CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les ONG sont aujourd’hui l’un des acteurs essentiels de la globalisation, après avoir été les acteurs du développement, dont on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un référent obsolète remplacé par la gouvernance comme projet global. En effet, on doit considérer que la lutte contre la pauvreté n’est plus le développement économique et social tel qu’il était envisagé dans les années 70. On observe aussi que la gouvernance est un concept hautement normatif qui se réfère à des critères de démocratie, de transparence, de pluralisme, de société civile, c’est-à-dire à un mode de gouvernement clairement occidental. L’une des hypothèses développées dans cet article consiste à montrer qu’en Ouzbékistan, et dans une certaine mesure ailleurs, les ONG sont des acteurs agissant au nom d’une gouvernance globale dont elles sont l’un des outils.

2Le cas de l’Ouzbékistan est particulièrement intéressant dans la mesure où nous sommes en présence d’un pays de l’ex URSS, d’un nouvel État national, soumis à une forte influence occidentale mais aussi entretenant des liens historiques avec la Russie. Il s’agit enfin d’un pays d’Asie centrale géopolitiquement très sensible aux niveaux militaire, énergétique, de la lutte contre l’islamisme radical. Comme au temps de la splendeur de l’Asie centrale, nous sommes bien à une frontière de l’Occident avec l’Orient, y compris en termes idéologiques et de gouvernance. Cette situation est aussi celle d’une frontière entre démocratie et dictature, entre monde post-soviétique et Occident, entre héritage de la guerre froide et néo libéralisme, entre gouvernement autoritaire et gouvernance, entre nationalisme et globalisation.

3À chacune de ces frontières s’observent des contradictions spécifiques. Les ONG, de par leur situation d’interface et de médiation, sont au centre de ces contradictions et elles sont très exposées du côté de l’État comme de celui des bailleurs de fonds. La crise qui vient de secouer les ONG en Ouzbékistan, avec la fermeture de plusieurs organisations, en particulier celles soutenues par la fondation Soros, en apporte la preuve. Cet article porte sur les ONG et la gouvernance. L’Ouzbékistan est un exemple, un cas dans le champ d’une problématique générale. Cet article s’appuie sur des matériaux recueillis durant quatre mois d’enquête de terrain en Ouzbékistan, principalement à Tachkent, la capitale, en 2004.

4Dans une première partie on abordera les ONG en Ouzbékistan comme fenêtre sur l’Occident, à double sens, interne et externe. Quels sont les flux qui transitent par ces fenêtres ? Une seconde partie sera consacrée à analyser la fiction de société civile qui fonde la légitimité de l’action des ONG ou l’impossible société civile attendue. Plusieurs exemples d’ONG permettront de voir les stratégies développées en direction d’une société civile plus présupposée que présente, ou encore mise en scène. On conclura enfin, en montrant que, en l’absence de société civile constituée et structurée, les ONG mettent en scène les modèles sectoriels de la bonne gouvernance dans une société qui fonctionne sur l’autorité, le nationalisme, la corruption et la violence.

5Pour ces ONG, la bonne gouvernance est à la fois un projet, des financements, une fiction, un leurre, mais aussi une revendication enkystée dans les contraintes subies.

Les ONG fenêtre à double sens, ou double vitrage, sur l’Occident

6Il était une fois la fin de l’URSS. Toutes les ONG de la région pourraient commencer ainsi leur histoire. Cette rupture initialement conçue comme fondatrice d’un monde nouveau n’en finit plus de durer, comme une transition sans fin, vers on ne sait plus quoi dès lors que le temps passe… et les illusions avec. Les transitions sans fin ne sont plus des transitions.

7La chute de l’Union soviétique a mis, face à face, des sociétés post soviétiques imprégnées durant un demi-siècle par le modèle soviétique et un Occident présentant la démocratie et l’économie de marché comme des critères uniques et exclusifs de civilisation.

8L’Ouzbékistan, à l’inverse de la Georgie ou de l’Ukraine n’a pas connu de révolution, ni médiatique, ni pacifique. Pourtant depuis le début des années 90, le nouvel État indépendant a du s’adapter au contexte du monde unipolaire. Dans un premier temps, les critiques à l’égard de la domination de l’URSS allèrent de pair avec une vive attente à l’égard de l’Occident, représenté par les bailleurs de fonds multilatéraux et les grosses ONG occidentales.

9La notion de fenêtre signale donc bien une ouverture, relativement brutale, et un processus de découverte réciproque, dans les deux sens. Il ne s’agissait rien moins que d’apprendre le capitalisme et l’économie de marché, et d’apprendre la démocratie, supposée livrée avec.

10Pourtant quatorze ans après, une responsable d’ONG affirme, triste : « Les jeunes, aujourd’hui, ils regardent dehors, pas dedans. Ils voient leur avenir dehors ». Un autre responsable d’ONG souligne pour sa part que « les sujets sont décidés et donnés par l’international ». Ces commentaires soulignent combien les rapports qui se sont opérés à travers la fenêtre des ONG sont problématiques. C’est pourquoi il convient d’observer la nature des échanges, des flux, des pressions, qui circulent ainsi, à la fenêtre d’une frontière.

11Une première remarque doit être faite concernant l’attitude occidentale à l’égard des populations « libérées du joug totalitaire » selon une expression de l’époque. Si l’aide humanitaire s’est toujours réclamée des « droits des victimes bafouées » c’est une posture thérapeutique de soins qui prévaut à la fin de la guerre froide. D’où l’idée que l’aide est d’abord apprentissage de procédures nouvelles, différentes des anciennes et que l’on a à faire à des sociétés malades de leur histoire. Le marché, la démocratie deviennent non seulement des modèles mais des médications qui guériront les sociétés concernées du malheur, du mal subis. D’où d’énormes attentes, à la mesure d’une déception manifeste désormais.

12Les notions qui ont transité à partir de l’Occident sont les suivantes. Il s’agit de concepts fondamentaux structurant le rapport et c’est à ce titre qu’ils sont présentés. Du temps de l’URSS, il n’y avait pas de « problèmes » sociaux mais seulement des solutions collectives, des plans. L’Occident apprend aux Ouzbeks au début des années 90 que l’environnement est un problème, de même que le statut des femmes, le chômage, l’absence de pluralisme. Toute une série de pratiques antérieures font problème. Ce sont « des problèmes ». Il faut changer les usages et les ONG sont à la pointe des solutions à ces problèmes qui signalent une inadéquation aux normes occidentales ou de « mauvaises pratiques ».

13En second lieu émerge le sujet individuel, existentiel, psychique, affectif, qui est au centre de l’évolution des mœurs, familiales, générationnelles. D’où une floraison d’ONG d’assistance psychologique, de soutien et d’apprentissage de conduites plus conformes aux normes occidentales. La violence contre les femmes est contestée par plusieurs dizaines d’ONG financées par des bailleurs étrangers. Autre émergence, celle du marché, qui suppose un apprentissage de la concurrence et de l’initiative commerciale. Les ONG de « business women » prolifèrent. Elles jouent sur les deux tableaux et voient apparaître des « femmes leaders », dont une partie non négligeable a appris l’exercice de l’autorité dans les structures du parti communiste.

14L’émergence la plus radicale, c’est celle du concept de société civile, dans un contexte où, au préalable, la société civile c’était le parti. La notion américaine et les techniques d’empowerment (acquérir du pouvoir) font florès dans les ONG, en Ouzbékistan, comme ailleurs. « Il s’agit bien de techniques, de mise au point d’artifices et de procédés. Ont ainsi été créés et expérimentés pragmatiquement des contraintes et surtout des rôles » [Pignarre, Stengers 2005, p. 176].

15Une autre nouveauté conceptuelle, c’est celle d’opinion publique, pour laquelle le gouvernement crée une ONG « étatique » (Gongo ou ONG gouvernementale selon le vocable international admis par les ONG), le centre de l’opinion publique, où passeront plusieurs responsables d’ONG d’aujourd’hui. Le sujet politique a des points de vue ou avis qu’il faut étudier par enquêtes, moins pour les suivre que pour les contrôler. Il s’agit d’études de marché portant sur des valeurs politiques ou de société, qui nécessitent beaucoup d’enquêteurs, des statistiques, au nom d’une logique technocratique qui se substitue à la logique idéologique socialiste mais finalement fait assez bon ménage avec. Il faut ici rappeler que la plupart des chefs d’État sont d’anciens chefs du parti, en Ouzbékistan en particulier. Eux aussi apprennent les nouvelles modalités de l’exercice du pouvoir et la nouvelle méthode de fabrication du consensus, du moins sa rhétorique et ses accessoires.

16Ces flux conceptuels et idéologiques venus de l’extérieur sont mis en œuvre avec des outils et des méthodes appropriées dont les ONG font grand usage. Citons quelques instruments utilisés dans les formations de l’Open Society Institute de la fondation Soros, ou de Counterpart une ONG américaine très active en Ouzbékistan, spécialisée dans la formation des cadres d’ONG et le financement de petits projets. Civic advocacy signifie témoignage civil à propos d’un problème. Cela inclut la dénonciation du problème aussi bien que sa solution. Les Crisis Centers (centre de crise) et les shelters (asiles) recueillent les femmes victimes de violence, ou gèrent la visibilité d’autres problèmes sociaux. Très répandus par la fondation Soros de multiples ressources center (centre de ressources) sont nés pour apporter justement des ressources financières, méthodologiques, techniques, à des groupes émergents dans la société, dite société civile. On y apprend les jeux de rôles, les simulations, les arbitrages, la négociation, la constitution de « coalitions ». C’est toute l’approche américaine du pouvoir et de la gestion des conflits dans la société qui est enseignée et exportée dans la région.

17Internet, que d’aucuns appellent aujourd’hui en Ouzbékistan, la « frontière des illusions », est un outil capital pour cette ouverture conceptuelle et idéologique. C’est un projecteur sur le monde extérieur, sur le pluralisme dans tous les domaines, une expérience de la liberté et de l’altérité, malheureusement virtuelle, d’autant qu’elle a lieu dans un contexte d’enflure identitaire et nationaliste.

18Plusieurs ONG offrent au public des sessions de navigation sur internet. Les entretiens réalisés avec ces internautes montrent que la toile fonctionne comme un dispositif onirique, support de projections idéalistes ou mystiques, mais aussi comme base d’information et de connaissance, malheureusement souvent perçue hors de tout contexte interprétatif pertinent, permettant une confrontation avec un réel accablant. Tous ces instruments et outils sont dans une large mesure au service d’un modèle occidental : économique, social, politique, culturel même, tant l’islam et le statut des femmes sont ciblés dans la plupart des enquêtes ou pseudo enquêtes réalisées par des ONG locales pour des bailleurs étrangers. Car il y des commanditaires et des exécutants dans le monde des ONG. Hors de ces normes univoques et unilatérales produites par les bailleurs de fonds (PNUD, Banque mondiale, USAID, Commission européenne) mises en œuvre par des ONG étrangères et locales, souvent associées, il y a peu de flux réciproques, excepté sous forme de demandes de financements de programmes, de formation, d’assistance.

19Inexpérimentés, soumis à des contraintes locales dures, politiques, techniques, fiscales, administratives, les acteurs locaux des ONG étaient à l’origine dans un état de complète dépendance et de grande candeur, sauf ceux qui avaient été formés dans le cadre du parti et qui se sont emparés avec brio du modèle ONG à leur profit. Le rapport est toujours dissymétrique aujourd’hui, mais le cynisme désabusé a remplacé l’angélisme initial. Au-delà du rapport déséquilibré mentionné, les normes occidentales, dont les ONG sont supposées réaliser la mise en œuvre pédagogique, ce paquet de normes occidentales définit, en fait, la gouvernance, telle qu’elle est entendue par les institutions multilatérales, à savoir une reproduction sans trop de problèmes de l’économie de marché, de la paix civile, à travers une gestion un peu transparente du pluralisme, et la fabrication d’un consensus pas trop fictif, ni brutal, à travers des arbitrages plausibles entre des intérêts divergents.

20La bonne gouvernance c’est, in fine, ce qui paraît bon à ceux qui exercent le pouvoir global. Le flux d’imposition de modèles de l’Occident vers les sociétés locales signale une relative domination [Hours, 2002]. Quelles sont alors les capacités des ONG locales, leurs marges de manœuvre, leurs objectifs, dans le paysage brossé ?

Les ONG en Ouzbékistan : à la recherche de la société civile

21Comme toujours, lorsqu’on aborde les ONG, il convient de distinguer les ONG étrangères ou internationales et les ONG locales. Elles s’inscrivent dans une scène unique mais dans des positions très différentes. Les ONG étrangères en Ouzbékistan sont les mêmes que celles qui interviennent dans le reste du monde. Ce sont celles qui sont les vecteurs des modèles occidentaux, économiques, sociaux, moraux et humanitaires. On peut y ajouter culturels aussi puisque le modèle occidental est un produit de l’histoire telle qu’elle est perçue et interprétée par cet Occident. Ainsi rencontre-t-on des organisations très connues comme : Médecins sans frontières, Save the Children fund, Open Society Institute, dont les objectifs sont divers mais s’inscrivent dans une approche clairement occidentale des questions humanitaires, de développement, de démocratie.

22Les ONG étrangères ont introduit et identifié la nature des « problèmes » dans les secteurs majeurs de leurs activités. Les principaux domaines où interviennent les ONG étrangères et où, consécutivement, se sont développées des ONG locales parce que des programmes et des ressources étaient disponibles sont aujourd’hui peu différents de ceux des années 90, la principale évolution portant désormais sur le recul des organisations destinées à faire émerger la société civile en Ouzbékistan.

23L’une des principales entrées des ONG fut dans la région l’environnement. La mer d’Aral partiellement asséchée est l’emblème des problèmes écologiques apparus à la lumière de la fin de l’URSS. Plusieurs Gongos (ONG d’État, c’est-à-dire si l’on veut « fausses ONG ») sont apparues et toujours actives dans ce domaine, car la gestion de la nature, fut-elle verbale, est supposée éloigner de la politique (telle Ecosan par exemple, une organisation contrôlée par l’État très présente dans les réunions internationales). Dans le domaine de l’éducation, de la santé, de nombreuses ONG locales sont nées des programmes internationaux pilotés par des ONG étrangères spécialisées. Ces dernières agissent désormais à distance ou se sont retirées, faute de résultats jugés suffisants ou suivant le principe du transfert des responsabilités à des nationaux. Ce principe bien partagé n’est pas toujours facile à mettre en œuvre en Ouzbékistan. Un champ toujours extrêmement actif d’intervention des ONG est celui des droits des femmes et de la violence conjugale selon le vocable le plus entendu localement ; on dénombre plus de cent ONG enregistrées ou non. Autour de ce domaine, se sont développées plusieurs associations de business women dans la plupart des villes du pays, parfois en concurrence, à partir de la notion américaine de women leader, qui offrit à des femmes du parti, et à d’autres, des perspectives de recyclage positif dont beaucoup se sont habilement saisies. Ces groupes ont reçu des ONG financées par l’USAID des appuis importants, avant de devenir des groupes de pressions locaux, de plus en plus séparés des mobiles initiaux, pour une part, mais néanmoins toujours considérés comme ONG (ex. Tadbirkor Ayol, association des femmes d’affaires, dans plusieurs villes d’Ouzbekistan).

24Les organisations consacrées aux droits de l’homme à l’exception de Freedom house, proche de la CIA, connaissent aujourd’hui des jours difficiles car l’État a placé des organisations alibis ou rideaux, en la matière, qui visent à montrer la fiction d’un État attentif à cette question. Au début des années 90, dans le contexte anti soviétique local et anti totalitaire international, ces ONG ont été actives, à une époque où les expectatives démocratiques semblaient réalistes. Les financements reçus des États Unis sont plus discrets, bien qu’ils demeurent. Plusieurs de ces ONG développent leur combat dans le domaine du pluralisme des médias (ex. Internyus, inquiétée en 2005), en avançant derrière la formation technique et les nouveaux outils de communication. L’opinion publique, concept né après l’URSS, est le prétexte et l’enjeu de cette gestion des médias et de leur contrôle. On y trouve surtout des ONG (souvent Gongos gouvernementales) très contrôlées (tel le centre d’étude de l’opinion publique Ijtimory Fikr) qui a servi au développement d’une sociologie quantitative et statistique, instrumentalisée par le pouvoir. De multiples ONG d’inspiration caritative en direction des jeunes, des handicapés, des prisonniers, existent aussi sous la forme de petites organisations fragiles, en quête de financements épisodiques en provenance de bailleurs étrangers ou du gouvernement. Les plus stables sont appuyées par le gouvernement.

25Face aux modèles occidentaux importés au début des années 90, portés par les ONG étrangères une première génération d’ONG locales s’est développée avec l’objectif explicite de faire émaner des capacités et des volontés susceptibles de promouvoir une société civile réduite à l’état de chantier.

26La notion très problématique de société civile mérite de longs développements qui n’ont pas leur place ici. Elle est entendue dans notre cadre comme une entité en forme de totalité, plurielle, apte à produire le consensus entre citoyens qui fonde la démocratie. L’absence, dans une large mesure, de démocratie et de citoyens (qui ne sont ni les masses, ni le peuple) en URSS explique largement l’absence de société civile en 1990 en Ouzbékistan et l’ambition occidentale d’installer, à la fois l’économie de marché et la démocratie politique. L’organisation la plus symptomatique d’un tel projet est certainement l’Open Society Institute financé par la fondation Soros, inspirée par la pensée libérale de Karl Popper. À partir de son siège à Budapest l’OSI a essaimé dans de nombreux pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, c’est-à-dire dans le monde post soviétique. Le projet vise à favoriser l’émergence de sociétés démocratiques à travers la formation d’une société civile apte à produire des arbitrages transparents, pluralistes, en vue de produire d’authentiques consensus dans des sociétés habituées à des pouvoirs autoritaires, verticaux et à une rhétorique politique creuse, peu respectueuse de la diversité sociale réelle. Il s’agit d’une thérapie politique doublée d’une initiation démocratique, c’est-à-dire d’une approche idéologique libérale et d’une éthique démocratique globale, post guerre froide (Atlani-Duault, 2003). L’outil privilégié de l’OSI ce sont les ressources centers, ces organisations de formation, d’information et de débats ouverts jusqu’en 2004 dans de nombreuses villes importantes d’Ouzbékistan jusqu’en 2004. Sous ce vocable, il s’agissait d’animer l’apprentissage d’une information libre, d’une prise de parole sans contraintes, de connaissances sur le monde extérieur et local en termes de droit, de société, de rapports sociaux. Les sciences sociales sont utilisées dans cette pédagogie qui en Ouzbékistan cible particulièrement, à plusieurs époques, le statut des femmes, les manuels scolaires et programmes parfois anachroniques. Ces travaux menés en petits groupes, encadrés par des animateurs formés, visent à faire prendre connaissance et conscience du monde, des valeurs, des problèmes sociaux, avec une emphase particulière sur le débat (jeux de rôle, coalitions) son organisation et sa maîtrise. Il s’agit donc bien d’une technique de formation du consensus et de production de la société civile. Les ressources center sont un cadre pédagogique dynamique et ouvert, où se structure une prise de parole de sujets politiques « en construction », à qui on propose des méthodes, mais aussi des modèles de gouvernance occidentaux à vocation universelle. L’ex président de Georgie destitué affirmait en 2003 que c’est la fondation Soros qui l’avait fait chuter du pouvoir. Cette assertion en dit long sur les enjeux politiques majeurs qui entourent les activités des ONG sur la société civile. Comme celle-ci n’existait pas en URSS, la pédagogie est nécessairement étrangère et suspecte à ce titre, sauf à mettre en avant des organisations présentées comme traditionnelles ou communautaires, les mahallas (quartiers), lieux de pouvoir et de contrôles, plus que du pluralisme. Quant aux effets de cette pédagogie d’apprentissage de la démocratie, s’ils n’ont pas changés la nature autoritaire du régime ouzbek, ils l’ont néanmoins amené à retirer son autorisation et son enregistrement à l’OSI, mais aussi à toutes les ONG nombreuses financées par lui, touchant probablement près de 50 % des ONG opérationnelles du pays, à hauteur d’environ 30 % des financements. Une telle estimation vise simplement à signaler l’impact, prouvé par l’interdiction, des activités de l’OSI en Ouzbékistan. Outre la fondation Soros, le principal bailleur est l’USAID et ses satellites, désormais presque seuls en scène.

27Après avoir présenté les ONG engagées dans l’édification de la société civile il faut préciser l’évolution de ce domaine en Ouzbékistan. Après l’indépendance, l’expectative démocratique, tant externe qu’interne, fut forte. Elle s’est développée jusqu’en 1995 environ, date à laquelle les ONG étrangères ont procédé à un premier bilan négatif. L’absence de réformes économiques et politiques a amené les bailleurs à financer des projets de moins en moins politiques et de plus en plus techniques depuis cette date. L’expectative démocratique était aussi frustrée chez les nationaux qui ont vu le régime se structurer sur le clientélisme, la corruption, le parti unique, fut-il déguisé derrière une fiction de pluralisme et une phraséologie nationaliste exacerbée.

28Par la suite on a vu les ONG locales se restructurer devant ce déficit démocratique solidement installé qui transformait la société civile en expectative mythique. Tous les militants d’ONG disposant d’une compétence vendable – ou la plupart d’entre eux – se sont convertis dans les créneaux financés par les bailleurs étrangers, abandonnant l’animation démocratique pour la production des données statistiques sur les « problèmes » sociaux, les exclusions. La principale exception est celle de la fondation Soros, qui a maintenu son cap, jusqu’à son interdiction en 2004. C’est ainsi que se sont développées des « ONG bureaux d’études » qui sont financées pour faire des enquêtes socio économiques par le PNUD, la Banque mondiale, des programmes européens Certaines de ces organisations choisissent même parfois le statut d’entreprise à but lucratif plutôt que celui d’association sans but lucratif des ONG classiques. Ces bureaux, animés par des sociologues ayant quitté l’université, se développent en épousant les évolutions des thèmes des bailleurs de fonds. Parmi les plus connus, il faut citer l’organisation Expert Fikri (Center for social and marketing research), Tahlil (Center for social research) ou encore Shark, un bureau d’étude analogue construisant et analysant les problèmes sociaux (femmes, délinquances, santé, jeunes,…) avec des outils plus ou moins simplifiés de sciences sociales appréciés par les bailleurs.

29À côté de ces bureaux d’études dont le nombre est en rapport avec une demande limitée, de nombreuses ONG de la première heure ou plus récentes tentent de survivre avec difficulté dans le secteur de l’action sociale et/ou caritative en direction de tous les groupes à risques d’une société sinistrée par la violence, le chômage, la corruption, l’arbitraire. Notre enquête a porté en particulier sur l’organisation « Femmes et développement » financée par une fondation allemande émanant du parti CDU. Elle s’occupe de femmes prisonnières et de programmes éducatifs avec, semble-t-il, plus de visibilité institutionnelle que d’activités à impact durable. Les dirigeants sont pour partie membre d’une même famille, d’anciens dignitaires de l’URSS.

30Barkamolik est une ONG, longtemps soutenue par la fondation Soros, qui gère les questions des femmes battues, des divorces, et plus généralement du sujet psychique autonome. La fermeture de l’OSI de Soros met cette organisation en danger, à court terme.

31Sabo est une ONG du même type, animée par une ancienne responsable dans l’appareil d’État. Les vieux retraités, les jeunes des quartiers périphériques sont sa cible. Longtemps financée par des bailleurs internationaux, allemands aussi, Soros un moment, la crise des ONG en Ouzbékistan fragilise cette organisation. En effet, après un relatif abandon de la société civile, les bailleurs s’écartent progressivement de la gestion des problèmes sociaux des exclus, dont les résultats sont difficiles à capitaliser, pour s’orienter vers des projets communautaires, type développement communautaire en Afrique, à base de micro crédits très à la mode aujourd’hui dans la « lutte contre la pauvreté ».

32Au-delà de ce tableau des ONG en Ouzbékistan, en quoi celles-ci apparaissent-elles durablement au service de la gouvernance globale, malgré les déconvenues accumulées, de part et d’autre, depuis plus de dix ans ?

Les ONG au service de la gouvernance globale

33Cette affirmation peut être appuyée sur deux observations résultant de l’analyse des documents technocratiques multilatéraux et des logiques financières en place. Autrement dit, il s’agit de logiques idéologiques d’une part, financières d’autre part. L’enquête menée en 2004 a permis d’aborder en profondeur quatre organisations et de saisir l’ensemble du paysage des ONG actuelles en rencontrant des responsables d’une trentaine d’organisations actives dans divers domaines. Les ONG étudiées plus en détail sont Femmes et développement, OSI, Barkamolik, Shark et Fact. Les entretiens réalisés avec des cadres mais aussi, lorsque cela était possible, avec des populations dites « bénéficiaires » (lorsqu’elles existaient), permettent de formuler des analyses appuyées sur des matériaux précis et, dans une large mesure, convergents. Ce sont ces matériaux qui justifient l’hypothèse générale développée ici, selon laquelle, dans le cas observé de l’Ouzbékistan, les organisations locales développent un modèle occidental de gouvernance globale dont elles sont l’outil pédagogique et technique.

34Les bailleurs de fonds multilatéraux, tel le PNUD, la Banque mondiale, l’Union européenne exportent en Ouzbékistan des normes économiques relatives au marché et à sa privatisation, des normes politiques de démocratie suivant le modèle occidental, des normes morales et sociétales concernant le statut des femmes, les droits des enfants, des prisonniers, des minorités ethniques. Si la bonne gouvernance se décline comme un ensemble de normes de gestion pluri sectorielles, elle met en œuvre des normes dans les domaines économiques, politiques, moraux.

35Pour des raisons géographiques, militaires et pétrolières, la pression occidentale s’est allégée dans le champ politique, mais demeure forte sur les réformes économiques et les normes et droits humanitaires. Les ONG sont des instruments essentiels de la pression des bailleurs pour modifier les normes locales vers plus de privatisation, de démocratie, de droits. Ces bailleurs multilatéraux financent des programmes ciblés, inscrits dans ces trois champs. Outre ces bailleurs interviennent principalement en Ouzbékistan deux fondations allemandes et surtout l’USAID, le principal bailleur non multilatéral, hors Soros.

36Le département d’État à travers l’USAID soutient plusieurs organisations dont la vocation est de financer et de former les ONG locales. Il s’agit du principal guichet de financement, outre les guichets multilatéraux pour les organisations ouzbeks en quête de ressources. En effet, il n’y a pratiquement pas de donateurs bénévoles privés et les ONG ont pour unique recours financier l’USAID à travers ses filiales, les organisations multilatérales, la fondation Soros avant sa clôture, enfin le gouvernement qui finance « ses » propres ONG (Gongos) alibi social, politique et médiatique le plus souvent.

37L’USAID distribue ses fonds à travers des organisations américaines qui sont des intermédiaires destinés à fournir des formations et des ressources pour des ONG locales répondant à des appels d’offres. La concurrence est donc vive désormais entre ONG locales et les choix stratégiques et thématiques sont ceux de l’USAID. Une longue enquête a été menée dans une « ONG pour ONG » Fact qui assure des formations pour créer des ONG, monter un projet et un budget, offre l’accès à Internet et développe quelques « recherches sociales ». Cette ONG est financée par deux bailleurs dépendants de l’USAID qui sont Irex (International Research and Exchanges board) et Counterpart international, un consortium américain financé par l’USAID, très actif dans les républiques d’Asie centrale. Counterpart organise des spectacles, des films vidéos, des tables rondes sur des thèmes caritatifs et sociaux abordés suivant des normes américaines peu révisées. Il faut citer aussi l’Eurasia fondation, émanation de l’USAID, qui finance des séminaires et ateliers sur l’éducation et le droit. Avant son exclusion, la fondation Soros était la principale organisation réellement privée dans ce paysage contrôlé par le département d’État des USA.

38La dépendance des ONG locales est totale face à ces bailleurs. Coincées entre le gouvernement de l’État autoritaire qui les observe et les bailleurs étrangers les organisations locales n’ont que peu de marge de manœuvre car elles n’ont pas de base sociale ou de « société civile » mobilisée ou mobilisable susceptible d’être interpellée, engagée. Cette situation engendre de multiples plaintes. Les ONG locales déplorent l’absence de buts communs et de coordination entre donneurs. Elles regrettent qu’il n’y ait pas une vue d’ensemble partagée, parmi ce qu’il nous faut bien appeler maintenant « les occidentaux ». Les multiples forums n’ont pas de suites, comme les ateliers, les formations… On assiste à une évolution qui abandonne la pédagogie de la société civile et les stratégies dans cette direction pour se contenter d’objectifs techniques ou caritatifs du type assistanciel ou développementaliste. Les petits financements obtenus par de nombreuses ONG pour de petits projets provoquent une grande concurrence pour des résultats sans visibilité, ni capitalisation, tant ils sont à petite échelle.

39Ainsi, la dépendance idéologique en termes de modèle de gouvernance des ONG en Ouzbékistan se présente comme une post face de la guerre froide révolue. Quant à la dépendance économique à l’égard de l’étranger elle est totale puisque la société (civile ou non) n’a ni les moyens, ni la volonté de s’engager, absorbée par la gestion de la survie au quotidien ou l’enrichissement personnel. Cette situation, qu’on peut qualifier de dramatique sans excès, est celle des ONG observées en Ouzbékistan. Elles apparaissent bien asservies au projet occidental de gouvernance globale car elles ne peuvent mobiliser aucune société civile mobilisable pour revendiquer une légitimité qui apparaît fragile dans ce contexte. Pour beaucoup d’organisations de petite taille et de courte durée, la formation d’une ONG, avec l’aval du gouvernement désormais, est aussi, et parfois d’abord, l’obtention d’un emploi, rémunéré si des crédits sont obtenus des bailleurs, avec recrutement de volontaires dans la famille, comme une sorte de « business social ». On y trouve beaucoup d’universitaires et chercheurs.

40Désertée par les bailleurs parce qu’elle tarde à se manifester, la société civile en Ouzbékistan est certes un leurre mais les problèmes des gens sont bien réels. En l’absence de cette société civile, les normes occidentales globales appelées « gouvernance » demeurent pourtant fermement déclamées par la plupart des acteurs étrangers et les ONG locales. En Ouzbékistan, l’heure n’est pas à la bonne gouvernance en l’absence de société civile et sous un régime nationaliste dur. Mais par la fenêtre entrebâillée par les ONG on peut voir, dehors, les « bienfaits » des normes occidentales et le « bonheur » de la bonne gouvernance chez les autres. Parce que les modèles de gouvernance sont plaqués et parce que les ONG locales ont très peu de capacité d’initiative, on peut se demander jusqu’à quand pourra durer une telle fiction de modèles étalés sans effets locaux.

41Les événements récents survenus au Kirghistan et en Ouzbékistan méritent d’être évoqués dans la perspective de cet article. Les « révolutions démocratiques » observées en Georgie et en Ukraine ont montré l’efficacité des pédagogies démocratiques et des techniques d’expression et de protestations mises en œuvre par les ONG sous influence américaine, après des élections contestées. Les milieux qui sont à l’origine de ces mouvements semblent être des élites politiques formées, aptes à exercer le pouvoir et à déclencher un soutien populaire urbain mis en scène dans la capitale.

42Le scénario kirghize est lui aussi post électoral et les ONG porteuses de la « démocratie américaine » y ont certainement joué un rôle, sans néanmoins parvenir à maîtriser la totalité des événements puisque nous sommes en présence d’une rupture politique moindre qu’en Georgie et en Ukraine. C’est un politicien inscrit dans le paysage antérieur qui prend le pouvoir, avec un assez rapide assentiment de Moscou. Il faut noter aussi que la contestation est partie de la ville de Osh, en province, et que la révolte sociale contre la misère et la corruption y tient une place peut être plus importante qu’une lutte idéologique pour la démocratie.

43En Ouzbékistan, la répression sanglante qui s’est abattue sur les manifestants d’Andijan nous met en face d’une révolte contre la corruption, la misère et la dictature, qui a pris de court les idéologues de la démocratie américaine en anticipant la volonté des USA qui n’ont pas apporté le soutien escompté, laissant aux islamistes des capacités futures pour exploiter la déception engendrée.

44Les ONG appuient discrètement un tel mouvement sans être en mesure d’en être le détonateur ou la mèche, tant elles sont réprimées depuis deux ans en Ouzbékistan. L’embarras des Occidentaux tranche avec leur enthousiasme en Georgie et en Ukraine, intoxiqués qu’ils semblent face au chantage du président : moi ou le chaos islamiste !

45Ainsi, ces événements récents relativisent le caractère automatique et répétitif des mouvements démocratiques dans la région. Si le modèle de gouvernance occidental est bien diffusé par les ONG, celles-ci sont plus ou moins tenues à distance et plus ou moins en prise directe avec la société. Cette dernière, civile ou non, proteste lorsqu’elle a faim, la démocratie étant une prime supplémentaire, un paquet cadeau made in USA, qui ne peut se développer que lorsqu’il existe une base sociale politisée, sous influence idéologique suffisante.

46Comme son nom l’indique une révolte est d’abord une protestation contre une situation d’abus devenus insupportables. Une révolution s’inscrit, elle, dans un processus maîtrisé par une société civile non plus interdite mais portée au pouvoir par elle-même, selon l’idéologie démocratique occidentale et les normes de gouvernance qui lui sont associées. Suivant les situations politiques nationales les ONG occupent donc une position plus ou moins déterminante pour ouvrir la voix à une démocratisation fondée sur des pratiques et des normes de bonne gouvernance selon les promoteurs de cette démocratie occidentale.

Notes

  • [*]
    Socio-anthropologue, Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, bernard.hours@bondy.ird.fr.
  • [1]
    Cette recherche a été réalisée dans le cadre de la convention entre l’IRD et l’IFEAC (Institut Français d’Études sur l’Asie Centrale), Tachkent.
Français

Résumé

Cet article analyse la place des ONG en Ouzbékistan. Ce pays d’Asie centrale est soumis, depuis l’éclatement de l’URSS, à une forte pression occidentale à travers des normes de gouvernance peu mises en œuvre mais largement invoquées. Dans ce domaine, les ONG apparaissent d’abord comme une ouverture entre le monde intérieur clos d’une dictature nationaliste dure et l’univers global, externe, occidental. Des normes, des pressions, des financements y circulent. Des concepts s’y inscrivent, comme ceux de société civile, de droits, de gouvernance. La construction de la société civile a été invoquée par les ONG, en particulier jusqu’en 1995. Depuis, faute de résultats, l’approche est plus pragmatique, plus développementaliste. Les ONG mettent donc en œuvre une pédagogie de la société civile, plus qu’une réelle construction, face à un État vigilant et brutal. Les ONG apparaissent par conséquent comme étant au service de la gouvernance globale telle qu’elle est formulée par les États occidentaux. À leur tête, les USA jouent un rôle déterminant et premier dans les stratégies choisies et les moyens alloués aux ONG en Ouzbékistan.

Mots-clés

  • gouvernance
  • société civile
  • ONG
  • démocratie
  • Ouzbekistan
  • post-soviétique
  • globalisation

Bibliographie

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Bernard Hours [*]
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2011
https://doi.org/10.3917/autr.035.0115
Pour citer cet article
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