CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il faut distinguer plusieurs types de réformes de l’État. Elles diffèrent tant par leurs objectifs que par leurs conséquences sur l’emploi et les salaires des employés de l’État. La Colombie présente la particularité d’avoir combiné une réforme d’inspiration libérale et monétariste visant à assainir les comptes publics et une réforme aspirant à renforcer la présence de l’État dans les années quatre-vingt-dix. Ce pays nous permet donc d’étudier l’impact sur l’emploi public de deux types de politiques menées simultanément et, par bien des aspects, apparemment contradictoires.

2Les réformes de l’État prônées dans les pays émergents par les institutions financières internationales sont conçues comme une composante essentielle de la politique d’ouverture économique. Rarement la réussite d’une politique économique a été jugée autant conditionnée par une transformation du rôle et du fonctionnement de l’État. Rarement aussi les réformes se sont autant centrées sur l’amélioration des performances économiques et non, par exemple, sur une redéfinition du partage des pouvoirs ou sur un traitement plus équitable des usagers. Elles visent avant tout à permettre la réduction du déficit public et à limiter les freins au jeu de la libre concurrence. Elles stimuleraient les investissements productifs et amélioreraient le système d’allocation des ressources financières et humaines. Elles permettraient une meilleure circulation du capital au niveau international d’une part et, d’autre part assureraient une plus forte productivité des travailleurs au sein de l’économie nationale.

3Les conséquences potentielles de ce programme sur l’emploi public sont nombreuses. Concrètement, ses objectifs doivent être atteints notamment grâce à des restrictions budgétaires, à une meilleure organisation du travail effectué par les employés du secteur public et à une redéfinition du périmètre de l’action publique, soit par le recours À la sous-traitance, soit par des privatisations, deux politiques que nous regrouperons sous le terme d’externalisation.

4Nous définirons comme politique d’emploi public tant la fixation des salaires dans le service public que la politique d’embauche et de gestion de la main-d’œuvre menée dans ce secteur. Au-delà des mesures d’ajustement, nous pouvons signaler que les réformes libérales tendent surtout à faire évoluer la finalité de cette politique. Leurs partisans stigmatisent avant tout deux modèles qui seraient en vigueur particulièrement dans les pays du Sud. Ils critiquent la conception d’inspiration keynésienne de la politique d’emploi public combinant politique contracyclique d’embauche et stabilité des salaires. De même, ils rejettent l’idée que cette politique soit mise au service d’un objectif de stabilité politique des élites en organisant les circuits clientélistes et les pratiques de corruption. À ces deux finalités possibles, les réformes libérales opposent la recherche de la performance et surtout la supériorité des mécanismes de marché dès qu’un système concurrentiel peut être mis en place : ils favoriseraient tant la diversité des services proposés que la minoration de leur coût.

5Pour étudier les réformes de l’État, ses services doivent être considérés non pas comme un ensemble mais comme la somme d’activités marchandes potentiellement concurrentielles et de tâches que seul l’État est en mesure de réaliser. La logique d’externalisation repose sur cette distinction. En ce qui concerne les métiers destinés à rester dans le périmètre de l’action publique, il s’agit d’adopter un mode de gestion en partie calqué sur les pratiques en vigueur dans le secteur privé, de renforcer le poids des critères de productivité dans l’évaluation des résultats et de lever les blocages qui pourraient gêner les usagers. Les réformes tendront à modifier les procédures administratives, les alléger a priori mais aussi les alourdir parfois pour certains dispositifs de lutte contre la corruption ou le clientélisme. Par ailleurs, le respect plus strict de la contrainte budgétaire suppose une adaptation des dépenses de l’État aux variations des recettes ; adhérer à cette nouvelle discipline empêche a priori de mener une politique contracyclique d’emploi public. L’accent est surtout mis sur la gestion du personnel, plus que sur les salaires. Un bon indice de cet état de fait est la mise en place par la Banque mondiale et les banques régionales de fonds destinés à financer des programmes de départs volontaires des employés de l’État.

6Les fonctionnaires sont supposés trop nombreux, surpayés et mal adaptés aux nouvelles techniques et modes de gestion. En termes de politique d’emploi public, les réformes libérales passent par l’imitation des méthodes de gestion du privé et donc par la réduction du personnel, une évolution de sa composition et le rapprochement des modes de calcul des salaires entre secteurs.

7Les réformes libérales doivent être distinguées des mesures prises afin d’augmenter la présence et l’action de l’État au sein de la société. En Colombie, le changement de constitution réalisé en 1991 était d’abord dicté par ces dernières considérations. Il s’agissait de relégitimer l’État et, à travers lui, les classes dirigeantes, en leur accordant un plus grand pouvoir d’intervention dans le domaine social et en favorisant la participation des citoyens dans la gestion des affaires publiques. Néanmoins, rien n’empêche a priori de concilier expansion de l’État et nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines au sein du secteur public : tel est le pari de la réforme en Colombie. Avant tout confronté à une guerre civile endémique et crédité d’une saine gestion de la devise et de la dette, le pays a privilégié les questions sociales et renforcé l’action de l’État tout en créant un certain nombre de garde-fous et en adoptant une série de mesures destinées à fournir un cadre idoine à la politique d’ouverture.

8Dans un tel contexte, les réformes libérales de la politique d’emploi public ont un impact plus difficile à percevoir que dans le cadre d’une restructuration massive de la fonction publique. Nous essaierons de déterminer s’il y a convergence entre politique d’emploi public et mode de gestion du privé en Colombie pour analyser les effets de la réforme. Pour la réalisation de cet article, nous avons bénéficié des données des volets emploi des enquêtes ménage trimestrielles menées entre 1982 et 1996 et celles extraites de la comptabilité publique par le DANE, le DNP et la BID [1]. Après avoir présenté le comportement des comptes publics, nous mesurerons les évolutions de la composition de la main-d’œuvre et des salaires dans le secteur public en les comparant avec celles qui se font jour dans le secteur privé. Ce constat pourrait fournir de sérieux indices d’une éventuelle convergence entre les modes de gestion de la main-d’œuvre adoptés par chacun des deux secteurs.

La réforme de l’État

9Face à la perte de légitimité continue de l’État colombien, les gouvernements successifs de Barco (1986-1990) et de Gaviria (1990-1994) prônèrent et mirent en place la réforme de la constitution de 1886 par la voie parlementaire. Ce changement répondait aux principales préoccupations du pays puisqu’il s’agissait d’améliorer le fonctionnement des institutions pour éviter une gestion clientéliste ou affairiste de l’État, de se rapprocher des préoccupations et problèmes des citoyens et de protéger les droits des minorités. à la suite de la proclamation de la nouvelle constitution en 1991, de nombreuses lois furent votées, au cours des années suivantes, pour la mettre en application comme pour la compléter. Aujourd’hui encore, par le biais des nombreuses décisions de la Cour constitutionnelle, dont les pouvoirs ont été nettement renforcés, le rôle de l’État et son cadre légal continuent à être précisés et redéfinis.

10Extrêmement précise, voire rigide, la constitution de 1991 a créé de nouvelles obligations et favorisé une large décentralisation des dépenses de l’État. Elle a fait de la Colombie le pays non fédéral le plus décentralisé d’Amérique latine [Alesina, 2000]. Cette décentralisation avait déjà commencé dans les années quatre-vingt mais elle subit une forte accélération avec la réforme de la constitution. Les régions et collectivités locales bénéficient de transferts importants de recettes de l’État central, en l’absence de recettes fiscales propres importantes, même si leur utilisation est largement encadrée et orientée vers le secteur social. Constitutionnellement, les transferts de l’État central vers les départements et les communes doivent ainsi passer de 26 % du budget en 1990 à 46 % en 2002 [Alesina ett alii, 2000].

11Par ailleurs, la constitution de 1991 met l’accent sur le développement social et la participation des citoyens. Par exemple, les fonds alloués aux départements doivent être dépensés à 60 % dans le domaine de l’éducation et à 20 % dans celui de la santé. De même, les minorités se voient allouer des budgets propres afin de favoriser le développement économique de leurs membres. En ce qui concerne la participation des citoyens, diverses possibilités sont offertes aux individus pour déposer des recours contre les administrations locales et nationales favorisant le contrôle de l’action des fonctionnaires mais alourdissant le dispositif de l’administration judiciaire.

12Ce n’est que marginalement que des mesures ont été adoptées afin de modifier la gestion économique du pays. Au moment de la réforme, l’action de l’État est peu critiquée et sa gestion de la conjoncture macroéconomique est prudente, dans le droit fil des préceptes monétaristes, si bien que le thème économique ne fait pas partie des préoccupations majeures de la nouvelle constitution. Toutefois, elle accompagne la mise en place de la politique d’ouverture en instaurant l’indépendance de la banque centrale, même si le gouvernement continue à présider son conseil d’administration, et en lui assignant pour unique objectif la réduction de l’inflation. Cela se traduit par une gestion des taux d’intérêt largement insensible aux fluctuations de la croissance.

13Par ailleurs, les réformes de la protection sociale et du marché du travail passent surtout par des lois affines. La Colombie adopte un système mixte de santé combinant système national et entités privées. De même, le mode de calcul des indemnités de licenciement et le fonctionnement des contrats à durée déterminée sont modifiés de manière à rendre le marché du travail plus flexible pour les employeurs qui respectent les législations sociales. Enfin, diverses lois rendent possible la redéfinition du périmètre de l’État en autorisant la cession de ses actifs.

14La réforme de l’État en Colombie ne visait donc pas à diminuer sa taille mais plutôt à améliorer la couverture et la qualité de ses services et fournir ainsi un cadre favorable à la croissance à long terme de l’économie colombienne. Ce constat transparaît dans l’étude de l’évolution du budget. Nous retiendrons trois dimensions, toutes susceptibles de jouer sur la politique d’emploi public : sa taille, son équilibre et sa composition.

15Revenons sur la taille de l’État colombien avant la réforme. Celle-ci est relativement faible si on la compare avec celle du reste du continent. Le gouvernement central n’employait que 900 000 personnes en 1992 [Olivera et alii, 1995] et la part de ses dépenses dans le PIB (9,6 % en 1990) était la plus faible du continent hors Paraguay. Celle du secteur public [2] était de 20 % en moyenne dans les années quatre-vingt. Santé et éducation sont en partie laissées au secteur privé, même si l’éducation est le premier employeur public avec 26 % des effectifs totaux. Les travaux publics sont confiés généralement aux entreprises privées par le biais de concessions et la justice a bien peu de moyens, ce qui explique en partie son manque d’efficacité chronique.

16Au cours des années quatre-vingt-dix, la taille de l’État colombien n’a cessé de croître. En quinze ans, sa part dans le PIB a doublé pour l’État central et augmenté de 75 % pour le secteur public (figure 1). Cette hausse est due avant tout à celle des dépenses courantes qui incluent notamment les transferts aux autres entités du secteur public, les dépenses de personnels et les achats de biens et de services.

Figure 1

Part des dépenses publiques dans le PIB

Figure 1

Part des dépenses publiques dans le PIB

Source : BID. Les dépenses courantes sont calculées hors paiements des intérêts de la dette.

17Notons qu’à partir de la moitié des années quatre-vingt-dix, l’écart entre dépenses de l’État central et celles du secteur public augmente alors que les transferts aux collectivités locales sont inclus dans les dépenses du budget central et sont même le premier facteur de leur augmentation. Sachant qu’en outre de nombreuses entités sont sorties du périmètre public, nous pouvons en déduire que le poids des administrations locales et départementales s’est nettement renforcé. En :ermes sectoriels, la croissance des budgets sociaux (essentiellement la santé et l’éducation) mais aussi de l’effort militaire au début des années quatre-vingt-dix explique en grande partie l’augmentation des dépenses.

18Face à cette hausse des dépenses, le déficit budgétaire n’a pas réellement été maîtrisé (figure 2). Les réformes fiscales se sont pourtant succédé. Les impôts indirects ont été privilégiés face à l’incivisme des contribuables : la TVA a été augmentée et les transactions bancaires taxées. En dépit de ces mesures, le déficit n’a fait que se creuser. Les plus forts déséquilibres apparaissent au moment des différents ralentissements qu’a connus l’économie sur la période. Entre 1997 et 1999, la Colombie présente les plus importants déficits fiscaux du secteur public de tout le continent hors Guyana, Surinam et Jamaïque. Nous sommes bien loin de la réputation de sérieux macroéconomique qui auréolait traditionnellement la Colombie. Les privatisations ont donc été les bienvenues pour équilibrer les comptes publics ou en tout cas limiter les déficits. Pour comprendre l’origine de ce dérapage des dépenses publiques, au-delà du ralentissement de la conjoncture, il faut avant tout invoquer le manque de contrôle des dépenses des administrations régionales et locales qui nuit aussi aux comptes de l’État central obligé de leur venir en aide.

19À partir des seules synthèses des comptes publics, nous ne pouvons tirer que peu d’enseignements sur la politique d’emploi public. Seul apparaît parfois le total des coûts de personnel hors prestations sociales et fonds de retraite (figure 3). Ceuxci montrent une nette progression dans les années quatre-vingt-dix. Leur part dans le PIB a augmenté d’un peu moins de 50 % entre 1990 et 1996. Cette hausse est donc inférieure à celle des dépenses totales.

Figure 2

Évolution des défuix pablics (aoant prioatisations) et recettes des privatisations (par rapport au PIB)

Figure 2

Évolution des défuix pablics (aoant prioatisations) et recettes des privatisations (par rapport au PIB)

Source : BID (déficits) et DNP (privatisations). Les recettes des privatisations n’apparaissent pas dans les comptes publics avant 1994.
Figure 3

Part des dépenses publiques dans le PIB

Figure 3

Part des dépenses publiques dans le PIB

Source : DNP. Les méthodes comptables pour les séries 1 et 2 de dépenses du secteur public sont différentes.

20Pour comprendre la hausse de la masse salariale du secteur public, il faut pouvoir distinguer l’évolution du nombre d’employés publics de celle de leur rémunération. Il est malheureusement impossible en l’état d’obtenir des informations directes sur l’emploi public et sur les salaires en vigueur dans ce secteur. Nous pouvons tout juste recourir aux résultats des volets emploi des enquêtes ménage. Celles-ci permettent d’obtenir une estimation du nombre de travailleurs déclarant être employés de l’État et de ceux en leur sein dont l’activité est liée aux services du gouvernement (essentiellement aux ministères, dans les domaines de l’éducation, du système de protection sociale et de l’armée [3]).

21Grâce aux séries d’emploi, il apparaît que la hausse des coûts de personnel du secteur public est à mettre entièrement au compte de l’évolution des salaires et non de celle des effectifs (figure 4). Au cours des années quatre-vingt, ceux-ci ont augmenté à un rythme moindre que l’emploi total. Ils ont même nettement baissé en 1992 et 1993, au cours du mandat de coloration très néolibérale du président Gaviria, puisque 20 % des emplois liés au gouvernement seront supprimés entre les mois de décembre 1991 et 1993 [4]. Depuis, ils ont recommencé à augmenter légèrement. Ainsi, selon ces enquêtes ménage, l’emploi, au niveau du gouvernement central dans les sept principales agglomérations, aurait augmenté de 1,7 % entre les mois de juin 1989 et 1996 alors que la part dans le PIB de sa masse salariale a augmenté de 50 % sur la même période.

22La réduction de l’emploi public passe avant tout par l’abandon de certaines activités qui sortent du périmètre de l’État central. Pas moins de 62 entreprises ont été cédées au niveau national et régional entre 1991 et 1995 [Gordi, 1998]. Le repli de l’État dans les activités de transports, de communication, d’eau, gaz et électricité et du système financier, que nous regrouperons sous le terme d’activités marchandes, est la principale cause de diminution de l’emploi public. Ces activités réunies n’occupaient plus que 23 % des employés de l’État entre 1994 et 1996 contre 36 % en moyenne dans les années quatre-vingt. Ainsi, nous assistons à une notable externalisation des services publics.

23En résumé, il y a bien eu réforme de l’État en Colombie mais celle-ci est atypique dans le panorama des réformes qui ont généralement accompagné le processus d’ouverture économique en Amérique latine. Née de la réforme de la constitution de 1991, elle s’avère dans l’ensemble défavorable à l’équilibre financier de l’État. La multiplication des centres de décision pour les dépenses publiques et l’accent mis sur les politiques sociales sont générateurs de dépenses nouvelles alors que la faiblesse de la conjoncture rend problématique la réalisation des objectifs de recettes fiscales. Au-delà de la question du déficit, dont le niveau n’aurait rien eu de dramatique en d’autres temps, la réforme a surtout redéfini pleinement le rôle accordé à l’État dans l’économie colombienne, tant pour sa taille que pour son périmètre d’action.

Figure 4

Part des salariés de l’État et des travailleurs liés aux services de l’État dans l’emploi des 7 principales agglomérations

Figure 4

Part des salariés de l’État et des travailleurs liés aux services de l’État dans l’emploi des 7 principales agglomérations

Source : DNP à partir desêenqu tes ménage.

24Les effets de cette réforme sur la politique d’emploi public sont potentiellement importants. La pression née des déséquilibres budgétaires, la prise d’importance de l’État dans l’économie et la refonte de sa structure portent à conséquence tant sur l’emploi que sur les salaires du secteur public. Dans les faits, la hausse de la masse salariale publique est moindre que celle de l’ensemble des dépenses publiques. En outre, un découplage très net est apparu entre l’évolution de cette masse salariale et l’emploi dans le secteur public qui a tendance à stagner. Le coût de la main-d’œuvre publique augmente, supposant une hausse des salaires. Nous allons désormais creuser cette question.

25Rappelons avant de poursuivre que les évolutions de l’emploi public et des salaires de ce secteur ne sont pas, bien entendu, uniquement conditionnées par les réformes de l’État. Certes, celles-ci et, notamment, la politique d’externalisation aboutissent à une repondération des besoins en main-d’œuvre du secteur public et des variations de salaires. Il peut en être de même avec l’évolution des critères d’évaluation, de recrutement et de gestion du personnel. Néanmoins, nous ne pouvons faire l’impasse sur d’autres facteurs susceptibles de provoquer des phénomènes similaires. Aux conséquences de décisions de politique d’emploi public se superposent des mécanismes classiques du marché du travail. Pour commencer, l’offre de travail a changé. Les progrès de l’éducation et l’évolution prononcée de la composition sociodémographique (croissante participation des femmes et transition démographique parvenue à maturité) peuvent se répercuter sur l’emploi par le biais de la structure des salaires. La demande elle-même évolue. Certaines tensions apparaissent sur le marché du travail qualifié : la Colombie présente une demande croissante de travail qualifié que l’offre peine à satisfaire. Enfin, nous pouvons penser que le marché du travail est segmenté entre secteurs privé et public ou tout du moins que les rémunérations offertes à un même travailleur varient suivant le secteur qui l’emploie [5]. Cela peut s’expliquer entre autres par la présence de rigidités salariales, qu’elles soient nominales ou réelles, et nous amènerait à explorer les mécanismes propres à la détermination des salaires dans le secteur public. Une analyse comparative de la composition de l’emploi et des règles de fixation des salaires dans les secteurs privé et public est nécessaire pour comprendre le comportement de la masse salariale dans le budget public. Elle sera en outre riche en enseignements pour percevoir les indices des changements intervenus dans la gestion du personnel et dans les besoins en main-d’œuvre de l’État.

Évolution de l’emploi public

26Commençons par décrire la composition sociodémographique de l’emploi public et recenser les quelques éléments dont nous disposons sur les méthodes de gestion de la main-d’œuvre. Pour cela, nous nous appuierons sur le volet emploi des enquêtes ménage trimestrielles menées entre 1983 et 1996 dans les quatre principales agglomérations colombiennes. Nous avons choisi de privilégier l’analyse de l’ensemble des employés du secteur public.

27Les salariés du secteur public se distinguent de ceux du privé par une plus grande concentration de travailleurs qualifiés, un âge moyen supérieur et une plus forte participation des femmes (annexe 1).

28Le haut niveau de qualification scolaire de l’emploi public est marquant. Composée avant tout de cols blancs, disposant d’un encadrement important, la fonction publique a, en outre, établi des normes de recrutement et d’avancement largement fondées sur les diplômes acquis afin de faire pièce au clientélisme. En 1996, près de 37 % de ses employés avaient un diplôme universitaire, contre 12 % dans le secteur privé, et 87 % avaient au moins achevé leur secondaire. S’intéresser à l’emploi public, c’est avant tout se consacrer à l’analyse de la portion de travailleurs les mieux lotis sur le marché du travail.

29Les femmes sont légèrement surreprésentées dans le secteur public puisqu’elles y occupent 45 % des postes en 1996 contre 40 % pour le secteur salarié privé. Toutefois, cette spécificité disparaît si nous excluons le travail ouvrier : les femmes occupaient 47,3 % des emplois dans le secteur financier cette même année.

30Enfin, la main-d’œuvre publique bénéficie d’un emploi plus stable : l’ancienneté moyenne dans le secteur public est de douze ans en 1996 contre huit pour les salariés du privé. Cela se traduit par un âge moyen des travailleurs plus élevé. On aurait tort d’en déduire que la composition de l’emploi public est figée. Certes, on observe un léger vieillissement de la fonction publique, mais sa croissance a permis un large renouvellement de ses effectifs. En 1996, la moitié des employés publics avaient été recrutés au cours des six précédentes années [6].

31Dès lors, la composition de l’emploi public a pu évoluer et notamment participer de la hausse générale du niveau de qualification des travailleurs. La part des diplômés universitaires a d’ailleurs plus augmenté que celle des diplômés du secondaire (76 % contre 35 %) à tel point qu’un quart d’entre eux étaient employés par l’État en 1996.

32L’évolution de l’emploi public est très semblable à celle que l’on peut observer dans le secteur privé. L’écart entre les deux secteurs en termes de qualifications est resté constant (figure 5 et annexe 1). Ces derniers ont certes perdu de leur importance au sein de l’emploi public mais dans les mêmes proportions que celles qui ont pu être observées dans l’emploi privé. Cette évolution conjointe des secteurs privé et public se retrouve à un degré moindre pour les critères de genre et d’âge. Si, globalement, la participation féminine a augmenté au même rythme dans les deux secteurs, cela est moins vrai pour l’âge moyen. Celui-ci commence à fléchir après 1992. Une analyse plus détaillée permet d’imputer ce phénomène à la catégorie des diplômés du secondaire : ceux-ci ont été les premières victimes du recul de l’emploi public en 1992.

Figure 5

Nombre d’années d’études moyen de la main-d’œuvre

Figure 5

Nombre d’années d’études moyen de la main-d’œuvre

Source : calculs de I’auteur à partir des enquêtes ménage (des étapes 39 à 94.) pour quatre agglomérations.

33Pourquoi assistons-nous à cette hausse du travail qualifié, de l’âge moyen des travailleurs et de la part des femmes dans l’emploi ? Si l’on en croit les lois du marché, le jeu des salaires peut être une explication possible. La hausse de l’offre de travail de certaines catégories de travailleurs entraîne la baisse de leur salaire relatif par rapport à celui du reste de la population active et leur permet ainsi de trouver un emploi plus facilement. De même, une évolution de la demande pourrait être invoquée. La redéfinition des tâches de l’État s’accompagne d’une évolution de ses besoins en main-d’œuvre. Il modifiera alors sa politique d’embauche sans qu’il soit besoin que les salaires évoluent. La première alternative sera analysée au moment de l’étude des salaires. Penchons-nous pour l’instant sur la recomposition sectorielle de l’emploi du secteur public.

34L’externalisation de certains services offerts auparavant par l’État, voire la décentralisation de l’activité peuvent avoir induit des changements radicaux des compétences requises par l’État pour mener à bien sa tâche. Sur la base de l’étude des quatre principales agglomérations, nous sommes bien en peine d’analyser les effets de la décentralisation et nous insisterons donc sur les effets de l’externalisation. Ceux-ci naissent probablement de la vente ou de l’abandon de certaines activités marchandes. Le reflux de la présence publique dans ces activités marchandes a effectivement contribué légèrement à la féminisation de l’emploi public ainsi qu’à sa plus grande qualification [7]. Néanmoins, si nous considérons séparément chacun des types d’emploi que nous pouvons distinguer au sein du secteur public, nous sommes confrontés à des évolutions comparables des caractéristiques des travailleurs. Il en va ainsi des travailleurs de l’administration centrale ou de ceux des activités marchandes. La recomposition sectorielle de l’emploi public n’est pas à même d’expliquer à elle seule l’évolution de la composition de la main-d’œuvre du secteur public.

35Les changements dans la nature des besoins en main-d’œuvre du secteur public peuvent aussi avoir leur origine dans l’évolution des pratiques de gestion au sein des différentes entités. Par exemple, nous avons évoqué l’adoption d’une grille de qualifications requises plus stricte. Repérer les changements intervenus dans la gestion du personnel est une tâche difficile qui requiert une étude plus qualitative du travail dans le secteur public. Tout au plus pourrons-nous nous appuyer pour l’instant sur les mesures de la part du travail temporaire et de la satisfaction des travailleurs.

36Le recours croissant à l’emploi temporaire est patent (figure 6). Sa part dans l’emploi public a plus que doublé entre les années quatre-vingt et la moitié des années quatre-vingt-dix, passant de 3,7 % à 8,2 %, même si elle reste encore marginale. La comparaison de son évolution avec celle qui s’est produite dans le secteur privé montre un important décalage dans le temps et un moindre lien avec la conjoncture. Si la crise de la dette du début des années quatre-vingt a donné lieu au développement de l’emploi temporaire dans le privé grâce à la multiplication des agences d’intérim, souvent créées par les grandes entreprises elles-mêmes, rien de semblable ne s’est produit dans le secteur public. En revanche, la réforme du marché de l’emploi de 1990 qui facilite le recours aux contrats à durée déterminée a contribué à nuire à la stabilité de l’emploi dans le secteur public alors qu’elle ne faisait qu’entériner la situation déjà en place dans le secteur privé.

37Parallèlement, le pourcentage des travailleurs du public insatisfaits de leur emploi augmente légèrement (de 5,8 % en 1982 à 9 % en 1996). À la multiplication des contrats temporaires s’ajoute un sentiment de déclassement des travailleurs. La hausse générale du niveau de qualification s’accompagne d’une hausse de salaires mais aussi de l’impossibilité pour certains de progresser dans la hiérarchie.

Figure 6

Part du travail temporaire par type d’employeur

Figure 6

Part du travail temporaire par type d’employeur

Source : calculs de l’auteur sur la base des enquêtes ménage (des étapes 40 à 94) pour quatre agglomérations.

38Nous assistons à une profonde recomposition de l’emploi dans le secteur public. Cette évolution ne semble être due que marginalement à la redéfinition du périmètre de l’État. Certains éléments laissent à penser qu’elle peut être induite par le changement du mode de gestion, mais ceux-ci restent très fragmentaires et fournissent surtout une piste à creuser. Il nous reste donc à évoquer le comportement des salaires.

Analyse des salaires

39L’examen des salaires nous fournira des éléments pour analyser les phénomènes que nous avons mis en lumière jusqu’à présent. Il s’agit de comprendre pourquoi la masse salariale de l’État augmente dans les années quatre-vingt-dix alors que l’emploi public stagne et de trouver des causes possibles à l’évolution des caractéristiques des salariés du secteur public.

40Plusieurs facteurs peuvent expliquer la hausse du coût de l’emploi. Il peut s’agir d’une hausse des salaires réels dans l’ensemble de l’économie, d’une hausse induite par l’évolution du type de main-d’œuvre employée par le secteur public, voire, pour finir, d’un phénomène propre aux salaires dans le secteur public, auquel cas nous devrons nous interroger sur l’existence d’une possible segmentation du marché de l’emploi entre ses composantes privées et publiques. Ces trois alternatives peuvent se combiner entre elles. Pour distinguer leur importance respective, nous pouvons nous appuyer sur une comparaison avec le comportement des salaires du secteur privé.

41Une hausse des salaires réels a eu lieu après 1992 dans le secteur privé surtout pour les travailleurs qualifiés (figure 7). Ainsi, en supposant que les salaires dans le secteur public aient un comportement similaire à ceux en vigueur dans le reste du marché du travail salarié, cette hausse peut expliquer en partie celle de la masse salariale.

Figure 7

Salaires réels hebdomadaires (en pesos de 1975) dans le secteur salariéprivé des quatre principales agglomérations

Figure 7

Salaires réels hebdomadaires (en pesos de 1975) dans le secteur salariéprivé des quatre principales agglomérations

Source : calculs de l’auteur sur la base des enquêtes ménage. Nous considérons qu’un travailleur est qualifié s’il a au moins achevé son cycle d’études secondaires. Les salaires sont calculés de manière à prendre en compte et corriger les évolutions dues aux transformations de la composition de l’emploi de chacune des deux mains-d’œuvre [Gros, 2000].

42L’écart de salaire entre qualifiés et non qualifiés est stable dans les années quatre-vingt et a augmenté par la suite alors que l’offre de travail qualifié est celle qui connaît la plus forte croissance. Ce constat se retrouve dans de nombreux pays indépendamment de leur niveau de développement. Il est à l’origine d’une abondante littérature expliquant ce phénomène par les effets du progrès technique, voire par ceux de la croissance des échanges internationaux [8]. Dans le secteur public colombien, la hausse de la part des qualifiés dans l’emploi a donc provoqué une hausse du coût de la main-d’œuvre. Elle peut être décomposée entre l’effet mécanique dû au remplacement de la main-d’œuvre peu qualifiée par des travailleurs plus onéreux, et celui de la hausse du salaire des qualifiés par rapport à celui des peu qualifiés.

43Comprendre pourquoi l’État choisit d’employer plus de travailleurs qualifiés alors que leur coût augmente est donc un des enjeux cruciaux d’une étude de la politique d’emploi public. Cette question se pose dans les mêmes termes dans les secteurs privé et public même si les réponses peuvent ne pas forcément être identiques.

44En revanche, la croissance de la part des femmes dans l’emploi peut s’expliquer par la permanence d’une discrimination salariale à leur encontre alors qu’elles forment la majorité des jeunes diplômés [9] (annexe 2). De même, la hausse de l’âge moyen des travailleurs est rendue possible par la baisse de la rémunération liée à l’expérience. Ainsi, seuls les progrès de la qualification des travailleurs ne peuvent être expliqués par le jeu des salaires.

45Notons, cependant, que ces résultats ne sont valables que si salaires du public et du privé adoptent des comportements similaires. Une comparaison directe des salaires est délicate. Emplois de nature différente et concentration de travailleurs qualifiés parmi les employés de l’État sont des obstacles notables. Nous avons donc choisi de procéder en trois temps en nous appuyant sur la technique des équations de gain de Mincer, répétées sur plusieurs périodes. Ces équations visent à déterminer les gains de salaire associés à l’acquisition par les travailleurs de capital humain, éducation et expérience essentiellement, mais permettent aussi de déterminer d’éventuelles discriminations salariales de genre, de race ou autre critère susceptible d’être pénalisé par les employeurs, voire des primes associées à l’appartenance de certaines branches ou secteurs d’activité.

46Dans un premier temps, nous avons donc estimé une équation de gain pour l’ensemble des travailleurs salariés en prenant en compte leur expérience et son carré, le nombre d’années d’études qu’ils ont suivies et deux variables auxiliaires correspondant au genre et à l’appartenance au secteur public (annexe 2 et figure 8). Cette méthode nous permet d’analyser les différences de rémunération entre privé et public.

Figure 8

Primes associées à l’appartenance au secteur public

Figure 8

Primes associées à l’appartenance au secteur public

Source : calculs de l’auteur à partir des enquêtes ménage. Les données des années 1992 et 1993 ne sont pas fiables pour les diplômés universitaires en raison d’une distribution des salaires tronquée pour les hauts salaires.

47Sans surprise, les résultats des estimations mettent à jour les phénomènes déjà évoqués de la hausse du gain associé à une année d’étude supplémentaire et de la baisse de ceux liés au genre et à l’expérience. Ils révèlent surtout que travailler dans le secteur public est synonyme d’un meilleur salaire. Cette prime est comprise entre 10 et 20 % du salaire à caractéristiques individuelles équivalentes. Elle a certes fléchi au début des années quatre-vingt-dix mais est revenue à son niveau antérieur par la suite.

48Cela étant, les structures très différentes des mains-d’œuvre du public et du salariat privé peuvent nuire à la validité des résultats obtenus. Afin de se prémunir contre un tel biais, nous avons choisi de comparer les salaires à niveaux de diplôme équivalents. Nous avons estimé des équations de gains de Mincer différentes pour les travailleurs qui se sont arrêtés à la fin du secondaire et ceux qui sont diplômés de l’université, deux catégories qui regroupent à elles seules deux tiers de l’emploi public en 1996.

49Cela nous permet de mettre à jour que la prime liée à l’emploi public concerne avant tout les travailleurs de qualification intermédiaire (diplômés du secondaire) et à un degré moindre les diplômés de l’université. Cette différence s’estompe avec le temps. Dès lors, le différentiel de salaire entre niveaux de qualification a connu une hausse plus forte dans le secteur public que dans le secteur privé, ce qui ne fait que renforcer le paradoxe entre évolutions de la composition de la main-d’œuvre et de la structure des salaires.

50L’autre résultat qui émerge de ces estimations est que la discrimination salariale dont souffrent les femmes concerne avant tout les diplômées universitaires pour qui elle se traduit par un salaire 20 % inférieur à celui des hommes. Peut-être doit-on y voir les effets de la plus grande diversité de responsabilités confiées aux diplômés de l’université et du plafonnement des femmes dans la hiérarchie.

51Pour compléter cette analyse, nous avons tenté de mieux cerner la nature des primes salariales en prenant en compte ses effets croisés sur les variables de genre et d’expérience : cela revient à estimer des équations de gain de Mincer différentes pour les secteurs public et privé (annexe 3).

52Les équations de gain de Mincer ont un pouvoir prédictif plus important dans le secteur public (près de 50 %) que dans le secteur privé (autour du tiers). Dû en partie à la plus grande homogénéité du secteur public, ce résultat nous paraît tenir beaucoup de grilles de salaire plus rigides dans ce secteur. Par ailleurs, les résultats obtenus pour les diplômés de l’université sont très proches entre secteurs. Face aux forces d’un marché friand de main-d’œuvre qualifiée, les salaires du public peuvent difficilement être comprimés. La faible importance de la prime liée au secteur public pour les diplômés universitaires tend à faire croire à l’existence d’un marché concurrentiel sur ce segment de l’emploi qui laisse peu de marge de manœuvre aux partisans d’une compression des salaires publics. En revanche, la similitude entre modes de formation des salaires du privé et du public disparaît pour les travailleurs diplômés du secondaire dès 1994. Cette partie de la population active a vu ses effectifs évoluer fortement au début de la réforme et il serait intéressant de pouvoir regarder plus en détail ce qui se passe pour cette catégorie de travailleurs.

53Pour conclure, l’analyse de la formation des salaires nous enseigne que la hausse de la masse salariale publique, dans un contexte de stagnation de l’emploi public, s’explique avant tout par la hausse des besoins en main-d’œuvre qualifiée de ce secteur. Or, le salaire réel de ces travailleurs augmente ainsi que l’écart entre celui-ci et celui des non-qualifiés. À l’égal de ce qui a pu être observé dans le secteur privé [Gros, 2000], il semblerait que cette évolution soit due avant tout au changement de mode de gestion, peut-être lié aux conséquences du progrès technique, plus qu’à la redéfinition du périmètre de l’État.

54À ce phénomène s’ajoute l’existence d’une prime en faveur des salariés du public qui reste importante avant même de prendre en compte des prestations sociales a priori meilleures dans le secteur public. Rappelons que cela n’est pas forcément l’indice d’une segmentation du marché de l’emploi. Certes, les taux de syndicalisation sont plus élevés dans le secteur public ainsi que la sécurité de l’emploi. Cependant, la prime peut aussi bien être due à des caractéristiques inobservées des travailleurs ou à un processus de sélection plus rigoureux dans le secteur public. De même, le travail dans le secteur public peut révéler un certain nombre d’inconvénients que la prime viendrait dédommager. Nous pouvons évoquer notamment le risque légal induit par un contrôle de plus en plus rigoureux de leur action. Pour pouvoir choisir entre toutes ces options, nous pourrons à l’avenir recourir à l’analyse des variations temporelles des primes salariales pour distinguer notamment rigidités nominales et réelles. Un simple exercice comparatif avec les principales variables macroéconomiques montre ainsi certaines similitudes (figure 9).

Figure 9

Évolutions de la prime associée au secteur public et des principales variables macroéconomiques susceptibles de jouer sur les salaires

Figure 9

Évolutions de la prime associée au secteur public et des principales variables macroéconomiques susceptibles de jouer sur les salaires

Source : calculs de l’auteur pour la prime et le taux de chômage, et chiffres du DANE pour l’inflation ei la croissance.

55*

56La Colombie présente la particularité d’avoir opté simultanément pour une présence de l’État plus grande au sein de l’économie et pour l’adoption de critères de gestion des ressources humaines publiques inspirés des recommandations formulées par les institutions internationales. Loin de penser que la taille de l’État nuisait à une allocation efficiente des capitaux au sein de l’économie, les dirigeants du pays ont choisi d’accroître ses investissements dans le domaine social et d’augmenter sa présence à l’échelon local. Cette décision s’est traduite par une croissance impressionnante du budget et par certaines difficultés pour maintenir l’équilibre fiscal. En revanche, ils ont poursuivi une politique de compression des effectifs du secteur public, notamment en abandonnant un certain nombre d’activités marchandes. L’étude du cas colombien a donc pour premier mérite de montrer qu’il n’y a pas de contradiction réelle entre ces deux types de réforme.

57Le changement de constitution et l’adoption de la politique d’ouverture ont été accompagnés de certaines évolutions de l’emploi public et, à un degré moindre, des salaires. Les importantes restructurations ont permis de diminuer de manière notable le poids de l’emploi public. Grâce à la croissance démographique et à celle du budget, il n’y a pas eu de baisse dramatique du nombre d’employés publics mais celui-ci a réduit sa part dans l’emploi total. Cette évolution en douceur n’a pas créé de déséquilibre majeur dans la structure de l’emploi public. Celle-ci continue de calquer l’évolution observée au sein de l’offre de travail et de la population occupée. Les femmes ont occupé une part de plus en plus importante des postes de travail, l’âge moyen de la main-d’œuvre a augmenté et, surtout, le niveau de qualification des salariés s’est amélioré.

58Ce dernier phénomène est le plus complexe à interpréter. Il s’inscrit, en effet, dans un contexte de hausse très nette des salaires réels du travail qualifié. Ainsi, en dépit de la stagnation des effectifs, l’emploi public a vu son coût total augmenter. Les résultats de la réforme sont donc en demi-teinte. Le ratio dépenses totales sur masse salariale a augmenté mais les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur de l’effort réalisé pour stabiliser le nombre de ces employés. Il est donc primordial de comprendre les raisons qui ont présidé à la hausse des besoins de main-d’œuvre qualifiée du secteur public.

59Il est a priori tentant d’invoquer la redéfinition du périmètre de l’action publique et la privatisation des activités marchandes, mais cette explication résiste peu à l’analyse de l’évolution de la structure de l’emploi au sein de chacun des sous-secteurs de l’emploi public. L’effort de qualification est généralisé. Dès lors, nous privilégions une analyse qui reposerait sur l’évolution des techniques et des compétences requises pour leur usage, déjà observée dans le secteur privé, ou sur le changement des méthodes de gestion au sein de la fonction publique. Même si, dans un premier temps, l’analyse de la composition de l’emploi et des salaires doit ètre élargie à la période 1997-2000, une réflexion ultérieure devrait approfondir ces deux pistes. Parallèlement, l’existence et la nature des primes salariales en faveur des employés du secteur public, qui ne semblent pas avoir pâti des changements Intervenus dans la politique d’emploi public, doivent être analysées.

Annexe 1

Caractéristiques personnelles des salariés (moyennes pondérées sur quatre trimestres)

Annexe 1
Âge moyen Part des femmes dans l’emploi (%) Années d’études (moyenne) Année Privé (salariés) Secteur public Admin. centrale Privé (salariés) Secteur public Admin. centrale Privé (salariés) Secteur public Admin. centrale 1983 30,96 35,39 35,22 32,68 39,41 31,74 7,83 10,56 10,20 1984 30,93 35,53 35,30 33,49 40,54 32,57 7,97 10,73 10,26 1985 31,14 36,06 35,47 34,37 41,60 32,93 8,10 10,91 10,51 1986 31,27 36,23 35,39 34,71 41,12 31,34 8,32 11,09 10,55 1987 31,12 36,76 36,03 35,12 40,76 33,46 8,42 11,08 10,79 1988 31,16 36,96 36,03 35,58 41,30 32,84 8,55 11,38 11,01 989 31,29 36,85 36,20 36,47 43,99 35,52 8,74 11,52 11,26 990 31,60 36,68 35,95 36,58 42,96 33,76 8,79 11,51 11,27 991 31,82 37,00 35,83 38,27 44,03 34,28 9,02 11,75 11,47 992 31,82 37,37 36,29 38,44 46,03 37,02 9,04 11,92 11,49 993 31,94 37,31 35,64 39,20 45,84 34,09 9,11 11,81 11,44 994 31,98 37,06 35,37 39,25 45,28 35,39 9,22 12,22 11,86 995 32,20 37,08 34,78 40,68 45,62 34,54 9,33 12,28 11,82 996 32,53 36,69 34,47 40,71 45,83 36,13 9,51 12,58 12,16

Caractéristiques personnelles des salariés (moyennes pondérées sur quatre trimestres)

Annexe 2

Taux de retour de la scolarité et de l’expérience et discrimination sexuelle pour l’ensemble des travailleurs et par niveaux d’étude

Annexe 2
Total Diplômés du secondaire Diplômés universitaires Année Années d’études Expérience Discrim. sexuelle Expérience Discrim. sexuelle Expérience Discrim. sexuelle 1983 10,94 % 4,18 % -13,42 % 5,38 % -7,20 % 4,42 % -23,24 % 1984 10,64% 4,02 % -11,88 % 4,96 % -3,46 % 4,68 % -20,11 % 1985 10,38 % 4,22 % -11,42 % 4,95 % -4,16 % 5,45 % -20,34 % 1986 10,12 % 3,79 % -10,18 % 3,96 % -3,57 % 4,95 % -15,37 % 1987 9,79 % 3,40 % -9,22 % 3,42 % -3,08 % 4,95 % -12,30 % 1988 10,11 % 3,56 % -11,64% 3,93 % -3,74 % 5,00 % -21,25 % 1989 10,07 % 3,18 % -12,45 % 3,10 % -5,00 % 3,89 % -23,04 % 1990 9,97 % 3,03 % -11,24% 2,68 % -5,32 % 4,74 % -20,63 % 1991 10,25 % 2,94 % -10,74 % 2,90 % -4,23 % 4,46 % -21,34 % 1992 10,66 % 3,05 % -11,43 % 2,79 % -4,42 % 1993 10,43 % 2,73 % -11,47 % 2,63 % -3,74 % 1994 10,84 % 2,72 % -11,25 % 2,85 % -6,02 % 3,33 % -13,07 % 1995 10,66% 2,59 % -11,59 % 2,83 % -4,10 % 3,44 % -19,51 % 1996 11,04% 2,33 % -10,73 % 2,80 % -2,78 % 2,67 % -18,67 %

Taux de retour de la scolarité et de l’expérience et discrimination sexuelle pour l’ensemble des travailleurs et par niveaux d’étude

Annexe 3

Taux de retour de l’expérience et discrimination sexuelle par niveaux d’étude et par type d’employeur

Annexe 3
Diplômés du secondaire Diplômés de l’université Année Expérience Discrimination sexuelle Expérience Discrimination sexuelle Public Privé Public Privé Public Privé Public Privé 1983 4,62 % 5,53 % 3,49 % 8,24 % 3,94 % 4,71 % 19,33 % 26,18 % 1984 4,27 % 5,06 % 0,90 % 3,95 % 2,94 % 5,61 % 15,14 % 23,93 % 1985 3,83 % 5,11 % -1,22 % 5,31 % 4,44 % 5,98 % 15,34% 23,61 % 1986 4,38 % 3,88 % -4,05 % 5,37 % 4,70 % 5,06 % 17,41 % 14,06 % 1987 3,23 % 3,37 % -3,09 % 4,39 % 4,37 % 5,12 % 7,65 % 15,07 % 1988 4,51 % 3,81 % -1,01 % 4,87 % 3,62 % 5,76 % 17,57 % 23,26 % 1989 3,40 % 3,01 % -0,40 % 6,15 % 3,12 % 4,19% 18,26 % 25,79 % 1990 3,81 % 2,45 % -2,80 % 6,94 % 4,21 % 4,88 % 14,09 % 24,30 % 1991 3,08 % 2,86 % -1,91 % 5,54 % 2,99 % 5,07 % 19,78 % 21,84 % 1992 4,19 % 2,65 % -4,84 % 5,64 % 1993 3,17 % 2,57 % -1,48 % 4,55 % 1994 5,78 % 2,50 % 1,11 % 7,03 % 2,92 % 3,45 % 13,26 % 12,84 % 1995 6,65 % 2,17 % -5,01 % 6,57 % 2,54 % 3,68 % 15,37 % 21,10 % 1996 6,92 % 2,14 % 10,12 % 5,84 % 3,12 % 2,61 % 20,77 % 17,59 %

Taux de retour de l’expérience et discrimination sexuelle par niveaux d’étude et par type d’employeur

Notes

  • [*]
    Économiste, Dial/Cipre.
  • [1]
    Le DNP, le DANE et la BID sont respectivement le Département national de planification, l’Institut statistique public colombien et la Banque interaméricaine de développement Les problèmes des données de comptabilité publique sont nombreux puisque les définitions comptables en Colombie sont souvent opaques. S’il est relativement rare de trouver le même chiffre pour peu que l’on consulte deux sources différentes, les séries montrent cependant une très grande similitude.
  • [2]
    L’État central regroupe l’administration nationale (ministères et institutions décentralisées), à laquelle sont ajoutées les administrations locales et départementales ainsi que les entreprises publiques non financières pour obtenir le secteur public (non financier).
  • [3]
    Ces deux mesures ne se recoupent pas. Les salariés du secteur public peuvent tout aussi bien travailler à l’échelon local ou pour les entreprises à but marchand possédées par l’État.
  • [4]
    Notons que l’impact de ces mesures sur le marché de l’emploi est faible puisque cela ne représente qu’une destruction de 1 % environ des postes de travail sur deux ans.
  • [5]
    Cf. Cahuc et Zylberberg [19%] pour une présentation de l’ensemble des théories de la segmentation.
  • [6]
    Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier les trajectoires professionnelles des travailleurs du secteur public. La mesure des flux entre privé et public serait un bon indicateur d’une éventuelle segmentation du marché.
  • [7]
    En 1990, dans les activités marchandes, les salariés publics avaient à peine étudié une demi-année de moins que l’ensemble des employés de l’État En revanche, les femmes n’y occupaient que 30 % environ des postes de travail contre 43 % pour l’ensemble. Notons, par ailleurs, que cette féminisation de l’emploi public est responsable du quart seulement de la hausse de la qualification de la main-d’œuvre : le nombre d’années d’études suivies en moyenne par les hommes employés par l’État a augmenté au même rythme que celui des femmes (une année et demi sur treize ans contre deux ans pour la fonction publique tous sexes confondus).
  • [8]
    En Colombie, il s’agirait avant tout d’une conséquence du progrès technique [Gros, 2000].
  • [9]
    En 1996, 52 % des diplômés universitaires de moins de 35 ans ayant un emploi étaient des femmes.
Français

Résumé

Cet article analyse les évolutions de l’emploi et des salaires des employés de l’État en Colombie depuis 1983. Au début des années quatre-vingt-dix, ce pays a changé de constitution et opté résolument pour une politique d’ouverture économique. L’adoption d’une nouvelle constitution avait pour principal objectif de moderniser et relégitimer le rôle de l’État L’ouverture économique implique une plus grande maîtrise des déficits publics et s’accompagne généralement de l’abandon de certaines activités de la part de l’État L’évolution de la politique d’emploi public est donc marquée par la poursuite d’objectifs multiples. L’étude des comptes publics et des enquêtes emploi met à jour une augmentation importante du budget de l’État alors que celle de sa masse salariale s’avère bien moins conséquente. L’emploi public a diminué mais les salaires ont crû. L’évolution des besoins en main-d’œuvre de l’État a favorisé l’embauche de travailleurs qualifiés alors que leur coût augmente en raison de leur rareté relative sur le marché de l’emploi. Comprendre cette évolution requiert une analyse des techniques de gestion des ressources humaines adoptées dans le secteur public.

Mots-clés

  • Amérique latine
  • Colombie
  • emploi public
  • fonctionnaires
  • réforme de l’État
  • salaires

Bibliographie

  • Alesina A. [2000], Institutional Reforms in Colombia, Fedesarrollo, working paper serie n° 21.
  • Alelsina A., Carrasquilla A., Echavarría J.J. [2000], Decentralization in Colombia, Fedesarrollo, working paper serie n° 15.
  • Cahuc P., Zylberberg A. [1996], Économie du travail. La formation des salaires et les déterminants du chômage, Bruxelles, Ouvertures économiques, De Boeck & Larcier, 608 p.
  • Cordi A. [1998], El tamaño del estado Colombiano, indicadores y tendencias, DNP, Archivos de Macroeconomía, 87.
  • Gros J.-B. [2000], Ouverture économique et financière en Colombie : 1982-1996, EHESS, thèse de doctorat, 360 p.
  • Numpaque C., Rodríguez L. [1996], Evolución y comportamiento del gasto público en Colombia 1950-1994, DNP, Archivos de Macroeconomía, 45.
  • Olivera M., Castro M.F., SÀnchez F. [1995], Análisis de la evolución y composición del sector público, DNP, Archivos de Macroeconomía, 37.
  • Rama M. [1997], Efficient Public Sector Downsizing, World Bank, PSRECS paper.
Jean-Baptiste Gros [*]
  • [*]
    Économiste, Dial/Cipre.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.020.0107
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...