CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Trois étapes majeures marquent l’histoire de l’émigration des juifs marocains au xxe siècle. Tout d’abord, si la création de l’État d’Israël provoqua des émeutes antijuives au Maroc, elle y encouragea aussi l’activité des mouvements sionistes. Ceci poussa les juifs les plus pauvres à émigrer en masse vers Israël dès 1949 [Goldenberg, 1992]. Puis, lors de l’indépendance du Maroc, en 1956, le roi Mohammed V assura l’égalité des droits aux Marocains israélites. Cependant, de nombreux facteurs incitèrent ces derniers à quitter le pays à cette époque : les émeutes de Petit-Jean (Sidi Kacem) et d’El-Jadida deux ans auparavant (durant lesquelles des quartiers juifs furent pillés), la marocanisation et l’arabisation prônées par le gouvernement de l’Indépendance, le marasme économique, la situation au Proche-Orient et la montée du nationalisme arabe. En outre, l’interdiction de toute relation avec Israël, alors que la moitié de la communauté y avait émigré, créa une rupture. Malgré l’interdiction, l’émigration se poursuivit clandestinement. Ce fut le naufrage du Pisces, en 1961, et la mort de ses quarante-trois passagers, qui révélèrent l’ampleur de ce mouvement au monde entier. Hassan II autorisa à nouveau les départs dès 1962 [Tolédano, 1989]. La troisième vague d’émigration, plus diffuse, s’est effectuée, et s’effectue encore, au rythme des différents épisodes du conflit israélo-palestinien. Les juifs marocains ont émigré en Israël, en France, au Canada et aux États-Unis principalement, une diaspora s’est ainsi constituée dans ces différents pays. La communauté juive s’est donc fortement réduite sur son territoire d’origine. Elle est passée de 300000 membres en 1953 [1] à 5 000 environ, dont la plupart appartiennent à la classe moyenne et à l’élite du pays. Ils se sont majoritairement regroupés à Casablanca.

2Dans ce contexte, les liens que la diaspora judéo-marocaine entretient avec son pays d’origine sont ambigus. D’une part, la diaspora renforce la communauté juive au Maroc, financièrement et culturellement, en participant, par exemple, à la rénovation des lieux de culte et de pèlerinage, d’autre part, elle contribue également à son extinction. En effet, les écoles juives de Casablanca, notamment au travers des modes de socialisation qu’elles proposent, jouent un rôle fondamental dans la préparation des bacheliers à l’émigration. De même, les familles dispersées en France, en Israël et aux États-Unis constituent de véritables réseaux diasporiques facilitant cette fuite des élites. Celle-ci n’est certes pas l’apanage des seuls juifs au Maroc, mais son caractère quasiment systématique dans le cas de ces derniers peut apporter un éclairage sur le lien entre diaspora et fuite des élites.

3Cette recherche ethnologique, qualitative, repose sur une enquête de terrain d’une année à Casablanca (septembre 1999-septembre 2000). Il a été procédé à des observations prolongées dans les classes des six écoles juives [2], à des entretiens semi-dirigés avec des enseignants et des parents d’élèves juifs et musulmans, les directeurs d’établissements ainsi qu’avec des responsables communautaires et des inspecteurs. De plus, une enquête par questionnaire auprès d’étudiants juifs et musulmans des lycées juifs et de quelques élèves du lycée français a été réalisée (voir ci-après).

La diaspora judéo-marocaine : une diaspora dans la diaspora

4Les juifs marocains ayant quitté le Maroc constituent-ils une diaspora ? On peut tout d’abord évoquer à leur propos la diaspora dans son sens historique, c’est-à-dire la dispersion du peuple juif après l’exil à Babylone (587 av. J.-C.) et la chute de Jérusalem (70 ap. J.-C.). La présence juive au Maroc remonterait à la destruction du Premier Temple ; en outre, comme tous les juifs hors Israël, les juifs marocains font partie de cette diaspora. La diaspora juive en tant que telle constitue une sorte de paradigme, d’archétype, voire d’idéal type [Hovanessian, 1998 ; Clifford, 1994]. Les critères la définissant – l’exil sous la contrainte, une forte conscience identitaire et des liens concrets ou imaginaires avec le pays d’origine – seraient alors appliqués à toute autre migration revendiquant le terme de diaspora. Cependant, le caractère paradigmatique de cette définition est contesté. Cohen remet en cause l’aspect de victim diaspora :

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« Although the word Babylon often connotes captivity and oppression, a rereading of the Babylonian period of exile can thus be shown to demonstrate the development of a new creative energy in a challenging, pluralistic context outside the natal homeland »
[Cohen, 1997 : 5-6]

6Pour lui, transcender le modèle de la diaspora juive permettrait de prendre en compte l’aspect volontaire de la migration, mais aussi d’élargir l’usage du concept à d’autres populations migrantes. Concernant les liens avec le pays d’origine, la terre d’Israël dans le cas de la diaspora juive, Clifford souligne le fait que les juifs ont vécu de nombreuses « rediasporisations » et ont donc plusieurs patries :

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« Among Sephardim after 1492, the longing from “home” could be focused on a city in Spain at the same time as on the Holy Land ».
[Clifford, 1994 : 305]

8Les juifs marocains sont d’ailleurs pour la plupart des Megorachim, c’est-à-dire des juifs expulsés d’Espagne venus se réfugier au Maroc en 1390, puis surtout en 1492. Ceux-ci se heurtèrent à l’hostilité des juifs indigènes, les Tochavim, qu’ils méprisaient. Les juifs espagnols créèrent leurs propres communautés, exigèrent leurs synagogues et leurs places dans les cimetières. Plus nombreux, plus riches aussi et supérieurs sur le plan de la science rabbinique, ils finirent par imposer le droit castillan à toute la communauté.

9La notion de diaspora, historiquement limitée au peuple juif, a été ensuite appliquée aux Arméniens, aux Grecs et aux Chinois. Puis, avec l’amplification des phénomènes migratoires, le terme de diaspora a connu une véritable inflation, particulièrement aux Etats-Unis et il s’applique à tous les peuples ayant émigré du Sud vers le Nord, ses contours sémantiques sont devenus de plus en plus flous, il est rarement défini et finit souvent par désigner un groupe ethnique. Dans ce contexte, D. Schnapper [2000] se demande si un concept aussi large peut encore être heuristiquement productif.

10Cependant, définitions et typologies abondent. Les critères énoncés ont souvent trait aux causes de l’émigration : persécutions, facteurs économiques, commerce… Toutefois, celles-ci sont bien souvent multiples. Cohen propose une typologie basée sur les causes. Il distingue cinq types de diaspora : victimes, laborieuses, impérialistes, commerciales et culturelles, mais reconnaît lui-même que ces catégories s’interpénètrent bien souvent. En ce qui concerne les juifs du Maroc, de nombreux auteurs [notamment : Lévy, 1992 ; Kenbib, 1994 ; Rosen, cité in Serfaty, Elbaz, 2001] se plaisent à évoquer la longue cohabitation pacifique et la complémentarité harmonieuse entre juifs et musulmans avant le Protectorat. Les juifs étaient alors soumis au statut de dhimmi[3], s’ils occupaient de ce fait une position inférieure aux musulmans, ils étaient aussi les protégés du sultan et se trouvaient donc moins exposés aux persécutions que leurs coreligionnaires d’Europe. Durant la seconde guerre mondiale, Mohammed V aurait refusé d’appliquer les lois de Vichy à ses sujets israélites [4], ainsi ces derniers n’auraient pas subi de persécutions, ni de pressions les poussant à émigrer. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, les vagues de départ ont surtout coïncidé avec la création de l’État d’Israël et les événements du Proche-Orient.

11Outre une typologie basée sur les causes, les critères de définition se fondent parfois sur des éléments quantitatifs : pour Lacoste [1989], on ne peut parler de diaspora que lorsque plus de la moitié de la population a quitté son territoire d’origine. Comme le souligne Dufoix, les éléments temporel et quantitatif posent la question de la limite : au bout de combien d’années ? À partir de combien de personnes ?

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« Les problématiques incluant le facteur temporel ou quantitatif ont la plupart du temps une vision spontanéiste et réificatrice de la diaspora dans laquelle diaspora est simplement synonyme de dispersion ».
[Dufoix, 1999 : 4-5]

13Il semble plus pertinent de se concentrer sur les caractéristiques de la population dispersée : la conscience d’appartenir à un groupe, la création d’associations regroupant les membres (commerces ethniques, lieux de culte, associations culturelles…), des liens réels ou imaginaires avec le pays d’origine ainsi qu’une organisation en réseaux.

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« Le réseau est une organisation sociale composée d’individus ou de groupes dont la dynamique vise à la perpétuation, à la consolidation et à la progression des activités de ses membres dans une ou plusieurs sphères sociopolitiques ».
[Colonomos, 1995 : 22]

15Pour Prévélakis [1996], ce dernier point constitue la condition de survie des diasporas.

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« To render the concept of diaspora operative for research, we must reserve it for populations that maintain institutionalized ties, whether objective or symbolic, beyond the borders of nation-states ».
[Schnapper, 2000 : 251]

17Les juifs marocains ont créé des associations en France notamment. Celles-ci constituent des lieux de rencontre, elles proposent des activités culturelles, cultuelles ou philanthropiques et œuvrent pour la sauvegarde de la culture judéo-marocaine. Depuis une vingtaine d’années, cette dernière a connu un mouvement de revalorisation, qui s’est traduit par la création de nombreux instituts et chaires en Israël, en France et au Maroc.

18Outre ces liens institutionnels, la diaspora judéo-marocaine se perpétue par des liens informels entre les pays diasporiques et le Maroc : commerce, liens familiaux, pèlerinages, mariages, tourisme… La diaspora est vitale à la préservation du judaïsme marocain au Maroc, il s’agit d’une communauté « réduite en nombre, mais forte de sa diaspora » [Lévy, 1992 : 95]. Cependant, paradoxalement, les liens qu’elle entretient avec sa diaspora favorisent son extinction. C’est à travers les institutions scolaires juives que l’apport des diasporas juive et judéo-marocaine à la communauté restée au Maroc sera appréhendé.

Écoles juives et diaspora : une longue histoire

19Depuis que la présence juive est attestée au Maroc, chaque village et chaque mellah (quartier juif) possédaient son école. L’enseignement y était exclusivement religieux et destiné aux garçons. À la fin du siècle dernier, l’enseignement juif marocain devait subir de profondes mutations.

20L’Alliance israélite universelle (AIU) fut fondée à Paris en 1860 : son but était de favoriser « l’émancipation et les progrès moraux » des juifs partout dans le monde. L’Alliance se proposait une triple activité : philanthropique (concours financier), de protection générale (défense des Droits de l’homme, lutte contre l’antisémitisme) et une action éducative. Elle ouvrit sa première école à Tétouan en 1862, puis d’autres suivirent et un véritable réseau scolaire se constitua au Maroc. Ces institutions se caractérisaient par une ouverture aux matières profanes, la possibilité pour les filles de s’instruire et un enseignement dispensé en français. L’influence française se diffusa d’ailleurs fortement par le biais de l’école. Les écoles de l’AIU se heurtèrent à l’hostilité des institutions éducatives traditionnelles qui réagirent en modernisant quelque peu leur propre enseignement. Si les populations juives rurales refusèrent dans un premier temps d’envoyer leurs enfants sur des bancs profanes, très vite elles comprirent le bénéfice que ceux-ci pouvaient retirer de l’instruction. Dans tout le Maroc, le nombre d’enfants juifs scolarisés par l’Alliance augmentait régulièrement (de 360 élèves en 1911 à plus de 10 000 en 1954).

21Après la seconde guerre mondiale, l’éducation juive au Maroc connut à nouveau un développement important, mais plus diversifié. De nombreux groupes sionistes se firent actifs, ils s’attachaient à l’enseignement intensif de l’hébreu et à l’éducation des jeunes (activités culturelles, scoutisme). C’est à cette époque que la philanthropie s’élargit et que de nouveaux réseaux scolaires financés par les États-Unis virent le jour. Deux organisations juives orthodoxes américaines, Ozar Hatorah et Loubavitch, soucieuses d’assurer la continuité d’un enseignement traditionnel qui perdait du terrain au profit de l’école moderne, créèrent un réseau scolaire où la priorité était donnée aux études sacrées. À New York, en 1946, Isaac Schalom, séfarade originaire de Syrie, fonda l’organisation Ozar Hatorah. Celle-ci commença ses activités au Maroc un an plus tard. Elle ouvrit des établissements dans tout le pays et en 1957, ceux-ci comptaient 30 000 élèves. Quant à l’institution loubavitch, il s’agit d’une secte hassidique dénommée Habad [5], née en Russie en 1819 et dont le siège est à New York depuis 1945. Elle exerce une activité importante dans différents pays, au moyen de l’enseignement notamment. Établies au Maroc en 1950, ces institutions se sont tout d’abord implantées dans les agglomérations rurales [Zafrani, 1969 ; Rodrigue, 1989 ; Juifs du Maroc, 1980].

22Toutes ces écoles offrirent aux juifs marocains des villes et des villages les plus reculés l’accès à l’enseignement et à la formation, elles constituèrent un formidable instrument de mobilité sociale, tout en rapprochant les juifs marocains de leurs coreligionnaires non marocains, mais en accentuant de ce fait la séparation avec les musulmans.

23Après l’indépendance du Maroc, les écoles juives durent introduire l’enseignement de l’arabe dans leurs programmes. Le nom du réseau scolaire de l’AIU fut arabisé, il devint l’Ittihad-Maroc, c’est alors que certaines de ses écoles commencèrent à admettre quelques élèves musulmans.

24Suite aux vagues d’émigration des juifs marocains, les institutions scolaires juives ont vu leurs effectifs diminuer d’année en année. Il reste actuellement six écoles juives à Casablanca qui scolarisaient environ 1200 élèves [6] pour l’année scolaire 1999-2000. Quatre de ces écoles dépendent du réseau Ittihad-Maroc : l’école maternelle et l’école primaire Narcisse Leven, deux collèges et lycées : le lycée Maimonide et l’École normale hébraïque (ENH). L’école primaire et le lycée Maimonide accueillent également des élèves musulmans. L’ENH se distingue par un très fort taux de réussite au baccalauréat, elle est considérée comme une école d’élite. Ces institutions suivent le programme français et préparent au baccalauréat de l’académie de Bordeaux. Elles sont homologuées par le ministère de l’Éducation nationale français. Les deux autres institutions sont orthodoxes : Neve Chalom, qui appartient à l’organisation Ozar Hatorah, est mixte jusqu’à la fin du primaire, puis n’accueille que des garçons au secondaire. Beth Rivka, l’école loubavitch, est non mixte, elle ne reçoit que des filles. Au sein des deux écoles religieuses, la moitié de la journée est consacrée aux matières hébraïques au cycle primaire. Quant au programme profane, il est calqué sur celui de la Mission culturelle française, mais ces écoles ne sont pas homologuées.

25Ces institutions ont longtemps survécu grâce au soutien financier et pédagogique des diasporas juives française et américaine. Actuellement, elles tendent à être de plus en plus autonomes. En ce qui concerne les écoles du réseau Ittihad, elles sont financées par des collectes de fonds, une contribution gouvernementale fixe (de 1850000 dirhams par an), l’écolage et une subvention de l’AIU. Si l’on considère l’évolution des recettes entre 1989 et 1999, l’écolage passe de 20 à 66,6%, alors que la subvention de l’Alliance subit le mouvement inverse (de 58,8 à 17%) [Ittihad-Maroc en chiffres, 2000], Ainsi, les frais de scolarité augmentant régulièrement, les écoles de l’Ittihad sont donc plutôt réservées aux élèves issus d’un milieu favorisé. En ce qui concerne les écoles religieuses, il m’a été difficile d’obtenir des chiffres précis au sujet du financement : il semble, dans leur cas, que la collecte de fonds auprès de membres aisés de la communauté constitue un apport important. Outre l’écolage (dont sont dispensés les élèves les moins favorisés), l’American Joint Department Committee (AJDC) leur apporte également son aide financière.

26En matière de soutien pédagogique, l’AIU envoie régulièrement des inspecteurs d’hébreu dans les écoles du réseau Ittihad. L’AJDC délègue de temps à autre des formatrices et propose des stages aux jardinières d’enfants principalement. Tant l’AIU que l’AJDC reconnaissent que cette aide pédagogique est moins importante actuellement, principalement en raison de la baisse des effectifs juifs. Dans les écoles de l’Alliance, la formation à l’enseignement profane se fait surtout grâce aux stages proposés par la Mission culturelle française.

27Fondées par des mouvements juifs non marocains, et en partie encore gérées par ceux-ci, ces écoles inculquent aux élèves juifs un judaïsme qui leur apprend à se démarquer de la société qui les entoure et aussi de leurs camarades de classe musulmans. Cet enseignement leur permet également de s’intégrer à la communauté juive locale et surtout « internationale ». En outre, l’enseignement francophone prépare les élèves à poursuivre leurs études dans des universités françaises et les intègre à leur futur pays d’émigration. En revanche, à l’instar des écoles juives traditionnelles du xixe siècle, les écoles actuelles ne forment pas des citoyens marocains. L’enseignement de l’arabe, obligatoire dans toutes les écoles privées depuis l’indépendance, y est très réduit. Les quelques heures hebdomadaires consacrées à cette langue durant le cycle primaire permettent seulement aux élèves de maîtriser la lecture. En outre, une mauvaise note d’arabe n’empêche aucunement un élève d’accéder à la classe supérieure. La plupart des parents musulmans interrogés se disent préoccupés par le faible niveau d’arabe, certains envisagent de donner des cours privés à leurs enfants. Seul le lycée Maimonide permet aux élèves de choisir l’arabe au baccalauréat et rares sont les juifs qui optent pour cette langue (pour l’année scolaire 1999-2000, aucun juif n’avait choisi l’arabe). Ainsi, l’enseignement de l’arabe classique n’est guère valorisé. Toutefois, les jeunes juifs maîtrisent plus ou moins l’arabe dialectal, mais cette langue, utilisée essentiellement pour s’adresser aux domestiques et aux commerçants, est dépourvue de prestige. En revanche, le statut du français, langue maternelle de la grande majorité des élèves juifs, est totalement différent. La bonne maîtrise du français est la marque des gens éduqués, appartenant à une classe sociale favorisée. Cette maîtrise est souvent perçue par les juifs comme un marqueur identitaire les distinguant des musulmans, généralement arabophones, censés moins bien parler le français. Il s’agit également de la langue d’enseignement.

28Outre l’apprentissage de la langue de Molière, les élèves des écoles juives sont astreints à suivre des cours d’histoire, de géographie et d’éducation civique centrés sur la France, le Maroc n’est abordé que de façon sommaire. Il serait faux cependant de penser que les écoles juives sont la copie conforme des écoles françaises qu’elles s’appliquent pourtant à imiter.

29En effet, les méthodes pédagogiques diffèrent. La majorité des parents juifs pensent que dans les écoles françaises, celles-ci sont plus modernes, davantage centrées sur l’épanouissement de l’enfant, moins directives et autoritaires que dans les écoles juives. Au contraire les parents musulmans apprécient la sévérité des écoles juives qu’ils opposent au laxisme des écoles françaises. Cet aspect moral est perçu comme étant plus marocain que français.

30L’autre différence majeure est constituée par l’enseignement religieux (kodech). Celui-ci pourrait favoriser l’intégration des élèves juifs à la communauté juive marocaine, comme c’était le cas de l’enseignement judéo-marocain traditionnel. Le kodech, plus important dans les écoles Neve Chalom et Beth Rivka (qui sont aussi les moins fréquentées), comprend : l’hébreu, la Torah, l’histoire juive, les dinim (préceptes religieux), la pensée juive et la liturgie. Le contenu de cet enseignement varie selon les écoles. Dans les institutions de l’Ittihad, il est centré sur le judaïsme « universel » : les grands penseurs du judaïsme et les valeurs fondamentales, alors que dans les écoles religieuses, l’accent est davantage mis sur les préceptes. À l’école loubavitch, on apprend aux futures mères de famille quels seront leurs devoirs religieux et on les rend attentives aux enseignements du rabbi de Loubavitch. Quant au judaïsme marocain, il est très peu évoqué. Il apparaît lors des cours de liturgie qui se conforme au rite juif marocain, de plus, les garçons qui préparent leur bar mitsva (cérémonie marquant la majorité religieuse) reçoivent des cours de cantilation [7] marocaine. L’histoire des juifs marocains fait théoriquement partie du programme d’histoire juive, mais, selon les professeurs, ils n’ont pas le temps de l’aborder et il est des périodes plus brillantes à évoquer (l’âge d’or espagnol par exemple). De plus, les traditions judéo-marocaines, que sont la mimouna [8] et les pèlerinages sur les tombeaux des saints [9], sont considérées par les enseignants comme des pratiques réservées au domaine familial.

31Le judaïsme transmis par l’école est donc essentiellement un judaïsme « universel ». Un tel enseignement permet aux jeunes juifs marocains de se reconnaître surtout en tant que juifs, plutôt qu’en tant que juifs marocains et, dans leur futur pays d’accueil, de s’intégrer facilement aux communautés juives. On assiste souvent, au sein de ces communautés de diaspora, à une ségrégation résidentielle marquée : les juifs marocains ont tendance à habiter aux abords des synagogues marocaines ou, du moins, séfarades. En diaspora, les traditions judéo-marocaines sont généralement revalorisées, les juifs marocains se retrouvant dans un milieu juif et cherchant à affirmer leur « marocanéïté ».

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« Dans les communautés de juifs marocains émigrés, une nouvelle prise de conscience se fait jour : on n’est jamais aussi marocains que lorsqu’on est loin du pays natal. Juifs certes, mais tellement différents des juifs locaux… ».
[Lévy, 1992 : 94]

Diaspora et fuite des élites

33Puisque les élèves, juifs et musulmans, fréquentant les écoles juives sont préparés à poursuivre leurs études à l’étranger, on assiste à une émigration massive des bacheliers. Il existe cependant des différences majeures dans la manière d’appréhender ce départ et les perspectives d’avenir, selon que les étudiants sont juifs ou musulmans. Une enquête par questionnaire a été effectuée auprès de 42 élèves de classe terminale (dont 6 musulmans) des lycées juifs [10] et 5 élèves du lycée Lyautey [11], afin de connaître leurs projets post-baccalauréat, les raisons de leur choix du pays d’émigration et l’éventualité d’un retour au Maroc après leurs études.

34En ce qui concerne les élèves juifs interrogés, tous souhaitent poursuivre leurs études hors du Maroc, principalement en France (près de 80 %), les autres ont choisi Israël, les États-Unis ou le Canada ou hésitent entre l’une ou l’autre de ces destinations. Le fait de préparer un baccalauréat français constitue un atout pour effectuer des études en France. En outre, selon les élèves, les études y sont plus sérieuses qu’au Maroc, où parfois même la filière choisie n’existe pas ou, si elle existe, les cours sont dispensés en langue arabe. De plus, un diplôme français étant mieux reconnu qu’un diplôme marocain, ceci constitue un attrait supplémentaire pour les jeunes.

35Le choix semble surtout être déterminé, dans la plupart des cas, par le fait d’avoir de la famille dans le pays ou la ville des études universitaires. Il s’agit en effet de la première raison mentionnée par les futurs bacheliers. Après le baccalauréat, après avoir suivi un enseignement largement forgé et financé par la diaspora juive, c’est la diaspora judéo-marocaine qui prend le relais et ceci de façon informelle. Le réseau constitué par la famille s’avère être un élément de première importance. Tout d’abord concernant les filières post-baccalauréat : les élèves disent recevoir peu d’informations par les lycées, si ce n’est quelques documents. Rares sont les jeunes qui ont eu recours à ces sources uniquement. La plupart font appel à leur famille ou à leurs amis sur place, pour obtenir des renseignements plus précis ou procéder aux inscriptions.

36Concernant leur installation à l’étranger, la majorité des élèves juifs envisagent de loger chez une grand-mère, une tante ou, plus souvent chez un frère ou une sœur aîné(e). D’autres ont réservé une chambre dans un internat juif, c’est le cas de ceux qui vont en Israël ou aux États-Unis et qui ne projettent pas de vivre chez leur famille. Quant à ceux qui auront leur propre logement, ils prévoient d’habiter près de leur famille, afin d’y passer le Chabbat et les fêtes. Nombreux sont ceux qui ont évoqué l’angoisse de se retrouver seuls, loin de leurs parents et qu’ils espèrent au moins être avec eux pour les fêtes juives. Excepté les quelques jeunes qui disent vouloir profiter de cette « aventure » pour faire leurs preuves, acquérir leur indépendance, les autres ont ce souci de maintenir un lien social avec les membres de la diaspora judéo-marocaine. Il est évident que la plupart appréhendent la séparation d’avec les parents et le milieu juif dans lequel ils évoluent au Maroc : « Ici, on est entre nous, entre juifs, comme une famille, en France ce sera plus difficile. » Il s’avère d’ailleurs que la France et sa proximité géographique représentent parfois moins le choix de l’élève que celui des parents : ceux-ci se sentent rassurés par le fait que leur enfant sera pris en charge par la parenté sur place et qu’ils pourront aller lui rendre visite plus facilement et plus fréquemment que s’il allait aux États-Unis ou en Israël.

37Quant aux projets d’avenir à plus long terme, à savoir si les élèves envisagent de rentrer un jour définitivement au Maroc, 75 % des juifs rejettent catégoriquement cette éventualité. Les raisons invoquées sont nombreuses et sont liées à l’image que les jeunes ont du pays. Le Maroc est perçu comme peu sûr : on ne peut pas se promener librement dans les rues de Casablanca le soir, comme on le ferait à Paris ou en Israël. Le conflit israélo-palestinien rend aussi le climat difficile : « Parfois, on passe dans la rue, ils [les musulmans] ne se gênent pas de dire : "sales juifs". Bon, ce n’est pas courant, mais bien sûr, il existe beaucoup de personnes qui pensent comme ça. » En outre, puisque la communauté se réduit et que la plupart des jeunes quittent le Maroc après le lycée, plusieurs élèves languissent après les retrouvailles avec leurs frères, sœurs et amis ou petits amis plus âgés déjà installés à l’étranger. Quelques filles ont émis des doutes quant à leurs chances de trouver un conjoint juif au sein d’une communauté si réduite. Ce manque de jeunes se traduit par un certain ennui, souvent évoqué par mes informateurs : « Il n’y a rien à faire ici, à part la plage en été », « culturellement, c’est plat ». Certains estiment qu’il n’y aurait pas d’avenir pour eux au Maroc dans le secteur qu’ils ont choisi (le droit, l’audiovisuel ou l’infographie), voire pas d’avenir du tout, la seule perspective étant celle, peu réjouissante, de se retrouver au chômage.

38Cependant, d’autres disent regretter le fait de quitter le Maroc, ils évoquent son climat agréable, la chaleur des habitants (comparés à la froideur de la France et des Français), l’absence de stress, leur vie facile et sans souci, dorlotés par leurs parents et servis par leur « bonne » et aussi, pour certains, la possibilité de pratiquer plus facilement leur religion. En revanche, même pour ces quelques nostalgiques, il est clair que « l’avenir est ailleurs », les choses sérieuses, les études, la vie d’adulte ne peuvent se réaliser au Maroc : « J’ai passé ma jeunesse ici, c’est les plus belles années de ma vie, je pense, mais après il faut se mettre au travail. » Ils ne considèrent pas le Maroc comme leur pays : « On sait que ce n’est pas notre pays, on le sent, on le sait. » L’attachement identitaire est plutôt tourné vers Israël : quelques élèves aimeraient y étudier, mais c’est loin, trop difficile, trop cher aussi. Certains pensent s’y installer après leurs études ou du moins… un jour : « Au Maroc, on ne voit quasiment presque pas des juifs, on est là, deux ou trois, comme ça, paumés au milieu de tous ces gens, des fois on veut des contacts. Et puis bon, [Israël] c’est notre pays quoi, entre guillemets. » Le pays d’origine, plus ou moins idéalisé, ici est Israël, l’identification se fait par rapport à la diaspora juive et non par rapport à la diaspora judéo-marocaine.

39Il convient toutefois de mentionner le cas de quelques élèves juifs qui songent à rester au Maroc ou éventuellement à y revenir après leurs études. Les causes varient selon le sexe des élèves. Les filles envisagent l’éventualité de vivre au Maroc, afin de rester avec leur petit ami ou si, à l’avenir, leur mari le souhaitait. Pour d’autres filles, il semble que le fait de ne pas quitter le Maroc soit dû à des difficultés financières des parents qui préfèrent investir dans l’avenir professionnel de leur fils. Quant aux garçons, ils pensent que malgré une situation économique difficile, le pays est riche en opportunités et qu’ils pourraient bien revenir pour y fonder une entreprise. On conçoit que l’entreprise privée constitue l’un des débouchés privilégiés des juifs, puisque le fait de ne pas maîtriser l’arabe les empêche d’accéder à des postes au sein de l’administration marocaine.

40Quant aux Marocains musulmans interrogés, tant ceux du lycée juif que ceux du lycée français, ils voient leur avenir différemment. Certains envisagent la possibilité d’étudier au Maroc et ceux qui souhaitent partir n’ont que très rarement de la famille à l’étranger. Ils déplorent le fait de devoir quitter leur famille et leur pays. Cette émigration, le plus souvent vue comme temporaire, constitue pour eux un passage obligé, un investissement pour l’avenir. Ils considèrent que les universités françaises sont plus sérieuses que les universités marocaines, mais ne tiennent pas de discours négatif sur le Maroc en général (ils sont tous issus de la classe moyenne ou très favorisée). Ils voient leur vie quotidienne à l’étranger avec quelque appréhension et redoutent la solitude et le racisme. Si quelques-uns pensent éventuellement rester en France ou aux États-Unis, la plupart disent vouloir revenir au Maroc après leurs études. Cette perspective soulève même un certain enthousiasme : « Oui, ça, c’est quelque chose de très important. On peut rester quelques années pour s’exercer, pour un premier emploi, mais le définitif c’est obligatoirement au Maroc. » « Oui, c’est sûr. Je suis très attachée à mon pays, à mes petites origines, à ma famille surtout, je ne compte pas m’expatrier de sitôt. » « Mon avenir, je considère qu’il est dans mon pays. » Dans le contexte général de l’émigration au Maroc, ce type de discours est surprenant. Toutefois, pour ces privilégiés, le retour au pays peut être envisagé sous de bons auspices, c’est ce que l’enquête de Mounia Bennani-Chraïbi, auprès des jeunes Marocains issus de milieux favorisés, semble confirmer :

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« Diplômes cotés, capital relationnel, proximité de l’information sont autant d’atouts qui leur permettront une bonne insertion. […] Une appartenance à des couches sociales aisées, une espérance d’insertion sociale sans difficulté, une absence de sentiments de marginalisation, et une relative faiblesse du poids social, sont (donc) autant d’éléments qui permettent de vivre l’ailleurs chez soi ».
[Bennani-Chraïbi, 1994 : 191]

42Juifs et musulmans perçoivent différemment le Maroc. Pour les premiers, l’attachement est essentiellement d’ordre affectif : lié à l’enfance, aux parents, à la vie facile, mais « ce n’est pas notre pays » et peu songent à y revenir. En revanche, la plupart des élèves musulmans interrogés voient leur avenir au Maroc. Les musulmans fréquentent les écoles juives et françaises. Ainsi que la plupart des juifs sont issus de l’élite, les premiers appartiennent à la société majoritaire, musulmane, les seconds en revanche se perçoivent comme une minorité menacée et consciente de sa différence, ils sont mieux armés, par leur éducation notamment, pour s’intégrer en diaspora où ils bénéficient d’un réseau plus important.

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44Il convient de replacer la fuite des élites marocaines issues des écoles juives et françaises dans le cadre plus général de l’émigration au Maroc. En 1999, deux millions de Marocains vivaient à l’étranger [Maroc-Hebdo International, 1999], ce qui représente un peu plus de 6 % de la population totale. Selon Lazaar [in Ma Mung, 1996 :17], il s’agit « d’une véritable rage de partir ». La migration de travail domine partout, tant pour la main-d’œuvre ordinaire que pour les élites. Ce désir de quitter le Maroc est aussi présent chez les jeunes :

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« L’ailleurs, perçu comme le lieu privilégié de la pleine réalisation de l’individu, comme l’espace de toutes les participations, constitue une autre soupape de sûreté, un exit, ne serait-ce que par l’investissement collectif onirique qu’il canalise ».
[Bennani-Chraïbi, 1998 : 236]

46Les élèves juifs et musulmans fréquentant les écoles juives sont préparés à émigrer, du moins dans le but de poursuivre leurs études. Ces institutions sont très prisées par les familles musulmanes suffisamment riches pour payer un écolage élevé. On constate en effet que l’effectif des élèves musulmans y est de plus en plus important, particulièrement au lycée. Les institutions juives sont censées dispenser un enseignement de qualité.

47L’école publique a beaucoup moins bonne réputation. Il est vrai que le Maroc connaît de graves problèmes en matière d’éducation. Dès l’indépendance, les dirigeants du mouvement national promulguèrent les principes suivants : la généralisation de l’enseignement primaire, l’unification et l’arabisation de l’enseignement ainsi que la marocanisation et la formation des cadres. Quarante ans plus tard, ces buts sont loin d’être atteints, selon le rapport mondial sur l’éducation de l’Unesco, le taux de scolarisation net au primaire était de 72% en 1995. En outre, selon les sources du ministère de l’Éducation nationale [La Vie économique, 12 novembre 1999], la situation n’est guère brillante : le taux de scolarisation des 7-12 ans en milieu rural n’est que de 65,5 % et de 48,5 % seulement pour les filles ; sur 100 enfants en âge d’être scolarisés, 32 achèveront le primaire et seuls 10 obtiendront leur baccalauréat. En outre, ceux qui poursuivront leurs études savent que leur diplôme ne constituera en aucune manière une garantie contre le chômage.

48Dans ce contexte, on comprend que les familles marocaines aisées optent pour des écoles privées, particulièrement nombreuses à Casablanca. La majorité d’entre elles sont bilingues (arabe-français). Les écoles françaises sont cependant préférées.

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« Au niveau du marché du travail, les employeurs du secteur moderne expriment une préférence pour les lauréats ayant une formation francisante ».
[Akesbi-Msefer, 1998 : 28]

50Cependant, il existe un accord signé entre le Service culturel, scientifique et de coopération de l’ambassade de France et le ministère de l’Éducation nationale marocain concernant l’enseignement de la langue et de la culture arabes dans les écoles françaises au Maroc. Ainsi, la langue arabe, l’histoire et la géographie du Maroc, de même que l’islam trouvent leur place dans le cadre des écoles françaises. En outre, le ministère tend à restreindre l’accès de ces institutions aux élèves marocains. En novembre 1999, il a fait paraître un communiqué dans la presse stipulant que ces établissements ne peuvent en effet recevoir que trois types d’élèves : les enfants de résidents étrangers séjournant au Maroc, les élèves provenant d’établissements scolaires en dehors du territoire national et les élèves exclus des établissements de la Mission culturelle française.

51Le ministère tente ainsi de réduire la fuite des élites, car il est évident que les modes de socialisation, les compétences et le type de formation proposés par les écoles françaises et juives encouragent les élèves au départ. Néanmoins, comme nous l’avons vu, le poids du réseau diasporique n’est pas négligeable. Si le réseau des musulmans est moins dense que celui des juifs, il existe cependant. En outre, les musulmans fréquentant les écoles juives sont tous issus de familles aisées qui peuvent payer l’installation de leurs enfants à l’étranger, sans avoir forcément recours aux membres d’une diaspora marocaine sur place. Toutefois, vu l’ampleur du phénomène, cette diaspora pourrait se développer et exercer le même rôle que la diaspora juive actuellement.

52L’émigration des jeunes juifs marocains s’inscrit dans une continuité historique. Depuis la fin des années quarante, le mouvement migratoire s’est intensifié et les destinations se sont diversifiées. Les diasporas ainsi constituées se sont organisées, tissant des liens économiques entre elles, mais aussi avec leur pays d’origine. Le mouvement migratoire s’articule donc grâce au réseau diasporique. Ainsi, la voie est tracée et la migration se poursuit inéluctablement, par un effet « boule de neige » : les frères et sœurs en France, en Israël, au Canada ou aux États-Unis préparent la venue des plus jeunes, puis les parents les rejoignent, s’ils en ont la possibilité financière. Comme me le dit un de mes informateurs, « l’enfant sert d’appât ». Ce mouvement pose finalement la question de la survie de la communauté juive marocaine sur son territoire d’origine.

Notes

  • [*]
    Chercheuse doctorante, université de Neuchâtel, Institut d’ethnologie.
  • [1]
    Date du dernier recensement disponible appréhendant les juifs comme une entité séparée [Berdugo, 1992 :11].
  • [2]
    J’ai assisté à des cours d’hébreu, de judaïsme, d’arabe, d’histoire-géographie et d’éducation civique. J’ai pu également pratiquer l’observation participante (remplacements de deux semaines dans deux classes de CE2 à l’école primaire Narcisse-Leven).
  • [3]
    Statut de protégés accordé aux peuples du Livre dans les pays islamiques, comprenant diverses obligations, telles que le paiement d’un impôt de capitation, le respect de l’islam et quelques modes de distinction entre musulmans et non-musulmans.
  • [4]
    D’autres auteurs relativisent l’image idyllique de la cohabitation pacifique entre juifs et musulmans au Maroc et remettent en cause la protection de Mohammed V. Ainsi, selon Michel Abitbol, cité par Serfaty et Elbaz [2001 : 41], les décrets antisémites furent appliqués sans dérogation. Si des thèses différentes s’opposent sur la question, on peut souligner que la situation des juifs marocains était plus enviable, après l’indépendance, que celle de leurs coreligionnaires tunisiens et algériens. Les premiers connurent des mesures vexatoires, comme l’expropriation du cimetière juif de Tunis et des attentats, l’incendie de la grande synagogue de cette même ville au moment de la guerre des Six Jours. Les seconds, qui avaient pour la plupart obtenu la naturalisation française, furent assimilés aux colons et partirent d’ailleurs en même temps qu’eux [Tolédano, 1989].
  • [5]
    Habad est l’acronyme de Hokamah, Binah et Da’at : « science », « intelligence », « connaissance »
  • [6]
    Les quatre écoles du réseau Ittihad comptent 887 élèves (dont 201 musulmans et 2 chrétiens). Quant aux écoles religieuses, je n’ai pu obtenir de chiffres précis, les effectifs, en forte diminution, constituent un enjeu. Selon les directeurs d’établissements, l’école Neve Chalom accueille environ 170 élèves et l’école Beth Rivka (loubavitch) près de 160.
  • [7]
    La cantilation est l’art de la psalmodie liturgique de la Bible.
  • [8]
    II s’agit d’une fête populaire célébrée le dernier jour de la Pâque juive. La mimouna marque le retour du pain levé à la maison.
  • [9]
    Ces saints sont des rabbins charismatiques, vénérés pour leur érudition et leur piété. Ils sont censés posséder une force spirituelle, souvent révélée après leur mort et dont peuvent bénéficier les pèlerins.
  • [10]
    J’ai interrogé 7 élèves sur 10 au séminaire Beth Rivka, 16 sur 18 à l’École normale hébraïque et 19 sur 39 au lycée Maimonide. Le lycée Neve Chalom n’avait pas de classe de terminale cette année-là.
  • [11]
    Le petit nombre d’élèves interrogés ne me permet pas d’effectuer des comparaisons entre les deux types d’établissements. J’ai constaté que ces élèves, marocains musulmans, tenaient le même discours que leurs coreligionnaires du lycée juif.
Français

Résumé

Depuis la création de l’État d’Israël, l’indépendance du Maroc et les différents épisodes du conflit israélo-palestinien, les juifs marocains ont émigré massivement. Actuellement, ils ne sont plus que quelques milliers à vivre encore dans leur pays d’origine. Cette communauté a de nombreux contacts avec sa diaspora, ces liens sont même vitaux quant à la préservation du judaïsme marocain au Maroc. Toutefois, paradoxalement, la diaspora favorise également l’extinction de la communauté juive sur son territoire d’origine. Les institutions scolaires juives contribuent à ce processus. Par l’enseignement qu’elles proposent aux élèves, mais aussi grâce à ou à cause de l’organisation du réseau diasporique, la poursuite des études à l’étranger est facilitée et le retour au pays demeure peu fréquent. À partir de l’exemple particulier de la migration des élèves juifs et de quelques élèves musulmans fréquentant les mêmes écoles, on peut appréhender le lien existant entre diaspora et fuite des élites.

Mots-clés

  • juifs
  • Maroc
  • Casablanca
  • diaspora
  • écoles juives
  • émigration
  • fuite des élites

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Annick Mello [*]
  • [*]
    Chercheuse doctorante, université de Neuchâtel, Institut d’ethnologie.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.022.0053
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