées, du niveau micro local au niveau global.

2Au Venezuela le 15 décembre 1999, un phénomène naturel d’une force considérable a provoqué des inondations et des coulées de boue sur toute la région Nord du pays. L’État de Vargas, situé sur le littoral central, fut le plus éprouvé. Le bilan national de la catastrophe établi par le PNUD est de 273?000 personnes touchées et une estimation du coût des pertes s’élevant à 1,9 milliard de dollars, dont 80 % correspond à l’État de Vargas [PNUD, 2000]. Aucun bilan officiel du nombre de morts n’a été donné, les chiffres oscillant entre 500 et 50?000 [Altez, Revet, 2005 [2]]. La force et l’impact de la catastrophe de 1999 furent tellement importants dans la société vénézuélienne que, juste après l’événement, l’ensemble du pays eut du mal à imaginer comment l’on pourrait reconstruire sur ce champ de ruines et si l’on pourrait même un jour envisager de vivre de nouveau à Vargas.

3Entre 50?000 et 80?000 personnes ont quitté Vargas suite aux inondations. Les déplacements et les tentatives de réinstallation des familles sinistrées dans d’autres régions du pays se sont heurtés à d’importantes difficultés. La faible capacité des régions d’accueil à intégrer une population dont les besoins en termes d’emploi, de soins et d’éducation étaient élevés a été amplifiée par des phénomènes de rejet et de stigmatisation de la part des habitants de ces régions envers les nouveaux arrivants [Revet, 2002?; Rengifo, Yanez, 2003]. Face à ces difficultés, la grande majorité des familles n’est pas restée sur les lieux où elles avaient été déplacées. Les retours des habitants dans la zone dévastée se sont effectués assez rapidement dans le courant des années 2000 et 2001. Dès la fin 2001, la question n’était plus de savoir si l’on pourrait à nouveau vivre à Vargas, mais comment on allait y vivre.

4Je souhaite proposer ici une réflexion sur les dynamiques sociales qui surgissent de la période de la reconstruction, à partir de ce qui se passe dans un quartier populaire du littoral de Vargas. Détruit partiellement par les coulées de boue de 1999, le quartier de La Veguita à Macuto ne devait pas être réhabilité. Sur les plans élaborés en 2000 et 2001 par le département d’urbanisme de l’Université Métropolitaine, à la demande de l’Autorité Unique de Vargas [3], le quartier apparaît comme une «?zone de protection et de récréation?». Aucun logement ne devait y être reconstruit, le secteur ayant été jugé trop dangereux. Pourtant, cinq ans après la catastrophe, sur la zone basse de ce quartier, trois nouveaux immeubles sont en train d’être édifiés, et un «?plan de réhabilitation?» est en cours pour la partie haute. Que s’est-il passé depuis les premiers plans?? Le risque auquel La Veguita était soumis en 2000 aurait-il à ce point diminué voire disparu, que la reconstruction du quartier puisse être officiellement envisagée aujourd’hui?? Ou bien la notion de risque a-t-elle entre temps changé de signification??

Vargas?: un territoire vulnérable

5Le champ des études sur le risque est très vaste, tout comme celui qui traite des désastres ou des catastrophes dites «?naturelles?». Les inondations de 1999 ont à leur tour donné lieu à la production de nombreux travaux qui ont permis de souligner des éléments essentiels à la compréhension du phénomène.

6De nombreuses études se sont interrogées sur les facteurs ayant déclenché les coulées de boue?: facteurs météorologiques, géologiques, géomorphologiques, hydrologiques ou encore géotechniques [UCV, 2000?; PNUD, 2000]. Ensuite – et sans que le cas de Vargas soit une exception dans ce domaine – l’ampleur et les effets des coulées de boue ont mis en relief la vulnérabilité du littoral.

7Celle-ci est d’abord due aux caractéristiques géographiques de cette étroite bande de terre située au pied de la montagne El Ávila, dont le sommet le plus haut atteint 2?765 mètres, avec une distance horizontale à la mer qui n’est parfois que de 8 kilomètres. Les 120 kilomètres de terre qui vont du Rio Maya, à l’ouest, au rio Chuspa, à l’est, sont caractérisés par de fortes pentes que parcourent 22 fleuves et 30 quebradas (ravines) (photo 1).

Photo 1
Photo 1
Les fortes pentes du littoral central vénézuélien et les constructions dans les lits des rivières et sur les cônes de déjection. Ici, la ville de Carmen de Uria, après les coulées de boue de 1999
Source: UCV, 2000.

8Mais la vulnérabilité du littoral est aussi produite socialement par les modes d’urbanisation et d’occupation du territoire, comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Amérique latine [Thouret, 2003].

9En effet, d’une part, on trouve à Vargas des barrios, ces quartiers populaires construits de façon précaire par les habitants les plus pauvres sur des pentes fortes et dans les quebradas elles-mêmes. Ces barrios étaient un objet de préoccupation pour certains spécialistes de la ville, et en particulier de Caracas, bien avant la catastrophe de 1999 [4]. Le fait que cette urbanisation incontrôlée et non planifiée ait pu se développer a été expliqué par Negron [2000] comme une «?non-politique?» de la part des différents gouvernements qui, depuis les années 1960, ont cru que le fait de ne pas équiper ces quartiers des infrastructures minimales aurait pour résultat d’empêcher les migrants ruraux de continuer à s’y installer. Pour d’autres, la tolérance pour ces constructions a été analysée comme un moyen d’exercer un certain «?prosélytisme politique?» et de récolter les voix de leurs habitants [Bolívar, 1995]. Plus généralement, les barrios sont considérés comme le reflet de «?l’incapacité de l’État à gérer la croissance urbaine?» [Baby-Collin, 2001].

10D’autre part, les nombreuses rivières qui se jettent dans la mer ont donné naissance à des cônes de déjection qui ont permis le développement des meilleures plages de la région. Sur ces amas de sédiments, parfois élargis par de précédents désastres, ont été construits des ensembles résidentiels et des aires de loisirs. La vulnérabilité a donc parfois été accentuée non par le caractère informel et précaire des constructions, mais par la planification urbaine elle-même. C’est le cas de la ville de Carmen de Uria, bâtie dans les années 1950 dans le cadre d’un projet d’urbanisation qui a consisté à détourner le cours du fleuve. Totalement rasée, en 1999, par le torrent qui a cherché et retrouvé son lit original, Carmen de Uria est un exemple emblématique de cette vulnérabilité planifiée [Lopez et alii, 2003] (photo 1).

11La vulnérabilité de Vargas est donc le produit d’un ensemble de facteurs historiques, géographiques, sociaux et politiques, ce qui n’en fait pas un cas exceptionnel, mais vient corroborer ce qu’ont déjà souligné de nombreux auteurs en se basant sur d’autres études de cas [Wilches-Chaux, 1993?; Blaikie et alii, 1996?; Thouret, d’Ercole, 1996?; Rodriguez, Lavell, 2002].

12Grâce à l’ensemble de ces études, le phénomène des coulées de boue de 1999 et ses causes ont pu être amplement analysés. Moins nombreux sont en revanche les travaux qui se penchent sur la phase de récupération [5] et sur les impacts à plus long terme de la catastrophe. C’est sur cette phase que je proposerai ici quelques données et réflexions, à partir d’un travail de terrain qui m’a permis d’être présente à Vargas dès le lendemain de la catastrophe [6]. J’ai ainsi pu assister à la rencontre de différents acteurs autour de la problématique de la reconstruction et remarquer l’émergence de la notion de risque ainsi que son utilisation de plus en plus généralisée. Cette notion est devenue centrale à partir de 1999, alors que le risque, dans sa dimension technique, existait bien avant cette date [7]. Il paraît dès lors possible et justifié d’ajouter aux domaines d’étude déjà signalés, une enquête anthropologique sur la construction et les usages de la notion de risque dans un contexte local durement frappé par la catastrophe.

Le risque comme culture

13Le risque est l’objet de nombreuses définitions en fonction des contextes et des disciplines qui s’en saisissent [8]. Notion statistique, le risque permet d’évaluer la probabilité d’occurrence d’un événement dommageable. Pour les sciences sociales, il est entendu comme la rencontre d’un aléa et de la vulnérabilité de la société qu’il touche [Wilches-Chaux, 1993]. La vulnérabilité étant désormais reconnue comme le produit des options de développement prises par les sociétés, il en découle une vision du risque comme une «?construction sociale?» entendue comme «?le produit des actions conscientes ou inconscientes d’acteurs sociaux, organisationnels, institutionnels ou individuels?» [Rodriguez, Lavell, 2002, p. 69].

14Les sociologues et anthropologues ont, depuis quelques années, souligné l’importance de prendre en compte sa «?perception?». Cependant, Peretti-Watel va plus loin en précisant que l’expression perception sociale du risque renvoie à «?un lieu commun des études sur le risque qui opposent les points de vue de l’expert, du politique et du citoyen, les perceptions de ce dernier s’avérant un obstacle aux actions concertées des deux premiers parce qu’elles sont sociales, c’est-à-dire inadéquates, instables, truffées de croyances irrationnelles?» [2003, p. 199]. Pour tenter de dépasser cette opposition, je parlerai pour ma part des représentations du risque [Coanus et alii, 2004] que les différents acteurs construisent et des usages qu’ils font de cette notion.

15La notion de risque, qui arrive à Vargas avec les plans de la reconstruction, est un élément d’une culture à la fois normative, globale et contemporaine. En parlant du risque comme d’une culture, je ne me situe pas pour autant dans la lignée de Douglas et Wildavsky [1982] qui tentent de comprendre comment les individus appréhendent les risques en fonction de leurs «?valeurs?» ou de leurs «?croyances?». Je ne cherche pas à développer une perspective «?culturaliste?» de la perception du risque. Je considère par contre le risque en tant que culture au sens d’un «?système imbriqué de signes interprétables?» [Geertz, 1998, p. 85]. Cette culture possède sa propre langue (qu’on appellera ici la «?rhétorique du risque?»), son système de valeurs (la mémoire, la prévision, la prévention) et même ses rituels (actes de commémoration des catastrophes, inaugurations des ouvrages de réduction du risque). Dans la mesure où elle définit de nouvelles règles, c’est une culture normative, une nouvelle autorité qui se construit en partie sur le savoir technique. Je propose d’observer ici l’émergence de cette culture à Vargas après 1999 et sa diffusion auprès de différents acteurs.

16À La Veguita, autour de la reconstruction, interagissent les habitants, une organisation de quartier et l’institution en charge de la reconstruction (CorpoVargas), trois niveaux auxquels nous nous situerons successivement. Nous verrons ainsi qu’à chaque niveau correspondent des enjeux différents qui donnent lieu à des représentations du risque et de la reconstruction. Malgré ces écarts, il s’avère qu’un espace de négociation se crée autour de la notion de risque, qui aboutit finalement à la reconstruction de La Veguita cinq ans après sa qualification de zone à risque et non constructible.

Le décor?: une ville, un quartier

Macuto

17

«?… et Macuto, Cristina, c’est notre plage élégante, notre station balnéaire à la mode, c’est un peu le Deauville ou le San Sebastien du Venezuela?» [9].

18La petite ville de Macuto est connue dans le pays pour avoir joué, à la fin du xixe et au début du xxe siècle, le rôle d’un lieu de refuge pour les élites de Caracas qui venaient s’y reposer. C’est également une ville qui symbolise la «?modernité?» arrivée sur le littoral avec le chemin de fer et les bains de mer, édifiés sur le modèle de ceux de la Côte d’Azur française. C’est enfin une des premières villes au Venezuela ayant fait l’objet d’un aménagement urbanistique planifié [Silva Contreras, 1999].

19Les rues de Macuto abritent de nombreuses villas construites à cette époque et certains lieux comme La Plaza de las Palomas, La Guzmania, maison de vacances du président Guzman Blanco de 1884 à 1889, ou encore le Paseo, boulevard piéton qui s’étend le long de la plage, symbolisent une certaine façon de vivre empreinte de la douceur du bord de mer et de l’influence de la «?modernité?» européenne du début du xxe siècle.

20Ce n’est qu’à partir des années 1950 que l’on a vu apparaître à Macuto, comme sur l’ensemble du littoral, des barrios construits sur les flancs de la montagne El Ávila par une population qui croissait avec l’attraction que constituait Vargas, par sa situation proche de la capitale et comme pourvoyeur d’emploi grâce à l’aéroport international, le port et plus tard le développement de l’industrie touristique. Avant la catastrophe, Macuto comptait 14 628 habitants, le recensement effectué quelques mois après les coulées de boue faisait état de 8 521 personnes et celui d’octobre 2001 dénombrait 14 370 habitants. Macuto avait donc retrouvé, deux ans après l’événement, une population équivalente à celle d’avant 1999 [OCEI, 1990?; OCEI, 2000?; INE, 2001].

La Veguita

21La Veguita est l’un des barrios de Macuto. C’est aussi un des secteurs de la ville qui a été le plus affecté lors de la catastrophe de 1999 (photo 2).

Photo 2

La Veguita, décembre 1999

Photo 2

La Veguita, décembre 1999

Photo prise par un habitant. Cette image témoigne d’abord du degré de destruction du quartier. Elle atteste aussi de la nécessité pour le photographe de mémoriser ce moment, d’en témoigner, en fixant le découragement de cette personne sur les ruines de sa maison. Sentiment qui est proportionnellement équivalent à la fierté actuelle des habitants vis-à-vis du travail de récupération qu’ils ont accompli dans le quartier.

22Construit à la fois sur les flancs de la montagne et sur les bords du fleuve, La Veguita s’organise selon des logiques que l’on rencontre fréquemment dans les villes latino-américaines, à savoir une organisation spatiale verticale. Les parties planes y sont valorisées et construites par les couches sociales les plus aisées et une corrélation presque systématique s’instaure entre la situation en altitude et la situation sociale. Pour le dire autrement, moins on a de ressources, plus on vit en hauteur.

Les acteurs

Les habitants

23Le quartier comptabilisait, en décembre 2004, 200 familles et 650 personnes, ce qui représenterait entre la moitié et le tiers du nombre de personnes qui y vivaient avant la catastrophe de 1999. Selon une étude réalisée dans le quartier en décembre 2004 [10], 38,54 % des familles y perçoivent des revenus mensuels inférieurs au salaire minimum [11], ce qui les place dans une situation caractérisée de «?pauvreté extrême?», les revenus de 39,11 % des habitants sont compris entre le salaire minimum et 600 000 bolivars, situation qualifiée de «?pauvreté critique?». 78 % des familles du quartier perçoivent donc des revenus inférieurs au coût de la «?Canasta Básica?» [12]. Il s’agit aussi d’un quartier dont la moyenne d’âge est assez élevée, puisqu’elle y est de 45 ans. Le niveau d’éducation s’y distribue ainsi?: 2,31 % n’ont pas fait d’études?; 38,13 % ont un niveau d’études primaires?; 53,54 % un niveau d’études secondaires, 5,34 % ont effectué des études techniques et seulement 0,69 % des études universitaires.

24La plupart des habitants sont partis de La Veguita juste après les inondations. Seul un petit groupe est resté, occupant les maisons qui n’avaient pas été arrachées par la boue et remettant petit à petit le quartier en service. Quand ils se remémorent cette période, ces téméraires utilisent des termes guerriers. Ils parlent de «?lutte?», d’«?odyssée?», de «?chemin de croix?». Ils évoquent aussi – parfois non sans une certaine nostalgie – l’«?organisation?», l’«?union?» et la force de la «?communauté?». Deux faits «?héroïques?» sont très souvent relatés?: la réinstallation de l’eau et le branchement de l’électricité. L’eau a été ramenée par les hommes du quartier grâce à un système de captage installé dans la rivière à plusieurs kilomètres en amont. Alors que sur l’ensemble du littoral, la distribution de l’eau s’est faite pendant presque toute l’année 2000 à l’aide des camions citernes de l’aide humanitaire, les habitants de La Veguita, eux, la recevaient «?au robinet?» grâce à leur système. Quant à l’électricité, ils ont été la chercher en se «?branchant?» sur le poteau électrique le plus proche du quartier dès qu’elle a été rétablie par la compagnie d’électricité. Ils ont tiré un câble depuis le bâtiment de la Préfecture situé à quelques 500 mètres de là, et ont éclairé La Veguita.

25Avec l’eau et l’électricité, le quartier redevenait habitable pour d’autres familles qui commencèrent à revenir dès les mois de février et mars 2000. La boue avait surélevé le niveau du sol de quelques mètres et transformé la configuration spatiale de toute la partie basse de La Veguita. Les petites ruelles avaient disparu, la boue et les pierres avaient tout envahi, et l’on voyait parfois sortir de la terre des tiges de métal attestant que l’on marchait sur les ruines d’une maison aujourd’hui enterrée. Pourtant, les familles qui revenaient s’installèrent aux premiers étages des maisons dont le rez-de-chaussée était rempli de boue, bricolant des escaliers et des portes pour s’adapter aux nouvelles formes du quartier. Elles ont ainsi reconstruit sur les ruines et ont réoccupé La Veguita.

26Les formes de la reconstruction ne semblent pas adopter de modifications particulières suite aux coulées de boue de 1999. Les nouvelles constructions paraissaient à l’observatrice que j’étais – certes peu compétente en la matière mais néanmoins curieuse et préoccupée – aussi précaires que celles qui précédaient. Pour répondre à mes questions sur le «?danger?» ou le «?risque?» que ces bricolages pouvaient représenter pour leur vie, certains, bienveillants et cherchant à apaiser mon appréhension, m’expliquèrent qu’il leur fallait bien «?vivre avec la nature?» et qu’un désastre comme celui qui venait de se produire ne se reverrait pas avant «?au moins 50 ans?». C’est ce qu’auraient prévu les experts, me disaient-ils.

27J’avais par ailleurs été frappée au cours de mes premiers séjours, et alors que je sondais le sentiment des habitants sur la future destruction du quartier par CorpoVargas, par le fait que certains en relativisaient la probabilité. «?Aujourd’hui – me répondait-on – ils disent qu’ils vont détruire, mais après les élections, on verra ce qu’ils vont faire [13]?». La présence du politique derrière l’expertise était perçue par eux comme une évidence, ce qui tendait, pour le moins, à relativiser, voire ôter sa légitimité absolue et strictement technique au discours expert.

28Les experts représentaient pourtant pour les habitants un danger réel. Assimilée à l’une d’eux au cours de mes premières visites dans le quartier, je suscitai la méfiance et l’agressivité. Que venais-je voir qui me permettrait de les déloger?? Après moi, comme après les nombreux autres experts qui étaient venus se promener dans le quartier en prenant des notes et en posant des questions, allait-on raser La Veguita pour ne jamais la reconstruire?? Et là, oui, le risque et le danger faisaient leur apparition dans les discussions. Mais il s’agissait du risque de voir sa maison démolie, de devoir quitter le secteur où l’on avait grandi, de perdre le réseau d’amis et de connaissances qui assurent du travail au jour le jour ou de devoir aller habiter dans un quartier «?dangereux?» rongé par la délinquance et la drogue.

29Et puis, me disait-on, que savaient-ils du danger, ces experts, qui n’étaient pas là pendant la catastrophe?? Les habitants, eux, avaient vu quelles maisons étaient tombées, quelles autres avaient résisté, quelle quebrada s’était «?bien comportée?», dans quelle zone ils s’étaient réfugiés. Ils disaient avoir retenu les signes annonciateurs du drame?: l’odeur du fleuve qui sent la terre ou la couleur de l’eau chargée de sédiments. Ils avaient vu que l’on pouvait se sauver par la montagne et étaient prêts à courir à la première alerte. D’ailleurs, le seul signe perceptible de la prise en compte par les habitants du risque d’inondation dans les modalités de la reconstruction, était les modifications de la logique d’organisation sociale de l’espace?: les zones situées en hauteur avaient acquis depuis l’événement une valeur foncière plus grande, associée à leur éloignement du fleuve. Les loyers des maisons situées dans les hauteurs de La Veguita avaient doublé entre 1999 et 2003 et, dans ces maisons, vivaient désormais les familles les moins pauvres du quartier qui, avant la catastrophe, se concentraient dans la partie basse, près du fleuve.

30Le savoir des habitants est construit sur leur expérience. Le fait d’avoir vécu la catastrophe légitime, selon eux, leur connaissance du risque. Mais de fait, ce savoir ne concerne que le danger expérimenté et ne leur permet pas la prise en compte d’autres facteurs de risque.

31D’autre part, de leur point de vue, le risque unique, central et paralysant n’existe pas. Il est en revanche diversifié et appréhendé de façon plus large. Le risque de voir sa maison emportée une nouvelle fois par le fleuve est à resituer sur une échelle qui prend en compte d’autres menaces dont la probabilité est perçue comme plus importante, ce que Rodriguez et Lavell [2002, p. 71] appellent des «?risques quotidiens?» – se référant aux risques de maladie, de violence, de chômage ou d’accident. D’Ercole [1996, p. 451] évoque, pour rendre compte de ce phénomène, la «?concurrence des autres risques sociaux?». Quelques années avant les inondations de 1999, Panza et Wiesenfeld [1997] avaient montré l’existence de cette «?hiérarchisation des risques?» au Venezuela et souligné que la peur de perdre sa maison n’était pas uniquement liée aux catastrophes naturelles mais aussi à l’expropriation ou au délogement. Les stratégies des habitants consistent donc à répondre en priorité aux menaces dont la probabilité semble la plus élevée et la plus imminente. L’information qui évoque une récurrence de l’événement à 50 ans est mobilisée dans ce sens et permet de repousser cette échéance.

32Finalement, les habitants démontrent qu’ils se représentent le risque comme une variable «?négociable?», que les élections ou leurs propres actions – comme le fait de reconstruire malgré tout – ont la capacité d’influencer.

33Dans cette perspective, vivre et reconstruire à La Veguita n’est donc pas ressenti comme dangereux. Le risque est ailleurs, il réside justement dans la possibilité de ne plus pouvoir vivre là. Quant à la reconstruction, elle se fait en intégrant les traces de la catastrophe.

L’Organización Comunitaria de Vivienda [14] (OCV)

34L’Organización Comunitaria de Vivienda (OCV) est une association qui a vu le jour en 2003. Ses fondateurs sont des personnes qui vivaient à La Veguita avant la catastrophe, qui ont perdu la maison qu’ils y possédaient, ont été recensées comme «?sinistrées?» de ce fait, et souhaitent redevenir propriétaires d’un logement dans le quartier. L’objectif annoncé dans les statuts de l’association, qu’ils ont eux-mêmes élaborés, est de faire construire sur la partie plane du quartier un ensemble de trois immeubles totalisant 96 appartements pour reloger 96 familles dans cette même situation.

35À la suite de la catastrophe de 1999, de nombreuses OCV ont vu le jour à Vargas. Dans la seule ville de Macuto, on en comptait 22 en 2003. Cette forme d’organisation, née dans la foulée de la nouvelle loi de Politique du Logement de 1990 est basée sur le principe de l’autogestion des familles qui intègrent l’association et sur la mise en commun des ressources liées à la construction. Les OCV ont été fermement encouragées par le gouvernement de Hugo Chávez afin de favoriser les modes locaux de résolution de la problématique du logement dans les quartiers populaires. Sans être une forme nouvelle d’organisation, les OCV correspondent, dans leur objectif et dans leur forme juridique, aux figures de la «?démocratie participative?» que le gouvernement actuel affirme vouloir appuyer.

36Le projet d’immeubles a conduit l’association à entreprendre des démarches auprès de plusieurs institutions. Il a fallu obtenir que le terrain soit enregistré au cadastre, faire réaliser les plans des immeubles par un architecte, contacter les institutions de logement et les impliquer dans le projet. Mais le nœud du problème résidait dans le statut de la zone. Les plans initiaux ayant décrété l’ensemble du quartier inconstructible, il fallait, pour que le projet puisse voir le jour, obtenir de CorpoVargas la transformation de l’usage de «?zone de protection et récréation?» en un usage apte à la construction de logements. En juin 2004, un rapport technique de CorpoVargas entérinait cette modification [15]. Les visites répétées des membres de l’OCV auprès de CorpoVargas, la détermination dont ils ont fait preuve et les avancées obtenues auprès des autres institutions ont certainement joué un rôle important dans cette décision, venant s’ajouter aux diverses pressions auxquelles CorpoVargas était alors soumise, comme nous allons le voir. Dans ce rapport, le quartier de La Veguita est divisé en trois types de zones?: les «?zones utilisables pour des logements?», les «?zones utilisables pour des services?» et les «?zones non utilisables?».

37La notion de risque ne représente donc pour les membres de l’OCV qu’une limitation qu’il s’agit de dépasser. Elle n’apparaît qu’à partir du moment où CorpoVargas la brandit en argumentant que la zone n’est pas constructible. Par ailleurs, si la catastrophe de 1999 constitue un point de référence, ce n’est pas parce qu’elle permet de «?percevoir?» le risque qui caractérise la situation du quartier, mais parce qu’elle donne naissance au statut de sinistré au nom duquel l’association voit le jour.

38Pour comprendre les enjeux de la reconstruction pour les membres de l’OCV, on peut revenir quelques mois en arrière, en décembre 2003, au moment où les statuts allaient être déposés. Les fondateurs de l’association avaient alors réuni les familles concernées par le projet, dans le but de faire une liste définitive des 96 familles bénéficiaires. Selon le président, si les statuts étaient déposés sans cette liste, les membres de l’OCV couraient un «?risque majeur?» [16], celui de se voir «?envahir?» par de nouvelles familles que le gouvernement allait «?infiltrer?» en les relogeant dans les futurs appartements. Il était donc nécessaire de se dépêcher de fournir les papiers demandés, sous peine de se voir «?imposer une nouvelle façon de vivre?» par des «?étrangers?» ne comprenant rien à «?notre idiosyncrasie de secteur?».

39Ce qui se joue dans la reconstruction, pour les membres de l’OCV, dont la moitié environ n’habite plus le quartier, c’est la possibilité d’un retour à La Veguita. La légitimité de ce projet se fonde, selon eux, sur des critères qui définissent une appartenance bâtie sur trois piliers?: le fait de vivre dans le quartier depuis plus de cinq ans, de faire partie de la «?communauté?» et de partager une «?idiosyncrasie de secteur?». Reconstruire, dans le discours des fondateurs de l’OCV, c’est donc rétablir des formes connues du «?vivre ensemble?», c’est garantir un «?retour à la normale?» qui justifie que l’on se défende des tentatives éventuelles d’intrusion. La «?communauté?» sur laquelle se base l’OCV se construit face à une nouvelle menace?: la présence d’«?étrangers?» dans le quartier.

40Dans la perspective de l’OCV, la notion de risque est une limitation qu’il est nécessaire de dépasser et la reconstruction, une tentative de retour à la situation d’avant la catastrophe.

CorpoVargas

41CorpoVargas est une institution créée dans le courant de l’année 2000 pour exécuter les travaux de la reconstruction à Vargas. Il s’agit d’une instance technique, qui agit sous la tutelle d’une entité politique?: la Autoridad Única de Área del Estado Vargas (AUAEV), mise en place en janvier 2000 [17]. Pour CorpoVargas, la reconstruction et le risque sont au cœur d’enjeux multiples. On peut les observer en dissociant le niveau technique du niveau politique.

42D’un point de vue technique, les coulées de boue de 1999 mettent en lumière le manque de planification urbaine. Avant de reconstruire, il est donc devenu indispensable de planifier. Une étude pour réaliser un nouveau Plan d’Organisation du Territoire (POTEV) est commandée par le Ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles, sous financement de la Banque Mondiale. Ce plan place la «?variable risque?» au centre de ses préoccupations et coïncide avec deux autres projets, financés par des bailleurs de fonds internationaux?: le projet PREDERES [18] de la Commission européenne et un projet technique de diminution du risque sur le fleuve San Julian, du gouvernement espagnol. Dans les 17 objectifs que fixe le POTEV, trois abordent clairement le thème du risque. La gestion du risque y est définie comme la prise en considération des «?menaces d’origines naturelles et technologiques auxquelles la population et ses activités productives sont exposées et (la réduction) des conditions de vulnérabilité actuelles?» (p. 41).

43Du point de vue politique, CorpoVargas est une entité exécutrice du projet du gouvernement de Hugo Chávez. Dans ses considérants, le projet de décret d’application du POTEV spécifie que le plan se doit d’«?être un instrument de concertation et de consensus suffisamment large pour prendre en compte les propositions de tous les acteurs sociaux?». Les lignes directrices du plan soulignent également l’importance de la «?participation sociale, entendue non seulement dans le sens classique de la consultation publique mais également dans le sens de l’approbation et de la co-gestion de l’exécution du suivi et de la reformulation permanente?» (p. 35).

44Cette déclaration d’intention politique se confronte concrètement à la difficulté qu’elle représente sur le terrain. La responsable du secteur social de CorpoVargas m’avait fait part de ces difficultés en novembre 2003. M’expliquant le processus qui avait été mis en place pour présenter le POTEV aux différents niveaux de l’organisation locale (habitants, associations de voisins, etc.), elle évoquait une «?vision à grande échelle, incluant la variable «?risque?», une vision partagée?». Je lui demandai alors par qui cette vision était partagée. Elle me répondit?: «?la communauté, elle, ne la partage pas?» [19].

45Quant à la directrice de l’AUAEV, quelques mois plus tard, elle me racontait comment se passaient les réunions avec les habitants?:

46

«?On leur a expliqué que toute la planification est basée sur la variable risque. Il faut qu’ils comprennent que quand on dit que dans un secteur précis, il ne doit pas y avoir de nouvelles maisons, c’est parce que nous sommes en train de penser à la variable risque?» [20].

47On assiste ici à la difficulté de faire face à un double enjeu. D’une part, un enjeu de diminution du risque, celui-ci étant défini à partir des critères techniques qui limitent les secteurs constructibles. La pression internationale à ce sujet est importante et le fait que des bailleurs tels que la Banque mondiale ou la Commission européenne financent ces projets renforce le poids de la demande de «?réduction du risque?». Il est en effet indispensable de resituer l’événement de Vargas dans le contexte mondial. En 1999, se termine la Décennie pour la Réduction des Risques Naturels (DIRDN) déclarée par l’ONU. Ces dix années ont aussi été marquées, au niveau international, par l’organisation d’un grand nombre de conférences plaçant l’environnement, le développement durable, la ville durable et la réduction de la vulnérabilité urbaine au centre des préoccupations. Du «?Sommet de la terre?» de Rio, en 1992, à la conférence mondiale sur la Réduction des Désastres Naturels de Yokohama, en 1994, et de la conférence mondiale sur les établissements humains d’Istanbul, en 1996 (Habitat II), à la conférence de Genève de juillet 1999 qui conclut la DIRDN, le souci de réduire les coûts engendrés par la vulnérabilité humaine en milieu urbain acquiert une importance centrale. Diminuer le risque à Vargas fait donc partie d’une problématique globale qui trouve localement les vecteurs de sa réalisation?: CorpoVargas et le POTEV en sont deux essentiels, qui se déclinent ensuite avec le «?Programme d’aménagement des zones de barrios?», le «?Programme d’ouvrages pour la diminution du risque?», la «?Commission Présidentielle pour la gestion des risques?» ou encore l’«?École de gestion des risques?».

48D’autre part, CorpoVargas doit faire face à un enjeu politique. Il s’agit de mettre en place localement les structures d’une «?démocratie participative?» qui prenne en compte les différents niveaux (habitants, commerçants, associations…) et qui permette de faire adhérer la population concernée au méga-projet de la reconstruction de Vargas. Dans ce cas, c’est à la pression nationale que CorpoVargas est confrontée. Celle-ci vient, en premier lieu, du Président de la République dont le projet se construit autour de formes d’action qui tolèrent mal de ne pas répondre aux attentes du «?peuple?». La pression nationale est également exercée par une opinion publique qui s’impatiente de voir se régler la question du relogement des sinistrés.

49Comment faire pour que la «?communauté partage la vision?» comme le souhaitait cette responsable de CorpoVargas, quand la vision est construite à partir de données et de critères qui diffèrent selon les acteurs?? Car, pour les habitants, l’enjeu majeur est de rester dans le quartier, pour l’OCV, il s’agit de faire construire les immeubles et pour CorpoVargas, il faut réduire le risque, reloger les sinistrés, et obtenir la participation de la population. Et le risque prend, pour les uns, la figure des experts qui peuvent décider de la destruction du quartier, pour les autres, celle de l’institution qui empêchera la construction des immeubles et pour les troisièmes, celle des menaces naturelles et technologiques, amplifiées par leur propre incapacité à faire adhérer la population à leur projet de reconstruction.

50Bien que poursuivant des objectifs qui paraissent distincts, ces différents acteurs interagissent dans un même lieu et dans un même moment. Ils ouvrent dès lors les possibilités d’un espace de négociation.

Le risque négocié

51C’est la tension entre les différents objectifs qu’elle poursuit qui conduit CorpoVargas à reconsidérer la décision de détruire le quartier. Le rapport technique du mois de juin 2004, qui délimite des zones constructibles et des zones dangereuses, est à la fois le premier signe de la prise en compte de critères qui ne sont pas uniquement techniques et la reconnaissance que le risque, en plus d’être une réalité tangible, est une variable négociable. En refaisant la carte de La Veguita, les techniciens de CorpoVargas acceptent implicitement que l’absence de risque n’existe pas et que le quartier est soumis à un ensemble de menaces que l’on ne peut éradiquer totalement. Il est alors question de définir quels sont les seuils de risque que le quartier, ses habitants et l’institution qui en assumera la responsabilité sont prêts à accepter.

52La priorité pour les responsables de l’institution devient alors de comprendre les logiques des habitants du quartier. C’est dans cette perspective qu’ils commandent, en décembre 2004, la réalisation d’une étude sur «?la perception du risque à La Veguita?» [21]. Techniproject, la société qui réalise l’étude, complète les données quantitatives recueillies par questionnaire, en organisant un «?focus group?» qui réunit sept habitants sélectionnés en fonction du rôle qu’ils jouent dans le quartier [22]. Au cours de cette réunion, il est d’abord demandé aux participants de définir les variables «?risque?» et «?menace?», avant d’aborder ensuite les notions de «?sécurité?» et de «?prévention?».

53Le risque est défini par les habitants, successivement, comme la présence d’un danger ainsi énoncé?: «?que la maison s’écroule?», «?tout ce qui cause de la peur?», «?l’insécurité?» ou encore «?un pompier qui risque sa vie pour éteindre un feu?». À plusieurs reprises, certains précisent que le risque fait partie de la vie, qu’il est partout et que «?sans risque on ne peut pas vivre?». Dans son rapport, Techniproject analysera cette perception du risque comme «?fataliste?» (p. 27) et l’expliquera par le fait d’avoir vécu le traumatisme de la catastrophe.

54Cette analyse révèle les différences de représentations entre les habitants et les experts. Pour Techniproject en effet, le risque évoqué est essentiellement celui d’une catastrophe «?naturelle?» et il s’agit d’un risque subi. Considérer qu’il est omniprésent est, d’après les experts, le signe d’une vision fataliste qui démontre l’impuissance dans laquelle les habitants se perçoivent, suite au désastre de 1999. Pourtant, les habitants ont une autre vision du risque. Ils le considèrent comme un phénomène large qui ne touche pas seulement les catastrophes «?naturelles?» et se sentent, à l’inverse, capables de l’affronter. Le risque est perçu comme un pari. L’exemple du pompier éclaire cette vision?: le risque peut être pris dans l’espoir d’obtenir un résultat et non pas seulement subi comme un danger. Ce sont là deux attitudes différentes face au risque qui se rencontrent?: le risque subi et le risque affronté.

55La «?menace?», elle, est définie par les habitants au cours de la réunion comme quelque chose qui avertit du risque. Cela peut être par exemple le brouillard qui annonce la pluie. Mais la menace est également définie comme une action humaine?: quand une personne en menace une autre avant de l’attaquer par exemple, ou les menaces de mort. La «?sécurité?» renvoie, pour les habitants, à l’absence de délinquance qui caractérise leur quartier. Certaines zones et maisons de la Veguita sont également signalées comme des zones sûres, pour avoir servi d’abri pendant les inondations. Toutes ces définitions renvoient à des réalités multiples parmi lesquelles la situation de catastrophe «?naturelle?» n’est pas centrale, même si elle est présente.

56Quant à la «?prévention?», un des participants, fondateur et membre de l’OCV – et, par conséquent, mobilisé en faveur du projet de construction des immeubles – l’a abordée ainsi?:

57

«?On peut aussi être en situation de risque et en minimisant la situation, on peut l’éviter, parce que je vois comment dans d’autres pays du monde qui vivent en situation de risque, même pire que ce qu’on a vécu, ils vivent avec la nature. Maintenant, je crois que sachant que le risque existe, la prévention peut aussi exister, et la prévention est importante pour le contrôler?».

58Dans son rapport, Techniproject analysera cette phrase en signalant que «?toutes les conditions sont réunies pour développer une culture de prévention des risques dans la zone de Macuto?» (p. 30).

59Ce point est central pour comprendre les logiques en cours à ce moment précis. La déclaration que fait ce leader est une preuve de la négociation qui est en train d’être menée. Les expressions «?situation de risque?», «?minimiser?», «?le risque existe?» et «?prévention?» sont clairement issues du vocabulaire que les habitants de La Veguita entendent depuis la catastrophe de 1999. Ces termes appartiennent à la rhétorique du risque et apparaissent dans chaque rapport technique, dans chaque réunion avec un architecte ou un ingénieur, ils sont dans la bouche de tous les experts qui visitent le quartier depuis cinq ans. Poursuivant son objectif, qui est de revenir vivre à La Veguita, et parlant au nom des membres de l’OCV, ce leader montre qu’il sait intégrer cette rhétorique et la manier. La référence à la «?prévention?» lui sert de sésame pour faire ouvrir les portes de son projet?: construire les immeubles à La Veguita.

60Cette stratégie fonctionne parfaitement puisque le rapport mentionne que la «?culture de prévention des risques?» peut désormais se diffuser à Macuto.

61Au cours de la même réunion, il est ensuite proposé aux participants de signaler eux-mêmes les «?zones à risque?» du quartier, ce qui suscite une vive réaction de la part du président de l’association des habitants. L’animatrice cherche en effet à lui faire désigner des maisons dont la destruction est nécessaire, arguant de sa meilleure connaissance du terrain. Le leader local s’en remet alors à la décision institutionnelle?: «?Ces maisons-là – dit-il – n’ont pas été endommagées en 1999, pour moi il n’y a pas de nécessité de les démolir… mais si les études démontrent qu’il s’agit d’une zone à haut risque, je m’inclinerai?».

62Dans ce cas, la démarche de l’animatrice consiste à montrer qu’elle reconnaît les formes de savoir acquis par les habitants à travers leur l’expérience. Avec cette question, elle transfère pour un temps au leader local le statut d’expert. Ce qui n’est pas sans causer de réaction. En effet, cette situation provoque un renversement des rôles que le président de l’association des habitants ne souhaite pas assumer. Sa réponse montre son besoin que le rapport de force se maintienne en l’état. Il ne jouera donc pas le jeu qui consiste à désigner «?les mauvaises maisons?».

63La négociation qui est en cours doit aboutir à la résolution d’une partie ou de toute la problématique de chacun des acteurs. Elle se cristallise autour de la notion de risque et consiste pour chacun à adopter un langage et une attitude qui signifient à l’autre que l’on prend en compte sa vision. Au fond, l’objectif de chacune des parties est d’obtenir gain de cause. Rester à La Veguita pour les habitants, construire ses immeubles pour l’OCV, diminuer le risque tout en construisant des logements et en justifiant de la participation de la population pour CorpoVargas.

64La notion de risque catalyse tous ces enjeux et est assez souple pour permettre des ajustements de la part de chacun. Ces ajustements, négociations et rapports de force aboutissent aujourd’hui à la construction des immeubles, à la réhabilitation de la partie haute de la Veguita ainsi qu’à la mise en œuvre d’actions pour diminuer le risque d’éboulement et d’inondation?: canalisation de la quebrada qui traverse le quartier, élargissement du fleuve et destruction de certaines maisons.

Conclusion

65En parlant de «?notion de risque?» et non de «?risque?», nous avons voulu rappeler que le succès de cette notion est à resituer dans un contexte global qui accompagne son développement depuis la fin des années 1980 jusqu’à en faire un concept central de la compréhension du monde contemporain. Chaque nouvelle catastrophe naturelle ou technologique vient confirmer, pour ses penseurs, l’avènement de la «?société du risque?» [Beck, 2001] dans laquelle s’affrontent experts et profanes. La culture dont est issue cette notion, en produisant un savoir qui se voudrait objectivé, reconnu et incontestable, se révèle aussi un formidable instrument de pouvoir [Soulière, 2005]. La communauté que créerait cette culture, dans une vision paroxystique, serait une communauté organisée autour de la peur, une communauté de victimes potentielles. L’idéal de sécurité y remplacerait l’idéal d’égalité qui caractérisait les sociétés modernes [Beck, 2001].

66Pourtant, les conflits et ajustements autour de la reconstruction de La Veguita mettent en relief un aspect important de la discussion sur le risque, qu’illustre la notion de «?risque négocié?» [Charlier, Decrop, 1997]. «?La négociation (…) commence très en amont, dès la définition du risque, supposée être un acte scientifique pur. Le risque fait donc l’objet d’une mise en débat, (…) d’une élaboration à laquelle plusieurs types d’acteurs vont participer?» [Decrop, 2004, p. 10]. Pour les habitants de La Veguita, le risque est partout, il est omniprésent. Vivre, c’est prendre le risque de mourir. Pour les techniciens de CorpoVargas, le risque est cartographié, cerné, et il est possible de le diminuer. Négocier les seuils de risque acceptables à la fois pour les habitants et pour l’institution qui en assumera la responsabilité, c’est créer un espace commun entre ces deux systèmes de représentations. C’est prendre en considération les priorités, les demandes, les propositions de chacun des acteurs concernés en fonction des enjeux qu’il poursuit. C’est introduire du politique – en tant qu’espace où s’exprime la dissension – au cœur d’une intervention présentée d’abord comme purement technique et consensuelle.

Notes

  • [*]
    Doctorante en anthropologie, IHEAL (Paris III, Sorbonne Nouvelle), sandrine.revet@free.fr.
  • [1]
    Nous parlons de «?catastrophe dite “naturelle”?» comme on le fait généralement aujourd’hui dans les sciences sociales qui travaillent sur ce thème, pour mettre l’accent sur le fait que ce qui cause une catastrophe est la rencontre d’un phénomène naturel et de la vulnérabilité d’une société.
  • [2]
    Une recherche effectuée à partir des registres des morgues, de ceux des cimetières et des institutions qui ont enregistré les disparitions signalées par les familles nous a permis d’estimer à 852 le nombre de morts et de disparus.
  • [3]
    Autoridad Única de Área para el Estado Vargas, instance chargée de coordonner les différents aspects de la reconstruction.
  • [4]
    On citera en particulier les nombreux travaux de Teolinda Bolívar [1995, 1996, 1998] et de son «?école?» au sein de la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de la Universidad Central de Caracas – notamment T. Ontiveros [1989]. Ces recherches ont permis de comprendre les dynamiques urbaines, sociales et politiques à l’œuvre dans ces quartiers, ainsi que les limites et les dangers de leur développement incontrôlé. Par ailleurs, Baldó et Villanueva [1995, 1998] ont élaboré des propositions pour insérer les barrios dans la ville et résoudre leurs carences en termes d’urbanisation. Pourtant, dans toutes ces études, les spécificités des barrios de Vargas sont peu étudiées. Vargas, qui faisait partie jusqu’en 1998 de l’Aire Métropolitaine de Caracas, est longtemps resté en marge des programmes et des projets urbains de la capitale.
  • [5]
    Da Cruz [2003] désigne sous le terme générique de «?récupération?» les trois étapes de l’après-désastre qui sont classiquement analysées?: l’urgence, la restauration, la reconstruction.
  • [6]
    La présence sur le terrain s’est déroulée en plusieurs temps?: 8 mois en 2000 en tant que chef de projet d’une ONG française pour mettre en place un projet d’appui psychosocial auprès des sinistrés, 2 mois en 2001 pour l’enquête de terrain de mon DEA sur les déplacements de populations liés à la catastrophe et enfin 8 mois (entre 2002 et 2004) pour la réalisation de la recherche en cours sur les dynamiques sociales de l’après-catastrophe. Le matériau récolté repose sur une approche ethnographique du terrain, fondée sur la présence sur place, l’observation et de nombreux entretiens, plus particulièrement dans le quartier de La Veguita.
  • [7]
    Ne serait-ce qu’au xxe siècle, on recense sur le littoral au moins cinq catastrophes «?naturelles?» qui ont provoqué d’importants dommages?: deux tremblements de terre (1900 et 1967) et trois inondations accompagnées de coulées de boue (1938, 1948, 1951).
  • [8]
    Pour une approche critique et réflexive des tentatives de définition de la notion, voir Luhmann [1993, p. 1-31].
  • [9]
    «?…y Macuto, Cristina, es nuestra playa elegante, nuestro balneario de moda, es como si dijéramos el Deauville o el San Sebastián de Venezuela?». Teresa de la Parra [1996, p. 52]. (notre traduction)
  • [10]
    Étude «?Percepción de riesgo?», nov.-déc. 2004, Techniproject?/?CorpoVargas.
  • [11]
    Établi au 30.04.2004 à 321 235 bolivars, soit environ 125 euros.
  • [12]
    Indicateur calculé à partir de l’ensemble des biens et services qui couvrent les nécessités matérielles définies comme fondamentales. La Canasta Básica était fixée, en octobre 2004, à 671 919 bolivars soit environ 261 euros.
  • [13]
    Les deux échéances électorales attendues alors étaient le référendum révocatoire sur la destitution du Président Chávez, le 15 août 2004, et les élections régionales du 31 octobre 2004.
  • [14]
    Organisation Communautaire de Logement.
  • [15]
    Informe técnico. Evaluación de la UA-6-La Veguita Macuto. Programa de habilitación física integral de barrios, sector la Veguita, Montesuma y El Infiernito.
  • [16]
    Tous les termes entre guillemets dans la suite de ce paragraphe proviennent des interventions du président de l’OCV au cours de cette réunion.
  • [17]
    Un bref rappel de la situation de Vargas au moment de la catastrophe est ici nécessaire. Vargas faisait, jusqu’en 1986, partie du District Fédéral de Caracas sous la forme d’un département. En 1986, il devient un Municipe, puis un Territoire Fédéral en 1997. Ayant acquis le statut d’État le 31 décembre 1998, ses structures administratives, juridiques et politiques étaient, en décembre 1999, encore naissantes. La catastrophe a déclenché, au niveau régional, un affrontement politique entre le gouverneur régional et le président Hugo Chávez. Un des enjeux de cette lutte était justement les modalités de la reconstruction. Pour s’assurer le pouvoir de décision à ce sujet et évincer le gouverneur régional, le président Chávez a instauré l’AUAEV, institution sous tutelle du gouvernement central.
  • [18]
    Prévention des Désastres et Reconstruction sociale.
  • [19]
    Entretien, CorpoVargas, 01.04.2003.
  • [20]
    Entretien, AUEAV, 06.07.2004.
  • [21]
    Estudio «?Percepción de riesgo?», nov.-déc. 2004, Techni-Project?/?CorpoVargas.
  • [22]
    Trois membres de l’OCV, le président et la vice-présidente de l’association des habitants, un membre de la Junta Parroquial et un membre d’une association civile du quartier. Les données qui suivent proviennent de l’observation effectuée lors de cette réunion.
Français

Résumé

À partir des matériaux ethnographiques récoltés à Vargas (Venezuela) à la suite des coulées de boue de 1999, cet article se propose d’analyser l’émergence, la diffusion et les usages de la notion de risque dans le contexte de l’après-catastrophe. En se situant successivement au niveau des habitants, d’une association de quartier et de l’institution chargée de reconstruire, l’objectif est de comprendre les enjeux qui accompagnent la reconstruction et les différentes représentations que chacun de ces acteurs se fait du risque.

Mots-clés

  • désastre urbain
  • vulnérabilité
  • barrios
  • notion de risque

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Sandrine Revet [*]
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011
https://doi.org/10.3917/autr.037.0163
Pour citer cet article
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