CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La tuberculose constitue, à l’échelle mondiale, un sérieux problème de santé publique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait ainsi qu’en 1993, un tiers de la population mondiale (soit 1,7 milliard de personnes) était infecté par le bacille de Koch (BK, Mycobacterium tuberculosis), dont, chaque année, environ 8,8 millions de personnes développeront la maladie et 3 millions mourront [Barnes, Barrows, 1993]. En 1996, on enregistrait, pour 100000 habitants, 398,8 cas dans les Philippines, 216 cas en Afrique du Sud, 137,7 cas en Inde et 54,7 au Brésil contre, par exemple, 33 cas au Japon, 12,9 cas en France ou 7,9 cas aux États-Unis [MS, 1999]. Aux États-Unis, comme au Brésil, la tuberculose constitue un facteur de morbidité et de mortalité majeur parmi les groupes indigènes. Au Brésil, par exemple, les données épidémiologiques disponibles indiquent, malgré leur précarité (absence d’information sur toutes les ethnies, inexistence d’un système de dépistage des cas infectieux et contagieux...), des taux d’incidence supérieurs à ceux trouvés parmi la population blanche du pays. Dans le Rio Negro, région du nord-ouest amazonien, les données historiques prouvent que cette maladie y constitue un sérieux problème de santé publique depuis le début du xxe siècle, son taux d’incidence annuel étant supérieur à 300 cas pour 100000 habitants, soit cinq fois supérieur à la moyenne nationale brésilienne et vingt fois à celle de l’Amérique latine ou de l’Europe [Buchillet, Gazin, 1998]. Des taux d’incidence très élevés ont également été rapportés parmi les Yanomami du Roraima [Sousa et alii, 1998], les Déni de l’Amazonas [CIMI, 1995], les Pakaanova/Wari’ [Escobar, Coimbra, 1998] et les Surui de Rondônia [Coimbra, 1989]. On calcule qu’en 1996, la tuberculose fut responsable de 22,7% du nombre total des morts indigènes pour maladies infectieuses et parasitaires (2,2% des décès pour toutes les causes), c’est-à-dire deux fois le taux mondial de mortalité spécifique par tuberculose [Amarante, 1999]. Il ne fait aucun doute que la dégradation croissante des conditions de vie des populations indiennes comme conséquence d’un contact souvent non discriminé avec les Blancs, ainsi que la précarité des services de soins dans les territoires indigènes, contribuent au maintien de l’endémie tuberculeuse.

2Une des clés du succès des programmes de contrôle et de lutte contre la tuberculose consiste en une stricte adhésion [1] du malade au régime thérapeutique, l’échec du traitement étant ainsi souvent attribué par les professionnels de santé à leurs patients. Cet article, qui se fonde sur une recherche en anthropologie de la santé en Amazonie brésilienne (populations indiennes Desana et Tariana du rio Negro) ainsi que sur la littérature médicale et anthropologique internationale relative à la tuberculose, analyse les différents facteurs susceptibles d’influer sur l’adhésion au traitement. Il illustrera notamment comment certaines notions clés en matière de tuberculose (distinction infection/maladie, possibilité de réactivation endogène, évolution chronique, capacité de rechute…) peuvent être difficilement compréhensibles pour certaines sociétés. Après un rappel des principales caractéristiques cliniques et de l’histoire naturelle de la maladie, je montrerai l’extrême complexité et le caractère multifactoriel de l’adhésion au traitement.

Histoire naturelle et clinique de la tuberculose

3La tuberculose est une maladie infecto-contagieuse due à une mycobactérie (le bacille de Koch) qui se transmet par voie aérienne d’une personne malade à un individu sain. En parlant, chantant, éternuant ou toussant, le malade projette dans l’air de fines gouttelettes de salive infectées. Le risque de transmission est lié à la densité de bacilles dans l’air inspiré mais aussi à la fréquence, à la durée et à l’intensité des contacts avec un individu contagieux [Sudre, 1993]. Une atmosphère confinée augmente le risque de contagion. C’est pour cette raison que la transmission de la tuberculose est surtout un phénomène familial ou hospitalier. Les bacilles déposés sur la peau ou dans les muqueuses sont rarement infectants. Enfin, les objets appartenant aux malades (vêtements, literie, ustensiles de cuisine…) n’exercent aucun rôle dans la transmission de la maladie.

4Plusieurs caractéristiques cliniques et de l’histoire naturelle de cette maladie, importantes pour la conduite diagnostique, thérapeutique et préventive, doivent être soulignées.

5Il s’agit d’une maladie à évolution et dissémination lentes dans les sociétés humaines. Elle se distingue des autres maladies contagieuses (grippe ou rougeole, par exemple) par divers aspects. Sa période d’incubation est de durée variable, parfois de plusieurs années. Elle est également silencieuse sur le plan clinique. Bien que sa période de contagiosité soit plus longue (quelques semaines à quelques mois, voire plusieurs années), elle est peu contagieuse. Contrairement à la rougeole ou autrefois à la variole, par exemple, qui infectent une population entière lors d’une première exposition à leur virus, on estime qu’un individu porteur d’une tuberculose pulmonaire peut infecter dix personnes par an dans des conditions naturelles, c’est-à-dire en l’absence de traitement [Styblo, 1980].

6La primo-infection tuberculeuse, consécutive à l’inhalation du BK et à son implantation dans les alvéoles pulmonaires, est généralement asymptomatique, la personne infectée n’étant pas contagieuse. Dans 90% des cas, les défenses immunitaires de l’individu sont suffisantes pour empêcher la multiplication et la dispersion des BK dans son corps, ce qui se traduit par une réaction tuberculinique positive. Dans 10% des cas, l’infection devient patente. C’est la tuberculose-maladie ou tuberculose primaire : on considère généralement que 5% des personnes infectées développeront la maladie dans les deux ans qui suivent l’infection, les 5% restants à n’importe quel moment de leur vie [Sudre, 1993], Il convient néanmoins de souligner que ce risque augmente en cas d’immunodépression induite par l’infection au VIH ou en relation avec d’autres conditions pathologiques (rougeole, diabète, cancer de la tête ou du cou, alcoolisme, par exemple). Contrairement à la majorité des maladies infectieuses, l’infection et la maladie, dans le cas de la tuberculose, ne sont pas des processus simultanés.

7La prémunition qui se développe après la récupération d’une infection primaire n’est pas toujours suffisante pour débarrasser le corps humain des BK. Ceux-ci peuvent hiberner dans l’organisme et la tuberculose-maladie apparaître à partir de foyers tuberculeux silencieux, contemporains de l’infection primaire, après un temps variable, souvent de plusieurs années. C’est la réactivation endogène. Celle-ci peut survenir à l’occasion d’une baisse des défenses immunitaires. C’est ce qui se passe chez les gens âgés quand la maladie apparaît loin ou en dehors de tout contact avec des personnes infectées, ou chez les individus immunodéprimés (patients infectés par le VIH, par exemple). Une tuberculose plus tardive peut enfin se développer à partir d’une nouvelle exposition au virus. C’est la réinfection exogène. Dans les deux cas, l’individu développera ce que l’on dénomme tuberculose postprimaire qui peut affecter n’importe quelle partie du corps, mais surtout les poumons. La tuberculose-maladie peut ainsi se développer par trois mécanismes : progression de l’infection en maladie, réactivation endogène et réinfection exogène [Sudre, 1993],

8La tuberculose peut revêtir différentes formes selon la localisation du foyer infectieux. Sa manifestation clinique la plus fréquente est la forme pulmonaire (la phtisie selon Hippocrate). C’est elle qui est principalement responsable de la transmission des BK. Les symptômes de la tuberculose pulmonaire sont bien connus. Certains sont assez évocateurs, telles la toux prolongée (de plus de trois semaines), l’expectoration ou encore l’hémoptysie. Fatigue et faiblesse sont aussi des plaintes communes. Le malade peut également présenter amaigrissement, perte de l’appétit, fièvre nocturne de faible intensité, douleur thoracique, transpiration nocturne et tremblements [Gentilini, 1993]. Après leur implantation dans les alvéoles pulmonaires où ils causent une lésion initiale, les BK peuvent se multiplier et gagner les autres organes du corps par voie sanguine ou lymphatique [2]. Les formes extrapulmonaires (TEP) sont généralement secondaires à une tuberculose pulmonaire négligée. Représentant de 10 à 20% du nombre total de cas de tuberculose recensés, elles sont rarement contagieuses [Gentilini, 1993]. La tuberculose peut enfin affecter tous les organes : c’est la forme disséminée ou miliaire.

9Incubation silencieuse, évolution chronique, distinction infection/maladie, possibilité de réactivation endogène sont quelques-unes des caractéristiques cliniques et de l’histoire naturelle de la tuberculose importantes en termes de conduite diagnostique, préventive et thérapeutique.

Les programmes nationaux de contrôle et de lutte contre la tuberculose

10Les objectifs des programmes nationaux de contrôle et de lutte contre la tuberculose visent donc principalement à traiter les malades, réduisant de la sorte la transmission de l’infection tuberculeuse, et à prévenir le développement d’une forme de tuberculose résistante aux antibiotiques. Les moyens de contrôle sont ainsi essentiellement le dépistage des sujets infectés mais non encore malades (sujets-contact) suivi, si nécessaire, de leur chimioprophylaxie, ainsi que le diagnostic précoce et le traitement efficace des individus contagieux.

La chimioprophylaxie

11Elle consiste en l’administration quotidienne d’Isoniazide pendant six mois à tout proche infecté d’un patient tuberculeux, âgé de moins de cinq ans, non vacciné par le BCG, porteur d’un test tuberculinique positif mais d’une radiographie pulmonaire normale et, enfin, sans symptomatologie compatible avec un diagnostic de tuberculose ; en effet, l’administration d’un seul antituberculeux à un individu développant une tuberculose-maladie peut favoriser l’apparition d’une résistance médicamenteuse [Barnes, Barrows, 1993].

Le diagnostic et le traitement des individus contagieux

12Le diagnostic de tuberculose pulmonaire est établi par le biais de l’examen clinique, par l’examen bactériologique (ou frottis) de recherche de BK dans les crachats, par la culture de BK (en cas de frottis négatif), par la radiographie pulmonaire et par le test tuberculinique (intradermoréaction de Mantoux) [Gentilini, 1993],

13La chimiothérapie antituberculeuse qui stérilise l’expectoration, élimine la toux et réduit la période d’infectiosité – et par conséquent diminue ou interrompt la chaîne de transmission – est la meilleure des protections pour les proches des patients [ibidem]. Au Brésil, comme dans d’autres pays, on applique pour la tuberculose pulmonaire le régime thérapeutique dit de courte durée (six mois), administré préférentiellement en régime ambulatoire, qui favorise un degré d’adhésion du malade au traitement supérieur à la chimiothérapie standard de douze mois autrefois pratiquée, tout en entraînant une moindre induction de résistance aux antibiotiques. Il comporte une phase d’attaque de deux mois, associant trois médicaments (Isoniazide, Rifampicine et Pyrazinamide) pris quotidiennement, suivie d’une phase d’entretien de quatre mois avec deux médicaments (Rifampicine et Pyrazinamide) administrés de manière quotidienne ou intermittente (bihebdomadaire). Dans certains cas (méningite tuberculeuse, mauvais état général du malade, personnes présentant un risque élevé d’abandon du traitement comme, par exemple, les personnes sans domicile fixe ou les populations indigènes…), le traitement ou, à tout le moins, sa phase d’attaque sera effectué en régime hospitalier.

14Sous traitement, les symptômes disparaissent en trois ou quatre semaines et le frottis se négative au cours des trois premiers mois [Barnes, Barrows, 1993], Mais la conversion bactériologique requiert parfois davantage de temps. C’est pour cette raison que la durée minimale du traitement est de six mois. Son interruption prématurée, la prise irrégulière des médicaments et/ou l’usage anarchique de ses divers composants peuvent entraîner des rechutes, d’où la possibilité de nouvelles contaminations. Ils favorisent également le développement d’une résistance spécifique aux antituberculeux [Sudre, 1993], D’où l’importance de la supervision du traitement (frottis de l’expectoration et/ou culture de BK, radiographie pulmonaire et examen clinique).

15La supervision du malade en régime ambulatoire vise également à surveiller l’apparition des effets secondaires des médicaments. Dans la majorité des cas, ceux-ci sont supportables ou transitoires. Toutefois, dans certains cas (patients porteurs d’une lésion hépatique ou rénale antérieure, ou présentant une réaction d’hypersensibilité due à un surdosage de médicaments ou à une association médicamenteuse particulière), ils peuvent mettre en danger la vie du malade, obligeant, de la sorte, le médecin à modifier le traitement. L’Isoniazide, par exemple, est susceptible d’occasionner nausées, vomissements, ictère, hyperglycémie, dépression respiratoire, lésions hépatiques, hallucinations [Barnes, Barrows, 1993]. On rapporte également un obscurcissement de l’urine ou de la salive ainsi qu’une hypersensibilité de la personne aux rayons solaires [ibidem]. Outre les nausées et les vomissements, la Rifampicine peut provoquer ictère, asthme, urticaire, manifestations hémorragiques alors que la Pyrazinamide, en plus des nausées et des vomissements, peut entraîner ictère et arthralgies [MS, 1995],

16La tuberculose est donc une maladie techniquement contrôlable : on dispose de méthodes de diagnostic et de traitement efficaces. Il est néanmoins nécessaire, en premier lieu, que les professionnels de santé suivent les normes techniques stipulées par les ministères de la santé de leurs pays respectifs et, en second lieu, que les patients aient accès au traitement et prennent les médicaments selon la prescription médicale (posologie, durée, périodicité, etc.).

Le non-respect par les professionnels de santé des normes et des règles techniques

17Diverses études conduites dans le monde entier ont montré que de nombreux médecins ne respectaient pas les normes et les règles techniques émises par les programmes de prévention et de lutte contre la tuberculose de leurs pays respectifs et qui concernent soit les critères de définition et de classification des cas de tuberculose, soit la prescription des régimes thérapeutiques. Au Brésil, par exemple, le diagnostic de tuberculose pulmonaire doit être établi sur la base de deux ou trois examens bactériologiques de l’expectoration associés ou non à une culture de BK confirmant la présence de ces derniers, un examen clinique et, dans certains cas, une radiographie pulmonaire [MS, 1995]. Toutefois, ces critères ne sont pas toujours respectés par les médecins, le traitement antituberculeux étant parfois administré seulement sur la base d’une symptomatologie respiratoire compatible avec un diagnostic de tuberculose [FNS-GO, 1996]. C’est ce qui se produit souvent d’ailleurs dans les territoires indigènes. Or, il n’est pas inutile de rappeler ici que les symptômes évocateurs de la tuberculose (toux prolongée, hémoptysie, expectoration, douleur thoracique…) ne sont pas spécifiques à celle-ci, pouvant se trouver dans d’autres maladies (bronchite, cancer du poumon ou pneumonie, par exemple).

18Parfois, ce sont les protocoles thérapeutiques qui ne sont pas respectés par les médecins. Une enquête effectuée dans plusieurs cliniques privées en Corée a ainsi mis en évidence d’importantes variations en termes de prescriptions de régimes thérapeutiques et de durée de traitement, les taux de guérison des malades traités pour une tuberculose pulmonaire y étant inférieurs à ceux obtenus par les centres de soins qui intègrent le programme national de contrôle de la tuberculose [Hong et alii, 1999]. Or l’on sait que la prescription de types ou de combinaisons inadéquats de médicaments peut, dans le cas de la tuberculose, entraîner l’échec du traitement et favoriser le développement d’une résistance aux antibiotiques.

La non-adhésion des patients au régime thérapeutique

19On estime, tant aux États-Unis [CDC, 1994] qu’au Brésil [MS, 1999], qu’environ 25% des malades interrompent le traitement avant la fin. Ces données sont probablement sous-estimées au Brésil en raison de la précarité des services de soins dans certaines régions (absence notamment de supervision du malade en régime ambulatoire, particulièrement dans les territoires indigènes). Dans la région du rio Negro, par exemple, la mention « cure » signifie souvent que le malade a reçu la totalité du traitement, sans que l’on sache s’il a réellement pris les médicaments selon la prescription médicale et sans qu’aucun examen clinique, radiologique et bactériologique de contrôle atteste qu’il ne soit effectivement guéri [Buchillet, Gazin, 1998]. Bien qu’un effort ait été fait au cours des dernières années par les hôpitaux locaux qui demandent au patient indigène de revenir régulièrement au centre de soins pour un contrôle clinique et bactériologique, ce système, dans la pratique, n’est pas toujours possible ni respecté par le patient, en partie pour des questions logistiques (cf. infra).

20Il convient de souligner ici que la non-adhésion au traitement, loin d’être un problème spécifique de la tuberculose, est rencontrée par tous les médecins dans le cadre de leur pratique clinique quotidienne. Malgré diverses tentatives faites par les professionnels de santé d’identifier les critères permettant de prédire la capacité de leur patient à être – ou non – adhérent, il apparaît que le sexe de ce dernier, son âge, son état civil, son niveau d’éducation, son origine ethnique, ses conditions socio-économiques de vie, voire ses conceptions et pratiques en matière de tuberculose, ne permettent en aucun cas de prédire son degré futur d’adhésion au traitement [Sbarbaro, 1980 ; Menegoni, 1996]. De fait, aucun patient n’est a priori non adhérent. Comme on le verra, l’adhésion au traitement est un problème multifactoriel qui dépasse largement les caractéristiques personnelles des malades. Les questions logistiques, les facteurs liés à la qualité de la relation médecin/patient, à la nature de la maladie et à celle du régime thérapeutique ou, enfin, au contexte socio-culturel du patient, conditionnent, en effet, tant le recours aux soins que l’adhérence thérapeutique.

Les questions logistiques

21Elles se réfèrent à l’organisation, au fonctionnement et à la facilité d’accès aux services de soins ainsi qu’au coût (direct ou indirect) des mesures diagnostiques ou thérapeutiques pour le patient. Les problèmes d’accessibilité géographique ainsi que les difficultés de transport conséquentes, le coût des remèdes, l’approvisionnement irrégulier des services de santé en médicaments… sont quelques-uns des problèmes auxquels peuvent se confronter les malades. Dans de nombreux pays, les médicaments qui intègrent le régime thérapeutique de courte durée ne sont pas toujours disponibles auprès des programmes nationaux de lutte contre la tuberculose. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 1991-1992 au Brésil lors de l’interruption de la campagne nationale de contrôle de la tuberculose (CNCT) pour des raisons diverses (décentralisation des services de soins, désengagement financier de l’État fédéral, perception de l’inutilité de la CNCT…) [Kritski, Ruffino-Netto, 2000].

22Parfois, les malades doivent acheter les médicaments et nombre d’entre eux n’en ont pas les moyens. Pour cette raison, ils ne respectent pas le traitement ou prennent seulement une partie des antibiotiques prescrits, ce qui, on l’a vu, peut favoriser le développement d’une tuberculose résistante. Même dans les cas où il reçoit gratuitement les médicaments, comme au Brésil, le malade en régime ambulatoire devra revenir régulièrement au centre de soins pour recevoir la suite du traitement et effectuer un contrôle clinique et bactériologique, d’où des problèmes d’accessibilité et de coût additionnel. Dans la majorité des cas, il interrompra le traitement ou prendra de manière irrégulière les médicaments. Dans de nombreux territoires indigènes, la situation est encore plus critique. Dans le rio Negro, par exemple, seuls deux hôpitaux sont habilités à diagnostiquer et à traiter les cas de tuberculose. Cette région a une superficie de plus de 8 millions d’hectares et les communautés indiennes, qui se distribuent de manière dispersée sur les rives des principaux fleuves ou dans les zones d’interfluve, en sont distantes de quelques minutes à plusieurs jours ou semaines de marche ou de voyage en pirogue. Il n’existe en effet aucune route : on circule en pirogue ou à pied à travers la forêt. Quelques bateaux de commerçants itinérants ou d’associations indigènes locales sillonnent régulièrement la région, mais leurs déplacements sont souvent gênés par le niveau des eaux en saison sèche ou des pluies. En outre, le cours des rivières est entravé de nombreux rapides, cascades et pierres immergées qui rendent difficile, voire impossible dans certains endroits, la navigation aux bateaux de tonnage moyen. Difficultés d’accès physique et coûts indirects (de transport, d’essence…) augmentent ainsi le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le recours aux soins occidentaux.

23Les patients tuberculeux sont généralement hospitalisés pendant la phase d’attaque du traitement (deux mois). Nombre d’entre eux (particulièrement les Indiens Maku des zones d’interfluve qui ont peu de contact avec les Blancs) s’enfuient à cette occasion [3]. À la fin de cette phase, les patients retournent en régime ambulatoire dans leur communauté d’origine, soit avec un mois de traitement s’ils vivent à une distance raisonnable de l’hôpital, soit avec le reste du traitement (quatre mois) si leur village en est éloigné. Ils sont donc censés revenir régulièrement au centre de soins pour recevoir la suite de leur traitement ou à la fin de celui-ci pour un contrôle clinique et bactériologique. Ce qui pose pour eux les problèmes d’accessibilité géographique et de coût énoncés plus haut. De son côté, la structure sanitaire locale n’a pas les moyens matériels de superviser le traitement des malades dans les communautés indiennes qui sont très dispersées dans la région et d’accès souvent difficile. Les agents de santé communautaire sont en outre trop peu nombreux pour pouvoir s’en charger, la majorité d’entre eux n’ayant d’ailleurs pas les moyens matériels d’effectuer des visites régulières dans les communautés distantes de leur juridiction (absence de moteur hors bord ou d’essence). Ainsi, une fois revenus dans leurs communautés d’origine, les patients tuberculeux sont livrés à eux-mêmes, sans surveillance aucune du traitement ni contrôle des effets secondaires potentiels des médicaments. Des difficultés de même ordre ont été signalées dans d’autres territoires indigènes, notamment dans le Parc indigène du Xingu [Hugh-Jones, Hugh-Jones, 1995]. L’accessibilité (géographique, économique), on le voit, peut affecter tant le recours aux soins que l’adhésion au traitement.

Les facteurs liés à la qualité de la relation entre médecins et patients

24La qualité de la relation entre les professionnels de santé et leurs patients est déterminante pour l’adhésion de ces derniers au régime thérapeutique. Elle peut être affectée par des différences d’ordre linguistique ou culturel qui peuvent non seulement conduire à l’établissement d’un diagnostic erroné, mais aussi entraver la collaboration du malade au traitement de sa maladie [Carey Jackson, 1996], Ce problème est particulièrement crucial pour les populations indigènes du Brésil. Dans la région du rio Negro, comme probablement ailleurs, le patient indigène se sent, en effet, souvent discriminé par le médecin qui démontre peu d’intérêt pour ses particularités ethniques et socioculturelles, se limitant le plus souvent à lui fournir en portugais quelques explications rapides sur la maladie, sur son mode de transmission et son évolution, ainsi que sur la nécessité de suivre le traitement jusqu’à la fin sous peine de rechute, sans se préoccuper de savoir si son patient les a comprises. En outre, la connaissance par les Indiens de la langue portugaise est très inégale dans la région : si la majorité des adolescents et des jeunes adultes la parlent couramment, il n’en est pas de même pour les membres de générations plus âgées qui se font alors accompagner d’un parent bilingue leur servant d’interprète. Dans ce cas, le médecin n’a aucun contrôle sur l’information médicale qui est effectivement transmise au patient [Buchillet, 1997].

25En dehors des problèmes de communication proprement linguistique, les conceptions locales relatives à la transmissibilité ou à la contagion des maladies peuvent, comme on le verra, être différentes de celles de la médecine occidentale, ne pas s’appliquer aux mêmes maladies ni même résulter dans les règles d’évitement et de protection préconisées par la médecine occidentale. Ces conceptions affectent, il convient de le rappeler, tant le comportement du malade que celui des personnes de son entourage.

26Certaines notions importantes en matière de tuberculose – comme la rechute, par exemple – peuvent être étrangères aux patients non-occidentaux pour qui il est impossible de tomber une seconde fois malade de la même maladie. Pour les Desana, un groupe indigène de la famille linguistique tukano orientale du rio Negro, toute rechute (dans le sens occidental) est inévitablement perçue comme nouvelle maladie, devant, pour cette raison, faire l’objet d’un autre traitement [Buchillet, 1991, 1997]. Dans le cas de la tuberculose, cette conception rend difficile pour le patient la compréhension de l’explication médicale sur l’importance de suivre le traitement jusqu’à la fin pour éviter une rechute.

27Une autre notion – celle de la chronicité – peut être difficilement compréhensible pour certaines sociétés. Ainsi, chez les Desana, l’apparente absence de réaction immédiate de la maladie au traitement entrepris est essentiellement l’indice d’une erreur de diagnostic et, a fortiori, de traitement. La cure chamanique est en effet fondée sur la récitation d’incantations thérapeutiques au-dessus de liquides ou de plantes qui leur servent de supports matériels et de véhicules jusqu’au patient. Ces incantations, qui sont récitées plusieurs fois de suite par le chamane, sont perçues par les Desana comme ayant un effet quasi instantané sur la maladie. Répétition et effet immédiat des incantations sont d’ailleurs deux éléments clés de l’efficacité thérapeutique selon la conception indigène. En ce sens, la nonréaction immédiate d’une maladie au traitement entrepris, son évolution chronique ou encore la persistance ou l’aggravation des symptômes seront l’indice d’une autre maladie [Buchillet, 1988]. La notion de chronicité est ainsi une impossibilité conceptuelle pour ces Indiens. Cette conception peut éventuellement remettre en cause la validité du traitement prolongé pour certaines maladies à évolution lente ou chronique, comme la tuberculose, par exemple. Il convient de rappeler que le traitement de la tuberculose dure au minimum six mois et que l’amélioration nette de l’état du malade (c’est-à-dire la disparition des symptômes qui l’ont conduit à consulter) survient seulement après trois ou quatre semaines de traitement.

28Les nosographies locales s’organisent aussi souvent de manière différente des occidentales : les différentes manifestations cliniques d’une maladie (selon la conception occidentale) peuvent ainsi être considérées comme maladies diverses par d’autres populations. D’où la potentielle difficulté des patients tuberculeux à comprendre la relation entre la chimiothérapie standard et la variété des manifestations cliniques de la maladie, considérant en particulier que le traitement n’est pas approprié à la diversité de celles-ci et/ou requérant un médicament spécifique pour chaque type de symptôme [Hugh-Jones, 1984 ; Shimada et alii, 1995]. À l’inverse, des symptômes de pathologies distinctes selon la conception occidentale peuvent être considérés par les populations locales comme faisant partie d’une même maladie [Buchillet, 1997]. Enfin, une même maladie (selon la conception occidentale) peut être attribuée à plusieurs causes : cas, par exemple, des différentes formes de paludisme distinguées par les Desana du rio Negro, qui sont associées à des causalités et à des traitements spécifiques [4]. Cette absence de compatibilité entre les systèmes occidentaux et non occidentaux de classification des maladies a été rapportée par de nombreux auteurs partout dans le monde [cf. par exemple, Jaffré, Olivier de Sardan (éd.), 1999 ; Caprara, 2000],

29Pour certaines maladies – la rougeole ou la variole pour les Desana, par exemple –, il peut y avoir une équivalence superficielle entre les référents biomédicaux et locaux (indigènes). Toutefois, les représentations et les conceptions étiologiques sous-jacentes sont différentes [Buchillet, 1995], Il n’y a donc pas correspondance terme à terme entre les systèmes occidentaux et non-occidentaux de catégorisation et d’interprétation des maladies.

30Les différences linguistiques et culturelles entre les patients et les professionnels de santé peuvent, on le voit, affecter leur relation, la compréhension par les premiers des explications qui leur sont transmises au cours de la consultation médicale et, a fortiori, leur degré potentiel d’adhésion au traitement. Toutefois, il n’est pas inutile de le souligner, malgré l’importance pour les patients d’être renseignés sur la nature de leur maladie, la durée du traitement, les effets collatéraux potentiels des antituberculeux, l’importance de prendre les médicaments selon la prescription médicale ainsi que sur les conséquences de l’interruption temporaire ou de l’abandon du traitement, les professionnels de santé ne leur donnent pas toujours les explications suffisantes qui pourraient faciliter leur adhésion au traitement. En outre, le peu de temps dédié au patient au cours de la consultation médicale invalide généralement toute tentative de ce dernier de discuter des aspects socio-culturels et économiques éventuellement associés à sa maladie, ou de l’impact psychologique du diagnostic de tuberculose dans sa propre vie et dans celle de sa famille. En réalité, dans ce dernier cas, il n’est pas simplement question du temps disponible du médecin mais également de ses propres perceptions sur son rôle et de son appréciation sur l’importance ou non de transmettre certaines informations à son patient compte tenu du niveau de compréhension supposé de ce dernier. Il s’agit aussi, en d’autres termes, des représentations des professionnels de santé relatives à leurs malades et aux comportements éventuels de ces derniers, un problème particulièrement aigu lorsque les patients sont indigènes, qu’ils perçoivent généralement comme ignorants, vivant dans une certaine promiscuité, sans notions minimales d’hygiène, ne respectant pas les indications thérapeutiques et, enfin, se comportant de manière incohérente dans le recours aux soins [5].

La nature de la maladie et les caractéristiques du régime thérapeutique

31La nature de la maladie ainsi que les caractéristiques du traitement sont également susceptibles d’influencer le degré d’adhésion au traitement. Des maladies infectieuses aiguës se traduisant par des symptômes douloureux ou stressants sont généralement associées à un degré d’adhésion supérieur à celui de maladies à évolution chronique, comme, par exemple, la tuberculose [Bergman, Werner, 1963, cité par Earnest et Sbarbaro, 1996]. L’absence de signe pathognomonique de la tuberculose est un autre facteur important. Plusieurs symptômes, on l’a vu, considérés par les médecins comme compatibles avec un diagnostic de tuberculose pulmonaire peuvent ainsi non seulement se trouver dans d’autres maladies mais aussi être interprétés par le patient comme signes d’une autre maladie [Rubel, Garro, 1992 ; Nichter, Nichter, 1994]. En outre, chez les Desana, comme parmi de nombreuses autres sociétés, le diagnostic initial est généralement élaboré par le malade (autodiagnostic) avec l’aide éventuelle des membres de sa famille ou de sa communauté sur la base des manifestations physiques de la maladie. La préoccupation du malade, à ce stade, est uniquement la disparition des symptômes, le traitement consistant en plantes, voire en médicaments. En cas de persistance ou d’aggravation des symptômes ou de l’apparition d’autres troubles, la maladie sera reclassifiée et l’on recherchera sa cause ultime, c’est-à-dire celle qui met en relation la maladie particulière du patient à son milieu physique et social de manière à répondre à une question fondamentale : « Pourquoi suis-je malade maintenant ? » La recherche de cette réponse motivera le recours à un thérapeute traditionnel, un chamane, par exemple. Le diagnostic initial a un impact évident sur la conduite du malade, orientant de manière significative son recours à différentes catégories de spécialistes et déterminant, de la sorte, le choix des traitements, le patient assumant ici une partie des tâches que l’on attribue généralement aux médecins dans le monde occidental [Buchillet, 1991]. Il peut aussi éventuellement retarder le recours aux soins occidentaux et l’établissement du diagnostic de tuberculose.

32La nature du régime thérapeutique constitue également un défi, tant pour le professionnel de santé que pour le malade, dans la mesure où il implique l’administration – et la prise quotidienne (ou bihebdomadaire) – de deux ou trois médicaments pendant au moins six mois. La durée relativement longue du traitement ainsi que les effets secondaires des antituberculeux peuvent également influencer de manière négative l’adhésion au traitement, bien que ces derniers ne semblent pas conduire automatiquement à une faible adhérence comme certains travaux l’ont démontré [Etkin, 1992 ; Earnest, Sbarbaro, 1996]. Dans la majorité des cas, ils sont supportables, voire transitoires. Néanmoins, ils peuvent parfois mettre en danger la vie du malade, particulièrement chez les individus porteurs d’une lésion hépatique ou rénale antérieure, obligeant de la sorte le médecin à modifier le traitement [MS, 1995]. Toutefois, même considérés du point de vue médical comme mineurs ou passagers, certains effets collatéraux des médicaments peuvent avoir un impact négatif sur l’adhésion au traitement, dépendant en particulier de la signification que le malade leur a attribuée. Nachman [1993] a ainsi montré que les immigrants haïtiens aux États-Unis atteints de tuberculose pulmonaire interprétaient la coloration sombre de l’urine due à l’Isoniazide comme un signe de diminution de leur puissance sexuelle. Certains symptômes, bien qu’indésirables, peuvent, en outre, être perçus par les patients comme liés de manière fonctionnelle à l’efficacité du traitement, comme une phase nécessaire de celui-ci, alors que d’autres en seraient plutôt vus comme indépendants [Nichter, 1989]. Selon cet ordre d’idée, les vomissements, les manifestations cutanées ou encore l’obscurcissement de l’urine déjà cité peuvent, par exemple, symboliser pour le patient l’expulsion hors de son corps de la maladie [Etkin, 1988], Les effets secondaires des médicaments peuvent parfois aussi être perçus comme les signes d’une autre maladie. Pour les Desana, on l’a vu, tant l’apparente absence de réaction immédiate de la maladie au traitement entrepris que l’apparition d’autres troubles sont susceptibles de remettre en cause la validité du diagnostic initial et du traitement. Cette même conception existe parmi de nombreuses sociétés, indigènes ou autres. En effet, et de manière différente de la médecine occidentale, le diagnostic d’une maladie est susceptible de varier durant l’évolution de celle-ci, tant en fonction de facteurs médicaux (réaction au traitement, aggravation des symptômes, apparition éventuelle d’autres troubles…) qu’extramédicaux (par exemple, rêves récurrents du patient, éclosion de conflits dans la communauté du malade, visite d’une femme réglée ou enceinte, éclatement de la foudre à proximité du domicile du patient…). Ces derniers éléments, censés introduire des éléments pathogènes dans le processus de la maladie, conduisent, de la sorte, à une reformulation du diagnostic initial [Buchillet, 1991].

33Les effets secondaires des médicaments, on le voit, sont susceptibles de confirmer, ou au contraire d’infirmer, le diagnostic et donc le traitement. Parmi les autres facteurs à considérer, on peut citer la disparition (généralement en un mois) des symptômes qui ont conduit le patient à consulter, ce qui remet en cause l’objectif du traitement et indirectement la nécessité de le suivre jusqu’à la fin dans la mesure où le patient peut s’estimer guéri [Bergman, Werner, 1963, cité par Earnest et Sbarbaro, 1996], Enfin, le fait que les individus infectés soient soumis à un traitement préventif de six mois est un autre facteur aggravant : en l’absence de symptômes, il est difficile de convaincre quelqu’un qui n’est – ni ne se sent – pas malade de la nécessité et des bénéfices potentiels de la chimioprophylaxie, de lui faire comprendre, en d’autres termes, qu’elle préviendra l’évolution de son infection en maladie [Earnest, Sbarbaro, 1996].

Les représentations et les pratiques locales en matière de santé et de maladie

34Les formes pulmonaire et extrapulmonaires de la tuberculose sont parfois considérées comme des maladies diverses, chacune d’entre elles étant associée à une causalité et un traitement spécifiques. Les Desana distinguent ainsi plusieurs variétés de tuberculose – qui s’assimilent d’ailleurs plus ou moins à certaines formes cliniques de cette maladie reconnues par la médecine occidentale (en particulier, pulmonaire, ganglionnaire et laryngée [6]) – et qu’ils considèrent toutes comme des maladies « traditionnelles », c’est-à-dire comme des maladies qui les affectent depuis toujours. Ils ne les associent pas ainsi au contact avec les Blancs, comme ils le font pour d’autres infections transmissibles, comme la rougeole, la grippe ou la variole, par exemple. À partir de l’analyse des représentations de quatre maladies infectieuses d’origine virale et parasitaire qui ont affecté – et, pour certaines d’entre elles, affectent encore – les Indiens du rio Negro, j’ai récemment montré comment la différenciation étiologique établie par les Desana entre « maladies de Blancs [7] » (variole, rougeole, grippe…) et « maladies traditionnelles » (paludisme) reposait notamment sur la perception par ces Indiens de leurs caractéristiques épidémiologiques différentielles : extrême virulence, caractère aigu et transitoire, courte période d’incubation et d’infectiosité, pouvoir de contagiosité élevé, nécessité d’une contiguïté physique et temporelle [8]… des trois premières versus endémicité, évolution chronique, nécessité d’un vecteur, longévité du parasite, capacité de latence et de réactivation de ce dernier dans l’organisme humain… de la dernière [Buchillet, 1995 [9]]. Ainsi, certaines caractéristiques de l’histoire naturelle de la tuberculose déjà évoquées comme, par exemple, sa faible contagiosité, son évolution souvent chronique, la possibilité de réactivation endogène ou sa dissémination lente au sein des sociétés humaines expliquent pourquoi les Desana n’attribuent pas ses différentes formes cliniques au contact avec les Blancs, même si les sources historiques semblent noter l’introduction relativement récente de cette maladie dans la région du rio Negro, à tout le moins au début du xxe siècle [Biocca, 1963].

35Les Desana imputent, en outre, ces diverses maladies à la sorcellerie. En ce sens, elles peuvent seulement affecter une personne déterminée : pour être effective, la sorcellerie présuppose, en effet, une intention maligne dirigée contre une personne spécifique. Toute maladie résultant d’une attaque de sorcellerie est donc logiquement intransmissible ! Cette conception étiologique des diverses formes de tuberculose peut expliquer le retard entre l’apparition des premiers symptômes et le recours aux soins occidentaux mais surtout remettre en cause la validité des procédés préventifs (isolement des patients suspects ou confirmés de tuberculose active, chimioprophylaxie des sujets-contact) et thérapeutiques (caractère standard des traitements antituberculeux, c’est-à-dire un traitement identique pour tous les patients porteurs d’un diagnostic occidental de tuberculose). En effet, comment expliquer, dans ce dernier cas, que deux malades victimes d’une attaque de sorcellerie distincte puissent être soignés de manière identique ?

36Les Tariana, un groupe indigène de la famille linguistique arawak de la même région, distinguent, tout comme les Desana, plusieurs formes de tuberculose (pulmonaire et extrapulmonaires) qu’ils considèrent aussi comme des maladies traditionnelles et attribuent à la sorcellerie. Elles ne sont donc pas perçues comme contagieuses. Ils reconnaissent toutefois l’existence d’une autre forme de tuberculose pulmonaire, dont ils mettent en avant la nature transmissible, qu’ils associent au contact avec les Blancs, et dont le diagnostic différentiel avec les variétés traditionnelles de tuberculose pulmonaire serait établi par le biais de l’examen bactériologique de l’expectoration : négatif dans ces dernières – « il n’accuse rien », disent les Indiens -, il serait positif dans la variété « blanche » de la maladie. Il s’agit là d’une conception très intéressante si l’on prend en compte le nombre relativement élevé de frottis négatifs chez des malades porteurs d’un diagnostic de tuberculose pulmonaire signalés par divers auteurs [CDC, 1994 ; Amarante, 1999 [10]], ainsi que la possible confusion de cette maladie avec une mycobactériose pulmonaire atypique capable de fausser le résultat du frottis de l’expectoration. Coimbra et alii [1994] ont notamment montré à propos des Indiens Surui de Rondônia que plusieurs cas de paracoccidioïdomycose pulmonaire (ou blastomycose sud-américaine), une mycose causée par la levure terrestre Paracocciodioides brasiliensis, avaient été improprement diagnostiqués et traités comme cas de tuberculose non confirmés sur le plan bactériologique.

37Cette conception de l’existence de formes traditionnelles versus de contact de la tuberculose semble être partagée par d’autres groupes indigènes du Brésil, et notamment par les Xokleng [F. Wiik, communication personnelle, 1999]. Elle se trouve également chez les Tsawa du Bostwana (Afrique) qui différencient deux formes de tuberculose (une « traditionnelle » et une « occidentale ») selon les circonstances d’apparition de la maladie, mais aussi selon l’interprétation par le thérapeute des symptômes présentés par son patient [Steen, Mazonde, 1999]. Une enquête conduite au Vietnam a, en outre, mis en évidence l’existence de quatre formes ou variétés de tuberculose reconnues par la population de ce pays : une primaire (« tuberculose héréditaire [11] ») transmise de génération en génération par les liens de consanguinité ; une deuxième (« tuberculose physique ») associée à l’excès de travail physique et atteignant surtout les hommes ; une troisième (« tuberculose mentale ») résultat de l’anxiété féminine ; et, enfin, une quatrième (« tuberculose pulmonaire »), de nature contagieuse, due aux BK, et qui atteint de préférence les hommes [Long et alit, 1999].

38La reconnaissance du caractère transmissible de la tuberculose n’est pas, on le voit, généralisable à toutes les sociétés. En outre, les conceptions locales des mécanismes de la contagion sont souvent différentes des occidentales et peuvent ne pas s’appliquer aux maladies perçues par la médecine occidentale comme contagieuses. Chaque société a, en effet, des représentations particulières concernant les modalités de transmission et de propagation des maladies : celles-ci peuvent être, par exemple, par contact indirect (regards, vêtements, literie, objets appartenant au malade…), par proximité physique avec les substances (salive, sperme, sueur, urine…) et/ou les effluves corporels [12] ou encore les traces du patient, ou enfin par d’autres voies, comme, par exemple, par le biais du vent, de la nourriture, des animaux… [Mata, 1985 ; Menegoni, 1996 ; Liefooghe et alii, 1995 ; Caprara, 2000… pour différents exemples]. En outre, la reconnaissance par une société de la nature transmissible de la tuberculose n’empêche nullement qu’elle puisse en même temps être associée à d’autres facteurs, comme, par exemple, l’excès de travail, la transpiration, l’exposition au froid de la nuit ou au vent, le refroidissement après le travail, la fatigue, la pauvreté, la saleté, la malnutrition, ou à tout autre agent susceptible d’affaiblir ou de traumatiser le corps de l’individu. Ces divers éléments peuvent agir soit comme causes additionnelles, soit comme facteurs prédisposants, plaçant, dans ce dernier cas, l’individu dans un état de vulnérabilité favorisant le développement de la maladie [Mata, 1985 ; Farmer et alii, 1991 ; Nachman, 1993 ; Menegoni, 1996]. Enfin, dans les cas où la voie aérienne est considérée comme l’un des modes potentiels de transmission d’une maladie, elle peut s’appliquer à des maladies non reconnues par la médecine occidentale comme étant strictement de transmission aérienne (cas, par exemple, de la transmission d’une certaine forme de paludisme pour les Desana).

39Dans certains pays ou continents (Afrique, Philippines, Haïti ou Mexique, par exemple), la tuberculose est une maladie associée à la stigmatisation et au rejet social. D’où la tendance des patients à nier le diagnostic de tuberculose et le traitement prescrit [Mata, 1985 ; Farmer et alii, 1991 ; Barnhoorn, Adriaanse, 1992 ; Nichter, Nichter, 1994], En Inde ou au Pakistan, la tuberculose est un motif de divorce de la femme. Dans ce contexte, il est tout à fait compréhensible que cette dernière refuse ce diagnostic [Barnhoorn, Adriaanse, 1992]. Ces conceptions ont des implications évidentes pour les professionnels de santé en ce qui concerne le diagnostic de la tuberculose, la détection des cas infectieux et le traitement des malades contagieux. Outre le fait de rendre plus difficile l’adhésion des malades aux recommandations médicales, elles peuvent constituer un obstacle au dépistage des sujets-contact dans la famille d’un patient tuberculeux, ce dernier se refusant, en effet, à divulguer aux autres le diagnostic de sa maladie [Kwan-Gett, 1998].

40La perception et l’utilisation locales des médicaments sont souvent aussi différentes de celles qui sont préconisées par la médecine occidentale, les sociétés, indigènes ou autres, leur appliquant généralement les mêmes critères de sélection et d’utilisation des remèdes végétaux. Ceux-ci consistent souvent en l’identification d’une caractéristique physique (forme, couleur, texture, saveur, amertume, odeur…) désirée pour l’objectif de la cure. Chez les Desana, par exemple, les plantes utilisées dans la médecine familiale ou comme supports de l’incantation thérapeutique sont choisies en fonction d’une caractéristique physique qui évoque symboliquement l’effet recherché dans le traitement d’une maladie ou d’un symptôme particulier : par exemple, la viscosité de divers fruits pour faciliter le travail de l’accouchement, la couleur noire de quelques plantes pour masquer une plaie ou une brûlure à la surface de la peau ou, encore, l’amertume de certaines lianes ou écorces d’arbre pour ses vertus désinfectantes et cicatrisantes dans les cas de plaie ou de blessure [Buchillet, 1987, 1988]. Les Marubo de la vallée du Javari choisissent, quant à eux, les plantes en fonction de certaines caractéristiques ou qualités physiques (comme le chaud, le froid, le doux, l’acide, le neutre…) analogiques par rapport à l’origine de la maladie [Montagner-Melatti, 1991]. Les Kulina de l’État de l’Acre sélectionnent, pour leur part, les plantes selon leur arôme : celles possédant un arôme agréable auraient ainsi des propriétés curatives, au contraire des autres, de mauvaise odeur, considérées comme susceptibles d’aggraver la maladie [Pollock, 1994],

41Ce système de catégorisation des remèdes végétaux est en général appliqué aux médicaments. Une fois identifiées leurs caractéristiques potentiellement utilisables, ces derniers pourront servir à traiter des maladies diverses, leur fonction ou leur action spécifique dans le traitement d’une pathologie déterminée étant, de la sorte, totalement détournée. Un médicament catégorisé comme amer (la Rifampicine utilisée dans le traitement de la tuberculose, par exemple) pourra ainsi être utilisé pour ses vertus désinfectantes et cicatrisantes supposées. En réalité, les médicaments sont appréhendés et utilisés selon la culture locale et non en conformité avec l’idéologie occidentale sous-jacente. Les notions de posologie, de durée de traitement, de périodicité et d’adéquation d’un médicament à un type particulier de symptôme ou de maladie, qui sont des éléments clés de l’efficacité thérapeutique dans la conception médicale occidentale, ont peu de validité pour de nombreuses sociétés. D’un point de vue médical, cet usage impropre des médicaments n’est pas exempt de risque pour le malade et, dans certains cas, dépendant de la nature de la maladie, également pour la communauté. Dans le cas particulier de la tuberculose, on le sait, l’utilisation inadéquate des antituberculeux peut favoriser le développement d’une forme de tuberculose multirésistante chez le patient ainsi que la dissémination de la maladie au sein de la communauté.

42*

43Les réflexions qui précèdent montrent que les stratégies de contrôle et de lutte contre la tuberculose vont bien au-delà de simples questions de contagiosité, de sensibilité du malade à des médicaments spécifiques ou de l’adhésion des patients aux régimes thérapeutiques prescrits. Des facteurs de différents ordres sont susceptibles, selon les sociétés, d’influencer le résultat des efforts préventifs et thérapeutiques, et notamment : la précarité des structures de soins affectant la qualité des diagnostics, la disponibilité et la distribution des médicaments, le dépistage et le contrôle des sujets-contact, l’accompagnement et la supervision des traitements et, de la part des patients, l’accessibilité géographique et économique aux centres de soins ; le non-respect par les professionnels de santé des normes et des recommandations techniques véhiculées par les programmes nationaux de contrôle de la tuberculose de leurs pays respectifs relatives à la conduite diagnostique, préventive et thérapeutique ; les différences linguistiques et culturelles entre les professionnels de santé et leurs patients susceptibles d’altérer leur communication et relation ; les conceptions et les pratiques locales en matière de santé et de maladie ; et, enfin, la faible adhésion au traitement des malades.

44Ainsi, pour être efficaces, les professionnels de santé doivent reconnaître avant tout que le contrôle et la lutte contre la tuberculose sont des problèmes multifactoriels où s’articulent les politiques de santé publique, les caractéristiques socioculturelles des populations concernées, ainsi que les attitudes et les attentes des personnels de santé et de leurs patients. Les stratégies visant à contrôler la dissémination de la tuberculose dans une société ou une région déterminée doivent prendre en compte ces différents facteurs. Si l’on considère les caractéristiques cliniques et de l’histoire naturelle de la tuberculose (évolution et dissémination lentes dans la société, distinction infection/maladie, absence de signe pathognomonique, évolution chronique, possibilité de rechute…) ainsi que les contraintes en termes de conduite préventive et thérapeutique (chimioprophylaxie, traitement de longue durée, effets secondaires potentiels des médicaments), il apparaît clairement que toute stratégie d’intervention en matière de diagnostic, de prévention et de traitement doit se fonder directement sur le contexte socio-culturel local.

Notes

  • [*]
    Anthropologue à l’IRD ; ISA-Instituto Socioambiental de Brasilia, Brésil. Je remercie les deux lecteurs anonymes pour leurs commentaires et leurs suggestions d’amélioration de cet article.
  • [1]
    Le respect par le patient des prescriptions médicales est généralement désigné dans la littérature médicale par le terme « observance thérapeutique » (compliance, en anglais). Toutefois, en raison de ses implications paternalistes pour le patient – il laisse en effet sous-entendre que ce dernier est docile et soumis au médecin -, il est de plus en plus abandonné au profit d’autres termes comme « adhérence » ou « adhésion » au traitement (adherence to the treatment regimen, en anglais) qui reconnaissent au malade une certaine autonomie [cf. Sumartojo, 1993 ; Earnest, Sbarbaro, 1996, pour une discussion de ces termes].
  • [2]
    Il existe ainsi des formes de tuberculose pleurale, ganglionnaire, ostéo-articulaire, abdominale, intestinale, génito-urinaire, méningo-encéphalique, etc.
  • [3]
    Différents motifs poussent en effet les Indiens à s’enfuir du centre de soins, et notamment : l’interdiction d’y rester avec ses proches, l’impossibilité d’éviter tout contact potentiel avec le personnel hospitalier féminin qui peut se trouver dans un état conçu par les Indiens comme hautement polluant (grossesse, menstruation), l’impression d’une certaine discrimination de la part du personnel médical occidental, ou encore la nourriture de l’hôpital perçue comme non appropriée à la nature de la maladie (selon le diagnostic indigène). Toute maladie ou aussi toute morsure par un serpent venimeux est en effet associée à des restrictions et des prohibitions alimentaires spécifiques, portant, par exemple, sur le poivre ou le rôti en cas d’envenimation, sur certains fruits dans une forme de paludisme dont l’origine mythique est associée à leur saison de maturation, sur la chair d’animaux de chasse ou de poissons en cas de maladie attribuée à la consommation incorrecte ou non contrôlée de chair animale ou de poisson, etc.
  • [4]
    Le paludisme peut, selon divers facteurs (saison des accès palustres, périodicité et intensité de la fièvre, lieu où ont débuté les accès palustres…), être considéré comme une maladie naturelle, être attribué à différentes formes de sorcellerie (commune ou spécialisées) ou, encore, être associé à l’alimentation ou à certaines formes de cuisson délétères du gibier [cf. Buchillet, 1995, pour une analyse de quelques représentations chamaniques des accès palustres].
  • [5]
    Le fait, par exemple, que les Indiens puissent recourir simultanément à différentes alternatives thérapeutiques (chamanisme, plantes, médecine occidentale…) est souvent le signe pour les médecins de l’incohérence de la conduite de leurs patients et surtout de l’inconsistance de leurs représentations en matière de santé et de maladie. En réalité, ces diverses alternatives thérapeutiques agissent sur des registres distincts : comme je l’ai montré ailleurs [Buchillet, 1991] ; le traitement chamanique agit au niveau du registre des causes alors que les plantes ou la médecine occidentale interviennent au niveau du registre des effets (les symptômes). En ce sens, l’utilisation par les Indiens de la médecine occidentale n’implique pas l’acceptation et encore moins la compréhension de la théorie de la causalité sous-jacente, théorie à laquelle ils ont d’ailleurs peu accès, les médecins fournissant rarement à leurs patients des explications étiologiques, au contraire des thérapeutes traditionnels. Ainsi, une fois son efficacité matérielle prouvée dans la résolution des symptômes, la médecine occidentale sera recherchée par les malades comme technique thérapeutique complémentaire, en aucun cas substitutive, au traitement chamanique.
  • [6]
    Les 403 cas de tuberculose recensés par l’un des deux hôpitaux de la région du rio Negro au cours des années 1977-1994 se distribuaient de la manière suivante : tuberculose pulmonaire (226 cas), ganglionnaire (128 cas), mixte, c’est-à-dire pulmonaire et ganglionnaire (12 cas), osseuse (3 cas), intestinale (2 cas), laryngée (2 cas), miliaire aiguë (1 cas), cutanée (1 cas) et forme non spécifiée (28 cas) [Buchillet, Gazin, 1998]
  • [7]
    L’expression desana pour désigner les maladies associées au contact avec les Blancs (colonisateurs, missionnaires, commerçants itinérants, militaires…) est pea--basa-bekari, littéralement, « les maladies contagieuses des gens de l’arme à feu », la mythologie desana associant l’identité de Blanc à l’acquisition du fusil [Buchillet, 1995].
  • [8]
    En raison de leur courte période d’infectivité à l’intérieur de l’individu, de leur absence de réservoir non humain, de leur incapacité à rester sous forme latente dans l’organisme et de leur potentialité à produire chez la personne infectée une immunité définitive (quand elles n’ont pas, naturellement, tué leur hôte), ces infections virales sont incapables de se maintenir sous forme endémique dans des sociétés de petite taille, comme le sont les communautés indiennes. Elles doivent donc y être introduites de manière répétée, soit par le biais des visites d’étrangers, soit par l’introduction de tissus ou de vêtements contaminés (dans le cas de la variole). En ce sens, elles suivent de près les déplacements des gens et/ou aussi, dans le cas de la variole, ceux de leurs objets [Buchillet, 1995].
  • [9]
    Outre l’identification des caractéristiques différentielles de ces infections virales et parasitaires, la distinction établie par les Desana entre maladies « traditionnelles » et « des Blancs » repose sur leur perception d’une spécificité biologique (ontologique ?) chez ces derniers : leur nature ou essence fondamentalement contagieuse discernable dans leur apparente immunité aux maladies contagieuses, leur extrême capacité de reproduction (biologique et sociale) et leur pouvoir technologique élevé [Buchillet, 1995].
  • [10]
    Outre la difficulté, particulièrement chez les enfants, d’obtenir des crachats de bonne qualité, d’autres facteurs peuvent négativer le frottis de l’expectoration, notamment la présence de mycobactéries atypiques (comme M. avium, M. kansasii, M. xenopi…) potentiellement pathogènes pour l’être humain et qui produisent une mycobactériose atypique à symptomatologie respiratoire dont le diagnostic différentiel avec la tuberculose est difficile à établir [Gentilini, 1993] ou, encore, la co-infection VIH-tuberculose [CDC, 1994].
  • [11]
    Il n’est pas inutile de rappeler à ce propos que la médecine occidentale a longtemps stipulé le caractère héréditaire de la tuberculose et que même la découverte par Koch en 1882 de sa nature bacillaire n’en a pas pour autant annulé, à tout le moins jusqu’aux années cinquante, la croyance en une certaine prédisposition ou « hérédité de terrain » [Bardet et alii, 1988].
  • [12]
    Les Desana considèrent, par exemple, qu’une certaine forme de paludisme se transmet par le biais des effluves corporels du malade ou par le fait d’enjamber ou de marcher sur son urine.
Français

Résumé

La tuberculose, une maladie infectieuse causée par le bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis), constitue un sérieux problème de santé publique dans le monde. Les professionnels de santé attribuent en général la persistance de l’endémie tuberculeuse dans une société ou région déterminée à la faible adhésion de leurs patients au régime thérapeutique. Ces derniers sont ainsi tenus pour responsables, à un niveau individuel, de l’échec du traitement et de l’apparition éventuelle d’une forme de tuberculose résistante aux antibiotiques. À un niveau plus général, ils sont aussi blâmés de l’échec des programmes nationaux de contrôle et de lutte contre cette maladie. Cet article, une revue de la littérature médicale et anthropologique sur la tuberculose, est aussi basé sur une recherche en socioanthropologie de la santé en Amazonie brésilienne. Il montre comment différents facteurs peuvent influencer le résultat des efforts préventifs et thérapeutiques (politiques de santé publique, caractéristiques socioculturelles des populations concernées, attitudes et attentes des personnels de santé et de leurs patients). Les caractéristiques cliniques et de l’histoire naturelle de la tuberculose ainsi que les contraintes en matière de conduite préventive et thérapeutique préconisées par la médecine occidentale imposent la mise sur pied de stratégies (en termes de diagnostic, de prévention et de traitement) fondées sur une parfaite connaissance des contextes locaux.

Mots-clés

  • tuberculose
  • adhésion au traitement
  • politiques de santé
  • représentations de la maladie
  • Amazonie brésilienne

Bibliographie

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Dominique Buchillet [*]
  • [*]
    Anthropologue à l’IRD ; ISA-Instituto Socioambiental de Brasilia, Brésil. Je remercie les deux lecteurs anonymes pour leurs commentaires et leurs suggestions d’amélioration de cet article.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.019.0071
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