CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La République Islamique de Mauritanie (RIM) est un vaste territoire sahélo-saharien en même temps qu’un jeune pays peu peuplé (population estimée à 2,7 millions d’habitants en 2003 par la Banque Mondiale). Située entre le Sahara Occidental/Maroc et le Sénégal, elle constitue un entre-deux culturel, regroupant une population maure, d’origine arabo-berbère, et une population négro-africaine. Sa position géographique charnière, qui en fait un trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique noire, lui confère une place de choix dans le système migratoire africain.

2La Mauritanie n’est pas à proprement parler un nouvel axe de transit. Le faisceau d’anciennes pistes impériales rappelle l’importance des échanges dans cette région [Puigaudeau, 1954]. Mais, en lieu et place des caravaniers, ce sont aujourd’hui des milliers de subsahariens qui réactivent ces anciens tracés et en ouvrent de nouveau. Contrairement au Sahara central qui a été largement étudié [Bensaad, 2002 ; Bennafla, 1997 ; Grégoire et Schmitz, 2000 ; Pliez, 2003 ; Spiga, 2002], les itinéraires qui sillonnent cet espace demeurent mal connus. Si les flux sont moindres, les migrants qui veulent gagner l’Europe n’hésitent pas à se détourner de l’axe central qui passe par Agadès, Tamanrasset et Sebha pour tenter l’aventure plus à l’Ouest. Diversifiant les routes, les migrants « remontent » vers la Mauritanie, faisant de Nouakchott, la capitale, et Nouadhibou, deuxième ville du pays, de nouveaux carrefours migratoires.

3Aujourd’hui, la question des circulations migratoires se pose avec acuité à l’échelle de la Mauritanie. L’État mauritanien entend s’aligner sur les pays du Maghreb qui, suite aux pressions européennes, tentent d’enrayer ces flux par des politiques de plus en plus drastiques. Il se montre plus ferme envers les réseaux clandestins, à l’instar du Maroc voisin, que les migrants ont désormais du mal à atteindre ; aussi ces derniers se retrouvent-ils bloqués dans les « régions sahariennes, nouvel espace d’immigration par défaut » [Pliez, 2003].

4Notre développement essayera d’articuler les différents enjeux et conséquences de ces flux migratoires en Mauritanie. Ancien pays de départ, avec notamment les communautés soninké et halpulaar qui ont très tôt migré vers l’Europe, elle se présente aujourd’hui comme un grand réceptacle d’étrangers. Qui sont-ils ? Parviennent-ils à passer en Europe et par quels moyens ? Modifient-ils durablement le pays et les espaces urbains dans lesquels ils résident ?
Pour tenter d’apporter quelques réponses, il conviendra de définir la place de la Mauritanie dans ce système migratoire transnational en définissant les parcours depuis Nouakchott jusqu’à Nouadhibou, le présumé point de passage. Nous analyserons les nouveaux réseaux de sociabilité qui se mettent en place pour ensuite voir les traductions urbaines et les transformations induites par les circulations migratoires.

La Mauritanie dans le système migratoire ouest-africain

« La traversée du désert »

5La voie « mauritanienne » demeure encore peu connue, alors même que les enquêtes menées [1] démontrent que les subsahariens sont de plus en plus nombreux à l’emprunter. L’aventure en Mauritanie commence dès les frontières méridionale et orientale, avec plus ou moins de difficultés pour franchir le fleuve Sénégal ou quitter le Mali, et se fait par étapes, le long du littoral mauritanien (fig. 1).

Fig. 1

La Mauritanie dans le système migratoire : itinéraires et pôles

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La Mauritanie dans le système migratoire : itinéraires et pôles

6La Mauritanie s’inscrit pleinement dans le système migratoire ouest-africain par l’intermédiaire de trois pôles/villes de rebond qui structurent cet axe de transit et sont interdépendants les uns des autres : Rosso, à l’embouchure du fleuve, Nouakchott au centre – capitale politique –, et Nouadhibou, capitale économique située à la frontière du Sahara Occidental. Quelque 200 km de goudron séparent Rosso de Nouakchott où les migrants s’arrêtent ponctuellement. Ils essaient de parcourir au plus vite les 500 km de désert afin de gagner Nouadhibou, îlot humain enclavé. Jusqu’en 2004, seule une piste difficile à travers le sable assurait la liaison entre les deux villes : la durée du voyage était alors plus qu’aléatoire – de 12 à 36 heures. Aujourd’hui, une route goudronnée vient d’être achevée, plaçant Nouadhibou à 7 heures de la capitale [Antil, Choplin, 2004].

7Deuxième agglomération du pays avec 110 000 habitants, Nouadhibou, créée en 1906 sous le nom de Port-Étienne (qu’elle conserve jusqu’à l’indépendance), est au départ un ancien fort militaire colonial. Mais, elle est surtout un port de pêche et un débouché pour les activités minières de la SNIM (Société Nationale d’Industrie Mauritanienne qui exploite les mines de fer de Zouérate, appelée MIFERMA avant sa nationalisation en 1974). Cette activité a très tôt attiré la venue de main d’œuvre étrangère et fait de Nouadhibou une ville cosmopolite, ouverte sur l’extérieur. Déjà en 1970, Pierre Bonte estimait à 18 000 habitants la population de Nouadhibou, dont 11500 Mauritaniens, 3000 Africains, 1800 Français et 1 000 Espagnols [Bonte, 2001, p. 86].

8Depuis, le nombre d’étrangers n’a cessé d’augmenter, accompagnant la croissance de la population locale. Une rumeur circulerait en Afrique de l’Ouest : « À Dakar, on m’a juste dit qu’il fallait que j’aille en Mauritanie. Je ne savais même pas où c’était. J’avais juste entendu le nom “Nouadhibou”. Tous les aventuriers connaissent ce nom. On sait que c’est là-bas qu’on passe » (Jacques, Congolais RDC). Les migrants affluent, considérant Nouadhibou comme l’une des portes de l’Europe, convaincus que les Îles Canaries ne sont qu’à quelques encablures. Mais, la réalité est autre : les rives espagnoles sont bien loin et l’on ne passe pas – ou plus – à Nouadhibou. Certes, dans les années 1970, gagner l’Europe ne posait pas problème car le Sahara Occidental, alors dénommé Rio de Oro, était une colonie espagnole ; il était ainsi aisé de rejoindre Dakhla sur la côte depuis Nouadhibou. Mais, la guerre du Sahara, qui a débuté en 1975, a changé la situation (la zone est entièrement minée). Le mythe du passage à Nouadhibou relève du passé, et n’est plus aucunement d’actualité [2].
Comment expliquer alors la permanence de ces flux migratoires sachant que les trajectoires se recomposent très rapidement et que les migrants font preuve d’une très grande flexibilité ? Pourquoi les candidats à l’exil ne préfèrent-ils pas l’itinéraire central, autrement dit la voie Agadez, Arlit, Tamanrasset, Reggane, Adrar ? Il semblerait que le mythe soit entretenu par les rares personnes qui parviennent à gagner l’autre rive et encouragent ainsi ceux restés sur place. Par ailleurs, les migrants qui échouent dans le Sahara central finissent par venir à Nouadhibou et informent leurs semblables sur les difficultés de cet itinéraire : « Là bas, c’est le désert. Y a pas d’eau et pas de travail… C’est plus dur. Ceux qui en arrivent disent qu’il ne faut pas y aller » (Souleymane, Sénégalais). Dès lors, les migrants refusent catégoriquement de quitter celle qu’ils nomment « Nouadhibou-du-monde ». « Je suis aux portes de l’Europe. Je ne vais pas partir à l’intérieur du Sahara. Je vais m’éloigner. C’est bête. Même aller à Nouakchott, cela m’éloigne » poursuit Souleymane. Nouadhibou n’est donc pas perçu comme un « cul-de-sac » mais bien comme une « antichambre » de l’Europe. Quitter la ville reviendrait pour les migrants à rebrousser chemin.

Itinéraires : les trois voies

9Nouadhibou, en tant que ville frontalière, place commerciale et port d’exportation, présente toutes les caractéristiques d’un carrefour migratoire stratégique. Mais, les trois possibilités de passage qu’elle semble offrir sont plus ou moins utopiques et fantaisistes [3].

10La première solution, la plus sûre et la plus rapide, mais aussi la plus chère, est la voie maritime. La côte mauritanienne étant l’une des plus poissonneuses du monde, les pavillons étrangers faisant cap sur l’Europe sont nombreux (chinois, japonais, grecs, allemands, espagnols, français…). Les armateurs n’hésitent pas à jouer les passeurs contre de grosses sommes d’argent (entre 2500 et 3000 euros). Les candidats au passage embarquent à bord de gros cargos à destination, le plus souvent des Canaries, ou de la péninsule ibérique. Le passage se fait aisément au moment de l’arrêt biologique [4], lorsque les bateaux se rendent aux Canaries pour réparation. Les équipages, constitués de migrants, en profitent pour débarquer à Las Palmas. Certains Bissau-Guinéens, déjà en Europe, pratiquent la technique du billet « pré-payé » en payant directement les capitaines portugais pour leurs frères restés à Nouadhibou.

11La seconde solution est encore maritime, mais cette fois-ci moins sécurisée. La technique consiste à s’introduire clandestinement sur le bateau la nuit, à l’aide de pirogues qui s’amarrent aux chalutiers. Il faut compter autour de 500 euros, mais les risques sont grands et les capitaines n’hésitent pas à jeter le clandestin à la mer au moindre contrôle.
La troisième voie est terrestre (1000-1500 euros). La proximité géographique avec le Maroc/Sahara Occidental (quelques kilomètres à vol d’oiseau) ouvre d’autres perspectives. Les pick-up quittent Nouadhibou la nuit pour traverser la frontière au Nord, entre les mines dispersées le long de la frontière qui rendent toute échappée en solitaire impossible. Certains, n’ayant pas les moyens de payer le transport, gagnent Zouerate avec le train minéralier qui assure la liaison. De Zouerate, ils suivent les pistes en direction de Smara ou Layoun (Sahara Occidental). Mais, la zone est patrouillée par les hommes du Polisario qui bien souvent livrent les migrants au gouvernement algérien.

De l’illusion migratoire aux réalités de l’immigration en Mauritanie

Passeurs et passages : illusionnistes et désillusions

12L’exportation du minerai de fer et la pêche ne sont plus les seules activités qui animent le port de Nouadhibou. Le passage de clandestins fait désormais partie des trafics forts rentables au dire des Mauritaniens qui résident dans la ville.

13La filière s’organise autour des capitaines de bateaux étrangers qui sont en contact avec les Mauritaniens. Ces derniers s’appuient sur des intermédiaires sénégalais, guinéens ou ghanéens pour recruter des compatriotes candidats à l’aventure. Les Mauritaniens impliqués dans le trafic ont généralement des postes à responsabilité et bénéficient ainsi d’une certaine immunité. La police locale est quelquefois directement impliquée dans le trafic. Les migrants soutiennent que certains agents sont de connivence, voire les aident à atteindre la frontière : « Comme ils sont habillés en uniforme, personne ne les arrêtent » (Gabriel, Camerounais). Les autorités complices profitent de cette population fragile pour compléter les bas salaires [5]. Un officier haut placé de Nouakchott confiait que « pour un policier, être muté à Nouadhibou, c’est une véritable aubaine. Tu peux t’enrichir facilement sur le dos des migrants, en les rackettant ou mieux encore en les aidant à passer ».

14Pour que la filière survive, certains ferment les yeux sur ces pratiques. Ils profitent de la crédulité et de la vulnérabilité des migrants fraîchement débarqués à Nouadhibou et l’annoncent clairement : « S’ils sont assez bêtes pour croire qu’on passe facilement et s’ils donnent leur argent comme ça, je ne vois pas pourquoi je n’en profiterais pas. Ils croient au paradis mais partout c’est l’enfer. Ici comme là-bas. Alors quelque part, je les aide. C’est pour leur bien : pour les empêcher de souffrir là-bas » (Mahmoud, Mauritanien).
Les deux ports (port autonome et port artisanal, fig. 3) sont devenus les lieux de prédilection des passeurs « vendeurs de rêves ». Le port autonome est sous haute surveillance : il est impossible de pénétrer dans l’enceinte sans autorisation. De là partent et accostent les gros cargos. Au port artisanal, les petits truands racolent les jeunes gens nouvellement arrivés, souvent mal informés, et leur promettent de gagner l’Espagne en échange de 1000-1500 euros. De nuit, la pirogue contourne la baie de Nouadhibou, direction La Gouira (fig. 3). Cet ancien fort militaire espagnol se situe côté Océan et « marocain ». Aujourd’hui, nul Espagnol, mais en lieu et place, des militaires mauritaniens qui cueillent au beau matin les migrants sur la plage. Ils finiront expulsés à la frontière.

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Le port artisanal de Nouadhibou et ses pirogues utilisées par les pêcheurs et les passeurs (© A. Choplin, décembre 2004)

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Le port artisanal de Nouadhibou et ses pirogues utilisées par les pêcheurs et les passeurs (© A. Choplin, décembre 2004)

15Les arnaques sont nombreuses et les récits alimentent les conversations de la ville. La presse locale relate même des meurtres : « Certains passeurs n’hésitent pas à donner rendez-vous à une heure tardive, en sortie de ville. Ils empochent alors l’argent, tuent et enterrent le migrant » [La Nouvelle Expression, 2003]. À Nouadhibou, l’argent disparaît souvent aussi vite que les passeurs : « J’ai embarqué sur un grand paquebot. On m’avait dit qu’on partait pour Las Palmas. On est resté plusieurs heures en mer. Au bout d’un moment, on m’a fait sortir de la cale et monter dans une pirogue pour gagner le rivage. Le passeur me disait : « je t’avance un peu, après tu nages. Tu vois le port là-bas ? Quand tu arrives, tu marches tout droit, et après tu arrives à Las Palmas ». J’étais tellement heureux. J’ai marché et je croisais beaucoup de Maures. J’étais un peu surpris. J’ai demandé à quelqu’un « je suis bien à Las Palmas ? ». On m’a répondu « Oui, à Las Palmas-Nouakchott ! » C’est alors que j’ai compris qu’il y avait un quartier qui s’appelait Las Palmas à Nouakchott. Dans l’histoire, j’ai perdu plus de 1 300 euros ! » (Isaac, Ghanéen).
Nouadhibou, loin d’être le point de passage imaginé, se présente plutôt comme le lieu des rêves brisés. Ceux qui échouent se retrouvent sans argent et sont condamnés à travailler pour refaire leur vie. Rentrer au pays est impensable car la honte serait trop grande. Ils sont alors nombreux à s’installer à Nouadhibou ou à rebrousser chemin vers Nouakchott. De simple point de passage à l’aller, la capitale devient alors un lieu d’installation, de façon moins temporaire cette fois-ci. Les velléités de traverser l’Océan sont remises à plus tard et pourtant, certains migrants, toujours en Mauritanie, entretiennent le mythe du passage en faisant croire à leur famille restée au pays qu’ils se trouvent déjà aux Canaries.

Migrants et immigrés, transit et installation

16Les parcours, stratégies et ambitions des migrants sont très variables et pluriels. Il existe deux catégories d’individus qui reprennent le diptyque transit/ installation : pour les premiers, dont nous avons jusqu’à présent fait cas (et qui compte pour 70 % des étrangers), la Mauritanie n’est qu’une étape sur un parcours qui leur permettra d’atteindre l’Europe. Le second groupe est constitué d’immigrés qui s’installent en Mauritanie pour des raisons économiques. Ils considèrent ce pays comme un point d’aboutissement, ce qui ne les empêche pas de partir s’ils en ont l’opportunité (30 % des étrangers).

17Dans le premier groupe, un profil type se dégage : celui du migrant, candidat à l’émigration, l’« aventurier », ou le « rallyste » [6], comme on le surnomme, dont le périple, fortement initiatique, consiste à franchir les frontières africaines les unes après les autres. L’aventurier est généralement un homme jeune, âgé de 20 à 40 ans, célibataire, issu d’un milieu modeste et souvent d’une famille nombreuse, scolarisé pendant son enfance, voire diplômé dans certains cas. En règle général, l’aventurier a fait des arrêts plus ou moins longs dans les grandes villes subsahariennes (Dakar, Yaoundé, Conakry, Lagos…), ce qui fait de lui un citadin, quand bien même il serait originaire du monde rural. Il développe un « savoir circuler » et, en aucun cas, ne compte rester en Mauritanie : l’enracinement relationnel ou résidentiel ne fait pas partie de ses ambitions. Il entend revenir au plus vite dans son pays d’origine, du moins après avoir fait fortune en Europe.
Le second groupe, qui correspond aux immigrés, est beaucoup plus hétérogène. Sénégalais, Maliens, Gambiens ou encore Guinéens, qui profitent de la proximité géographique, viennent en Mauritanie pour gagner de l’argent qu’ils comptent réinvestir dès que possible dans leur patrie d’origine. Beaucoup arrivent en famille et la durée du séjour est très variable, de quelques semaines à toute une vie. Pourtant, les étrangers perçoivent toujours leur installation comme temporaire. Samba, d’origine sénégalaise, confiait : « Je ne vais pas passer ma vie ici, mais c’est pas mal. Nous sommes près de chez nous. Les Mauritaniens sont nos frères. Je ne gagne pas beaucoup car la monnaie est très faible. Mais comme ici il n’y a rien à faire : pas de lieux pour sortir ni boire, je ne dépense rien. J’économise pour rentrer à Dakar ». Bien que la Mauritanie soit classée parmi les pays les moins avancés du monde par les Nations Unies, elle est parfois surnommée la « Suisse » de l’Afrique de l’Ouest parce que recelant de multiples richesses (poissons, minerai de fer… et plus récemment, découverte du pétrole) pour quelques 2,7 millions d’habitants. Elle présente un florissant secteur informel pour la main d’œuvre étrangère et est relativement favorable aux implantations d’entreprises et aux activités [7]. La Mauritanie apparaît non seulement comme un espace traversé par les migrants mais encore comme un pôle attractif, ce qui explique la part importante d’immigrés dans le pays [8].

Des chiffres fluctuants pour une population mouvante

18Obtenir des chiffres fiables s’avère très difficile en Mauritanie tant on touche là une question sensible. Ils sont pour le moins approximatifs dans la mesure où ces populations sont mouvantes, aux allers-retours nombreux, et que tous ne sont pas recensés : si les immigrés sont généralement dénombrés, ce n’est pas le cas des migrants entrés pour une bonne part clandestinement sur le territoire. Difficile alors de comptabiliser ces populations qui entrent dans le pays, ressortent et reviennent au gré des opportunités migratoires. Ces chiffres sont encore incertains parce que dépendants du climat économique et politique des États voisins.

19Les autorités [9] dénombreraient 100 000 étrangers africains, ne distinguant pas les immigrés installés en Mauritanie des migrants en route vers l’Europe. Ce chiffre apparaît comme peu important à l’échelle du pays – 3,7 % de la population. Pris ainsi, il ne traduit qu’imparfaitement la formidable concentration de ces individus en deux lieux principaux : ils seraient 70 000 à Nouakchott – soit presque 10 % de la population – et 20 000 à Nouadhibou – soit près de 20 % –, à 95 % d’origine subsaharienne [Rapport Caritas, 2003]. Depuis les années 1980, l’origine des étrangers se diversifie : une douzaine de nationalités serait aujourd’hui représentée.

20Les Sénégalais forment la communauté la plus nombreuse : environ 60 000 personnes. Ils seraient 40 000 Sénégalais à Nouakchott, autour de 6000 à Nouadhibou et quelques autres milliers établis traditionnellement le long du fleuve. Ce chiffre est variable et fortement dépendant des relations diplomatiques entre les deux États. À deux reprises, un ralentissement des flux a été observé. En 1989, durant les « événements » le long du fleuve, les Sénégalais sont massivement expulsés de Mauritanie [10]. De nouveau, en 2000, suite à un quiproquo à propos des vallées fossiles, les relations se détériorent et les Sénégalais quittent progressivement le pays. À partir de 2003, la tendance s’inverse, grâce aux bonnes relations entre les présidents Wade du Sénégal et Taya de Mauritanie.

21La deuxième communauté en chiffre est celle du Mali : l’ambassade annonce le chiffre de 15000 à Nouakchott, 5000 à Nouadhibou et près de 3500 réfugiés dans des camps à la frontière mauritano-malienne.

22Les ressortissants de Guinée-Conakry forment le troisième contingent. Ils seraient 10 000 dont 3 000 installés à Nouadhibou.

23Viennent ensuite les autres ressortissants noirs africains à Nouadhibou, composés de Bissau-guinéens (3000), de Gambiens (500), de Sierraléonais (500), de Nigérians (500), de Congolais-RDC (400), de Burkinabés (200), de Ghanéens (200), de Libériens (100), de Béninois (100), de Congolais (20) et de quelques Ivoiriens récemment arrivés [11].
Ainsi se présente la part des étrangers en provenance d’Afrique Noire. La Mauritanie est une terre de passage car dans l’esprit des « rallystes », le séjour y est rarement perçu comme définitif. Pourtant, rares sont ceux qui gagneront l’Europe. Refoulés ou victimes d’arnaques, la plupart finissent par s’installer en Mauritanie qui devient ainsi une terre d’accueil par défaut.

(Sur)vivre en Mauritanie : réseaux de sociabilité

Réseaux de solidarité et association de migrants

24« Dans le désert, un homme seul est en danger de mort », explique le prêtre de Nouadhibou. La solidarité entre les ressortissants étrangers se révèle indispensable pour survivre et se manifeste par la création d’associations communautaires et des regroupements régionaux et sous-régionaux.

25Lorsqu’un étranger arrive, il rejoint fréquemment certains membres de sa famille déjà installés ou un compatriote qui l’héberge les premiers jours. S’il ne dispose d’aucun contact, le consulat ou l’ambassade de son pays lui indique le représentant de la communauté. On trouve ainsi en Mauritanie la figure du diatigi, à la fois logeur et intermédiaire entre le migrant et les résidents déjà installés [Bredeloup, 1999]. L’accueil est en général fort bien organisé, comme en atteste la communauté casamançaise qui dispose de son propre foyer. « Nous vivons à 30. Le loyer est de 20 000 UM. On divise tout, y compris la nourriture. Ici c’est la solidarité sénégalaise. Notre organisation nous permet de financer annuellement la migration d’un des nôtres, suivant un tirage au sort, pour rejoindre l’Espagne en lui permettant d’obtenir un visa et d’acheter un billet d’avion » (Diego, Casamançais). Les réseaux religieux peuvent encore constituer un moyen d’intégration pour les nouveaux venus, membres de confréries [Bava, 2002]. À Nouadhibou, la confrérie mouride a construit une immense maison, appelée « Keur sérign Bi », qui sert de siège à la dahira. Il en va de même à Nouakchott où elle a fait l’acquisition d’une grande villa. Les talibe qui y résident sont chargés d’accueillir les nouveaux arrivants durant les trois premiers jours, temps jugé nécessaire pour trouver un proche et un emploi. La solidarité est forte, mais à Nouadhibou, les communautés sont restreintes et l’accueil semble s’essouffler, comme si le seuil de saturation était atteint [Ba, 1995]. Les candidats à l’émigration ont bien conscience d’être de potentiels rivaux tant les places sont chères : « J’ai hébergé des frères qui venaient d’arriver à Nouadhibou. Je voulais les dépanner. Quand je suis rentré du travail, ils avaient disparu avec toutes mes économies. Ici, il ne faut faire confiance à personne. On est tous des concurrents » (Ibrahima, Sénégalais).

26La solidarité n’est pas seulement intra-communautaire, elle est également vivace entre les communautés. À Nouadhibou, la mission catholique et l’ONG Caritas ont lancé en 2002 un « Projet de Soutien aux Migrants » et ont ouvert un foyer, lieu de convivialité et d’échanges pour lutter contre l’isolement. Sous leur houlette, les présidents de chaque communauté se sont regroupés pour créer une Union des Associations d’Étrangers à Nouadhibou (UAEN). Cette association, apolitique, regroupe une dizaine de communautés (Sénégalais, Maliens, Gambiens, Guinéens, Bissau-guinéens, Ghanéens, Nigérians) et s’assigne pour rôle d’organiser et promouvoir des actions sociales pour les populations locales et étrangères : « S’il y a des problèmes, on privilégie les échanges en interne avant que la police ne s’en mêle. L’Union nous permet d’échanger et de renforcer notre solidarité entre africains » précise le Président en exercice de l’Union, également Président des Gambiens à Nouadhibou.

27Toujours sous l’impulsion de l’Église, leurs homologues de Nouakchott ont tenté une opération semblable avec l’Union des Associations des Étrangers Rési-dant à Nouakchott (UNASERN). Leur tâche consiste à informer les nouveaux venus sur les réalités de la vie en Mauritanie, les lois et règlements propres à ce pays et les difficultés des migrations vers l’Europe. Le secrétaire général des Maliens de Nouakchott, remarquait que « L’information est une priorité. On essaie de prévenir les jeunes qui veulent tenter l’aventure que c’est quasiment impossible de passer. Dans certains cas, on prend leur argent pour les empêcher de se faire avoir et on leur redonne après. Mais beaucoup évitent de s’arrêter à Nouakchott. Ils vont directement à Nouadhibou. Ils savent qu’on va essayer de les décourager. Ils ont des œillères et ils ne veulent rien entendre. On les récupère souvent quelques mois après, complètement désœuvrés ».
Mais, depuis 2004, les projets d’association sont en déliquescence. Des conflits sont survenus à Nouadhibou entre les chefs de communautés et à Nouakchott, le décès brutal du président de l’association a mis fin à toute entreprise. La situation est au point mort, à l’instar des actions de l’Église qui ont pris fin en 2003.

Les migrants : entre répression et tolérance des autorités

28Les migrants sont régulièrement confrontés aux autorités mauritaniennes qui adoptent une position pour le moins ambiguë. L’État mauritanien hésite, tantôt se rapprochant du Monde arabe, tantôt s’ouvrant à ses voisins africains, ce qui prouve combien le phénomène migratoire pèse dans les relations de la sous-région. Le retrait, en décembre 1999, de la Mauritanie de la CEDEAO (Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest) traduit cette appréhension. Les ressortissants de ces États voisins doivent désormais être munis d’un visa pour pénétrer en Mauritanie. De plus, l’entrée du pays dans le groupe 5+5 en 2004 [12] l’incite à surveiller ses frontières et à lutter, conjointement avec les pays méditerranéens, contre l’immigration clandestine. Le démantèlement des filières transfrontalières se pose désormais au cœur des préoccupations ; les arrestations et incarcérations sont en nombre croissant, y compris au sein des Mauritaniens appréhendés comme passeurs. Les rafles se multiplient : 40 migrants ont été arrêtés en octobre 2004, à la veille du ramadan, et reconduits à la frontière sénégalaise. En cas de litige, les migrants n’ont aucun recours ni plainte possible : « Je me suis fait prendre 1500 euros par un Mauritanien. Je n’ai pas pu me plaindre car quand tu vas à la police, ils te disent : on cherche justement des gens comme toi, des migrants, pour les renvoyer dans leur pays ». Les autorités se seraient également montrées très fermes avec l’Église, faisant fermer le foyer de Nouadhibou [13]. Au siège de Caritas, à Nouakchott, on nous a rapporté que l’ONG avait dû cesser ses activités suite à des menaces des autorités mauritaniennes qui la trouvaient « dérangeante ». La raison invoquée n’est pas relative au facteur religieux mais bien à l’accueil et à l’aide dispensés aux migrants, susceptibles d’attirer des flux migratoires supplémentaires.

29Si les autorités renforcent leur lutte contre les clandestins, elles se montrent parfois conciliantes envers les associations d’étrangers, auxquelles elles s’adressent pour régler les problèmes. Le gouvernement approuve que les migrants soient organisés puisque les associations rendent le phénomène migratoire plus visible.
Les autorités oscillent donc entre une hostilité indéniable et une certaine forme de tolérance mais qui n’incite nullement à l’insertion.

Des activités précaires aux réseaux transnationaux

30Les étrangers occupent une place importante dans le pays, ne serait-ce que par les activités qu’ils y exercent. Les multiples réseaux permettent de trouver un emploi rapidement et, de fait, certaines activités sont exclusivement occupées par les étrangers. Ainsi, les Sénégalais, Maliens ou encore Gambiens détiennent le quasi-monopole du bâtiment, de la plomberie, de la mécanique et du transport. Nombre de Sénégalais, Maliens et Bissau-Guinéens sont également pêcheurs. Les Guinéens excellent dans la cordonnerie, d’autres – Maliens ou Guinéens de Conakry – sont spécialisés dans la blanchisserie et la couture. Certains Sénégalais, Congolais, Ivoiriens, souvent diplômés ou anciens universitaires, se reconvertissent en professeurs de français pour les écoles privées. Les femmes, quant à elles, exercent des activités ménagères, tiennent des petits restaurants de cuisine traditionnelle ou parfois, n’ayant d’autres alternatives, s’adonnent à la prostitution. Cette activité est souvent rapprochée des autres trafics illégaux, drogue et alcool notamment : « Il est impossible aujourd’hui de gagner suffisamment d’argent, en travaillant honnêtement, pour pouvoir espérer passer. La monnaie se dévalue et est trop faible. Il faudrait des années pour se constituer ce pécule. Seuls les trafiquants d’alcool et de drogue peuvent gagner cela mais c’est très dangereux », développe l’un des prêtres du diocèse de Nouakchott, en charge du « programme de soutien aux migrants ».

31La nationalité peut donc influencer le choix du métier, tout comme les appartenances religieuses. Les réseaux religieux mourides, dédoublés en réseaux économiques, sont particulièrement développés dans le secteur informel. Les vendeurs itinérants, généralement mourides, exercent cette activité précaire lors de leurs premières semaines passées à Nouakchott. L’aspect informel de cet emploi leur permet d’arpenter pistes et goudrons et ainsi de se familiariser avec la ville. Par la suite, ils deviennent souvent taximen.

32Tous ces exemples invitent à penser que les migrants alimentent un secteur informel florissant et si dans un premier temps, la précarité est manifeste, il arrive que certains, installés depuis plus longtemps, parviennent à développer une activité rentable, notamment en mettant en commun les modestes revenus de chacun – reprenant là l’image de la tontine. Certains parcours migratoires se combinent alors à un parcours professionnel : suite au maintien des liens avec le pays d’origine, des réseaux transnationaux sont activés, permettant la commercialisation vers le pays d’origine du migrant de certaines denrées produites sur place [Peraldi, 2002]. Le travailleur immigré se place alors en véritable entrepreneur. En acheminant des barques depuis le Sénégal, des Sénégalais se sont spécialisés dans le poisson dit noble (thiof, sole). Des Nigérians, particulièrement dynamiques, se sont lancés dans la commercialisation et l’exportation de poissons séchés et de certains types de conches prisés au Nigeria. Aujourd’hui ils ont le monopole de ce secteur et exportent plusieurs tonnes chaque semaine : des containers sont réceptionnés à Cotonou par un proche, puis envoyés à Lagos.
Ces activités, aussi précaires soient-elles, peuvent dans certains cas favoriser l’intégration et devenir des entreprises rentables, pleinement intégrées dans les réseaux transnationaux.

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Bountia, la Pointe des Crabes. Lieu où les migrants font sécher le poisson en vue de l’exporter. Au second plan, les carcasses de navires échoués sur les côtes de Nouadhibou (© A. Choplin, décembre 2004)

Identités africaines, identités migratoires : redéfinitions

33La traversée du désert est une « expérience initiatique » qui angoisse [Escoffier, 2003]. « Quand je suis parti à Nouadhibou, je ne pensais pas qu’il n’y aurait rien entre Nouakchott et Nouadhibou. C’est la première fois que je me suis retrouvé dans le désert. Je me suis dit : une fois que tu es là-bas, faut aller en Europe et ne plus jamais retraverser cette zone vide » (Omar, Sénégalais). En effet, une fois quitté le Sahel, le migrant vit un premier dépaysement géographique en pénétrant cette terre étrangère et désertique. À ce dépaysement paysager s’ajoute un dépaysement culturel : on pénètre là dans le monde arabe, dans le Trab al-Bidan (le pays des Blancs, par opposition au Bilad as-Sudan, le pays des noirs). Un Sierraléonais disait s’être senti perdu en arrivant : « Ici, ce n’est plus l’Afrique noire. Les gens parlent arabe. On a du mal à communiquer. Et puis ils sont racistes ». La condition même de migrant, en tant qu’individu déraciné et étranger, fait qu’il doit constamment redéfinir son identité. Expérimentant pleinement l’altérité dans le Sahara, il est reconnu, différencié, voire stigmatisé en tant qu’étranger.

34Dans le cas précis de la Mauritanie, la question de l’identité du migrant s’inscrit au cœur des débats nationaux, une partie de la population revendiquant son arabité (les Maures), l’autre son africanité (les Négro-mauritaniens). Le migrant est alors vu selon les dyades arabe/africain ou blanc/noir. Ceux qui se disent Maures blancs perçoivent le migrant à partir de sa couleur de peau : de façon indifférenciée un subsaharien est perçu comme un « africain noir », peu importe son pays d’origine. Puis, à cette première catégorisation fondée sur des critères raciaux s’ajoutent des significations négatives. Toutes sortes de préjugés sont véhiculés. Les Négro-mauritaniens ne semblent pas se montrer plus conciliants. La catégorisation ne se fait pas à partir de la couleur de peau, mais du pays d’origine. C’est le migrant qui se considère comme proche du Négro- mauritanien et qui va avoir tendance à l’appeler « frère », et non l’inverse : pour le Négro-mauritanien, il demeure un étranger. Pour les Maures comme pour les Négro-mauritaniens, le migrant est au mieux vu comme un travailleur, au pire comme un trafiquant de drogue ou un proxénète. Pourtant, les Mauritaniens ont bien conscience d’avoir besoin de cette main d’œuvre étrangère bon marché. Il rejette le migrant en tant qu’individu mais accepte sa présence en tant que force productive.

35L’individu se retrouve donc contraint de repenser son identité qui évolue, se fabrique au jour le jour, au gré des expériences migratoires. Il adopte alors une position parfois contradictoire car d’un côté, il revendique son origine et à travers divers marqueurs que sont la religion, le mode vestimentaire, la langue, le phénotype, il se reconnaît comme différent et affirme son « africanité » face à celui qu’il perçoit comme « arabe ». Mais, d’un autre côté, il peut opter pour un comportement participatif, avec les associations notamment, ou encore intérioriser quelques-uns des référents locaux qui traduisent, si ce n’est une volonté d’intégration, du moins une tentative de reconnaissance.

Migration et urbanisation : productions spatiales en milieu saharien

Nouakchott : phénomène migratoire diffus mais concentration des migrants

36L’importance du phénomène migratoire ne va pas sans entraîner des conséquences sur la ville puisque le nouveau venu transpose nécessairement ses pratiques, représentations et perception sur l’espace de résidence. À Nouakchott, on ne discerne pas à proprement parler de « ghettos » subsahariens, comme O. Pliez en a souligné l’existence en Libye [2005]. À l’échelle de l’agglomération, la présence des 70 000 étrangers (moins de 10 % des habitants) est diffuse, peu visible, mais néanmoins concentrée dans deux quartiers car les subsahariens ont tendance à se regrouper dans les mêmes sous-ensembles urbains. Pour rendre le phénomène lisible, il nous faut basculer d’échelle : dans la capitale, les retombées des flux migratoires ne sont perceptibles qu’à l’échelle intra-urbaine, celle du quartier.

37Les étrangers africains à Nouakchott sont principalement des immigrés. Ils habitent près du centre-ville, dans les 5e et 6e arrondissements et les quartiers populaires « médina 3 » et « médina R ». Ces quartiers sont majoritairement peuplés de Négro-mauritaniens ; les Maures blancs y sont peu présents, préférant les quartiers plus aérés du Nord et de l’Est de la ville (Ksar, Arafat, Toujounine, Dar Naïm). Par proximité culturelle (langue, tenues vestimentaires, habitudes culinaires…) mais aussi par facilité d’entraide, les subsahariens ont tendance à s’installer dans ces quartiers peuplés de Noirs-africains. Cette préférence géographique s’expliquerait encore par la discrimination qu’ils peuvent ressentir dans les autres parties de la ville. Ils ne s’installent pas dans les 5e et 6e arrondissements parce que l’immobilier y est moins cher ou le quartier plus agréable, mais bien parce qu’aux yeux des migrants ces deux quartiers constituent un espace refuge dans lequel il est aisé de communiquer et avec lequel il est possible de s’identifier.

38L’enracinement n’étant pas la norme, les immigrés se contentent de louer des chambres et alimentent ainsi le marché locatif. À ce titre, il est intéressant de noter que le foncier des 5e et 6e arrondissements est détenu par la communauté soninké, laquelle fut la première à émigrer en Europe (dès le début du xxe siècle). Après avoir travaillé en Europe, bon nombre ont réinvesti leur argent, notamment dans l’immobilier, au point de détenir un véritable monopole. Finalement, les émigrés nationaux de première génération louent leurs demeures, achetées grâce à l’argent gagné à l’étranger, aux migrants internationaux d’aujourd’hui. Il y aurait un enchevêtrement des réseaux actuels de migrants avec ceux plus anciens de la communauté soninké qui profite de la présence de cette population pour valoriser ses biens.

39Cette installation de subsahariens a pour conséquence de renforcer le regroupement ethnique, qui se met en place subrepticement depuis la croissance démesurée de Nouakchott commencée dans les années 1970, et ainsi de créer des espaces noirs africains. Certains toponymes rappellent non seulement la présence d’étrangers mais encore cet attachement au pays de départ : garage malien, garage guinéen et garage sénégalais (fig. 2). Ce marquage spatial, via des termes familiers, symbolise une territorialité naissante sans pour autant que les migrants ne se sentent encore attachés à cette ville. Ils continuent de l’habiter de façon discrète, à travers leurs pratiques diffuses. Les points de rencontre sont peu nombreux tant il est vrai qu’il n’existe pas de place publique à Nouakchott. Le week-end, les rencontres se font à domicile ou près de l’immense terrain de foot à l’entrée du 5e arrondissement. Seuls les lieux de culte permettent de véritables échanges et s’imposent comme marquage, participant pleinement de la définition identitaire. Les Sénégalais se regroupent le vendredi dans les dahira de leur cheikh. L’église et le temple protestant, situés dans le quartier résidentiel de Tevragh-Zeina, constituent des repères de toute première importance pour les immigrés chrétiens dans ce pays musulman à 99 %. Les vendredi et dimanche, les taxis surchargés, tout droit venus du 5e arrondissement et des médinas, déversent un flot bigarré et incessant d’individus. Durant la semaine, les subsahariens, femmes et hommes en quête d’emploi, se postent devant l’Église, attendant que les Mauritaniens viennent leur proposer de menus travaux. Ils attendent encore, outils à la main, sur le terre-plein central d’une des avenues principales de Nouakchott, à proximité du « marché Capitale ».

Fig. 2

Migrants et immigrés à Nouakchott : lieux de vie et points de repères

Fig. 2

Migrants et immigrés à Nouakchott : lieux de vie et points de repères

40L’impact des migrations sur la ville de Nouakchott est duale : à l’échelle de la capitale, elle apparaît comme nulle tant les migrants ne représentent qu’une part infime de la population. Mais dès lors qu’on adopte un angle de vue intra-urbain, autrement dit qu’on se place à l’échelle du quartier et plus encore de la rue, le phénomène est plus perceptible. Les migrants ne reconfigurent pas la morphologie, pas plus que la physionomie de Nouakchott, par contre, leur présence essentiellement confinée aux quartiers populaires (5e et 6e arrondissements, médinas) transforme cet espace déterminé.

Nouadhibou : discontinuité spatiale comme matérialisation de la discontinuité sociale

41À Nouadhibou (fig. 3), du fait de l’exiguïté du site, de la taille réduite de la ville et de la concentration des subsahariens dans un espace restreint, le phénomène est bien plus visible. Contrairement à Nouakchott où les modifications importantes se localisent uniquement dans quelques endroits particuliers, il est ici possible de parler de reconfigurations spatiales. L’espace urbain qui ne devait être au départ que traversé se révèle recomposé par ces populations qui finissent par s’installer durablement.

Fig. 3

Nouadhibou, places migrantes et nouvelles configurations urbaines

Fig. 3

Nouadhibou, places migrantes et nouvelles configurations urbaines

42À la différence des autres villes-étapes dans les trajectoires migrantes, comme Sebha ou Tamanrasset, les migrants ne se localisent pas en périphérie mais dans le centre-ville dénommé Qairaan. Ils n’ont donc pas produit de nouveaux quartiers précaires ou informels mais ont profondément transformé le centre de Nouadhibou. En effet, au cœur de Qairaan, on trouve les appellations Accra et Ghana Town[14]. Le quartier Accra est apparu en 1990, une année après le lotissement Numerouaat[15]. Les familles mauritaniennes qui au départ occupaient le sous-quartier Accra, devenu désuet et très étroit, ont déménagé pour Numerouaat, mieux loti et plus spacieux. Dans cette migration de population locale vers le nord de la ville, nous pouvons voir une concurrence entre les territoires. L’espace des primo-résidents s’est vu concurrencé, empiété, puis recréé par les nouveaux arrivants, à savoir les migrants. Ils ont alors abandonné le centre-ville à une communauté anglophone composée essentiellement de Ghanéens qui s’est vite fait remarquer par l’ambiance (boutiques « standards » qui diffusent de la musique hip hop, alcool artisanal appelé sum-sum, posters géants devant des salons de coiffure) qui détone complètement avec celle d’autrefois. Les logements ont également été modifiés pour accueillir ces populations fluctuantes. Les maisons traditionnelles sont divisées en chambres de passage pouvant accueillir jusqu’à 5 ou 6 personnes. Le quartier des migrants, Qairaan, rappelle les quartiers populaires de Dakar ou de Bamako, et contraste avec l’image que l’on peut se faire du ksar saharien endormi dans les étendues dunaires.

43La ville de Nouadhibou est ainsi constituée de trois noyaux urbains distincts : le centre ville Qairaan peuplé de migrants, le nouveau quartier Noumerouaat habité par les Mauritaniens, distant de près de deux kilomètres au nord, et le quartier Cansado où sont logés les employés de la SNIM [16]. La ville est marquée par une discontinuité spatiale qui refléterait autant de discontinuités sociales. La morphologie découpée traduit cette hétérogénéité des modes de vie et urbanités obligées de cohabiter plus que d’échanger. Outre ces trois grands pôles, des subdivisions existent encore : la classe nantie vit à Dubaï, où se dressent de gigantesques villas en bord de mer. Face à eux s’étendent les bidonvilles – kébé – où s’entassent les Haratine (Maures noirs descendants des anciens esclaves). Le Boulevard médian matérialise la césure qui est nord-sud, entre Mauritaniens et étrangers, mais également est-ouest, entre les Mauritaniens eux-mêmes.
Certains lieux de Nouadhibou sont désormais associés au phénomène migratoire, lequel influe sur le paysage et la morphologie première de la ville :

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  • Qairaan en constitue le cœur vital. Ce quartier du centre-ville est lieu de vie pour les migrants avec ses subdivisions « Ghana town » et « Rue Accra ».
  • Les trois ports (artisanal, autonome et minéralier) drainent l’essentiel des migrants qui y travaillent.
  • Charka s’impose comme un autre point de repère. Également appelée « la Place », les migrants y attendent le travail quotidien. Les Mauritaniens s’y rendent pour leur proposer quelques travaux : embarquement pour la pêche en haute mer, nettoyage du poisson ou achat pour le revendre ou simplement embauche de quelques heures comme maçon ou manœuvre. Notons, à la différence de Nouakchott, l’absence de lieu réservé aux femmes (peut-être dû tout simplement à l’absence d’emplois).
  • Bountia, située sur la Pointe aux crabes (photo 2). Les subsahariens y lavent et préparent les poissons en vue de leur exportation. Certains gros bateaux y aborderaient tôt le matin et négocieraient avec certains candidats au départ.
  • L’église et la mission catholique constituent des pôles de rassemblement et des vrais référents identitaires. Les aventuriers y content leurs histoires et partagent leurs malheurs. L’Église, qui domine la ville, est assurément le plus grand lieu de sociabilité.
Ces places migrantes dénotent que les subsahariens produisent de l’urbain et reconfigurent la ville saharienne.

Migration de l’urbanité et nomadisme des migrants dans l’espace saharien

45L’État mauritanien n’apparaît qu’en 1960 et est à cette époque peuplée à 70 % de nomades. Suite à plusieurs grandes sécheresses, ces derniers quittent la brousse pour gagner Nouakchott. Cette ville, créée ex-nihilo au moment de la décolonisation, passe de 500 habitants en 1960 à près d’un million de personnes aujourd’hui. Il en va de même à Nouadhibou qui ne comptait, en 1948, que quelques centaines d’habitants [Bonte, 2002], ce qui invite à dire que ces deux agglomérations, par essence, sont des villes de migrants, à la différence près que les migrants, autrefois nationaux, sont aujourd’hui remplacés par des migrants étrangers. Les nomades et pasteurs d’hier – Maures et Peuls – se sont sédentarisés et ont gagné ces deux pôles urbains tandis que les subsahariens, généralement sédentaires, sont devenus les plus mobiles, renversant ici les anciens clichés et autres dichotomies, tels sahéliens/sédentaires versus sahariens/nomades. On assisterait à une redéfinition de la mobilité avec, comme principaux acteurs, les migrants, « nouveaux nomades » de l’espace saharien, pour reprendre ici l’ex-pression de A. Tarrius [2002]. La Mauritanie s’impose définitivement comme un « territoire circulatoire » [ibid.], mais les acteurs de cette circulation ne sont plus les mêmes qu’autrefois et remettent en cause les limites mêmes du territoire national en activant des réseaux transfrontaliers. En cela, le mode organisationnel réticulaire des migrants ne diffère pas de celui qui a toujours prédominé dans cet espace et ces sociétés : les nouvelles trajectoires migratoires réactivent certains tracés anciens et en créent de nouveaux, plus littoraux, s’appuyant sur certains réseaux préexistants et sur les points fixes que constituent les villes. Finalement, la ville retrouve son rôle de carrefour humain et de place marchande, puisqu’avec les hommes circulent les marchandises et les capitaux.

46Par ailleurs, les migrants-nomades d’aujourd’hui influent sur les nomades d’hier sédentarisés. Les Maures découvrent la vie en ville aux côtés de populations du Sud, plus précocement sédentarisés. Leur appréhension de la ville est bien évidemment différente. À Nouakchott, les néo-citadins ont tendance à transposer leur façon de vivre en brousse [Choplin, 2002], et se regroupent par région d’origine en occupant le nord et l’est de la ville. Ils vivent dans des espaces fermés, à l’intérieur de leur demeure, permettant ainsi de conserver une certaine forme de pudeur et d’austérité. Ils demeurent particulièrement mobiles et leur usage de la rue est limité : elle n’est pour eux qu’un espace de circulation. Il en va tout autrement pour les subsahariens qui en font un espace public. Ils sont nombreux, à la nuit tombée, à discuter devant les maisons, à laisser résonner musique et télévision. Leurs habitations rappellent d’ailleurs les concessions d’Afrique noire : plusieurs chambres donnent sur une cour, véritable lieu de sociabilité. Ils créent ainsi un quartier animé, haut en couleur, et produisent finalement de la ville, leur propre ville. Ils s’inventent un espace public en « re-fonctionnalisant » la rue.

47Si les échanges interculturels autochtones-migrants sont bien minces ou demeurent superficiels, cantonnés aux relations de travail employeurs-employés ou clients-commerçants, et si la communautarisation de l’espace va crescendo, quelques interférences sont néanmoins observables. De nouvelles configurations identitaires émergent, teintées de brassage qui sont le résultat de la quotidienneté de la vie urbaine. Les changements d’habitudes de consommation, et en premier lieu celles liées à l’alimentation, sont particulièrement visibles. Les restaurants qui s’alignent ne servent plus de couscous. On y mange sénégalais, malien ou ivoirien sur les musiques rythmées de Youssou N’dour et de Salif Keita. Les Maures achètent le midi leur riz au poisson dans les restaurants tenus par les étrangers et s’en retournent par la suite le manger chez eux. Par ailleurs, dans ces quartiers, les dialectes de toute l’Afrique sont parlés. La présence d’anglophones introduit de nouvelles expressions : le Salam Aleikoum est désormais suivi du Fine, Ok, Nice. L’urbanité propre aux quartiers noirs se diffuse dans les franges maures de la ville. Les étrangers transposent donc leur urbanité et citadinité, lesquelles s’interpénètrent beaucoup plus que ne le laissent penser les distances respectives, et font de Nouakchott et Nouadhibou des carrefours cosmopolites : on y produit de la richesse mais encore des liens sociaux et une identité faite de multiples influences. Les anciens nomades sahariens s’approprient des traits d’urbanité et de citadinité subsahariens auprès de ces étrangers. L’une des conséquences directes de ces migrations est un ancrage plus méridional du pays à travers ces villes qui se rapprochent de plus en plus, du point de vue de leur morphologie, de leurs voisines sénégalaises et maliennes. Par le phénomène migratoire, la Mauritanie se retrouve mise en réseau avec les parties sud et est, tandis que le régime souhaitait la rapprocher du Monde arabe.
Au final, la Mauritanie entend s’ancrer plus au Nord d’un point de vue politique, en se rattachant à ses rives sahariennes, alors même qu’elle se « sahélise » d’un point de vue démographique et culturel.

Conclusion

48À l’heure où la Mauritanie vient de vivre un énième coup d’État qui a eu pour conséquence de renverser l’ex-président Maouyia Ould Sid’Ahmed Taya (3 août 2005), signe d’un climat social et politique tendu, la question des migrations se présente comme un facteur aggravant des crises et complexifie la donne géopolitique de la région ouest-africaine. Il est encore trop tôt pour connaître l’attitude du nouveau gouvernement face à la question des migrations.

49Les subsahariens sont nombreux à pénétrer dans le territoire mauritanien, devenu l’un des principaux itinéraires dans le système migratoire. Zone de transit, elle n’est pas pour autant une porte de sortie vers l’Europe. Sur l’axe des migrations, la Mauritanie se présente comme une succession de points d’ancrage mais encore de ruptures. Espace traversé par les migrants au départ, elle est aujourd’hui un espace travaillé parce que le chemin de certains migrants s’arrête là, ne pouvant aller plus au nord. Si le phénomène migratoire est diffus dans la capitale Nouakchott, il en va autrement à Nouadhibou, qui tout en conservant sa morphologie première, connaît de multiples transformations. Brassage, multiculturalisme, reconfiguration de certaines villes sahariennes, telles sont les conséquences les plus visibles de cette installation.

50Quelques mois après les incidents qui ont eu lieu au Maroc et les expulsions de migrants à la frontière mauritanienne, un ralentissement des flux n’est pas à l’ordre du jour. Deux autres facteurs devraient encore inviter les candidats à « l’aventure ». En premier lieu, la nouvelle route entre Nouakchott et Nouadhibou qui facilite l’accès au nord du pays. L’arrivée de la manne pétrolière constitue le second changement notable : un gisement pétrolier off-shore vient d’être découvert ; l’extraction du premier baril est prévue pour janvier 2006. L’attraction de la Mauritanie se renforce et ce sont des réseaux d’une autre envergure qui risquent de se mettre en place. Avec les débuts de l’exploitation pétrolière et la réactivation de la transsaharienne Tanger-Dakar, c’est tout un espace sous-régional qui entend pleinement s’extérioriser. Assurément, les circulations migratoires pourraient s’intensifier : ils seront alors encore quelques milliers « en attendant le bonheur » à Nouadhibou [17]

Notes

  • [*]
    Socio-anthropologue, directeur du BAME/ISRA, Dakar Sénégal, coba20052002@yahoo.fr.
  • [**]
    Géographe, doctorante à l’Université de Paris 1, UMR PRODIG, achoplin@hotmail.com.
  • [1]
    Ce papier s’appuie sur différentes enquêtes menées par les auteurs à Nouadhibou et Nouakchott en décembre 2003, juillet 2004 et décembre 2004 dans le cadre d’une ACI Territoires et d’un programme DUD. Des interviews ont été réalisées auprès des migrants mais aussi des associations de ressortissants étrangers, des autorités mauritaniennes, des églises et ONG qui se préoccupent du phénomène migratoire en Mauritanie. Les prénoms des migrants enquêtés ont été volontairement changés.
  • [2]
    Les autorités mauritaniennes estiment que 5 % parviendrait à passer. Ce chiffre semble assez plausible au regard des interviews menées avec les ONG et associations locales.
  • [3]
    Les Mauritaniens qui, pour certains d’entre eux, sont aussi candidats à l’émigration, n’empruntent pas ou de façon très résiduelle ces itinéraires. Ils essaient en général de se procurer un titre de séjour, par la voie légale, en soudoyant une personne des ambassades étrangères. « On ne passe pas à Nouadhibou, c’est trop risqué. On sait comment cela se passe : les marins te jettent à la mer. Moi, je ne suis pas fou » (Mousa, Mauritanien).
  • [4]
    Période, de septembre à octobre, durant laquelle la pêche est interdite pour permettre la reproduction des poissons.
  • [5]
    Le site de presqu’île rend la ville de Nouadhibou difficile d’accès : il n’y a qu’une seule entrée et sortie dénommée le « Bouchon ». À cet endroit, très étroit, se rejoignent la frontière maroco/saharaoui-mauritanienne, le train minéralier, et la mer. Aussi est-il considéré comme le grand point de contrôle de la ville. Les policiers et gendarmes n’hésitent pas à refouler les gens en provenance de Nouakchott ou à les accepter moyennant une certaine somme d’argent.
  • [6]
    Le terme « rallyste » est utilisé par les Congolais en référence au rallye Paris-Dakar. Il désigne un migrant qui remonte de pays en pays, et donc d’étape en étape, vers l’Europe.
  • [7]
    Cela est moins vrai aujourd’hui puisque le 3 août 2005, le Président de la République Maouiyya Sid’Ahmed Taya, au pouvoir depuis plus de 20 ans, a été renversé. Ce coup d’État victorieux était le quatrième depuis juin 2003, ce qui traduit une certaine instabilité politique.
  • [8]
    On pourrait encore citer le cas des réfugiés qui constituent un autre groupe d’étrangers. Pour des raisons politiques et bien souvent à cause de conflits, des individus ont dû quitter leur pays et ont choisi la Mauritanie qui jouit d’une réputation de terre d’asile. Pour autant, les Sierraléonais, les Libériens ou encore les Ivoiriens, nouvellement arrivés, souvent en famille, refusent de s’investir dans ce pays, que ce soit d’un point de vue financier ou relationnel.
  • [9]
    Source : les chiffres suivants sont fournis par la Direction Générale de la Sûreté Nationale, qui dépend du Ministère de l’Intérieur. Selon nos différents interlocuteurs et les recoupements que nous avons
  • [10]
    Sénégalais et Mauritaniens appellent pudiquement les « événements de 1989 » les affrontements qui se sont produits le long du fleuve et se sont étendus dans les villes des deux pays. À partir de problèmes fonciers, la situation a dégénéré en un véritable conflit ethnique. Les Sénégalais de Mauritanie sont chassés et, réciproquement, les Mauritaniens présents au Sénégal sont expulsés. Depuis, la situation diplomatique s’est améliorée mais quelques incidents peuvent refroidir ponctuellement les relations. Ce fut le cas à propos de l’aménagement hydraulique du fleuve Sénégal en 2000 et de l’exploitation des vallées fossiles.
  • [11]
    Nous avons délibérément choisi de ne parler que des étrangers d’origine subsaharienne. Mentionnons toutefois que la Mauritanie voit arriver des Algériens, Marocains, Sahraouis et des Palestiniens. Plus surprenant, en décembre 2004, 50 ressortissants du Bengladesh ont été retrouvés à la frontière entre la Mauritanie et le Maroc/Sahara Occidental.
  • [12]
    Le Dialogue 5+5 regroupe la Tunisie, l’Algérie, la Libye, le Maroc, l’Italie, la France, le Portugal, l’Espagne, Malte et depuis peu la Mauritanie qui s’allie à ses voisins et se veut irréprochable dans sa lutte contre l’émigration clandestine. Par ailleurs, un programme est en train de se mettre en place en partenariat entre le Haut Commissariat aux Réfugiés, le Ministère de l’Intérieur mauritanien et la Commission européenne. Une commission chargée de surveiller les flux et problèmes liés à la migration a vu le jour en janvier 2005. Les efforts faits par les autorités ont encore été valorisés par un récent reportage de Thalassa, diffusé sur France 3 et TV5 le 8 octobre 2004, intitulé « Les aventuriers de Nouadhibou ». Les rares migrants qui avaient eu l’audace de parler à visage découvert devant la caméra ont été expulsés par la suite pour « avoir trop parlé ».
  • [13]
    Il reste quelques zones d’ombre sur la fermeture du foyer. Les autorités mauritaniennes auraient fermé le foyer suite à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Lors des matchs, le foyer accueillait beaucoup d’individus, ce qui aurait inquiété les autorités. Certaines personnes de la mission catholique auraient subi des pressions de la part des autorités pour clore le lieu.
  • [14]
    Au sein de Accra, il existe une rue, dénommée « rue Accra », occupée principalement par des femmes. Celles-ci, sous couvert de tenir un restaurant, s’adonnent à la prostitution et à la vente d’alcool. Les policiers font de ce quartier un de leurs lieux de prédilection du racket. Ils y multiplient les contrôles et arrêtent les migrants qui finissent par donner un bakchich afin d’être relâchés.
  • [15]
    Littéralement, le quartier des numéros. Le terme « numéro » a été arabisé avec le signe du pluriel « ouaat ».
  • [16]
    Le quartier cansado, qui, de par sa morphologie, ressemble fortement à un lotissement européen, est ancien et rappelle la présence espagnole. Il doit son nom aux employés qui rentraient toujours très fatigués du travail au port.
  • [17]
    Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako a réalisé un long métrage sur les passeurs et les candidats à l’émigration intitulé En attendant le bonheur, 2002. Tourné à Nouadhibou, le film relate le rêve brisé d’un jeune qui tente de gagner l’Europe et finit échoué au pied des falaises.
Français

Résumé

Par sa position charnière entre les deux rives du Sahara, la République Islamique de Mauritanie assure la transition entre l’Afrique noire et le Maghreb. Pour les candidats à l’émigration, elle constitue un immense territoire désertique à traverser. Les flux remontent depuis le fleuve Sénégal ou par la frontière malienne à l’Est jusqu’au port de Nouadhibou situé à l’extrémité Nord, via la capitale Nouakchott. Nouadhibou, deuxième ville du pays, s’impose désormais comme un véritable carrefour migratoire : nombreux sont les subsahariens qui gagnent la ville, ayant entendu dire que l’on y passait aisément. Or, sur place, la rumeur est vite démentie par les nombreuses arnaques et les passeurs qui profitent largement de ces populations mal renseignées. Les enquêtes menées prouvent que les espoirs sont bien souvent déçus : du mythe à la réalité, le point de passage annoncé s’avère être un cul-de-sac. Autrefois simple espace traversé, la Mauritanie devient aujourd’hui un espace travaillé et recomposé puisque les migrants finissent par s’installer en ville et modifient ainsi réseaux de sociabilité et manières d’habiter. Par les flux migratoires, le Sahara se « sahélise ».

Mots-clés

  • migration internationale
  • flux transnationaux
  • urbanisation
  • Mauritanie, Nouakchott
  • Nouadhibou

Bibliographie

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Cheikh Oumar Ba [*]
Armelle Choplin [**]
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011
https://doi.org/10.3917/autr.036.0021
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