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Diaspora occultée...

1 Mémorial : de la Chronique rapportant les massacres de Blois au mois de Nissan 1170 à la Vallée des larmes résumant au xvi e siècle la succession de malheurs subis par les juifs médiévaux, tous les Livres de la Tradition, tel celui d’Ibn Daud, s’inscrivent d’abord dans le temps. Ils définissent la civilisation juive par deux caractéristiques. D’abord, son intégration au sein d’un temps historique porteur de sens. Ensuite, son expression à travers la succession de générations qui transmettent la Loi, l’étudient, approfondissent sa connaissance, reprennent son commentaire. Négligeant la diaspora, qui demeure référence implicite alors qu’elle aussi est au cœur de la judéité, en sous-tend formes et expressions. Cet apparent oubli de l’espace est récurrent. Rares et remarquables sont les exceptions, les ouvrages adoptant un point de vue géographique comme l’Itinéraire de Benjamin de Tudèle terminé vers 1173, ou le récent Atlas de la diaspora publié en 1997. Le très complet Dictionnaire encyclopédique du judaïsme adopte d’ailleurs une démarche classique puisqu’il ne possède aucune entrée proprement géographique, et seulement un petit nombre (Galout[1] Israël d’abord) ouvrant des perspectives spatiales. Néanmoins, le destin diasporique est bien le troisième trait essentiel à une civilisation dont l’originalité et la puissance se dissimulent sous la dispersion même ; il en serait même le marqueur. Il favorise une manière très spécifique d’appréhender les notions d’espace et de territoire, est un caractère porteur d’unité pour une population que nous pourrions proposer comme modèle de la diaspora – au sens méthodologique du terme.

... Diaspora essentielle

2 Une approche historique sur le thème « Diasporas, développements et mondialisations », proposée par une médiéviste, exige préalablement de répondre à quelques interrogations. En effet, la vie en diaspora est un trait de longue durée dans l’histoire juive. Elle commence avant la sanction romaine avec le déplacement en Égypte, l’exil à Babylone, suivis de retours et regroupements. Cette histoire, revécue avec force par les juifs médiévaux à Hanukah, Purim, Pessah ou Soukkot [2], dit un fait essentiel : la diaspora est à la fois subie et voulue. Le désir de retour peut demeurer de l’ordre de l’imaginaire, la poursuite de l’existence en Occident peut coexister avec la nostalgie et l’amour d’Eretz Israël, qui n’est pourtant pas la région originelle des générations précédentes. Même pour ceux qui se dirigent vers Jérusalem comme Juda ha-Levi, Maimonide, plus tard Mosse ben Nahman... Sefarad demeure la terre natale aimée et chantée. La vie de minoritaire au milieu d’étrangers, voire d’ennemis, est punition divine, douloureuse mais féconde. Elle ne rompt pas l’Alliance, Dieu lui-même a pu pousser à l’exil. Le rabbin imaginé par Juda ha-Levi, Mosse ben Nahman disputant à Barcelone, ose affirmer combien l’oppression des minoritaires n’est pas nécessairement signe de leur infériorité - pas plus des valeurs que des hommes. La judéité peut être dynamique et convaincre, voire convertir. Quoi qu’il en soit, la diaspora ne dissout pas l’identité, puisque celle-ci n’est certainement pas territoriale, pas plus que raciale.

Ruptures chronologiques

3 Néanmoins, entre la destruction du second temple et le xx e siècle, la douleur de l’exil s’impose à tous les juifs. Il n’est de retour possible à Jérusalem qu’individuel. La renaissance de Sion s’espère à travers le messianisme. Sans doute le sionisme contemporain représente-t-il une rupture majeure dans la chronologie. À l’intérieur de cette très longue durée, qui va de l’Antiquité à la période contemporaine, pourquoi l’historien néglige-t-il les constantes du temps long et choisit-il d’examiner l’évolution seulement entre le xii e et le xv e siècle [3] ? Au-delà de la tradition universitaire, voire de la conséquence de la nécessaire acquisition de compétences précises, l’historien de la diaspora juive n’obéit pas seulement au découpage imposé par les autres civilisations au territoire essentiel et bien construit, parfois même impérialistes. En effet, entre les xii e et xv e siècles, en Occident chrétien et autour du bassin méditerranéen, la diaspora juive se développe dans des conditions particulièrement intéressantes pour notre propos. Ainsi les communautés juives sont-elles acceptées ; elles sont même fort bien implantées et intégrées par certains mécanismes économiques et politiques, dans la péninsule Ibérique, en Provence et en Italie, sans pour cela perdre leur identité. Mais c’est également alors que se profile la menace qui mène à la succession d’expulsions entre 1290 – en Angleterre – et 1492 – en Castille –, puis 1501 – en Provence. Le modèle des communautés instauré par l’Empire romain a désormais été totalement remplacé. Au sein d’un islam et d’une chrétienté en expansion et affrontés l’un contre l’autre dans un conflit territorial autant que religieux, les communautés juives proposent une autre manière de considérer l’espace, la migration, l’économique. Leurs atouts résident dans leur situation de minoritaires tolérés et de peuple élu, pratiquant une religion qui exige l’étude et véhicule une tradition transmise de lieu en lieu à partir de plusieurs centres, s’illustrant grâce à certains membres influents, médiateurs auprès des puissants et entre les deux civilisations dominantes.

L’historien et les outils du géographe et du sociologue

4 L’historien qui pratique la monographie, puis synthétise des données à l’échelle régionale, retrouve dans sa description des modèles qui lui sont fournis par les géographes et les sociologues, en particulier ceux afférents des réseaux, tant d’échanges, de transports, que de réseaux sociaux [Denjean, 2001]. Il dresse alors un portrait très « moderne » des juifs médiévaux qui appartiennent pourtant à une civilisation bien éloignée de notre « système-monde » actuel. Il peut détailler la situation médiévale, montrant comment la diaspora juive a participé au développement de modes d’existence et de pratiques nées de la juxtaposition de communautés différentes, au transfert de connaissances médicales ou philosophiques entre l’Antiquité grecque, le monde arabe et l’Occident chrétien. Dans ces royaumes en constitution, des îlots spatiaux et juridiques juifs peuvent demeurer encore relativement indépendants de pouvoirs centraux. Ils s’intègrent dans un réseau transnational sans pour cela appartenir à l’entité de pouvoir à vocation universelle qu’est l’Église chrétienne. Durant cette période entre les Croisades et les grandes découvertes, où l’on a vu les prémices de la mondialisation actuelle, la question de la présence de cette diaspora au sein de la société chrétienne est discutée dans des traités Contra Judaes [Dahan 1991 ; 1993 ; Iogna-Prat, 1998], mise en cause par la législation royale, ou pontificale lors des conciles, en particulier celui de Latran IV [Grayzel, Stow, 1989], Les attendus des décisions, en particulier ceux des arrêts d’expulsion, explicitent les motivations publiques du refus de la présence de noyaux étrangers au cœur de royaumes chrétiens qui bâtissent « l’État moderne » [Iancu, 1981 ; Leroy, 1998]. Le médiéviste peut alors dépasser l’intérêt méthodologique et la vitalité herméneutique que lui offrent les échanges avec d’autres disciplines des sciences humaines (géographie, sociologie, anthropologie). Il peut non seulement jouer son rôle de mémoire, rappeler les racines d’une mondialisation aujourd’hui réalisée sur les bases de l’expansion des États de l’Europe occidentale, mais aussi proposer un exemple de pratiques différentes des réseaux mondiaux et locaux, de leur articulation. Il souligne enfin les difficultés posées lorsque les pouvoirs instrumentalisent ou interprètent ces modes de vie en réseau. Une telle peinture des communautés juives semble d’abord très anachronique ; elle n’empêche pas de définir au passage plus précisément une identité historienne.

Des migrants enracinés

5 Dans le monde ibérique et méridional tout spécialement, les juifs suivent des courants de migration traditionnels et réguliers. Ils appartiennent néanmoins de même à une population très ancienne et très bien implantée localement. Nous lisons fort clairement leur perception de l’espace, ses contours affectifs, à travers une expression nostalgique où se dit l’attachement à la terre natale comme l’espoir d’un retour à Sion. Sans doute existe-t-il des instances transnationales organisées – comme l’Église –, des pratiques d’échanges et de voyages courantes chez les chrétiens – croisés, pèlerins, étudiants, ouvriers ou marchands. Ce ne sont donc pas les flux de population ou le déplacement qui constituent la spécificité de la diaspora juive. Ce n’est même pas le non-enracinement, c’est une pratique particulière de cette migration qui fait du juif la quintessence de l’étranger.

6 Les juifs médiévaux s’enracinent profondément dans une structure communautaire dont la localisation dure au moins quelques générations - quatre ou cinq au moins. Leur famille y est bien connue à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de la communauté. Les sages les plus aisés prennent des responsabilités au sein de la minorité mais aussi de la société locale. Ils gèrent la construction ou l’aménagement d’une synagogue et des bâtiments liés sans être pour cela obligatoirement voisins : écoles, salles, boucherie, four, fromagerie,mikvê[4]. De même participent-ils pour le consulat chrétien à la gestion du marché, de l’alimentation en eau de la ville… Ils organisent la collecte de l’impôt communautaire ou afferment les impositions chrétiennes. Dans tous les cas, ils s’inscrivent alors concrètement et visiblement dans l’espace local. Ce sont peut-être les rites funéraires qui marquent le mieux cette inclusion dans le local parallèle à un irréductible particularisme. En effet, l’implantation et l’entretien du cimetière doivent suivre des règles précises, et par exemple les pierres comme les corps ne pas être déplacés. Les testaments manifestent des volontés originales pour choisir le lieu de sépulture, posant parfois des problèmes en cas de décès lors d’un voyage. L’attachement à une ville ou à un petit pays s’exprime douloureusement après les expulsions, comme en témoigne l’inscription d’Olot où des juifs languedociens ne peuvent oublier les charmes de leur Béziers d’origine [Nahon, 1986], Moins lyriquement mais tout aussi fortement, l’attente du retour, pour des raisons affectives comme financières, se sent dans la décision des expulsés de France de 1306 qui demeurent quelques années sur la frontière sans véritablement s’installer.

7 L’implantation diasporique se réalise donc totalement, n’est pas vécue comme temporaire. De même n’est-elle en aucune façon strictement urbaine. Bernhard Blumenkranz signale aux xii e et xiii e siècles une présence juive dans de petites localités du sud du Massif central [Blumenkranz, 1980]. Selon Ariel Toaff, dans l’Italie du xiv e siècle, le mynian n’est pas toujours obtenu [5] [Toaff, 1989] ; il arrive même que le nombre d’habitants soit si réduit qu’un adolescent ou une femme doivent procéder à l’abattage rituel. Un petit groupe peut donc vivre éloigné de l’organisation communautaire, ce qui ne va pas sans difficultés pour le respect des pratiques rituelles, de la circoncision à l’enterrement dans un cimetière juif. Les activités de ces gens sont semblables à celles de leurs voisins chrétiens, même si nous rencontrons plus d’artisans que d’agriculteurs.

Migrations subies, migrations choisies

8 L’accueil des personnes déplacées, lors des migrations subies que provoquent expulsions ou troubles antijudaïques, exige beaucoup financièrement et humainement des communautés des pays voisins. Celles-ci réagissent avec plus ou moins de solidarité, sans toujours percevoir le sens des événements, sans lire en eux une tendance générale, comme nous pouvons le faire a posteriori. L’Aragon et la Catalogne du xiv e siècle s’ouvrent largement aux juifs de France, la Navarre est la dernière zone d’accueil ibérique au xv e siècle, Marseille sert de relais aux juifs ibériques après 1492 sans souhaiter intégrer ces coreligionnaires. Mais l’essentiel des migrations est voulu. Elles peuvent accompagner l’expansion d’une société commerciale et bancaire qui croît et veut tenter de profiter des nouvelles opportunités qu’offre l’essor des xii e et xiii e siècles. Ces implantations se réalisent à l’essai, demeurent au début temporaires, sont d’abord saisonnières, avant d’aboutir à une installation définitive selon le modèle des flux de travailleurs ou de la création de nouvelles antennes industrielles, commerciales ou bancaires. Elles correspondent souvent à l’essor de nouvelles aires ou villes neuves, participent au transfert de population et au peuplement, à celui des pôles dynamiques. Ainsi, par exemple, à la fin du xii e siècle, un vieux centre comme Narbonne, dominée par l’aristocratie des Nasi qui se disent descendants de David, connaît la décadence, alors que Montpellier se développe et que de petites villes comme Lunel deviennent célèbres pour leurs écoles [Grabois, 1977 ; Iancu, 1995]. L’aire d’influence de la diaspora méridionale s’élargit également, comme le montre l’exemple de la bipole constituée par l’axe qui rejoint Perpignan à Puigcerdá.

Le juif passeur

9 Ces formes de peuplement et de développement auxquelles participent les communautés juives ne sont pas des pratiques qui leur sont spécifiques. Elles ne sont pas plus typiquement diasporiques. Elles correspondent enfin à des modèles largement étudiés par delà la période médiévale. Ces affaires ne participent d’ailleurs qu’exceptionnellement au commerce international transméditerranéen tenu majoritairement par des chrétiens [6], même si les lettres de la Geniza du Caire montrent une extrême mobilité et une large surface économique de certains commerçants juifs d’Afrique du Nord [Goiten, 1969–1989]. Les juifs, de par leur position d’étrangers proches, sont néanmoins spécialisés dans le rôle de passeurs ou de médiateurs, d’intermédiaires qui fournissent produits agricoles ou exotiques, échangent bêtes et troupeaux. Dans de nombreuses campagnes, en Provence comme en Catalogne, les prêteurs juifs proposent un petit crédit agricole à domicile [Coulet, 1988 ; Émery, 1977 ; 1959 ; Guilleré, 1993 ; 1984 ; 1991 ; Stouff, 1986]. Sans doute le prêt sur gage, décrié, est-il attesté ; l’usure, souvent dénoncée, peut en effet à l’occasion mener d’hypothèque en hypothèque à la définitive dépossession de paysans malheureux face à la crise et à la spéculation, les acculant à la vente, au départ forcé vers la ville ou causant leur bannissement pour dettes. Cependant, le quotidien de ce microcrédit permet soudures et petits investissements ; il peut assurer le développement tardif d’une économie de montagne, comme celle de la Cerdagne aux xiii e et xiv e siècles, tant que la conjoncture demeure favorable ou point trop défavorable. Par exemple, dans cette région, les juifs possèdent des clients attitrés avec lesquels les relations ne se limitent pas au prêt d’argent, ni au prélèvement fiscal, mais sont régulières au lieu d’être réduites à l’acte d’emprunt et de remboursement - hebdomadaires s’ils suivent le rythme du marché local, ou bien fonction de la tournée du prêteur dans les campagnes. Les rapports peuvent toucher aux domaines techniques et pratiques lorsque le prêteur est aussi mandaté pour installer ou curer les canaux d’irrigation, pour collecter la laine ou la fournir aux travailleurs ruraux… Ce qui compte surtout, dans la réussite durant un siècle et demi de cette économie du microcrédit, c’est la durée de ces petits prêts, en réalité fort longs malgré des engagements à quelques mois ou à un an, puisque les remboursements peuvent s’étaler à l’occasion jusqu’à vingt ans, et de toute manière peuvent dépasser la durée prévue lors de l’emprunt sans bloquer le système ni obligatoirement mener à la ruine. Le prêteur y gagne une rente à terme non négligeable, l’emprunteur, lui, de ne pas terminer malencontreusement et brutalement un engagement et un mauvais cycle économique et familial. La survie du système tient essentiellement à son assise sociale, où les garants et relais des emprunteurs jouent leur rôle médiateur auprès des créditeurs et limitent les interventions douloureuses de la justice royale obligeant à des remboursements aux heures difficiles. D’autant que, dans certaines régions surtout et jusqu’au début du xiv e siècle, les artisans juifs ou les commerçants les plus aisés comme plus modestes possèdent de la terre. Des revenus de grands domaines et salines qui alimentent la fortune des Nasi de Narbonne et subventionnent les écoles locales, aux vignes et vergers où les juifs roussillonnais ou provençaux investissent certains de leurs bénéfices, le travail de la terre est concrètement connu par les membres de la diaspora, au même titre que par les chrétiens. Les petits propriétaires de vigne se rencontrent partout. En Navarre, les juifs impliqués dans l’agriculture demeurent nombreux jusqu’au xv e siècle.

Entre implantation locale et réseau transnational

10 Parallèlement à leur insertion dans le développement des aires locales et régionales, les juifs appartiennent naturellement à un réseau relationnel provincial, qui peut s’étendre pour les familles les plus notables au moins à l’échelle d’un royaume. Certains voyageurs, certains marchands peuvent, sans rompre avec les leurs, passer des mois ou des années dans un autre pays. Ils voyagent beaucoup pour leurs affaires, ou même, comme Benjamin de Tudèle, dans un souci de connaissance et d’inventaire des communautés juives du monde entier, connues ou inconnues. Les épistoliers de la Geniza du Caire possèdent en général des relais grâce à leurs activités commerciales. Benjamin semble se présenter devant les membres éminents des yeshivot, écoles talmudiques, et des communautés les plus éloignées de sa Tudèle natale simplement comme membre de la même diaspora, de même qu’un commerçant malchanceux qui avait mouillé sa cargaison lors d’une traversée hasardeuse de la Méditerranée, va faire sécher ses draps dans une synagogue. Ce réseau est plus ou moins dense. Familial, il déborde rarement l’aire régionale, et peut être aisément réactivé en cas d’éloignement physique trop grand suite au mariage à distance des parcours et circuits habituels. Néanmoins, des années peuvent passer sans que les parents ne reçoivent de fréquentes nouvelles. Dans ce cas de relations distendues, il faut un changement notable dans la vie quotidienne – expulsion ou décès d’un grand-père ou d’un père – pour réinitialiser les rapports. Lors des migrations familiales, des avoirs éloignés de plus de deux cents kilomètres du lieu de résidence peuvent être conservés durant une dizaine d’années ; mais ensuite les migrants définitifs se désengagent de leurs affaires situées trop loin de leur lieu d’activité, surtout lorsque la situation familiale se modifie, en particulier quand une femme se retrouve veuve. La réussite économique repose sur la souplesse des investissements et des retraits, l’adaptation rapide à la conjoncture, tant pour les marchands d’envergure internationale que pour les plus modestes qui travaillent à l’échelle locale [Denjean, 1997].

11 Plus encore que leurs collègues chrétiens pourtant eux aussi gyrovagues, maîtres et étudiants vont d’école talmudique en centre renommé, au gré des opportunités et de la célébrité de tel ou tel maître. Narbonne au xii e siècle attire de fort loin, même si le centre champenois autour de Rashi est alors dominant. Mosse ben Nahman [7] de Gerona au xiii e siècle, comme au xiv e Haisdaï Crescas [8] sont largement connus et consultés. Comme les marchandises, idées, techniques et modèles artistiques circulent en suivant le réseau communautaire, tels ceux pour les Hanoukia ou la vaisselle de Pessah, l’enluminure des Haggada. Les nouvelles de chaque communauté sont transmises aux voisines et les éléments notables ou terribles commémorés. Ainsi, vers 1300, donc presque un siècle avant l’Avalot de 1391 [9], la communauté de Barcelone, apprenant un vendredi la découverte d’un cadavre d’enfant dans le call, prend immédiatement la mesure du risque d’émeute et s’efforce, avec les autorités royales, d’éviter le pire [Lourie, 1990]. Or, les accusations de meurtre rituel n’étaient pas connues localement. De même, les moeurs des juifs ibériques sont jugées par des Ashkénazes de passage souvent critiques, les questions importantes se discutent à travers de fréquents échanges épistolaires complétés par des voyages si ceux-ci se révèlent insuffisants comme lors de la querelle autour des études profanes et de la philosophie de Maimonide [10] au début du xiv e siècle. Les choix religieux ou éthiques s’exercent au travers de responsa demandées aux plus éminents. Livres et traductions circulent grâce au travail de certaines familles comme les Tibbonides qui, venus du sud de l’Espagne, prennent désormais soin de leur bibliothèque en Provence. Ce réseau est donc non seulement supranational et considéré par ses acteurs comme mondial, dépassant largement les clivages qui séparent l’islam de la chrétienté, l’Orient de l’Occident, mais il est aussi essentiellement immatériel : lettres de change comme marchandises ; idées, tradition plutôt qu’échanges de biens. Les réseaux de pèlerins ou d’étudiants chrétiens ne semblent pas posséder à la fois toutes ces caractéristiques - pas de manière aussi achevée. La spécificité juive provient sans doute de l’éternelle situation de minorité des membres des communautés juives. Leurs capacités sont consciemment utilisées par les autorités, qui bénéficient de leurs compétences linguistiques pour obtenir des traductions ou envoyer des ambassades en Orient musulman.

Sefarad et Sion

12 Juda ha-Levi [11] écrit au xii e siècle : « Mon cœur est en Orient, mon corps en Occident » et résume en un vers le sens de cette diaspora. Celle-ci en effet, à la différence de la majorité des autres, de type colonial ou commercial, est nécessairement sans retour dans le présent comme dans le futur proche, et combine les formes de migrations caractéristiques des flux de travailleurs et de commerçants avec celles des personnes déplacées. Ces caractères ne font pas que se succéder mais ils sont également concomitants durant la période médiévale. Un juif médiéval peut en effet quitter une ville ou une région pour une autre parce que ses affaires l’y appellent, et aller par exemple de Montpellier à Perpignan puis Puigcerdá où, en une génération, se réalise une installation familiale et économique pour deux siècles. Il peut de même avoir rejoint ces régions pyrénéennes à cause de son départ forcé d’al-Andalus au xii e siècle ou d’Angleterre après 1290. Mais il se souvient aussi que son peuple a été chassé de sa terre et qu’un temps futur plus ou moins proche le ramènera à Sion. Du moins pourra-t-il partir y terminer sa vie. Le Kuzari de Juda ha-Levi, lu parallèlement à ses Poèmes sur Sion, met en forme la douleur mais surtout le dynamisme et la force militante des juifs confrontés à l’intolérance et aux violences. Selon lui, un espace politiquement dominé par ces sempiternels minoritaires est réellement et historiquement possible : le roi des Khazars se convertit, convaincu par les arguments du rabbin [Touati, 1993]. La base de cette fable est réelle et attestée. Mais Jérusalem est néanmoins un lieu du passé – le royaume d’Israël – et du futur - messianique –, un lieu symbolique plus encore qu’une ville réelle, la seule où réaliser pleinement et véritablement l’Alliance. Sans doute n’est-ce pas un hasard si la légende rapporte que Juda ha-Levi mourut en vue de Sion, assassiné, sans y parvenir véritablement [Itzhaki, 1997].

13 Cette inscription diasporique dans l’espace est donc spécifique : beaucoup plus que leurs voisins chrétiens, dont ils diffèrent pourtant fort peu en apparence, les juifs médiévaux appréhendent l’espace à diverses échelles mais aussi selon divers modes. Ils distinguent visiblement l’espace possédé, vécu, marqué par la juxtaposition communautaire, d’un autre tissé par les réseaux relationnels et d’un dernier, espace symbolique et rêvé, référence et base de l’Alliance et de la judéité. Elle est cause de certaines formes d’interactions entre les différentes communautés et semble être un marqueur utile permettant de juger de leurs évolutions à la fois parallèles et divergentes.

Une territorialisation imposée

14 De fait, la société chrétienne se territorialise à la fois spatialement et symboliquement. Les communautés juives suivent ce mouvement avec un certain retard, un peu selon le même mécanisme que suit le système anthroponymique. L’emprise ecclésiale ou royale augmente et se précise durant toute notre période. De moins en moins de lieux échappent au ressort des paroisses, évêchés, pouvoirs urbains, sénéchaussées… De moins en moins d’aires sont vides, non répertoriées, non dominées, tant dans les territoires reconquis sur les marches de la chrétienté qu’à l’intérieur de celle-ci. Parallèlement, si l’on en croit l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, la chrétienté espère parvenir à l’intégration de tous les païens, infidèles [Iogna-Prat, 1998]. Les juifs, eux, durs comme des pierres, sont les plus irréductibles de ces êtres autres que l’Occident chrétien compte bien réduire dans sa marche triomphante.

15 C’est alors, dès le xii e siècle, que les divers types d’espaces occupés trop visiblement par la diaspora juive se transforment : soit sa présence est contestée, soit ces territoires sont au moins en partie intégrés. Dès que les circonstances conflictuelles le permettent, l’espace communautaire voit son autonomie battue en brèche. D’ailleurs, celle-ci ne dépend que de la protection royale, engagée à travers diverses chartes. Celles-ci accordent coutumes et franchises à des communautés précises, ou concèdent certaines terres et biens à des individus ou responsables communautaires, certains privilèges à des favoris royaux. Or, une émeute, ou seulement une menace comme celle de 1301 connue à Barcelone, provoquent enquête et intervention du viguier [Lourie, 1990]. De toute manière, le quartier juif est un espace qui peut être déterminé mais pas réellement délimité et l’autonomie juridique accordée à des juifs est plus personnelle que territoriale. Sans doute, en plein cœur de la zone ou rue habitée préférentiellement par les juifs au xiii e siècle au moins, sur le marché par exemple, les secrétaires de ? aljama agissent-ils les premiers en cas de trouble [12]. Mais le quartier n’est jamais borné ni isolé et se modifie souvent topo- graphiquement très vite, dans les cités les plus récentes et en expansion surtout, mais aussi dans les plus anciennes. L’application de la Loi juive sur un espace rassemblant plusieurs maisons et cours habitées par des juifs est donc d’abord symbolique. On y obéit pour shabbat et les grandes fêtes juives à un temps et à une géographie différents de ceux qui dictent localement leur loi, pas même en phase avec le calendrier agricole ou religieux local. Les cabanes de Soukkot demeurent exotiques et en général mal adaptées aux aléas climatiques des régions occidentales ; le calendrier des fêtes de pèlerinage n’a plus à voir avec les récoltes réelles. Certaines règles ou pratiques perdent leur réfèrent concret en Occident sans pour cela devenir fossiles ou être privées de sens parce qu’héritées. Lorsque Purim tombe non loin du Vendredi saint, avec ses rites carnavalesques désignant à la vindicte et à la moquerie l’affreux Aman qui faillit sans l’intervention d’Esther faire massacrer les juifs d’Assuerus, l’incompréhension entre communautés est totale, les conditions d’une émeute antijuive rassemblées. L’histoire des migrations forcées et de la diaspora est commémorée et revécue de Kippour à Hanukah et Pessah. Les sources multiplient les signes montrant qu’au xiv e siècle cette extraterritorialité juridique et symbolique inquiète les chrétiens ; elle est vécue comme un risque par les juifs. Elle participe visiblement à l’augmentation de la ségrégation en même temps qu’elle favorise le non-respect de l’autonomie communautaire. Les pouvoirs politiques interviennent à travers des procès, les religieux grâce à des prêches et aux conversions. Les témoignages sont plus nombreux – chroniques, récits de témoins, lettres – où nous voyons se développer les stéréotypes antijuifs qui poussent à faire de cet étranger si proche un être à part dans l’espace comme physiquement. Néanmoins, en Provence, Catalogne, Navarre et Italie, la vie quotidienne demeure jusqu’à la fin du xiv e siècle plutôt calme et la cohabitation harmonieuse : nous disposons de documents prouvant qu’il ne faut ni généraliser ni exagérer troubles, inquiétudes et rumeurs incriminant des membres de la diaspora juive, voire accusant de complot l’ensemble des communautés comme lors du mouvement des Pastoureaux. Cependant, du point de vue que nous avons adopté, alors que l’espace juif dans le sens topographique du terme tend au resserrement, au regroupement, à l’exclusion, l’espace symbolique et religieux, privé et communautaire paraît s’ouvrir aux influences chrétiennes. Les deux mouvements ne sont contradictoires qu’en apparence. En effet, circonscrire la différence permet ensuite plus aisément de l’assimiler ou de la rejeter. Du moins les intéressés eux-mêmes ressentent un danger, d’acculturation au moins, de disparition des communautés. La vie juive au sein de ces lieux se fait moins discrète, plus problématique. L’altérité visible et sensible peut désormais servir à l’occasion d’argument pour des attaques d’abord verbales. Il s’agit de la réduire.

Du treillage au maillage

16 Le gouvernement des communautés de la diaspora se modifie également. L’espace n’est pas seulement ouvert et de plus en plus intégré par l’espace englobant chrétien qui le détermine, le désigne, le rejette ; il se construit de plus en plus par un maillage, et non plus un treillage. La notion de réseau tout à fait sensible sinon explicite dans ?Itinéraire laisse la place à celle d’aire, facteur de problèmes multiples. La vision de l’espace s’adapte ou plutôt s’aligne sur les pratiques du monde chrétien. Alors que le call catalan désignant un quartier habité par les juifs correspond de plus en plus à un espace périphérique marginalisé, le terme aljama s’emploie à partir du xiv e siècle dans des acceptions qui projettent le sens juridique dans l’espace. L’aljama, d’abord simplement formée de familles, devient un territoire. Les conflits ainsi provoqués permettent en outre aux pouvoirs politiques chrétiens de protéger ou d’exiger, bref d’intervenir dans les affaires communautaires. En effet, la gestion des bâtiments et infrastructures communautaires se réalise dès le xiii e siècle au moins à travers une assemblée, un conseil, l’action de secrétaires. Ces dirigeants ressemblent non seulement aux oligarchies municipales chrétiennes mais appartiennent à des familles de même niveau social que les chrétiens. Les uns et les autres entretiennent des relations étroites. Certains personnages éminents de ces communautés ont acquis un prestige au sein du réseau juif, mais sont aussi des intermédiaires appréciés des rois chrétiens. En même temps, les communautés locales sont regroupées dans des circonscriptions plus vastes, la collecta en Catalogne et Aragon, qui permettent d’obtenir les impôts dus au roi chrétien.

17 Mais ce système est mal adapté dans le détail aux migrations juives surtout après 1360, lorsque les difficultés économiques et financières augmentent. Une nouvelle conception du territoire se dessine ainsi. Une question se pose aux responsables des aljamas : qui appartient au groupe, qui n’y appartient pas ; il en va de la justice, de la responsabilité de la collectivité, des pratiques d’assistance, de la fiscalité. Pratiquement, la traduction est : qui va gouverner la communauté, participer à la désignation de ce gouvernement, subvenir à ses besoins et pourvoir à ses charges, essentiellement fiscales, qui s’alourdissent, enfin être défendu mais aussi contrôlé moralement et intellectuellement. Or, notre connaissance des populations nous permet d’affirmer que ce modèle n’est pas pertinent pour des hommes qui peuvent habiter ici mais résider ailleurs, bouger souvent, avoir migré récemment. Les traces de conflits que conserve la documentation ne sont donc pas accidentelles. Les plus malins, ou les plus pauvres, les émigrés récents cherchent à échapper à des versements insupportables. Ces questions touchent tous les domaines et aboutissent à des situations parfois dramatiques. Ainsi, nous voyons un père provençal effrayer des chrétiens qui ne comprennent pas pourquoi il se déplace avec le cercueil de son enfant mort. C’est qu’il ne parvient pas à trouver un cimetière juif où l’on veuille bien l’accueillir. L’arme de ?alatma ou du herem, excommunication communautaire, peut également poser problème lorsqu’il ne s’agit pas de sanctionner un manquement individuel et ponctuel mais une attitude ou des pratiques qui agitent toutes les communautés méridionales. Le cas le plus célèbre est celui des deux querelles dites de Maimonide. Il s’agit de juger d’un problème purement interne aux communautés [13] – la manière d’étudier la Torah –, il faut déterminer l’aire d’influence relevant de tel rabbin, de telle communauté, selon un système comparable à celui pratiqué pour la levée des impôts. Comme chaque aljama s’inclut dans une collecta dans le système fiscal, certaines autorités comme celles de Barcelone ou Saragosse prétendent prendre des décisions valables pour toutes celles considérées comme de leur ressort. Dans ce cas également, la pratique ancienne et logique du réseau se heurte à celle d’une aire polarisée par une capitale en quelque sorte intellectuelle parce qu’administrative et peut-être politique, calquée sur le modèle chrétien, et choisie en fonction de l’organisation spatiale de celui-ci. La question ne semble plus être tout à fait quel rabbin possède le plus d’autorité pour proposer un choix qui évite de déchirer les communautés, même si ce point de vue existe encore. Mais les anti-maïmonidiens et pro-maïmonidiens emportés par leur passion utilisent toutes les armes en leur possession. Ils considèrent parfois l’espace de la diaspora méridionale comme des territoires emboîtés qui doivent donc s’aligner sur la décision imposée par une autorité dominante. Ce faisant, ils attisent souvent les clivages locaux, intellectuels comme sociaux. Enfin, sans semble-t-il prévoir les conséquences traumatisantes de cette intervention, ils en auraient appelé à l’autorité ecclésiastique chrétienne pour remettre de l’ordre au sein du judaïsme.

18 De chartes ségrégatives en empiétements juridiques, au cours du xiv e siècle, l’espace communautaire local des communautés juives est circonscrit et grignoté. Comme nous avons jugé qu’il est plus un espace personnel que véritablement inscrit sur le sol, il reste à imposer les prêches dans les synagogues et à forcer les conversions pour éliminer le modèle diasporique, qui, selon les édits d’expulsion, devient insupportable aux populations chrétiennes. La filiation entre les divers actes, sa mise en perspective avec le processus de territorialisation au cours de la naissance de « l’État prémoderne » est au moins une hypothèse séduisante.

19 C’est bien le transnational, le mondial, le réseau invisible, le non-territorial sinon l’extraterritorialité qui se révèle inacceptable pour une chrétienté qui inclut de mieux en mieux ses marges et élargit son espace. Découvrir en son cœur non seulement une religion, mais un mode d’être qui résiste à sa marche globalisante est insupportable. L’existence d’un ailleurs diasporique, d’une vie familiale et communautaire en apparence semblable mais pourtant autre, focalise la suspicion chrétienne. Celle-ci se nourrit d’accusations d’usure, de meurtre rituel, de complot anti-Occident, de crimes sournois et invisibles. Le majoritaire ne peut tolérer d’être sapé ainsi par des gens qui échappent au maillage. Une identité « déterritorialisée » est dangereuse dans un processus d’uniformisation, d’organisation, qui marque une société qui n’englobe mais totalise, des pouvoirs nationaux qui ont bloqué les velléités de domination théocratique universelle de l’Église mais reprennent son discours de défense de la chrétienté. Un discours moralisant a alors beau jeu de se développer, en particulier en Castille, dans les ouvrages destinés à conseiller le prince. Les juifs diasporiques menacent l’ordre car, loin d’être un adjuvant au développement local en raison de la bonne utilisation de leurs compétences transnationales et transcommunautaires, ils sont désormais comme un corps étranger n’obéissant pas à la raison locale et nationale. Officiers royaux, médecins, ambassadeurs, conseillers juifs sont exclus, en droit puis en fait, de leurs charges officielles puis officieuses. Leurs droits sur des chrétiens puis sur la terre sont mis en cause dès la fin du xiii e siècle. C’est alors que court l’accusation d’usure, donc de faire travailler le temps, action diabolique. Une rééducation par le travail de la terre est même envisagée. Tout réseau diasporique est par nature suspect, les convertis sont dénoncés comme les juifs, au xv e siècle.

20 *

21 Ainsi, les études monographiques basées sur des sources notariales et royales, centrées d’abord sur l’économique, nous permettent d’abord de dresser un tableau de la diaspora juive médiévale dont les caractères se retrouvent aujourd’hui dans d’autres diasporas. Les qualités des juifs médiévaux, ces étrangers si proches, que les puissants utilisent avec pragmatisme, en font des médiateurs, intermédiaires, marchands et prêteurs par excellence. Ils agissent dans les domaines politique, économique, intellectuel et aident à la rencontre des civilisations grecque, musulmane et chrétienne d’Occident. Mais durant les derniers siècles du Moyen Âge, cette capacité à combiner avec bonheur l’intégration à l’échelle locale et les réseaux de relations et d’échanges transnationaux est mise en cause idéologiquement et attaquée. La ségrégation augmente, les réseaux se délitent et les conflits se multiplient. Ainsi, cette étude pouvait seulement présenter un exemple de développement et d’échanges favorisés par la présence d’une diaspora dont la date, les xii e et xiii e siècles, comptait peut-être moins que les caractères repérables sur la longue durée : la place des juifs médiévaux dans le microcrédit pouvait se comparer avec les expériences récentes en Inde ou à Madagascar… Pourtant, une observation plus fine de la chronologie et des structures en train de se modifier à la fin du xiii e siècle, à l’heure d’une crise économique, puis démographique, a montré à travers l’exemple de la relation à l’espace que la place de cette diaspora se voyait de moins en moins reconnue. Ses capacités utilisées plus ou moins consciemment se marginalisent car elles ne correspondent pas à l’idée que l’État moderne naissant se fait de lui-même et de l’espace de sa domination. L’apport de l’historien s’entendra donc en contrepoint.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences en histoire médiévale, université de Bordeaux-III.
  • [1]
    Exil, diaspora.
  • [2]
    Yom ha-kippourim, ou jour des Expiations ou du Pardon, se transforma au cours du Moyen Âge en fête non joyeuse. Les philosophes médiévaux, comme Yehoudah ha-Lévi ou Maïmonide, décrivent ce jour comme celui où l’âme, délivrée des contraintes physiques, peut atteindre les sommets de la perfection dans le service divin ; Soukkot, en septembre-octobre, fête des Tabernacles ou fête des Tentes, rappelle l’errance dans le désert sous la protection de Dieu ; c’est une des trois fêtes de pèlerinage, avec Pessah ; Hanukah, ou fête des Lumières, revit la sauvegarde de l’huile permettant de consacrer à nouveau le Temple souillé par les destructeurs et la révolte des Macchabées contre ceux qui voulaient helléniser Israël en 165 av. J.-C. ; Purim, ou fête des Sorts, commémore l’échec du projet d’extermination des juifs grâce à Esther ; Pessah, fête des Azymes, célébrée en souvenir de l’Ange de la mort qui avait frappé les Egyptiens mais pas les Hébreux ; c’est la célébration de la liberté du peuple juif, de l’Exode précipité des Hébreux hors d’Egypte au cours d’un repas.
  • [3]
    La place de la communauté, le phénomène des juifs de cour, l’étude de la Loi…
  • [4]
    Le mikvê est le bain rituel, nécessaire aux rites de purification à certains moments de la vie, par exemple aux femmes avant le mariage.
  • [5]
    Le minyan est l’assemblée de plus de dix hommes ayant atteint leur majorité religieuse.
  • [6]
    Particulièrement dans certaines cités provençales.
  • [7]
    Mosse ben Nahman, ou Nahmanides, RaMBaM, 1194-1270 ; membre éminent du cercle cabaliste de Girona, sa ville natale, médiateur dans la controverse sur les études philosophiques de 1232, son prestige le fit choisir comme défenseur de la Tradition juive dans la controverse de Barcelone, en 1263, où Jacques 1er le protégea. Parti vers la Palestine en 1267, il serait mort après avoir séjourné à Jérusalem.
  • [8]
    Rabbin de Saragosse.
  • [9]
    Émeute antijuive qui toucha les diverses villes de la péninsule Ibérique et provoqua de nombreuses conversions forcées.
  • [10]
    Mosse ben Maimon, ou Maimonide, RaMBaM, 1131-1204 ; né à Cordoue, il quitta al-Andalus pour Fez en 1159, puis marcha vers la Palestine en 1165 et s’installa au Caire, où il fut médecin et conseiller. Son œuvre est l’une des plus essentielles du judaïsme, pas seulement médiéval, particulièrement son Guide des perplexes. La lecture de ses textes philosophiques donna lieu au xiii e siècle puis au début du xiv e siècle à un vigoureux débat dans les communautés méridionales.
  • [11]
    Juda ha-Levi, 1075-1141 ; poète et philosophe, l’un des principaux représentants de la poésie sépharade de l’âge d’or, quitta Tolède et Cordoue après l’invasion almohade, laissa à 60 ans sa maison, sa femme et ses enfants pour partir vers Eretz Israël.
  • [12]
    Aljama : mot arabe appliqué aux communautés musulmanes ou juives. Les Aljama judeorum sont autonomes, organisées autour d’institutions telles l’Assemblée, le Conseil, pourvues de secrétaires. Rien ne dit que tout groupe juif est organisé en aljama. Se pose la question de savoir quels groupements ont été des aljamas juridiquement organisées. Ces communautés ont été rassemblées en 1268 pour la répartition de l’impôt.
    Call : quartier juif, qui peut se réduire à une rue ou en posséder plusieurs. Ce quartier peut être nommé juiverie, cuyrada en Aragon, jueria à Lérida, ebraïsmo. Ce système de ségrégation se met en place au xiv e siècle mais il n’est pas alors total puisque, par exemple, les rois de Majorque essayent de l’imposer vainement à Perpignan. Il peut exister plusieurs noyaux juifs comme à Barcelone (qui possède le Call mayor et le Call de Sanahuga), à Saragosse ou à Gerona. Ces localisations peuvent se succéder dans le temps ou être concomitantes. Parfois, comme à Saragosse, existe une juiverie intra-muros et une autre extra-muros.
    Collecta : rassemblement de plusieurs groupements juifs. La définition est claire en Aragon mais pas en Castille.
  • [13]
    Même si l’Église chrétienne se trouve somme toute face à des questions parallèles cause de conflits au sein des universités.
Français

Résumé

À l’époque où coexistent pratiques féodales et prémices de l’État moderne, les séfarades, très bien intégrés localement, manifestent une manière spécifique de vivre l’espace. Leur inscription dans cet espace à l’échelle du territoire de la ville, de la viguerie et du royaume, qui se marque très concrètement (propriété, exploitation de la terre, réseaux liés au crédit et à la fiscalité, inscription territoriale des « aljamas » et communautés), est sans doute en train de se déliter et de se modifier. Parallèlement, évolue leur inscription dans un réseau communautaire, politique et économique transnational. Leurs capacités reconnues dans ces domaines sont de plus en plus conçues comme exclusives et mal perçues par les chrétiens mais causent ou attisent également les conflits à l’intérieur des communautés. Dans un même temps, la relation entretenue avec Jérusalem se traduit différemment entre le xii e et le xv e siècle alors que se multiplient les actions de ségrégation puis les expulsions.

Mots-clés

  • juifs
  • occident médiéval
  • méditerranée
  • péninsule Ibérique
  • réseaux relationnels
  • ségrégation
  • passeur
  • expulsion
  • état moderne
  • microcrédit

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Claude Denjean [*]
  • [*]
    Maître de conférences en histoire médiévale, université de Bordeaux-III.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.022.0037
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