CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les analyses en termes de « genre et développement » ont connu un développement spectaculaire depuis plus d’une décennie en Afrique subsaharienne [Bozon, Locoh (dir.), 2000]. Bailleurs de fonds du développement, ONG et associations déclinent la gestion des espaces au féminin, dans les milieux urbains autant que ruraux, selon une problématique du « rattrapage » des cadets sociaux autant que sous l’angle des complémentarités hommes/femmes. La multiplication des séminaires portant sur Femmes et Pauvreté urbaine ou la Dimension femme de l’épargne populaire montre s’il en faut comment la rhétorique du développement a mis sur le marché des idées une catégorie « genre » rimant avec « local » (décentralisation) et avec les « filets sociaux » des derniers programmes d’ajustement structurel. La participation des femmes aux dynamiques foncières reste cependant en retrait des préoccupations concernant la ville, leur rôle dans les questions de l’environnement et des services de base (accès à l’eau et santé notamment) étant mieux traité dans les littératures anglophone et francophone.

2Au Mali, le contexte de transition démocratique de la dernière décennie a fait pourtant apparaître les femmes avec des positions marchandes plus affirmées. Dans la capitale Bamako, ces aspirations se traduisent par une lisibilité croissante de la présence féminine dans les corpus statistiques que nous avons constitués de la fin de la Deuxième République malienne au régime pluraliste suivant. Les femmes prennent en outre une parole de plus en plus directe dans les doléances portant sur des droits contestés ou des intérêts fonciers plus généralement tendus [Bertrand, 1992].

3En témoigne d’abord la correspondance domaniale reçue par l’autorité administrative de Bamako [1], dans cette période charnière où s’accumulent les blocages politiques du régime de parti unique qui conduiront à l’insurrection de mars 1991 et à la mise en place de gouvernements d’ouverture démocratique. L’évolution du contexte politique fait nettement ressortir les frustrations populaires, qui sont exacerbées face aux limites structurelles de l’offre publique de parcelles à bâtir dans une capitale qui comptera bientôt un million d’habitants (Recensement général de la population et de l’habitat, 1998). La percée des femmes se manifeste d’abord dans un changement net de médiations sociales accompagnant le dépôt des plaintes et l’exposé des situations litigieuses. Alors qu’avant mars 1991 domine l’intervention du parti unique dans lequel les intérêts féminins sont peu représentés [2], la transition de mars 1991 donne voix à une pléthore de nouvelles associations dans lesquelles les femmes s’expriment plus clairement en groupe. Deux types de pressions s’affirment alors : des demandes corporatives ou professionnelles de terrains d’une part, comme celles plusieurs fois répétées des « femmes commerçantes et entrepreneurs du Mali », des « femmes ingénieurs du Mali », des « femmes ex-conventionnaires » (débauchées du secteur public ou parapublic dans l’ajustement structurel qui prévaut depuis le milieu des années quatre-vingt) ; des groupes d’usagers d’autre part, qui attendent de façon non moins virulente l’accès au sol qui leur permettra de développer des activités féminines, à l’instar des associations Femmes pour le développement (Afad) et Femmes pour l’éducation, la santé familiale et l’assainissement, Femmes pour l’éducation, la santé familiale et l’assainissement (Cofesfa).

4Les doléances particulières et les plaintes individuelles témoignent également d’une montée en puissance des voix féminines : demandes de régularisation, de compensation, d’indemnisation ou de restitution de parcelles, elles marquent, au même titre que celles des hommes, la libération de la parole que la conférence nationale de 1991 a permise. Dans les années qui suivent, les marqueurs physiques du marché foncier confirment cette présence croissante dans le paysage urbain : avec la mise en place de la Troisième République malienne en 1992, l’offre de parcelles à bâtir se gonfle sensiblement dans la capitale, particulièrement dans ses extensions méridionales. Dans ces nouveaux espaces en construction, les bornes de délimitation des parcelles, qui portent les noms des nouveaux propriétaires, signalent alors des initiatives féminines. Les Bamakoises s’alignent sur les réflexes marchands, rentiers voire spéculatifs des hommes à l’égard du parcellaire urbain.

De quelques incertitudes et de leur sens

5Ce premier inventaire renvoie donc à une alternative plus générale [3] : les pratiques des citadines leur sont-elles spécifiques ou bien sont-elles de même nature que celles des hommes ? Au titre de la première hypothèse, particulariste, quelques constats préliminaires soulignent de réelles différences avec les modes d’insertion et d’investissement des hommes : les femmes expriment des besoins propres (associations de promotion féminine), au travers de sociabilités propres comme par exemple les tontines auxquelles elles recourent plus souvent que les hommes ; mais leurs demandes privées sont souvent exprimées ou transmises par des hommes. Ainsi, une veuve sollicite-t-elle l’administration territoriale pour que sa cour soit préservée des mesures de « casse » qui affectent les quartiers irréguliers, et ceci par l’intermédiaire d’un parent familier de l’univers et de la langue des bureaux. Il en fut de même pour l’UNFM, dont les interventions en matière foncière ne sont restées légitimées que par le contrôle des hommes sur la vie politique du « temps UDPM ».

6Au titre de la seconde hypothèse, d’autres arguments tendent au contraire à banaliser les initiatives des femmes et leurs motivations. L’évolution des besoins exprimés par les femmes suit en effet celle de la demande plus générale, que domine la masse des hommes : nécessité sociale et économique à sortir de la condition de locataires pour « asseoir » sa famille et ses activités, minimisation du risque de « déguerpissement » des quartiers non lotis, opportunités d’investissement à risque faible. L’individualisation des procédures d’achat et de sécurisation foncière est également patente dans la dernière décennie, et concerne désormais des femmes au même titre que les hommes. Enfin de véritables success stories foncières marquent la dernière génération de lotissements dans la capitale : cumuls de terrains, rentes locatives de haut niveau pariant sur les besoins immobiliers d’une clientèle de « projets de développement » et d’expatriés, reventes spéculatives. Ces cas de réussite impliquent quelques figures féminines dans le sillage de pratiques masculines, aux antipodes de leur confinement dans la sphère domestique.

7La montée en puissance des femmes comme acteurs marchands de l’urbanisation suggère donc deux questions et deux nuances. En premier lieu, à quel titre les citadines interviennent-elles sur le marché des terrains ? Comme acteurs parfaitement autonomes ou au travers de pratiques fortement socialisées ? Comme acteurs individualisés par l’obtention d’un titre ou par la mobilisation d’une épargne, foncière puis immobilière ? En tant que représentantes, garantes ou animatrices d’intérêts patrimoniaux ? Ou en tant que « femmes » porteuses d’une conscience de groupe susceptible de dépasser les positionnements familiaux et corporatistes en se fondant sur un collectif associatif ou une revendication identitaire ?

8En second lieu, par quelles mesures comparer la place des femmes et celle des hommes, mais aussi classer les profils d’investissement au sein d’une catégorie aussi floue que celle des femmes ? La recherche butte en effet sur la difficulté à poser le sexe comme variable systématique de l’analyse des marchés fonciers. Les sources exploitées ici manifestent un traitement inégal et une précision variable de l’information entre les hommes et les femmes. Celles-ci sont en effet identifiées par leur statut matrimonial, qui les fait apparaître sans ambiguïté comme célibataires ou comme épouses (mademoiselle/madame), et plus souvent comme les secondes que les premières. À l’inverse, aucune mention n’est faite de la même variable en ce qui concerne les hommes dont on ne sait pas s’ils sont mariés ou non. Par contre, les variables géographiques (domiciliation) et économiques (activité professionnelle ou qualification) sont très incertaines pour les femmes. La plupart sont ainsi enregistrées comme « épouses de », « veuves », et plus largement comme « ménagères ». Cette dernière catégorie tend en fait à désigner toute femme qui ne peut se prévaloir d’un salaire, qu’elle bénéficie de ressources ou non. Même bien des actives du salariat public ou privé « omettent » de déclarer leur emploi ou adresse professionnelle, la médiation d’un homme paraissant plus essentielle.

9Tout se passe donc comme si les citadines avaient intégré une réelle imprécision administrative à leur égard, laissant aux hommes une identification plus systématique en matière d’adresse et de positionnement dans l’échelle des revenus. En donnant la part belle à leur identité matrimoniale plus qu’à leurs positions économiques, les sources ont renchéri sur un habitus que reproduisent même les investisseuses les plus chevronnées en matière foncière. Si ce défaut statistique de ressources propres renvoie souvent à un manque réel, il n’en reste pas moins que des « ménagères » apparaissent dans un rapport marchand, l’achat de terrains, là où des hommes dépourvus d’emploi ne figureraient pas. Cela confirme les critiques formulées par les spécialistes du « genre » sur la construction des statistiques, en particulier quand la même catégorie est appliquée à des inactives, des rentières ou des femmes impliquées dans la petite production marchande.

10On touche ici à une première nuance de la « percée » des femmes dans le marché foncier urbain : dans tous les segments de l’accès au sol pris en considération, sur tous les types de transactions, même les plus pauvres, les femmes restent en position très minoritaire. Si dynamique il y a, c’est donc en vertu d’une logique de rattrapage mais selon une concurrence très inégale : les femmes n’entrent pas dans le marché des terrains avec les mêmes expériences, atouts et légitimités que les hommes, à positions sociales équivalentes, quand bien même cette entrée par la marge suscite des commentaires à bon compte dans les conversations de grins (groupes d’amis), des échos, voire des caricatures dans la presse ou l’opinion publique [4].

11Seconde nuance, la catégorie « femmes » vole en éclat, ou apparaît subsumée sous d’autres variables des rapports sociaux, dès la première analyse des sources de la gestion foncière. D’une part, parce que l’on peut sérieusement douter des femmes comme propriétaires effectifs ou comme étant à l’origine de la mobilisation financière. Le marché apparaît ainsi brouillé par ce que l’on appellera plus loin des effets de « couverture ». L’accès au sol dans les conditions a priori les plus modernes du pays est loin d’aboutir à une claire identification des propriétaires et à une individualisation sans faille des rapports sociaux marchands. D’autre part, parce que les profils d’intervention des femmes sont pluriels – sans doute pas moins que ceux des hommes – et qu’ils orientent la question de la mesure vers une nécessité typologique : la cohésion du genre s’efface devant la variété des situations féminines.

Les sources

12La disponibilité des sources de la gestion foncière tient à deux faits, l’un ancien et l’autre plus récent. Le premier est la place centrale qu’ont l’administration et ses attributions domaniales dans l’offre de terrains à bâtir. Le régime concessionnaire, qui donne lieu à l’établissement de lettres d’attribution (LA) et de permis d’habiter [5], couvre les parcelles les plus nombreuses. Les procédures de lotissement, qui les morcellent depuis le début du siècle, se sont maintenues après l’indépendance, puis ont gardé leur monopole de droit de la première à la Deuxième République malienne. Cette prévalence justifie l’existence d’une autorité d’enregistrement des LA centralisée dans la capitale depuis 1985 : l’Inspection domaniale du district, devenue ensuite Centre des domaines du district. Mais les lotissements administrés semblent s’épuiser après la dernière grande opération de Kalaban Coura Sud (6000 lots) au début des années quatre-vingt-dix. Ils sont alors relayés par une offre plus sélective de parcelles dotées de titres fonciers immatriculés (TF), en vertu d’une propriété pleine et définitive [6] : Kalaban Coura Sud et Extension, Baco Djikoroni, puis ACI 2000 à partir de 1995. L’attention portée aux quartiers non lotis, « spontanés », stimule par ailleurs une offre de régularisations foncières destinée en principe aux intérêts populaires. Car Bamako s’est en outre fortement urbanisée sous l’impact d’implantations officieuses qui concernent plus du tiers de sa population, mais qui n’ont pas donné lieu à des documents écrits jusqu’à de récentes mesures d’officialisation.

13Sur ces deux sources désormais classiques, LA et TF, se greffent en effet des occasions particulières d’analyse des transformations de la gestion foncière publique dans la dernière décennie (Bertrand, 1998). Il s’agit d’abord de la reconnaissance administrative d’occupants considérés jusqu’alors comme « illicites », à laquelle s’attache le programme « Sauvons notre quartier » à partir de 1993 dans plus d’une vingtaine de quartiers spontanés. Mais en dépit des intentions générales, cette politique de « rattrapage » de l’occupation irrégulière, aboutit moins à l’établissement de documents de régularisation proprement dite qu’à la délivrance de LA sur des parcelles neuves, dites de « recasement ».

14Plus fiables et réellement massifs, de nouveaux TF sont enfin délivrés sur les parcelles d’habitation vendues par l’Agence de cession immobilière (ACI), et témoignent d’une transformation profonde des procédures de lotissement foncier. Le monopole administratif de l’État cède en effet la place au monopole commercial d’une agence d’exécution mise en place sur recommandations de la Banque mondiale et du ministère des Finances. Cette nouvelle gestion a certes conduit à relancer la production de vastes trames a bâtir, mais dans des conditions désormais très sélectives. Celles-ci sont justifiées par la vente des parcelles aux enchères, par la possibilité de cumuler des terrains, et par l’enregistrement d’une propriété hautement sécurisée en titres fonciers définitifs pour les nouvelles élites foncières de la Troisième République [7]. Depuis 1992, la masse des TF a ainsi plus que doublé. Plus de 7 000 parcelles sont mises aux enchères dans les années considérées.

15Ainsi rapportées aux mutations de la gestion foncière, les sources administratives nous ont permis de constituer six corpus différents par le relevé de l’information disponible :

  • demandes de parcelles à bâtir, lotissements administrés : total des années 1987 et 1992 (3023 demandeurs) [8],
  • attributions domaniales administrées : sondage au 1/10 des LA délivrées de 1985 à 1994 (862 attributaires) [9],
  • programme « Sauvons notre quartier » (régulations/recasements) : total des LA délivrées entre 1994 et 1996 (1356 attributaires) [10],
  • propriété privée immatriculée : sondage au 1/10 des TF définitivement aliénés de 1907 à 1997 (hors ventes ACI : 949 titres, 1500 propriétaires),
  • parcelles vendues par l’ACI : sondage au tiers des TF créés à Kalaban Coura Sud et Baco Djikoroni (1992-1994 : 2182 propriétaires) et total des TF en cours de vente à ACI 2000 (1995-1997 : 600 propriétaires),
  • dernière offre administrée (attributions/régularisations domaniales), sondage au 1/10 des LA délivrées de 1997 à 1999 (1276 attributaires) [11]

Une variable informative ?

16Cette hétérogénéité se comprend par l’existence aujourd’hui non pas d’un marché des terrains, mais d’une offre segmentée. Il n’en reste pas moins que les imprécisions des sources font aussi sens en étant complétées par d’autres informations, qualitatives, sur le terrain. La variable du sexe apparaît incontestablement fiable quant à l’identité des personnes, qu’elles soient les initiatrices d’une demande, les destinataires d’un document d’appropriation, ou des « couvertures », c’est-à-dire les intermédiaires de démarches foncières. Les registres indiquent en effet clairement s’il s’agit d’hommes, de femmes, ou d’autre chose : couples dans une très faible proportion, plus fréquemment collectifs familiaux (à la suite d’héritages) et collectifs professionnels (fréquemment association de frères commerçants, ou sociétés). Comme on l’a vu plus haut, on sait de plus clairement si les femmes intervenant à titre individuel ou au sein de groupes d’héritiers sont jeunes filles, mariées ou même veuves.

17Reste toutefois un sérieux problème d’identification des acteurs en amont et en aval de la démarche administrative de candidature, d’appropriation ou de sécurisation foncière. En amont parce que les noms donnés sur le papier ne présagent aucunement des sources de l’épargne, en particulier pour les femmes. A priori, les sources donnent à penser que les ménagères – un quart à 82% des femmes selon les corpus considérés – ne bénéficient pas de ressources propres. Or un grand nombre de femmes sont comptées comme « ménagères » au Mali, alors qu’elles exercent une activité dans le « secteur informel » ou dans l’agriculture. Quand bien même nombre d’entre elles exercent des activités marchandes ou prélèvent des rentes en sus de leurs activités domestiques, celles-là génèrent des revenus irréguliers qui ne permettent souvent de financer que des dépenses de survie quotidienne. Il en va de même pour les femmes qui apparaissent comme actives : quand une profession est mentionnée, elle est souvent peu qualifiante et peu rémunératrice, et ne donne qu’un accès médiocre – voire pas d’accès du tout – aux actifs de même niveau sur le marché foncier. À activité professionnelle égale, les femmes apparaissent alors plus présentes que les hommes, ce qui maintient l’incertitude sur les origines de leur épargne foncière.

18Les activités féminines inventoriées parmi les demandeurs de terrains en donnent un bon exemple en étant plus proches de la moyenne urbaine que celles recensées dans l’offre de parcelles à bâtir : 12% des salariées sont des secrétaires, 17% sont des enseignantes, principalement maîtresses du premier cycle ou du second cycle, 7% relèvent du personnel soignant public (essentiellement des infirmières), dont on sait que les salaires moyens sont faibles, ont été longtemps bloqués par les mesures d’ajustement structurel des années quatre-vingt, et ont enfin souffert de la dévaluation du franc CFA de janvier 1994. Les actives présentent des caractéristiques similaires dans l’offre de lettres d’attribution entre 1985 et 1994. Même dans les premières ventes déjà très sélectives de l’ACI (1992-1994), les secrétaires représentent 14% des acheteuses alors qu’il n’y en a guère parmi les acquéreurs hommes. Certaines salariées peuvent donc épargner mieux que les hommes qui ont en charge les grosses dépenses de leurs ménages.

19La mention de l’activité laisse donc dubitatif sur l’origine financière des futurs patrimoines et sur le fait que les revenus professionnels contribuent à eux seuls à la mobilisation de l’épargne. Mais ici les femmes ne font qu’exacerber une tendance, déjà marquée chez les hommes, à compter sur des ressources parallèles pour développer des stratégies de survie et d’investissement. L’identité féminine est peut-être alors une hypothèse pertinente en ce sens qu’être femme conduit à compter tout particulièrement sur les réseaux de sociabilité et à y faire jouer des arguments spécifiques pour percer sur le marché foncier.

20En aval de l’appropriation, également, les doutes existent sur la gestion effective, à défaut d’être exclusive, sur le contrôle social des patrimoines par les femmes qui en sont les détentrices apparentes. Le marché foncier est en effet, dans toutes ses ramifications, brouillé par l’intervention d’intermédiaires, de représentants et prête-noms en tous genres, que l’on peut mesurer d’après la mention « sous couvert de » qui apparaît abondamment dans les sources consultées. Si ce phénomène de « couverture » fait réellement douter de l’identité des propriétaires réels (ceux qui apparaissent sur le papier relevant de commodités sociales et d’arrangements administratifs), il reste porteur de sens : le brouillage en cause est à la mesure des pratiques de médiation, de représentation ou au contraire de dissimulation qui ont toujours fait de l’investissement foncier un processus hautement socialisé, dans lequel les enjeux domestiques et marchands, loin de s’opposer, sont intimement liés [12]. Le recours à des mandataires caractérise ainsi 12% des demandeurs de parcelles, et encore 11% des titres fonciers acquis dans la première tranche de ventes ACI. Même dans ce dernier cas d’appropriation hautement sécurisée, l’individualisation des démarches est loin d’être parfaite. Et pourtant, la mesure des formes de médiation d’après la seule mention « s/c » est incomplète. Il suffit pour s’en convaincre de fréquenter les services domaniaux et de voir à quel point ils sont encombrés de parents, collègues, amis, « promotionnaires » et relations diverses, plus que des postulants eux-mêmes à l’obtention d’un terrain et d’un document de propriété.

21Or les femmes jouent un rôle important dans l’effet de couverture, ce qui leur donne un poids relatif plus fort que celui qu’elles ont globalement dans chacun des corpus. Elles y figurent principalement comme acteurs représentés du marché et peu autonomes, plus rarement comme les couvertures d’autres acteurs apparents. Mais dans ce dernier cas non plus, les femmes n’apparaissent pas comme les véritables maîtres d’œuvre du processus d’investissement. Celles mentionnées explicitement comme « veuves » apparaissent le plus fréquemment pour représenter un collectif d’héritiers. Cela concerne par exemple 30% des cas de couverture dans la délivrance des lettres d’attribution entre 1985 et 1994, et 41% des cas sur le segment de la régularisation foncière. Ailleurs, des commerçants masquent (en même temps qu’ils les rendent plus lisibles !) leurs cumuls de concessions en se retranchant dans les registres derrière le nom de leur(s) épouse(s), plus rarement d’enfants (les « élèves coraniques » ne font ainsi guère illusion). D’autres investisseurs chevronnés sur le segment des titres fonciers recourent également aux femmes pour couvrir leurs hypothèques ou pour anticiper sur la transmission de leurs patrimoines après décès et épargner de lourds frais de succession à leurs héritiers. Car en cas de créances non liquidées, on procédera difficilement à une saisie sur le titre gagé d’une ménagère. Ce cas de figure se développe chez bon nombre d’acheteurs des parcelles ACI 2000 depuis 1995, notamment les commerçants. Mais, s’il est vrai que des titres fonciers ainsi « confiés » à un proche ne risqueront pas d’être repris par décision de justice, les jeunes filles restent discrètes, au profit de leurs frères, dans ce type d’ajustement de la propriété sur le papier [13].

22Les femmes sont donc proportionnellement plus souvent couvertes que les hommes dans ce jeu de cache-cache où l’on ne sait pas toujours, du « propriétaire » ou de sa « couverture », lequel des deux usera du terrain et en assumera la valorisation. Elles représentent ainsi un quart des candidats à l’attribution domaniale mais 30% des demandeurs couverts. Parmi les attributaires recensés entre 1985 et 1994, les plus nombreux à être couverts sont des ménagères. La moyenne des 11% d’acheteurs couverts sur le front de l’ACI (1992-1994) maintient de même un écart non négligeable entre les hommes (9% d’entre eux sont couverts) et les femmes (16% d’entre elles sont couvertes). Au total, les mentions de « ménagères » et de « sous couvert » constituent les principales limites à la lisibilité statistique de la place des femmes dans les marchés fonciers. L’individualisation des rapports marchands qui président à l’appropriation des terrains urbains reste bien imparfaite.

Quelques jalons de la percée féminine

23Pour aborder l’alternative plus générale des femmes dans leurs rapports avec les hommes et dans leurs rapports entre elles, l’analyse se déroule en deux temps : en premier lieu, la comparaison globale des taux de présence des deux sexes [14] ; en second lieu, l’examen des variables de la diversité féminine, qui engagent également un rapport, plus qualitatif, avec les hommes.

Minorités à géométrie variable

Figure 1

Taux de présence des femmes

Figure 1

Taux de présence des femmes

24Les données relatives conduisent à une analyse en trompe-l’œil. Les corpus les moins « probables », comme celui de la demande (le rapport entre les candidatures satisfaites et l’ensemble des demandeurs étant faible), et les moins valorisants en termes de rente foncière (lettres d’attribution) font apparaître les présences féminines proportionnellement les plus fortes. À l’inverse, l’offre la mieux sécurisée (titres fonciers) présente les valeurs les plus faibles, alors que c’est sur ce type d’appropriation que les femmes ont le plus de « mérite » économique et administratif à percer. Les segments marchands les plus transparents, en termes d’identification des acquéreurs de plein droit, apparaissent de prime abord décevants quant à la présence des femmes.

25On note également que les taux de présence des femmes varient sans suivre de logique chronologique. C’est que l’information ainsi reconstituée conduit à des reculs variables, et par conséquent à relativiser les hypothèses du rapport des citadines à l’espace urbain. À court terme, par exemple, comme lors de la récente régularisation de certains quartiers irréguliers, ou encore à l’occasion des derniers lotissements ACI, la présence des femmes apparaît « instable » d’une opération foncière à l’autre. Leur taux de participation à ces nouveaux dispositifs de gestion est en effet lié à des conjonctures changeantes, à des situations et des clés de sélection très locales. Difficile alors de rapporter la sociologie des femmes propriétaires à une source démographique de plus longue portée, du type du recensement, surtout lorsque celle-ci n’est pas désagrégée à une échelle urbaine fine.

26De la Deuxième à la Troisième République, à l’échelle des mutations décennales, la transition politique offre sans doute une des hypothèses les plus crédibles à l’évolution de la présence féminine. L’ouverture démocratique de la Troisième République a un effet patent sur les demandes de parcelles à bâtir : d’abord parce que la transition a considérablement gonflé l’expression des besoins et des frustrations liées à leur insatisfaction, aboutissant ainsi à une sorte de surenchère politique dans la première moitié des années quatre-vingt-dix. Ensuite et surtout parce qu’elle a gonflé le poids des femmes parmi les demandeurs : alors qu’elles représentaient tout juste 20% des candidats à l’attribution domaniale avant la transition, elles sont déjà plus de 27% dans la seconde partie de l’année 1992. Cette dynamique de rattrapage relève bien, à moyen terme, d’un effet de libéralisation politique qui se manifeste alors parmi les femmes comme dans d’autres catégories sociales – les salariés et les migrants internationaux, par exemple – aux dépens de clientèles potentielles plus anciennes comme celle des commerçants.

27Enfin, les mutations du long terme sont sensibles dans l’analyse de la propriété immatriculée depuis 1907, avant qu’elle ne soit bousculée par les transactions de l’ACI. Sur les 1500 propriétaires identifiées, 113 femmes renvoient bien à une problématique de la marginalité. C’est sur ce marché que l’on trouve le plus faible taux de présence des femmes : 7,5%. Leur profil d’investissement figure en outre parmi les plus contractés : opérations d’achat pour l’essentiel postérieures aux années quatre-vingt, terrains de petites tailles. Il signale de véritables « cadets » de la sécurité foncière, par comparaison avec des investisseurs mieux rodés comme l’État, les sociétés ou les commerçants qui ont investi très tôt, et avec de multiples reventes, le marché des TF. Cette moyenne d’ensemble de la présence féminine cache cependant une progression dont le seuil majeur se situe à la fin de la Première République. Pendant la colonisation et les années d’indépendance, les femmes ne représentent en effet que 2,4% des propriétaires. Leur présence monte à 7% dans la période 1969-1991, puis à 12% depuis 1992. Seconde nuance, l’État (français puis malien) occupe une place importante dans le marché en apparaissant dans 30% des étapes d’appropriation des terrains. Mais, si l’on fait abstraction de son rôle pour se concentrer sur les seuls acteurs privés, les femmes représentent désormais, sur toute la période, près de 11% des propriétaires derrière les collectifs professionnels (12,5%) et les hommes à titre individuel (71,4%).

28La donne foncière des années quatre-vingt-dix fait donc la synthèse de dynamiques relevant de temporalités très inégales : 12% de femmes sur le segment des TF depuis 1992, 17% d’acheteuses parmi la clientèle de l’ACI, dans le même temps, tandis que les femmes bénéficiaires de lettres d’attribution atteignent leur niveau record. Cette variabilité renvoie plutôt à une interprétation en termes de mobilisation d’une épargne plus ou moins payante, et de rentes immobilières escomptées. Ce sont d’ailleurs ces clés économiques de l’analyse qui expliquent justement pourquoi le marché des terrains à bâtir s’est segmenté ces dernières années, entre des offres de rattrapage et d’autres « haut de gamme », entre des filières précaires et d’autres hautement sécurisées. La dimension marchande n’est pourtant pas exclusive dans l’interprétation des différences. Comme on l’a vu, des clés plus politiques expliquent également le gonflement des initiatives féminines depuis la transition démocratique de 1991. La question de la place des femmes aux côtés des hommes s’en trouve reformulée : l’effet de groupe est-il essentiellement tributaire d’une donne économique et politique qui, du coup, invalide la catégorie « femmes » ?

Quelles femmes ? Une percée au pluriel

29La variable économique oppose deux catégories de femmes, les « ménagères » et les salariées, tandis que les principales activités identifiées parmi la masse des hommes renvoient structurellement à la concurrence des commerçants et des salariés. Toutefois ces deux profils sont loin de cerner les conditions de mobilisation de l’épargne foncière et immobilière. La proportion de femmes identifiées comme commerçantes est infime (figure 2), alors qu’elle apparaît sur tous les segments du marché comme un pôle majeur, souvent performant, d’ambitions et d’investissements fonciers chez les hommes. Les sources masquent ainsi l’importance qu’ont les activités marchandes en tous genres, y compris et peut-être surtout chez les ménagères et les salariées, comme pourvoyeuses de ressources d’appoint, voire principales. L’opposition est aussi à nuancer quand on sait à quel point les salariées restent encore fortement perçues, aussi, comme des ménagères sur leur lieu de travail, les obligations domestiques interférant souvent avec leurs pratiques professionnelles et leurs relations avec les collègues masculins (rythmes de travail, fréquence des maternités, absentéisme lié à la prise en charge des enfants, rémunérations moindres à qualifications égales, gestion lente des carrières, revenus échappant encore largement au budget domestique).

30Il n’en reste pas moins que ces deux types de femmes conduisent à des lectures contraires du marché : les premières brouillent l’interprétation des transactions et de leurs acteurs, en renvoyant aux arguments patrimoniaux de l’appropriation et à de fortes médiations masculines ; chez les secondes au contraire, le salariat apparaît comme facteur de modernisation des initiatives féminines et d’individualisation des comportements d’achat. En témoigne le fait qu’elles recourent peu aux « couvertures », alors que les ménagères et les commerçantes apparaissent rarement par elles seules.

Figure 2

Principales activités des intervenantes dans le marché foncier

Figure 2

Principales activités des intervenantes dans le marché foncier

*La distribution des types de femmes ne varie pas si on se limite aux seules propriétaires depuis 1992. Mais alors, l’effectif des activités connues n’est que de 48.

31Les poids respectifs des ménagères et des salariées varient ainsi sensiblement dans les corpus analysés, et cette variabilité prend tout son sens dans les écarts de prix sur les différents segments du marché : lorsque le pourcentage de salariées est faible, celui des ménagères est fortement dominant ; à l’inverse, une présence marquée des salariées, bien contraire aux caractéristiques plus générales de l’activité féminine urbaine, implique en retour une présence plus discrète des ménagères.

32Deux corpus soulignent ainsi une réelle prise d’initiative dans la dernière décennie, et une autonomisation certaine des démarches féminines. Il s’agit d’abord de la demande, dans laquelle les salariées se concentrent en réalité sur l’année 1992. Apparaissent alors en masse, à la faveur de l’effervescence politique qui a secoué la capitale malienne, les employés du district (gouvernorat, services techniques, financiers et sociaux, services communaux) parmi lesquels les secrétaires qui expriment en groupe les frustrations résidentielles accumulées depuis le régime précédent. Chez les femmes comme chez leurs collègues masculins, la paupérisation des classes moyennes urbaines s’est fait sentir et l’expression des besoins fonciers connaît une inflation corporatiste. L’aspiration à « gagner son terrain », longtemps comprimée par la rareté des lotissements et par des pratiques clientélistes d’attribution, est générale. Mais elle ouvre une voie dans laquelle les employées s’engouffrent tout particulièrement en misant sur leur familiarité avec l’univers des bureaux. Chez les enseignantes de même, qui atteignent ici leur record de présence, la conférence nationale et le comblement des retards de salaires libèrent l’espoir d’attributions de « rattrapage syndical » dans le lotissement administré de Kalaban Coura Sud qui est enfin prêt pour attributions.

33Les opérations ACI concrétisent ensuite les ambitions de certains salariés en modifiant sensiblement la sociologie des propriétaires de titres fonciers depuis 1992. Le taux de salariées parmi les femmes atteint son niveau maximum. Dans le détail, il s’agit souvent de cadres moyens et supérieurs – gestionnaires, techniciennes, inspectrices, contrôleuses des finances – plutôt que de petits employés. Des pratiques de cumul de parcelles commencent à pointer chez elles aux côtés de celles des hommes.

34Le moteur de ces changements réside-t-il alors dans un marché du travail « moderne » qui est précisément peu ouvert aux femmes et rétréci depuis les mesures d’ajustement structurel ? L’hypothèse reste à nuancer sérieusement : d’une part parce que d’autres acheteuses fondent leur percée sur d’autres arguments que la position professionnelle ; d’autre part parce qu’il reste parmi les salariées des actives occupant des postes peu valorisants en termes de niveau d’épargne, qui ne peuvent justifier par leur seul salaire l’acquisition de lots d’un ou plusieurs millions de francs CFA. À situation professionnelle équivalente, les secrétaires – fussent-ils de direction – et comptables hommes ne ressortissent guère du même segment foncier.

35En revanche, l’hypothèse est crédible dans la mesure où elle confirme l’acquisition et le rodage de réflexes rentiers chez les femmes. En cela elle interfère avec l’évolution des pratiques matrimoniales bamakoises dans la dernière décennie [Ouédraogo, Piché, 1995] : maintien d’une polygamie importante chez les classes moyennes et supérieures, fréquentes ruptures d’union et remariages des femmes [15], prise en charge de leur descendance, tout cela conduit bien des épouses et des divorcées à compter sur elles-mêmes pour « asseoir leur maison » loin d’une coépouse, en prenant quelques distances relatives avec les grandes familles les plus congestionnées, ou en s’assurant une rente locative qui pourra dépasser le niveau du salaire. De telles citadines n’interviennent plus seulement dans la constitution des patrimoines résidentiels comme argument de légitimité domestique et comme héritières de second rang [16] ; elles sont désormais maîtres d’œuvre à part entière de leurs « réalisations », et offrent à leurs enfants des conditions d’héritage dissociées de celles des autres enfants de leurs maris.

36Sur cette aspiration rentière, et fortes d’une aisance relative face aux procédures écrites et relationnelles de l’administration, les femmes occupées au tubabu baara (emploi de bureau) peuvent se permettre d’entrer en concurrence avec leurs collègues de travail hommes, surtout quand ils ont un niveau professionnel inférieur à celui de leurs maris. C’est beaucoup moins le cas des commerçantes qui restent en retrait des pratiques foncières des commerçants, et dont les initiatives continuent de s’appuyer sur la médiation de lettrés, de tuteurs et de représentants.

37À l’inverse, les présences fortes des ménagères signalent les appropriations les moins valorisantes, dans lesquelles les femmes en général sont les mieux représentées face aux hommes. Peu autonomes, ces attributaires constituent alors un indicateur de la médiocrité économique des terrains, en particulier en cas de régularisation des quartiers spontanés où les ménagères atteignent un taux record : taxes d’édilité moindres et de montant uniforme dans la ville [17], équipement sommaire, perspectives locatives de faible niveau, nombreux ménages déstructurés par la pauvreté ou par la migration, ayant des femmes isolées ou veuves à leur tête. Les patrimoines immobiliers relèvent essentiellement de la survie : « ça ou la casse », « ça ou être refoulée dans la location ». Difficile alors de supputer sur l’origine des fonds.

38Mais ici encore, l’hypothèse économique ne suffit pas à expliquer la place des « ménagères ». La conjoncture politique a également joué, non seulement en déplaçant l’offre de lots administrés d’une gestion neuve (trames constituées en lotissements périphériques) à une gestion de rattrapage (réhabilitation des quartiers irréguliers déjà peuplés), mais aussi en sélectionnant quelques figures symboliques du petit peuple urbain. L’identification des parcelles régularisées continue certes d’être entérinée par la tutelle administrative du district, mais revient aux maires des six communes, qui sont élus dans une compétition locale pluraliste depuis 1992. Dans la perspective du renouvellement de leur mandat, les équipes municipales ont oscillé entre satisfaire des administrés solvables et répondre aux attentes des « déshérités ». En se redéployant du parti unique aux arènes communales, le clientélisme foncier a ainsi régulé les convoitises et les accointances des « nantis » – mais pour un temps seulement -, et permis la présence non négligeable de « cas sociaux » et de « bonnes dames en difficulté » dans l’affaire de la régularisation. Au milieu de la décennie, il suffisait pour s’en convaincre de voir nombre d’entre elles faire le siège des mairies pour plaider leur cause dès avant le lancement de la campagne électorale de 1997-1998.

39Les « ménagères » des dernières mesures domaniales ont donc constitué le volet populaire d’un même contexte politique qui a promu sur d’autres fronts fonciers les « gros bonnets » de la Troisième République. Reste à craindre que le blocage électoral, puis la difficile reprise de l’opération « Sauvons notre quartier » sous la houlette des seules communes et qu’une décentralisation sans moyens fasse perdre à ces régulations leur rôle face aux logiques marchandes les plus sélectives. Les femmes, au moins autant que les hommes, donneront alors la mesure de ces évolutions politiques qui, autant que les initiatives des salariés, signalent les nouveaux ressorts de la modernité.

Vers une typologie des profils

40À la croisée de ces déterminants politiques, économiques et sociologiques, la montée en force des femmes apparaît bien plurielle. Les variables élémentaires du sexe, de l’activité et de la domiciliation géographique nous permettent de conclure sur quelques figures marquantes ou significatives dans le marché foncier.

41Sans doute l’un des plus anciens dans les pratiques d’appropriation, le type de la « couverture », prête-nom apparent, accompagne fréquemment les intérêts des commerçants bamakois. Définies par leur statut d’épouse, les femmes en cause apparaissent plus souvent instrumentalisées que véritablement mandataires des intérêts patrimoniaux. Il n’en reste pas moins que dans ce milieu marqué par une forte polygamie, de fortes contraintes matrimoniales et résidentielles font figurer des femmes aux côtés des hommes, voire sélectionnent certaines épouses au détriment d’autres.

42• À cela s’oppose le profil des véritables acquéreuses, mais dont les bases économiques ne se situent pas sur le même plan que celles des hommes de niveaux professionnels équivalents : secrétaires, enseignantes, infirmières, techniciennes. C’est bien que l’activité principale ne détermine pas à elle seule la place des femmes et ne règne pas en maître absolu sur les pratiques d’accès au sol. D’autres logiques s’ajoutent à la détermination marchande et mettent en jeu les « attributs du sexe ». En premier lieu les actives ne mettent pas leurs revenus propres dans le budget de leur ménage, dont les dépenses principales (afférentes au logement, à la nourriture, aux soins, et à l’éducation des enfants) reviennent au mari quand il travaille. Quand bien même, on le sait, les femmes prennent en charge une part croissante des dépenses domestiques, leur participation reste irrégulière, secondaire (compléments apportés aux repas et aux enfants, par exemple), souvent négociée au gré des aléas conjugaux, et n’est pas perçue comme un dû de la vie familiale urbaine. Elle laisse notamment aux épouses de cadres salariés le bénéfice de leurs salaires propres comme caisse d’épargne de consommations ostentatoires (biens vestimentaires, dons cérémoniels…), d’activités économiques parallèles, ou même de projets d’investissement.

43En second lieu, la sociabilité des femmes mariées et actives, y compris « au bureau », multiplie pour elles les occasions de participation à des tontines et de ressources annexes sur lesquelles elles ne sont pas imposées fiscalement. Elle développe également les opportunités de contacts, d’informations (disponibilité de parcelles selon telle ou telle filière, par exemple) et d’entregents qui restent essentielles dans un marché foncier contraint. La débrouillardise extraprofessionnelle des employées est patente pour qui a un temps soit peu fréquenté les « services » et les « Projets » de la capitale, constaté la position stratégique de certaines secrétaires face à des demandes monnayées de signatures rapides, écouté les conversations entre collègues femmes et vu les actives mêler argumentaires familiaux et économiques dans leurs relations avec leurs collègues hommes. Cette familiarité précieuse avec l’univers des bureaux comme tremplin d’autres initiatives n’est toutefois payante pour les femmes qu’au prix d’un absentéisme marqué et de faibles performances professionnelles, qui les maintiennent à des postes moins rémunérés et dans des perspectives de carrière moins valorisantes que les hommes sur le marché de l’emploi.

44• La politique de réhabilitation des quartiers illicites, à travers l’opération « Sauvons notre quartier », a déterminé un troisième profil féminin, celui des « propriétaires de survie » dans la conjoncture étroite du milieu de la décennie. Des femmes chargées de famille, en nom propre ou sous le couvert de soutiens familiaux, illustrent la marge de manœuvre limitée des citadines des milieux populaires, et leur dépendance à l’égard de pouvoirs locaux sans grands moyens, les communes, qui n’ont pas encore de projets politiques à long terme.

45• Les « suiveuses » ressortent au contraire en creux dans les sources étudiées. Entendons par là les épouses et les filles d’hommes conduits par la migration continentale à financer à distance leur place dans le marché foncier de la capitale malienne. Des perspectives différées de retour, à partir d’autres pays africains, l’espacement des visites de ces femmes dans leurs familles d’origine, et fréquemment leur absence d’épargne propre, font que leurs maris et leurs pères apparaissent plus souvent seuls ou sous le couvert d’autres hommes dans les initiatives domaniales. 28% des demandeurs de parcelles depuis d’autres pays d’Afrique noire formulent ainsi leurs besoins. Sur le segment commercial de l’ACI, les femmes sont particulièrement peu représentées dans les achats depuis l’Afrique. Le Gabon fait notamment apparaître une clientèle encore plus masculine que la moyenne expatriée.

46• Enfin, les « investisseuses » constituent le dernier profil de femmes particulièrement enviées mais aussi jalousées pour leurs démarches résidentielles, tant par les autres femmes que par leurs concurrents masculins sur les marchés les plus sélectifs. Les derniers lotissements fonciers et des opérations immobilières privées vont sans doute banaliser un profil d’achat et de construction au féminin, dans lequel les intérêts matrimoniaux et les perspectives locatives se mêleront au gré des étapes du cycle de vie.

47Pourquoi parler alors d’investissements à propos d’acquisitions qui restent principalement patrimoniales ? D’une part parce que ces acheteuses « haut de gamme » percent sur le segment très coûteux des titres fonciers depuis le lancement des activités commerciales de l’ACI. Ensuite parce que le principe de vente aux enchères des parcelles dans les derniers lotissements a conduit les femmes, en certaines occasions, à des prix moyens d’achat au mètre carré plus élevés que ceux des hommes. La superficie des lots se révèle ici utile pour comparer l’épargne injectée en fonction du sexe.

Figure 3

Prix moyens au mètre carré des acheteurs de l’ACI entre 1992 et 1994

Figure 3

Prix moyens au mètre carré des acheteurs de l’ACI entre 1992 et 1994

48La comparaison des hommes et des femmes par groupe d’activité n’a guère de sens tant les structures d’emploi sont différentes. La comparaison des acheteurs par groupe de localisation est plus pertinente, car la donne géographique fait varier significativement la moyenne des prix au mètre carré. Dans le lotissement de Kalaban Coura Sud, le moins coûteux, les femmes manifestent toujours des coûts plus élevés que ceux des hommes, à domiciliation équivalente, sauf lorsqu’elles financent un terrain depuis d’autres pays africains. C’est l’inverse dans le lotissement plus coûteux de Baco Djikoroni, où les hommes dépensent plus que les femmes au mètre carré sauf à partir des destinations africaines de l’émigration. Mais l’inflation des prix semble creuser les écarts entre hommes et femmes, ce que confirment, ci-dessous, les prix moyens au mètre carré après dévaluation du franc CFA.

49Enfin, la notion d’investissement se justifie par l’apparition de comportements d’achat inédits. S’ils concernent encore de petits effectifs dans les sources consultées, ils intéressent l’opinion et la rumeur bamakoises, qui sont souvent plus attentives que s’il s’agissait des démarches classiques de commerçants. Deux cas sont évoqués ici, dans les différents horizons géographiques de mobilisation de l’épargne féminine.

50Le premier cas apparaît dès 1992 dans les ventes de l’ACI au sud de Bamako. Certes, les acheteuses apparaissent moins représentées que les hommes à partir de destinations lointaines, ce qui se comprend de prime abord quand on sait que la migration internationale malienne surreprésente les hommes et donne aux femmes moins d’opportunités d’emploi. Parmi les acquéreurs de titres fonciers entre 1992 et 1994, 13% des femmes sont basées à l’étranger tandis que 20% des hommes le sont. Les acheteuses apparaissent toutefois surreprésentées, proportionnellement, dans certaines destinations lointaines qui donnent des conditions favorables à leurs initiatives. Les trois quarts des femmes achetant depuis l’étranger ont ainsi une adresse en France. L’émigration hors d’Afrique semble garantir aux Maliennes les moyens financiers et sociaux de démarches foncières de haut niveau et surtout plus individualisées. De petits effectifs les montrent même investissant dans le coûteux lotissement de Baco Djikoroni et cumulant des terrains à Bamako, depuis la France, de manière plus manifeste que leurs compatriotes masculins expatriés dans le même pays [Bertrand, 1999].

51Le second cas confirme l’intérêt de « bourgeoises » bien informées à Bamako même à l’égard des titres fonciers. Dans le dernier lotissement ACI 2000, les acquéreurs de parcelles se concentrent en effet, à près de 60% d’entre eux, sur trois profils sociologiques. Cette polarisation marquée des clientèles souligne l’accroissement de la sélection marchande après trois années de ventes. Le premier groupe d’acheteurs (plus d’un tiers des parcelles vendues) est celui des commerçants basés à Bamako ou dans d’autres pays d’Afrique noire qui accueillent le gros de la diaspora malienne à l’étranger. Les ouvriers immigrés en région parisienne, qui constituent le second groupe, apparaissent déjà en retrait des premiers en concentrant 8% des lots. Sans doute nombre d’entre eux, originaires de l’ouest du Mali, n’envisagent-ils de construire à Bamako qu’après d’autres priorités d’investissement. Le troisième groupe repose enfin sur la catégorie « femmes ». Avec 14% des acquisitions, les acheteuses continuent de contribuer de manière importante à la clientèle ACI. Mais elles présentent désormais une proportion inédite de célibataires : plus du tiers des acheteuses ! Il ne s’agit pas ici de jeunes filles prête-noms de leurs pères, mais bien de propriétaires de plein droit. Beaucoup d’entre elles sont élèves ou secrétaires, et il est clair que leur niveau d’épargne ne permettrait pas à des hommes de même position, surtout jeunes, d’accéder au marché ACI. L’appropriation est ici déterminée par une logique de genre dans laquelle des comportements d’achat innovants disputent la part belle à une tendance plus ancienne à la monétarisation des rapports amoureux [18]. C’est que parmi les citadins nantis, les promesses de mariage ont déjà éprouvé la formule des « quatre V » (villa, voiture, virement, verger) depuis les années soixante-dix. L’offre foncière ne fait que l’actualiser aujourd’hui, avec l’idée qu’une « parcelle ACI » donne le meilleur crédit à une dot matrimoniale.

Figure 4

Prix moyens au mètre carré dans les lotissements ACI depuis 1995

Figure 4

Prix moyens au mètre carré dans les lotissements ACI depuis 1995

52Cette détermination du sexe se fragmente pourtant dès lors que l’on prend également en considération les adresses des acheteuses. Elles se partagent entre Bamako, où l’hypothèse précédente joue pleinement, et la France et les États-Unis d’où les femmes se présentent comme des salariées de niveau modeste. Dans ce cas, les investisseuses à distance continuent de se distinguer des hommes avec des achats particulièrement coûteux, qu’elles doivent à leur épargne propre. Elles continuent également de se « désolidariser » des autres Maliennes expatriées en Afrique noire, qui ne pointent guère dans la dernière opération commerciale ACI.

53*

54Au total, les pratiques spéculatives d’une minorité de femmes apparaissent dès lors que l’on croise la variable du sexe avec d’autres caractéristiques, et finalement la variable géographique. Chacune de ces déterminations n’épuise ni l’interprétation du rapport hommes/femmes sur le marché foncier, ni celle de la diversité des profils féminins. Si de véritables investisseuses figurent parmi les migrants internationaux, c’est loin d’être le cas du commun des expatriées qui se porte intéressé par la constitution d’un patrimoine résidentiel ; les Bamakoises « de pointe » sur le segment ACI n’en sont pas moins profilées par un environnement aisé dans lequel elles se positionnent aussi comme filles ou comme épouses. La catégorie du sexe interfère avec d’autres éléments de position sociale, mais pas de manière univoque. Et si le fait d’être acquéreuse ou candidate à l’appropriation signifie bien mobiliser des ressources communes aux hommes et aux femmes (épargnes économiques, allégeances politiques, réseaux lignagers), il n’en reste pas moins que ces recours jouent souvent différemment pour les hommes et pour les femmes.

55Par l’inflation des coûts d’acquisition qu’il a suscitée depuis plus d’une décennie, le sol urbain constitue à coup sûr un indicateur, parmi d’autres, de la modernité des rapports sociaux en ville. Mais celle-ci se joue dans l’articulation de processus de socialisation et d’individualisation bien plus que dans le simple passage de la première à la seconde. Si l’argument économique des moyens, des « réalisations » et des rentes pèse de façon évidente et primordiale sur toute initiative immobilière, les femmes s’autosignifient plus que jamais par leur statut d’épouses (parfois potentielles) ou de mandataires d’héritiers quand elles sont veuves. L’accès au sol reste fondamentalement patrimonial, met en jeu des légitimités familiales, et les femmes y apparaissent souvent comme les « brouilleuses » d’une marchandisation imparfaite.

56La montée en force des femmes dans les principales sources de la gestion urbaine, ces dernières années, nous interroge in fine sur la temporalité de leurs rapports aux hommes et à l’espace urbain. À l’analyse du simple analyseur foncier, la recomposition des rapports hommes/femmes semble pouvoir être interprétée selon trois modèles différents. Le premier est linéaire, en vertu d’une transition lente plus que d’une rupture brutale. C’est le « passage » d’une configuration statistique dans laquelle les femmes sont quasi absentes à une situation dans laquelle elles apparaissent plus nombreuses et comme véritables gestionnaires de patrimoines fonciers. En témoignent, comme on l’a vu, les comportements innovants d’expatriées dans les pays du Nord ou de Bamakoises bien placées qui, bien que relevant d’une minorité citadine, auront des effets durables sur le marché immobilier.

57Une seconde clé de lecture est celle de l’incertitude ou de l’ambivalence des pratiques, qui ne ressortissent ni de la tradition ni de la modernité. L’analyse statistique sommaire multiplie elle-même les constats contradictoires, les mesures instables, les paradoxes : les taux de présence des femmes varient sensiblement dans la même tranche chronologique, les sources montrent tantôt des femmes perturbant la lisibilité des transactions, tantôt des acheteuses « indicateur de transparence » et d’une réelle individualisation des rapports marchands. Présences discrètes et emballements brusques, investisseuses en retrait ou plus offensives que les hommes, cadettes assistées ou spéculatrices avisées, réflexes spéculatifs ou surenchères matrimoniales, tout cela fait douter de l’orientation durable des marchés fonciers et de la place des citadines.

58Enfin, la pluralité inspire une troisième voie d’interprétation, car la catégorie « femmes » et l’effet de groupe se révèlent vite traversés de lignes de clivage. Ni détermination d’ensemble, ni cohérence identitaire ne président à la mobilisation d’une épargne et à l’expression de projets patrimoniaux. La clientèle féminine est bien fragmentée, sans pour autant que les caractéristiques de chacun des types ne l’assimilent aux mêmes positions que la clientèle masculine. La logique de genre apparaît bel et bien tiraillée entre des situations très précaires et des pratiques ostentatoires, entre des citadines expatriées et d’autres ancrées, entre des « couvertures » et des rentières, des ménagères et des secrétaires. Face aux limites des sources, c’est bien une nécessité typologique accrue que cette figuration multiple confère à l’analyse.

Notes

  • [*]
    Géographe, maître de conférences et chargée de recherche en accueil à l’IRD, University of Ghana, Department of Geography and Resource Development, Legon, Ghana.
  • [1]
    Gouvernorat du district de Bamako, section domaniale, 1987-1992.
  • [2]
    L’Union démocratique du peuple malien (UDPM) est pourtant relayée par l’Union nationale des femmes du Mali dans ses fonctions d’encadrement des populations. Mais l’UNFM n’apparaît que dans huit correspondances adressées au gouvernorat du district de Bamako. Elle intervient alors pour exprimer des besoins spécifiques (parcelles vouées au maraîchage féminin), pour appuyer des requêtes de quartier qui ne sont pas propres aux intérêts des « militantes » (préservation de quartiers irréguliers), ou pour protéger les convoitises personnelles de responsables UNFM, à l’instar du fonctionnement clientéliste de l’UDPM elle-même.
  • [3]
    L’analyse présentée ici s’inscrit dans une recherche financée par le CNRS dans le cadre des aides à projets nouveaux, Bertrand M. (dir.), Construction spatiale du fait social. Femmes et développements urbains au Mali, UMR 6590 CNRS, université de Caen, juin 1998, 36 p.
  • [4]
    La figuration de la bourgeoisie sous les traits du gòròbinè (« gros bonnet ») intègre la capacité à prélever une rente sur un patrimoine foncier et immobilier ; parmi la génération plus jeune des filles à marier de bonnes familles, l’exigence qu’une parcelle au moins figure dans la dot apportée par le prétendant s est développée aussi vite que les parcelles les mieux viabilisées de Bamako étaient vendues, à partir de 1992, par la nouvelle Agence de cessions immobilières.
  • [5]
    Ils sont usuellement appelés « permis d’occuper ». La cession d’un terrain par lettre d’attribution requiert en principe des bénéficiaires qu’ils mettent en valeur dans des délais contraints et procèdent à l’établissement du permis dès l’issue de la construction. Mais la démarche domaniale reste fort imparfaite pour une grande partie des terrains. On se limite donc à l’analyse des LA pour dresser un état de la « propriété » résidentielle depuis les années quatre-vingt.
  • [6]
    Depuis le début du siècle, celle-ci reste gérée par la Direction générale des impôts (Direction de la curatelle).
  • [7]
    En témoignent les prix moyens de cession puis de vente des parcelles pour des surfaces équivalentes de 300 mètres carrés :
    DistrictKalaban Coura Sud351000 francs CFA (avant dévaluation)
    ACIKalaban Coura Sud600000 francs CFA (avant dévaluation)
    ACIBaco Djikoroni1200 000 francs CFA (avant dévaluation)
    ACIACI 20003500000 francs CFA (après dévaluation)
  • [8]
    L’année 1987 est représentative de la conjoncture tendue de la fin de la Deuxième République malienne ; l’année 1992 est charnière dans le nouveau contexte de transition démocratique qui conduit à la mise en place de la Troisième République. Au-delà de cette année, l’enregistrement des demandes de parcelles n’est plus centralisé au niveau du district, et se trouve reporté dans chacune des six communes qui le composent. Celles-ci n’ont pourtant pas de compétence administrative ni juridique pour gérer elles-mêmes leur domaine foncier. L’attribution de parcelles auxquelles elles procéderont restera une question sensible voire officieuse.
  • [9]
    1994 est l’année où s’épuise le stock de parcelles (6 000 en tout) disponibles dans le dernier lotissement administratif programmé puis attribué directement par le gouvernorat du district à Kalaban Coura Sud et Extension. 3000 lots sont vendus en parallèle par l’ACI, sur les mêmes fronts méridionaux. L’opération suivante de ACI 2000, à partir de 1995, consacrera le monopole total de l’Agence sur l’aliénation des nouvelles parcelles à bâtir.
  • [10]
    Le programme est bloqué à la fin de 1996 par la conjoncture électorale puis postélectorale qui place les maires, responsables de la régularisation sur le terrain, sous surveillance politique accrue.
  • [11]
    Après le coup de frein électoral de 1996-1997, il s’agit de reliquats des derniers lotissements administrés et des suites de l’opération « Sauvons notre quartier ».
  • [12]
    Devoir se rendre seul à la mairie centrale de Bamako, pour le dépôt d’une demande, ou dans les services d’établissement des permis d’habiter et des TF, est rédhibitoire pour la plupart des citadins peu familiers des « bureaux », et particulièrement des illettrés. La transmission aux héritiers des patrimoines immatriculés, souvent longtemps après le décès du propriétaire, est également une occasion courante de désignation d’un représentant familial auprès de l’administration. Pensons enfin à l’interdit administratif, abondamment transgressé, de cumuler plusieurs concessions domaniales à vocation résidentielle, ou même de prétendre à une seule lorsque l’on n’est pas chargé de famille.
  • [13]
    Selon les habitus et le code de la famille en vigueur au Mali, une fille mariée relève de l’autorité de son mari : le risque de « détournement » du bien par la belle-famille existe donc.
  • [14]
    Hommes et femmes couvrent l’essentiel des corpus sauf dans celui des titres fonciers immatriculés de 1907 à 1999. Ici, les couples et les collectifs interviennent dans un sixième des étapes de propriété impliquant des acteurs privés.
  • [15]
    Le divorce reste une situation provisoire, mais les remariages qui lui font suite sont souvent polygamiques.
  • [16]
    Les règles islamiques de succession attribuent sur ce plan aux filles la moitié des parts réservées à leurs frères.
  • [17]
    101000 francs CFA dans la dernière décennie. Le montant n’a pas été modifié par la dévaluation de 1994.
  • [18]
    Pour une illustration en milieu rural, voir Dumestre G., Touré S., Chroniques amoureuses au Mali, Paris, Karthala, 1998, 312 p.
Français

Résumé

Une présence accrue des citadines parmi les candidats à l’appropriation de terrains et les acquéreurs de parcelles résidentielles sur différents segments du marché foncier malien nous interroge sur les déterminants de cette percée féminine, également sur les horizons géographiques et temporels dans lesquels des épargnes sont mobilisées, et de nouvelles concurrences s’établissent entre hommes et femmes. L’article envisage les variables économiques, politiques et sociologiques qui font apparaître la catégorie très en vogue du « genre » à la fois comme pertinente et limitée dans le contexte bamakois. La variété des situations confère à l’analyse une nécessité typologique certaine.

Mots-clés

  • Bamako
  • femmes
  • urbanisation
  • marché foncier

Bibliographie

  • Bertrand M. [1992], « Conflits de cours urbaines. Des femmes face au droit foncier », Histoires de développement, 20 : 1-15.
  • Bertrand M. (dir.) [1998], Construction spatiale du fait social. Femmes et développements urbains au Mali, UMR 6590 CNRS, université de Caen, juin 1998, 36 p.
  • En ligneBertrand M. [1998], « Marchés fonciers en transition : le cas de Bamako (Mali) », Annales de géographie, 602 : 381-409.
  • En ligneBertrand M. [1999], « Émigrés internationaux maliens face aux marchés fonciers bamakois : connivences et concurrences », Revue européenne des migrations internationales, 15 (3) : 63-83.
  • Bozon M., Locoh Th. (dir.) [2000], Rapports de genre et Questions de population, II. Genre, population et développement, Dossiers et recherches, 85, août, Paris, Ined.
  • Dumestre G., Touré S. [1998], Chroniques amoureuses au Mali, Paris, Karthala, 312 p.
  • Ouédraogo D., Piché V. (dir.) [1995], L’Insertion urbaine à Bamako, Paris, Karthala, 206 p.
Monique Bertrand [*]
  • [*]
    Géographe, maître de conférences et chargée de recherche en accueil à l’IRD, University of Ghana, Department of Geography and Resource Development, Legon, Ghana.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.019.0029
Pour citer cet article
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