CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans le premier tiers du xviie siècle, un riche marchand espagnol des Andes effectue un important legs pieux à la Compagnie de Jésus, afin de financer des missions d’évangélisation auprès des Indiens [1]. La documentation produite par ce legs rend compte de la rencontre des motivations spirituelles d’un laïc et des inquiétudes temporelles des religieux, dans un contexte de fragilité économique et de renouveau des activités missionnaires pour les jésuites dans cette région, à partir des années 1630. Alors que l’historiographie sur le rapport des religieux à l’argent insiste sur la capacité de ceux-ci à s’adapter à la diversité des situations [2], ce dossier peut nourrir une réflexion plus vaste sur la façon dont les laïcs s’investissent dans les institutions religieuses et contribuent à les financer [3]. Il permet de mieux comprendre le phénomène missionnaire, mais aussi la diversité des acteurs de la construction d’un espace chrétien dans la situation coloniale ibéro-américaine d’Ancien régime.

2Le 2 septembre 1640, Juan Clemente de Fuentes, un riche marchand du Pérou signe son testament à Lima, peu avant son décès, constaté le 24 septembre. Il se déclare fils légitime de deux Espagnols désormais décédés, originaires d’Antequera, en Espagne, une ville située en Andalousie entre Málaga et Séville. On ne sait pas où lui-même est né, ni si ses parents se sont rendus en Amérique, ni son âge [4]. Sa situation familiale n’est pas claire. Le testament ne fait allusion à aucune union légitime et ne cite pas d’héritier légitime direct, même si des documents dispersés laissent supposer qu’il a eu au moins une fille naturelle [5]. Il a également une sœur, doña María de Carranza, qu’il nourrit et dont il demande qu’elle soit nourrie sur ses biens jusqu’à la fin de ses jours [6]. Il dispose d’au moins 150 000 pesos, dont il décide de léguer un tiers aux jésuites du Pérou pour fonder un collège destiné aux missions d’évangélisation, un autre tiers aux jésuites d’Andalousie avec le même objectif, alors qu’il destine le dernier tiers à la fondation d’un couvent de religieuses, Nuestra Señora del Prado [7]. Le legs à la Compagnie de Jésus au Pérou consiste donc en 50 000 pesos de a ocho reales pour fonder un collège dans le Cercado, quartier indigène de Lima, et envoyer des missionnaires dans l’archevêché.

3Composée du testament et de la correspondance entre les jésuites, la documentation résume les méandres d’une donation qui commence dès 1628, dont la constante est l’objectif missionnaire, mais qui change plusieurs fois de destination. Elle dévoile l’existence d’un conflit au sein de la province jésuite sur la meilleure utilisation de la somme léguée par le marchand.

4Deux dimensions complémentaires sont en jeu. D’une part, il s’agit de comprendre les raisons qui poussent Juan Clemente de Fuentes à se dépouiller d’une partie de sa fortune, 50 000 pesos, en faveur de missions exclusivement destinées aux Indiens des Andes, alors que par ailleurs il attribue une somme équivalente à une fondation pieuse en Andalousie et à un couvent féminin au Pérou. Après avoir parcouru les routes du haut-plateau andin pour ses affaires, ce marchand finit son existence comme coadjuteur temporel dans la résidence jésuite de Santiago del Cercado. Son parcours révèle la complexité des motivations d’un représentant d’une catégorie sociale montante dans le contexte andin, dont les dernières volontés renvoient à des attitudes proches de celles de la noblesse espagnole et des anciens conquistadors, devenus encomenderos. Ces derniers ont en effet largement financé les premiers établissements religieux dans les Andes et certains d’entre eux ont procédé à des restitutions de biens aux Indiens, sous la forme de fondations pieuses (Maldavsky, 2014, 2016, 2019a). Son insistance sur la destination missionnaire de son argent pose la question de l’impact de la place de l’évangélisation dans le salut des Espagnols dévots. Elle montre aussi qu’il a particulièrement intégré l’idéologie coloniale qui considère les Indiens comme d’éternels néophytes, justifiant ainsi un statut juridique distinct de celui des Espagnols (Estenssoro, 2003).

5D’autre part, les conflits générés au sein de l’ordre par la manne financière que représentent les 50 000 pesos donnés, puis légués, à la Compagnie, et les différentes modalités que les jésuites proposent pour employer cet argent, montrent le poids des volontés des donateurs au moment de décider de l’emploi des sommes reçues (Boltanski, Maldavsky, 2017). Si le défunt n’a pas pu directement peser sur la gestion de l’argent, les conflits internes sur l’emploi des sommes s’appuient sur les interprétations de sa volonté, envisagée par certains comme celle d’un patron. Le conflit porte sur la place qu’il convient d’accorder aux souhaits des laïcs financeurs, au regard des enjeux économiques internes à l’institution religieuse. Cela est d’autant plus crucial, dans les années 1630, que la province jésuite au Pérou rencontre des difficultés financières et que la région vit une crise bancaire. L’ordre doit concilier ses besoins financiers avec les objectifs de la donation, en choisissant soit d’injecter l’argent frais dans une hacienda en difficulté, soit de financer un collège dans le Cercado, destiné à former des missionnaires.

6Les motivations du laïc et les contraintes de l’institution religieuse sont les deux faces du legs de Juan Clemente de Fuentes, particulièrement fécond pour étudier les ressorts religieux, sociaux et politiques du rapport entre les laïcs et la mission d’évangélisation dans l’Amérique coloniale. Leurs stratégies, leurs moyens, les modalités de leur participation, leurs sensibilités, leurs attentes eschatologiques illustrent les transformations de la Réforme catholique dans une terre d’évangélisation. Ainsi, des laïcs, espagnols ou créoles, ici un marchand, tirent un parti spirituel d’une situation considérée en Europe comme une frontière de la chrétienté. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle frontière, puisque l’Amérique espagnole s’inscrit dans un contexte colonial de domination, qui institue une distinction entre chrétiens accomplis et chrétiens en devenir, justifiant dans une perspective religieuse le statut subordonné des populations indigènes (Estenssoro, 2003). La religiosité de ces laïcs américains, intéressés par l’évangélisation au point de la financer, revêt ainsi une dimension sociale et politique qui va au-delà de la simple question du salut. En effet, l’investissement est aussi bien un placement de type financier et matériel qu’une participation symbolique, politique et religieuse [8].

7Ce que l’on sait du legs de Juan Clemente de Fuentes à travers la documentation disponible permet de préciser à la fois son parcours de vie dans les Andes et son adhésion à la théologie tridentine de la justification par les œuvres. La grande diversité des destinations possibles pour son argent montre une nette volonté de donner une destination missionnaire à son investissement et une connaissance fine des contextes d’évangélisation des populations andines. Enfin, l’attitude des jésuites vis-à-vis du legs révèle l’ambiguïté qui règne au sein de l’ordre sur la place des laïcs dans le financement de leurs activités.

Un marchand qui investit dans la religion

8Juan Clemente de Fuentes se déclare habitant de Cuzco en 1627, puis d’Oruro en 1629 (Suárez, 2001 : 227, 229). Les jésuites mentionnent un document notarié rédigé à Oruro en 1628, puis un autre rédigé à Lima en 1632 [9]. En septembre 1640, il fait son testament dans le Cercado, le quartier des Indiens, où il possède une maison [10]. Il occupe alors une cellule dans la résidence jésuite du Cercado, où il est coadjuteur temporel [11]. L’inventaire des biens trouvés dans ses maisons et dans sa cellule détaille des étoffes et des vêtements, la plupart importés d’Europe et d’Orient (toiles de Rouen, de Cambrai, tissus damassés, soies, velours), ainsi que quelques meubles, coffres et pièces de monnaie. Ces biens, la possession de quatre esclaves, deux hommes, une femme et un enfant, ainsi que les marchandises trouvées dans deux entrepôts de la ville, révèlent un homme riche. Juan Clemente a bénéficié d’un contexte économique favorable jusque dans les années 1630, qui a permis le renforcement de la position sociale et financière des marchands dans l’aire andine, dont Potosí et plus généralement les mines sont le poumon économique.

9Ce marchand sur la route Lima-Oruro-Potosí appartient au réseau de Juan de la Cueva, le banquier dont la faillite fit grand bruit au Pérou en mai 1635 (Ródriguez Vicente, 1965 ; Suárez, 2001 : 77-137) [12]. Les comptes établis par le tribunal du Consulat des marchands de Lima, lors de la faillite du banquier en 1635, font état d’une « dette » de 30 153 pesos contractée à Potosí (dont 11 318 pesos en marchandises), qui représente en réalité une mise de la banque dans les affaires du marchand. Juan Clemente de Fuentes apparaît également dans quelques écritures au crédit du banquier, à hauteur de 49 498 pesos de a ocho reales, pour des « dettes » contractées entre 1625 et 1628 (Suárez, 2001 : 198, 425). Ces écritures sont une photographie statique d’opérations de crédit et de débit dont nous n’avons pas la globalité. Notre marchand utilise les fonds de Juan de la Cueva pour ses paiements à Lima, tout en jouant un rôle d’agent pour le banquier dans le Haut-Pérou, où il mène l’essentiel de ses affaires, notamment à Potosí, puis à Oruro, deux villes minières au cœur du système économique colonial andin (Suárez, 2001 : 106, 198).

10Dans le cadre du vaste réseau établi par le banquier dans l’espace andin, Juan Clemente de Fuentes vend des marchandises utiles à l’activité minière, comme le fer, ou des étoffes et objets de luxe, en émettant des crédits et en encaissant des dettes pour son compte (Suárez, 2001 : 227, 232, 235). En échange, Juan de la Cueva gère à Lima les paiements de ses correspondants, au-delà de l’espace andin, dans le commerce trans-Pacifique et trans-Atlantique. En 1628, le banquier, lié au marchand portugais Manuel Bautista Perez, soupçonné de judaïsme et emprisonné par l’Inquisition en 1635, achète des marchandises chinoises à des négociants de Nouvelle-Espagne pour le compte de son correspondant de Potosí. En 1629, Juan Clemente de Fuentes donne un pouvoir au banquier pour des affaires avec divers ports européens, en Espagne, Portugal et Italie (Suárez, 2001 : 245, 246, 249).

11La contraction du marché du sud andin, après l’inondation des ingenios de mercure à Huancavelica en 1626, ainsi que des pertes importantes lors de la foire de Portobelo en 1624, expliquent en partie la faillite de la banque. La circulation des paiements se tend et de nombreux débiteurs du banquier ne sont pas en mesure de payer. À cette conjoncture fragile s’ajoutent des pertes liées au commerce international (confiscations, naufrage) (Suárez, 2001 : 250-253).

12Nous n’avons pas suffisamment d’éléments documentaires pour évaluer l’impact de cette faillite sur les affaires de Juan Clemente de Fuentes. En revanche, on sait que la situation économique de la province jésuite du Pérou est fragile dans les années 1630, car la principale hacienda que possède le collège de Lima, Villa, est confrontée à des pertes en 1637 et 1638. Selon l’historiographie jésuite (Vargas Ugarte, 1963 : 53-55), le collège a des dettes qui dépassent 150 000 pesos. La documentation interne fait état à Rome d’un endettement de l’ensemble de la province, qui passe de 502 559 pesos en 1630 à 1 228 742 pesos en 1636 [13]. Ce doublement apparent de la dette de la province se produit au moment de la faillite de Juan de la Cueva, dont les jésuites figurent comme correspondants à Potosí et Cuzco, mais le lien direct entre les deux ne relève pas de l’évidence. Le banquier comptait sur eux pour le transport de ses fonds, il leur vendait des esclaves et des marchandises et s’occupait de convoyer leur argent en Europe, procédant aussi à des achats pour leur compte ailleurs dans le continent américain. Ce fort lien entre le réseau marchand dans les Andes et la Compagnie de Jésus explique sans doute la fragilité de la situation économique de l’ordre, dont les finances sont au plus bas et pour qui le legs du marchand est une manne. Elle explique aussi la proximité qu’on constate entre Juan Clemente de Fuentes et les jésuites.

13En effet, à la fin de sa vie, Juan Clemente de Fuentes vit parmi les ignaciens, comme l’atteste l’inventaire d’objets trouvés dans sa cellule. Il possède aussi une maison dans le quartier des Indiens de Lima, où résident ses quatre esclaves. Le quartier de Santiago del Cercado est une doctrine (paroisse) d’Indiens où les jésuites ont charge d’âmes depuis les années 1570, peu de temps après leur arrivée au Pérou en 1568 (Hyland, 2003 : 47-52 ; Maldavsky, 2012a ; Coello de la Rosa, 2006). Juan Clemente de Fuentes a été autorisé à s’y installer par le provincial de l’ordre en 1638, en tant que bienfaiteur, avec la promesse d’être admis dans l’ordre avant son décès [14]. La lettre annuelle de la province relatant les événements de 1638 le compte parmi les résidents du Cercado, avec le statut de « futur fondateur du séminaire de missionnaires [15] ». Selon un des jésuites de la résidence, il aurait effectivement prononcé des vœux, sans doute de coadjuteur temporel, avant d’expirer [16].

14Dans la Compagnie de Jésus, les coadjuteurs temporels prononcent des vœux simples, mais ne sont destinés ni aux études, ni à la prêtrise. Ce statut, au bas de l’échelle de la hiérarchie de l’ordre qui place au sommet les profès de quatre vœux, permet d’y accueillir des individus exerçant un métier manuel utile au fonctionnement des établissements, comme portier, cuisinier, tailleur ou même peintre ou sculpteur. Ils « sont reçus pour les choses temporelles ou extérieures », d’après les Constitutions de l’ordre de 1558 [17]. À la fin de sa vie, Juan Clemente de Fuentes a donc un statut intermédiaire, qui ressemble à celui des « donnés [18] ». Sans avoir tout à fait quitté le monde, il a choisi une vie de recueillement en s’installant avec les jésuites parmi les Indiens. C’est aussi le cas d’autres bienfaiteurs de la Compagnie de Jésus dans les Andes, comme Antonio de Llanos, encomendero d’Arequipa et co-fondateur du collège jésuite de la ville dans les années 1580, qui entre comme coadjuteur temporel après le décès de son épouse, Maria Cermeño, en 1587 (Maldavsky, 2014, 2016). Le statut de coadjuteur est ici parfaitement cohérent avec l’acte de donner des biens matériels, puisque le bienfaiteur apporte une aide temporelle et contribue ainsi, dans la mesure de ses moyens, qui ne sont pas ceux d’un prêtre, à la réalisation des ministères de l’ordre.

15Juan Clemente de Fuentes fait trois legs importants. Il donne 50 000 pesos pour les jésuites du Cercado, avec une destination missionnaire, plus 2 000 pesos pour des dépenses de missions, un de ses esclaves pour les pères, 1 000 pesos pour la maison des jésuites et 500 pesos pour acheter des ornements pour l’église et le collège du Cercado. Il donne sa maison aux jésuites et aussi quelques pesos aux confréries du Cercado. Il donne encore 50 000 pesos pour fonder un couvent féminin à Lima [19]. Il prévoit de doter six religieuses, parmi lesquelles Juana, Feliciana et Jeronima de Carvajal, les trois filles de Juan de Carvajal, dont il dit qu’il l’a élevé. Il dote aussi une orpheline de père et de mère, « doña Maria de Palma », qui semble être sa propre fille, ainsi que Francisca de Villegas, une autre « orpheline ». Si ces jeunes filles décident de ne pas devenir religieuses, il prévoit de léguer 10 000 pesos de a ocho reales à chacune, ce qui est une forte somme [20]. La donation est l’occasion de placer des proches au couvent, peut-être de prendre en considération des enfants naturels. Il prévoit également que cet argent pour le couvent soit investi dans l’hacienda des jésuites et qu’ils versent une rente aux religieuses. Enfin, il lègue 50 000 pesos pour fonder un collège à Villanueva del Ariscal, à 15 km à l’ouest de Séville dans la région de l’Aljarafe, pour financer l’enseignement de la doctrine chrétienne aux enfants et des missions dans les environs. Pour évaluer ces sommes, la vente aux enchères de trois des quatre esclaves rapporte 937 pesos de a ocho reales. Une femme d’une trentaine d’années est vendue 400 pesos, un homme est vendu pour 287 pesos et un enfant d’une douzaine d’années trouve preneur au prix de 250 pesos[21]. Au milieu du xviie siècle, 50 000 pesos équivalent ainsi à environ 100 esclaves sur le marché de Lima.

16La correspondance entre jésuites sur l’utilisation des fonds tirés du legs révèle les diverses propositions que l’ordre fait au marchand entre 1628 et 1640. Plusieurs projets se sont succédé, tous destinés à répondre au souhait de financer l’élan missionnaire de la Compagnie de Jésus. Dès 1628, alors qu’il réside dans la ville minière d’Oruro, Juan Clemente veut fonder un collège à Canata, dans la vallée de Cochabamba. Il a sans doute parcouru pour ses affaires cette vallée très fertile, qui descend vers le piémont amazonien, à proximité d’une véritable frontière de la vice-royauté. La fondation se heurte à un refus de la part du roi. En 1632, le provincial Nicolás Mastrilli lui propose d’utiliser les 50 000 pesos pour financer des missions auprès des Indiens Tabalosos, au nord du Pérou, à l’est de Chachapoyas et de Moyobamba, au bord du río Huallaga [22]. L’écriture notariée spécifie que si ces missions viennent à cesser, il faudra choisir un autre lieu que Canata et opter pour des missions aux Indiens « infidèles ». Les jésuites espèrent raviver les missions aux Indiens non convertis, alors que les réductions du Paraguay subissent dans ces années-là les assauts des bandeirantes du Brésil. Cependant, si le donateur avance 1 500 pesos pour financer les missions, la donation n’a pas été employée intégralement à cet effet.

17En 1635, une nouvelle écriture attribue définitivement le don de 50 000 pesos à la résidence du Cercado, en prévoyant l’achat d’une terre, pour fonder un « séminaire de missions aux indiens de cet archevêché de Lima [23] ». Juan Clemente de Fuentes confirme dans son testament sa volonté de « fonder un collège, persistant dans la même intention. Il lègue lesdits cinquante mille pesos pour fonder le Cercado, afin que les Pères en sortent pour une mission perpétuelle dans cet archevêché, avec la condition que sous aucun prétexte cela puisse être utilisé pour autre chose, ni qu’on puisse mêler cet argent avec celui du collège de San Pablo ou d’ailleurs [24] ».

18Ces legs sont des œuvres pieuses propices au salut, des actes de charité, particulièrement valorisés par le renouveau catholique tridentin. Depuis l’Antiquité, la quête du salut pour les chrétiens se réalise dans des actions concrètes, dont les promesses de sens sont attendues à la fois dans le monde et dans l’au-delà, par un « transfert d’un trésor dans les cieux » (Brown, 2016) [25]. Placer son argent dans les institutions religieuses s’inscrit dans une longue tradition de participation au Bien commun et permet aux laïcs d’occuper une place légitime dans la société chrétienne, d’après la réflexion franciscaine sur l’économie (Todeschini, 2008). Au xviie siècle, l’acte de Juan Clemente de Fuentes obéit pleinement à la théologie de la justification par les œuvres (Venard, 1992). La rencontre entre les prescriptions du Concile de Trente en matière de salut pour les laïcs et le contexte américain d’évangélisation des Indiens confère aux deux dernières œuvres spirituelles de la miséricorde un terrain largement favorable. Convertir et instruire les ignorants fait partie des tâches charitables des dévots dans l’Europe de la Réforme catholique (Châtellier, 1987 ; Diefendorf, 2004). Juan Clemente de Fuentes n’a pas d’héritier légitime et, comme ses contemporains, il éprouve l’angoisse du salut. Sa donation, prolongée par un legs, concrétise dans la périphérie de la chrétienté des pratiques de dévotion typiques du xviie siècle et montre combien les normes théologiques tridentines ont pénétré les sociétés américaines. L’étude des motivations des donateurs prend en compte leurs attentes en termes de retours sur investissement, qu’ils soient temporels et honorifiques ou spirituels, étant entendu que le salut peut être considéré comme le contre-don attendu de l’aumône, mais présenté comme une grâce, selon une logique de gratuité typique des sociétés d’Ancien régime (Clavero, 1996).

19La Compagnie de Jésus devient ainsi pour Juan Clemente de Fuentes un moyen de soulager son angoisse du salut, mais aussi de préserver les liens avec la société espagnole, dont témoigne la fondation en Andalousie, et d’ancrer sa mémoire dans la société coloniale. En effet, le caractère perpétuel de la fondation pieuse permet cet ancrage, en vertu de la continuité supposée éternelle de l’ordre religieux, par-delà les vies humaines. Mais pour perpétuer son souvenir et honorer sa mémoire il aurait pu se contenter d’une chapellenie (Zuñiga, 2002 : 163-164 ; Wobeser, 2005). Le choix du salut par les œuvres missionnaires renvoie au devoir d’évangélisation des Espagnols, pris en charge par le Roi et délégué aux encomenderos, anciens conquistadors du xvie siècle (Maldavsky, 2014). Il peut donc être interprété comme une aspiration à un statut aristocratique, comparable à celui des premiers conquérants. Dans une perspective d’honorabilité et de distinction sociale, le marchand prend le relais de l’encomendero (Maldavsky, 2012b). Comme ce dernier et comme le roi, le marchand du xviie siècle considère peut-être cet acte de charité comme un moyen de soulager sa conscience pour le profit qu’il a tiré en exploitant les Indiens (Maldavsky, 2019a). On perçoit ici une forme d’américanisation de la justification par les œuvres.

20Concrètement, les donations et legs entrepris par Juan Clemente de Fuentes dès 1628 montrent un intérêt précoce pour l’évangélisation des Indiens et une connaissance pratique des formes que celle-ci peut prendre, parmi les activités des jésuites.

Le marchand et les missions andines des jésuites au xviie siècle

21Les destinations successives de l’argent de Juan Clemente de Fuentes montrent que les jésuites sont particulièrement habiles pour susciter un legs missionnaire, mais aussi que le marchand est réceptif aux modalités de la mission. Malgré ses limites, le dossier permet d’accéder à la manière dont un marchand pouvait appréhender l’activité missionnaire de la Compagnie de Jésus et la conversion des populations andines en général.

22Par son métier, Juan Clemente de Fuentes a pu être régulièrement le témoin des activités missionnaires des jésuites, d’autant qu’il était logiquement en relation avec eux pour affaires, compte tenu de leurs liens avec Juan de la Cueva à Potosí. Comme beaucoup d’autres Espagnols d’Amérique, Juan Clemente est un citadin, puisque c’est à la ville que résident les Espagnols, même si cette règle imposée par la Couronne depuis le xvie siècle pour la séparation des deux républiques n’est respectée ni par les Indiens, ni par les métis, ni par les Espagnols. C’est surtout un itinérant en raison de ses activités, puisqu’il a changé de ville plusieurs fois. Il a une expérience des jésuites des hauts plateaux où la densité de la population indigène est bien supérieure à celle qu’on trouve dans les environs de Lima. Il a donc pu les voir souvent à l’œuvre dans le cadre de leurs activités missionnaires, soit en ville, soit dans les villages d’Indiens, ou tout simplement dans les tambos andins, ces auberges d’origine préhispanique sur les routes escarpées des Andes (Glave, 1989). Très vraisemblablement, c’est aussi et surtout en tant que directeurs spirituels qu’il a eu affaire à eux, dans leurs églises ou dans les congrégations mariales fondées dans les lieux où ils résident. Sans doute la mobilité dont il fait preuve explique-t-elle qu’il a été réceptif aux très diverses propositions des jésuites, alors qu’il aurait pu se contenter de fonder une chapellenie dans une ville en s’y implantant durablement. Le choix d’une fondation de collège missionnaire lui permettait de bénéficier du statut de fondateur, utile à la perpétuation de sa mémoire (Boltanski, Maldavsky, 2017).

23Les propositions qui se succèdent illustrent la variété des activités apostoliques et des établissements de l’ordre. Les missions aux frontières à partir d’un collège ou d’une résidence, comme dans la vallée de Cochabamba à l’est ou chez les Tabalosos au nord, cèdent la place à la transformation d’une résidence en collège. Un tel lieu crée une triple dynamique missionnaire : fonder un « séminaire de langue » quechua, comparable à Juli, où les jésuites se forment déjà en aymara ; renforcer l’activité d’évangélisation dans le Cercado, dont la paroisse est gérée par les jésuites eux-mêmes ; renforcer les missions volantes à partir du collège du Cercado, où d’un éventuel collège à Huamanga, cité également dans les textes. C’est de ce type de missions que sont nées dans les années 1610 les « visites d’extirpation de l’idolâtrie », au cours desquelles des Indiens considérés comme idolâtres ont été jugés par des visiteurs ecclésiastiques, accompagnés par des jésuites (Estenssoro, 2003 ; Maldavsky, 2012a). Juan Clemente de Fuentes n’ignore pas l’importance de cette répression qui s’est abattue sur les Indiens de l’archevêché de Lima jusqu’au milieu des années 1620 (Mills, 1997).

24Ce large éventail suppose des établissements dans les différentes régions des Andes. En 1638, la lettre annuelle de la province énumère onze collèges (dans lesquels résident exclusivement des jésuites), un noviciat, trois collèges pour la jeunesse (à Lima, à Cuzco et à Quito) et deux collèges pour fils de caciques, ainsi que deux missions aux « infidèles » [26]. Le choix de fonder un collège dans la vallée de Cochabamba, pas loin d’Oruro, la ville minière où il a résidé, montre que le marchand a une certaine connaissance du contexte missionnaire de la région. Les missions dans la vallée de Cochabamba et de Mizque sont généralement effectuées par des jésuites qui partent de La Plata, le siège de l’audience de Charcas, où réside une trentaine de jésuites en 1637, alors qu’à Oruro ils sont seulement treize à cette date. La villa d’Oropesa, dans la vallée de Cochabamba, fondée en 1571 par le vice-roi Toledo, est au centre d’un grenier à maïs qui nourrit l’altiplano minier (Barnadas, 1973). Non loin de là, vers le sud-est et sur le chemin de Santa Cruz de la Sierra, Mizque est décrite en 1616 par Huaman Poma de Ayala comme « une ville petite de peu de gens », au climat clément avec « beaucoup d’arbres et de fruits [27] ». Il n’est pas étonnant que les jésuites veuillent fonder un collège dans une région susceptible de fournir leurs collèges de l’altiplano en denrées alimentaires. Ces régions sont considérées comme des portes d’entrée vers l’Amazonie et les Indiens de la frontière de l’empire espagnol, encore à convertir : Chunchos, Chiriguanos, etc. Mais le martyre du père Reus en 1627 parmi les Indiens Chunchos a sans doute refroidi les ardeurs fondatrices dans cette zone de frontière et explique peut-être le refus du roi. C’est pourquoi les jésuites proposent à Juan Clemente de transférer le legs vers les Tabalosos du nord, dans la région du Huallaga, un affluent du Marañón, à l’est de Chachapoyas et de Moyobamba, une des portes d’entrée par le sud des futures missions de Maynas (Barclay, 2001). Ces missions sont menées à partir du collège de Trujillo et lors de séjours à Chachapoyas, attestés notamment par des lettres annuelles, en 1631 et 1632 [28].

25Le Père Nicolás Durán évoque cette réorientation de l’activité missionnaire de la province dans la lettre annuelle 1630-1631 :

26

Cela fait longtemps que cette province du Pérou désire qu’on y cultive des gentils comme on enseigne la doctrine aux chrétiens, et qu’un nombre si infini d’Indiens, comme on en trouve dans ce grand continent de l’Amérique, depuis cette mer du Sud [l’océan Pacifique] où nous sommes jusqu’au Brésil et aux côtes de cette partie orientale, ne manque pas de la lumière de la foi. Seuls en jouissent les Indiens qui, peu nombreux en comparaison, demeurent dans ces llanos et dans la sierra, sur les 500 lieues de large que compte cette partie du Pérou découverte et peuplée. Mais de l’autre côté de la sierra et vers l’orient il y a d’infinies nations d’Indiens chez qui, même si on a essayé à plusieurs reprises d’entrer pour leur prêcher l’Évangile par ce diocèse et par d’autres, comme récemment par celui de Chuquiabo [La Paz], cela n’a jamais eu d’effet, comme je l’écris dans la lettre annuelle de l’année passée dans laquelle je raconte la mort du père Reus, mort aux mains des Indiens Chunchos. Cela n’a pas refroidi nos désirs, mais au contraire les a ravivés, étant donné la difficulté de l’entreprise. Et je confesse mes propres désirs, car après ce que j’ai vu et expérimenté avec le gouvernement du Paraguay et ses grandes missions, je suis revenu dans cette province du Pérou très désireux que nous y ayons notre conquête d’infidèles et que nous sachions en acquérir et ne soyons pas seulement occupés à conserver [des chrétiens] [29].

27Le legs s’est finalement orienté vers la « conservation des chrétiens », sans doute parce que les supérieurs n’ont pas concrétisé assez rapidement l’achat d’une hacienda et que Juan Clemente a rejoint les jésuites du Cercado. Les instructions laissées dans le testament montrent que le marchand est informé du déroulement des missions et de la gestion du personnel missionnaire, visibles dans les précisions qui accompagnent le legs de 50 000 pesos au Cercado. Le testament stipule que le capital doit être utilisé pour acheter une hacienda dont le revenu :

28

devra servir à l’entretien du collège du Cercado que je fonde dans ladite maison afin que les revenus servent aux frais des Pères qui y résideront, pour qu’ils aillent en mission dans le district de cet archevêché, la moitié d’entre eux devant être toujours occupée dans ce ministère et service de Dieu. Et une fois ceux-là de retour, que l’autre moitié aille s’employer dans ledit exercice des missions, et ceux-ci successivement aux autres. Et cela est ma volonté et j’ordonne qu’elle soit exécutée sans qu’on puisse la changer [30].

29Le même principe de rotation est recommandé pour les missions prévues à partir du collège de Villanueva del Ariscal, que Juan Clemente souhaite fonder en Andalousie, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Séville. Cette fondation ne fut pas concrétisée, car sans doute trop proche des établissements sévillans, dans une région déjà largement visitée par les jésuites de la maison professe sévillane et depuis le collège jésuite de Carmona (Copete, Vincent, 2007 : 284 ; Pizarro Alcalde, 2008).

30Le marchand se réfère ainsi aux missions volantes effectuées régulièrement par les jésuites dans les localités indigènes et qui constituent des moments forts d’évangélisation, en plus de l’enseignement donné habituellement par le clergé installé sur place. Ces missions volantes ont fait la réputation des jésuites au Pérou à l’occasion des « visites d’extirpation de l’idolâtrie », dans les années 1610. Elles se poursuivent ensuite, mais avec moins de vigueur (Mills, 1997). L’organisation des missions préconisée par le testament prévoit que les religieux doivent s’y employer en permanence et maintenir une pression missionnaire continue sur les villages alentour. On perçoit l’influence des pères de la résidence de Santiago del Cercado. Ils plaident pour une politique missionnaire vigoureuse, alors que les membres de l’ordre, désormais largement issus des rangs créoles de la société locale, privilégient les tâches d’enseignement. Les jésuites du Cercado, souvent des missionnaires expérimentés, regrettent la tiédeur missionnaire des religieux du collège de Lima et le manque de linguistes compétents (Maldavsky, 2012a).

31On perçoit nettement, dans les différentes orientations de ce legs, que le marchand est au fait de l’ensemble des activités missionnaires des jésuites et donc de la grande variété des situations liées à la conversion des populations indigènes. Dans une terre d’évangélisation comme les Andes, la conversion et l’instruction des ignorants ne sont pas des œuvres spirituelles quelconques. Elles figurent parmi les justifications de la conquête et sont une priorité religieuse et politique des vainqueurs vis-à-vis des vaincus (Maldavsky, 2019a). La construction du christianisme américain coïncide avec la création d’une nouvelle société dans laquelle les différents acteurs, conquérants comme conquis, doivent définir leur place. Les instruments juridiques et religieux de financement proviennent de l’Europe, puisque les legs, les dons et les œuvres pieuses font partie de l’arsenal juridique que les conquérants emmènent avec eux (Romano, 1972 ; Baschet, 2012).

32Même si cette question ne se pose plus au xviie siècle dans les mêmes termes qu’un siècle plus tôt, l’enjeu demeure la construction d’un espace chrétien, marqué par la présence d’églises et de couvents, et dont les frontières sont en expansion. Pour un marchand du xviie siècle, cet enjeu est aussi d’ordre social et politique, dans un contexte où les Indiens continuent d’être considérés comme des chrétiens en devenir, susceptibles de retourner à leurs croyances et pratiques idolâtriques et donc fondamentalement différents des Espagnols (Estenssoro, 2003). L’apparente indifférence vis-à-vis de la destination de son argent montre que le marchand ne distingue pas parmi les Indiens, ladinos ou migrants, ruraux ou citadins, aux marges, serranos ou amazoniens. L’œuvre pieuse pour la mission participe ainsi à construire religieusement la catégorie des Indiens qui, au-delà de sa dimension juridique, renvoie à une indianisation par la foi [31] qui fait sens pour les acteurs sociaux et pas uniquement pour les institutions [32].

33Le legs missionnaire creuse aussi la distance qui sépare cette bourgeoisie marchande américaine de la population indigène. Il rencontre enfin les besoins économiques des institutions religieuses, dont le financement ne peut reposer uniquement sur les deniers royaux.

Les missionnaires et le marchand

34Les différentes activités que mènent les jésuites, qu’il s’agisse de l’enseignement, des missions au contact des Indiens ou de la cure des âmes indigènes, ont besoin d’un personnel qualifié et de financement. Si le roi finance en priorité les expéditions missionnaires depuis l’Europe, la survie des collèges repose sur les dons et legs effectués par des laïcs et des ecclésiastiques, sous forme de fonds ou de biens, terres et immeubles urbains (Rodríguez Quispe, 2005 ; Maldavsky, 2014), alors que les collèges pour fils de caciques fondés en 1619-1620 se financent également sur les fonds communautaires indigènes, appelés cajas de comunidad (Alaperrine-Bouyer, 2007 : 95-99). Comme ailleurs, les jésuites investissent dans les haciendas, dont ils commercialisent les produits jusqu’à leur expulsion des domaines hispano-américains et la confiscation de leurs biens en 1767. Celles-ci font leur réputation de riches propriétaires terriens, dont la fortune, convoitée par la Couronne au xviiie siècle (Mörner, 1953 ; Macera, 1966 ; Colmenares, 1969), repose aussi sur le travail indigène et des esclaves (Davies, 1984 ; Ramirez, 1986 ; Wobeser, 1983, 1988 ; García Rodríguez, 2000 ; Negro, Marzal, 2005 ; Sarreal, 2014) et leur permet de participer au commerce impérial (Cushner, 1982, 1983, 2006 ; Alden, 1996).

35Mais dans les années 1630 et 1640, les jésuites des Andes n’échappent pas aux difficultés économiques et la situation délicate des finances de la province explique certainement l’intérêt que suscite le legs du marchand. C’est en effet une situation conflictuelle qui éclaire l’inflation documentaire sur cette affaire. Les jésuites du Cercado s’opposent au provincial sur l’emploi de l’argent. Avec la somme léguée par Juan Clemente de Fuentes, les jésuites achètent une hacienda (Vilcahuaura) dès le 28 novembre 1641. Le conflit se concentre ensuite sur l’affectation des revenus de cette hacienda.

36Les arguments du provincial prennent en compte la situation économique globale de la province jésuite du Pérou. Nicolás Mastrilli souhaite employer l’argent au paiement des dettes de la province (et notamment de l’hacienda de Villa) et renforcer les revenus du collège de Huamanga (actuel Ayacucho), faisant ainsi de Juan Clemente de Fuentes le co-fondateur de ce collège qui existe déjà. Les jésuites du Cercado allèguent du respect de la volonté du testateur, afin de conserver la rente pour transformer leur résidence en collège. Conscient que la destination missionnaire est au cœur de la donation et du legs, le provincial argumente en 1642 en expliquant au général que ce collège de Huamanga « est très grevé de dettes et les ministères des Indiens très développés, auxquels s’emploient et peuvent s’employer de nombreux ouvriers et missionnaires, parce que tous les jours de la semaine ils font de nombreuses confessions et parce que [Huamanga] est au centre d’un grand district d’indiens, très à propos pour les missions et aussi pour des entrées vers des indiens infidèles, où on est déjà allé deux fois [33] ».

37On ne peut pas mettre réellement en doute le zèle missionnaire de Nicolás Mastrilli, ancien provincial du Paraguay. Originaire de Naples, où il a intégré la Compagnie en 1585, il a rejoint la province péruvienne en 1592. En 1601 il est désigné comme un « grand ouvrier d’Indiens » (Egaña, Fernández, 1981, VII : 274) et dirige alors la résidence de Juli, une des doctrines d’Indiens de la compagnie au Pérou, où les jésuites apprennent la langue aymara et qui a la réputation d’avoir joué le rôle de laboratoire des méthodes utilisées dans les réductions du Paraguay (Egaña, Fernández, 1981, VII : 259 ; 1970, V : 11). En 1640, Nicolás Mastrilli a plus de 70 ans, alors que son principal contradicteur dans ce débat, le père Luis de Teruel, qui vit dans le Cercado, est âgé d’une cinquantaine d’années. Âgés et expérimentés, tous deux ont une longue familiarité avec l’évangélisation des Indiens, mais leurs responsabilités diffèrent.

38En effet, alors que le provincial se soucie de la santé économique de sa province, le jésuite du Cercado met l’accent sur la décadence des activités d’évangélisation des Indiens à partir du collège de Lima. Il explique en 1641 que :

39

les ministères des indiens dans cet archevêché sont en déclin, et c’est une honte de le dire, parce que des cinquante prêtres qui résident à San Pablo, un seul, connaissant médiocrement la langue, s’y emploie. Et en ce qui concerne les missions d’un si grand et nécessiteux district, nous pleurons, ceux qui nous en occupons, car il n’y a personne qui s’y emploie ni ne sache [les langues]. Et cette année, pour je ne sais combien de missions fantastiques qui ont été envoyées au moment de Carême, il a fallu faire appel à ceux qui avaient été ordonnés à peine deux mois auparavant, sans savoir plus que de très mauvais rudiments de langue, sans savoir ni expérience des ministères. Voilà l’engeance qui fut envoyée, et cela au vu et au su du vice-roi, de l’audience et de l’archevêque, qui sont ceux qui informent le conseil [34].

40Cet argument missionnaire est susceptible de plaire au général auquel s’adresse le mémorial. Toutefois, les jésuites du Cercado, qui n’est alors qu’une résidence, ont intérêt à fonder un collège pour acquérir une indépendance financière vis-à-vis du collège de San Pablo de Lima et de la province en général, dont les dettes sont importantes. En effet, ce qu’on appelle un collège dans le vocabulaire de l’ordre est un lieu de résidence de plusieurs jésuites, dans lequel des enseignements peuvent avoir lieu, mais dont la caractéristique principale est d’avoir des rentes propres, indépendantes des autres établissements.

41Les plaintes de jésuites missionnaires au sujet de la décadence de ce qu’ils appellent le « ministère des Indiens » ne sont pas nouvelles et on les trouve dans la documentation depuis les années 1590. Ce leitmotiv montre à quel point l’identité missionnaire de l’ordre, contrairement aux idées reçues, pose problème dans la société coloniale où les jésuites recrutent alors plus de la moitié de leurs membres. Il était par exemple difficile de faire accepter aux jeunes recrues américaines et européennes la nécessité d’apprendre les langues indigènes pour mener efficacement à bien l’objectif évangélisateur de l’ordre. Dès les années 1630, les jésuites de la province péruvienne participent tous à des missions et au « ministère des Indiens » dans le cadre de leur carrière, au même titre qu’ils enseignent les humanités, la grammaire, la philosophie, prêchent à des Espagnols et les confessent. Alors qu’à la fin du xvie siècle, certains individus se spécialisaient dans les missions, dans les années 1630 ce n’est le cas que pour les jésuites qui se rendent dans des missions de frontière, notamment dans le piémont amazonien. Les missions rurales, proches des villes, sont devenues un ministère parmi d’autres et la plupart des membres s’y emploient à un moment de leur carrière. Ainsi, la plainte des supérieurs du Cercado correspond à la disparition d’une population de missionnaires spécialistes, reconnaissables à leur maîtrise des langues indigènes et au caractère intensif de leur activité missionnaire. Ils s’inquiètent de la dilution de ce ministère dans la carrière des jésuites (Maldavsky, 2012a : 207-257).

42C’est pour régler cette difficulté que la fondation de Juan Clemente dans le Cercado est aussi conçue comme un séminaire de langues, afin de profiter de la situation exceptionnelle pour les jésuites d’être installés dans une doctrine d’Indiens dont la population se renouvelle en permanence, alimentée par la migration (Coello de la Rosa, 2002, 2006 ; Cosamalón, 1999). Le Cercado est une sorte de laboratoire de l’évangélisation en milieu urbain. Les jésuites y ont fondé un collège pour fils de caciques en 1618, ainsi qu’une prison pour « idolâtres », dans le prolongement des « visites d’extirpation de l’idolâtrie » (Alaperrine-Bouyer, 2007). C’est donc un lieu symbolique du travail d’évangélisation. Les jésuites du Cercado arguent du fait que la province a besoin d’un collège spécifiquement dédié à l’apprentissage du quechua qui, malgré les souhaits du général, n’a jamais été fondé. À la fin des années 1610, on avait conçu le projet de prendre une doctrine d’Indiens près de Trujillo pour y fonder un séminaire de quechua, mais l’Ordinaire s’y opposa (Maldavsky, 2012a : 205-206). Le Cercado est un lieu idoine, car la grande diversité d’Indiens qui s’y trouve en fait un véritable laboratoire linguistique.

43Mais au-delà des arguments en faveur d’un affermissement de la politique missionnaire de l’ordre, les jésuites du Cercado défendent les volontés du donateur, qui exprime clairement dans son testament son souhait de voir les finances du collège missionnaire séparées de celles du collège de Lima [35]. Dans une lettre écrite avant 1642 et dont une copie est conservée aux archives romaines, un coadjuteur nommé Tomás Ruiz explique au provincial que cette clause a été écrite par les pères du Cercado et accuse le père Juan de Cordoba, un profès de quatre vœux du collège de Lima, de « gouverner » Juan Clemente de Fuentes [36]. Il apparaît ainsi que les documents notariés signés par les donateurs et fondateurs laïcs constituent des pièces utiles au règlement des querelles internes au sein de la province jésuite.

44En effet, les textes réglementaires de la Compagnie de Jésus, dans les Constitutions de 1558, mais aussi dans les Actes des congrégations générales, invitent à la prudence. La Compagnie ne reconnaît pas aux bienfaiteurs et fondateurs un quelconque « droit de patronage », qui renvoie à un lien de subordination que les jésuites refusent, même si des honneurs spécifiques leur sont rendus. Le legs donne à Juan Clemente de Fuentes le droit d’être enterré dans l’église des jésuites et celui d’être honoré comme bienfaiteur à certaines dates par des messes perpétuelles pour le salut de son âme (Boltanski, Maldavsky, 2017). Il choisit la date de Saint Jean Baptiste, ce qui est cohérent avec l’œuvre d’évangélisation qu’il choisit de financer.

45Or, on constate dans la documentation du xviie siècle que le terme « patron » est monnaie courante. Juan Clemente de Fuentes n’hésite pas à l’utiliser dans son testament, en plus de celui de fondateur, dans les clauses concernant les honneurs qui devront lui être rendus [37]. Son legs est un acte public dont toute la ville a pris connaissance. Un des arguments des pères du Cercado pour que le provincial n’utilise pas l’argent à d’autres fins est le scandale public qui suivrait si l’on venait à apprendre que la Compagnie de Jésus annule les missions prévues par la donation. Celles-ci sont attendues par les autorités et toute la ville le sait. L’honneur de l’ordre et celui du donateur sont en jeu. Les jésuites utilisent les laïcs et les possibilités offertes par le cadre juridique global pour dépasser les apories de leur réglementation et de leurs conflits internes. Les supérieurs préfèrent des legs exprimés en termes généraux, car des volontés trop précises s’avèrent contraignantes (Boltanski, Maldavsky, 2017), mais les jésuites qui influent sur le donateur ne s’encombrent pas de ces scrupules dans l’écriture des clauses qui les avantagent.

Conclusion

46Au-delà de la querelle interne aux jésuites sur l’utilisation de l’argent, dans une période de manque criant de liquidités pour la Compagnie au Pérou, au-delà également de la question du financement des missions en général, ce dossier pose le problème du rapport entre les laïcs espagnols ou créoles et la mission d’évangélisation dans l’Amérique ibérique.

47Juan Clemente destine clairement ce legs à la mission au sens large. Qu’ils soient à la ville, dans les villages alentour ou dans la forêt, cela lui importe peu. Il a certainement conscience du fait que ces diverses activités missionnaires n’engagent pas la Compagnie de Jésus de la même manière et les frictions entre les membres de la province ne lui ont sans doute pas échappé. Devenir un fondateur de missions est un acte de charité qui lui permet d’accéder à un statut et peut-être au salut. Pour cet homme nouveau, dans une société nouvelle, l’investissement dans les institutions religieuses permet d’inscrire dans l’éternité un nom et une mémoire qui, sans héritiers légitimes, seraient tombés dans l’oubli.

48Mais l’œuvre missionnaire contribue aussi à positionner le marchand, dont le statut social est moins prestigieux que celui des descendants des conquistadors, dans la continuité du devoir d’évangélisation des Espagnols, tout en creusant l’écart entre le dévot, aux investissements conformes à la doctrine tridentine, et la masse de la population indigène susceptible de retomber dans l’idolâtrie.

49Cette attitude active vis-à-vis de la mission montre que l’évangélisation des Indiens n’appartient pas uniquement à la sphère des prêtres. Elle fait partie de l’univers social et religieux de l’ensemble de la société coloniale américaine et participe activement à la construction de la hiérarchie et des mécanismes de distinction qui la caractérisent. L’œuvre pieuse pour la mission vis-à-vis des Indiens contribue à américaniser la justification par les œuvres, non seulement parce qu’elle est transférée sur le continent américain, mais aussi parce qu’elle fonctionne comme un instrument de distinction adapté aux hiérarchies qui se construisent dans les sociétés nouvelles américaines.

Notes

  • [1]
    L’essentiel de la documentation consiste en son testament et la correspondance des jésuites sur cette affaire. Une copie intégrale du testament est conservée à l’Archivo Arzobispal de Lima (AAL), Testamentos, Legajo 19, exp. 8. L’abondante correspondance entre les jésuites est conservée à l’Archivum Romanum Societatis Iesu (ARSI), dans le Fondo Gesuitico.
  • [2]
    Voir Landi, 2013, et l’enquête italienne sur les biens du clergé : www.regularclergyeconomichistory.it (consulté le 09/09/2020)
  • [3]
    On trouvera une réflexion historiographique approfondie dans Maldavsky, 2019b.
  • [4]
    AAL, Testamentos, 19-8, f. 10v.
  • [5]
    Juan Clemente de Fuentes prévoit de participer financièrement à la fondation d’un nouveau couvent à Lima. Il dote dans son testament, pour son entrée dans ce couvent « à titre de charité », Maria de Palma, âgée de 8 ans en 1640, « orpheline de père et de mère ». Toutefois, dans un document de 1644, qui renvoie à l’opposition de la part du curateur de la jeune fille, Juan de la Rocha, à son transfert du monastère de l’Incarnation à celui du Prado, Juan Clemente de Fuentes est désigné comme le père de Maria de Palma (AAL - Monasterio del Prado : I : 8 1642/1644). Celle-ci apparaît encore dans un document de 1646 (elle est donc âgée de 14 ans), sous le nom de Maria de Palma Fuentes, désormais mariée à Diego de la Rocha y Benavides, tous deux « vecinos » de Lima, document qui concerne le conflit entre leur curateur, toujours Juan de la Rocha, et les exécuteurs testamentaires de Juan Clemente de Fuentes (Archivo General de Indias, AGI Escribanía 510 A). On en déduit donc que ce dernier avait une fille naturelle, Maria de Palma, très jeune, qui semble servir d’otage pour récupérer une partie de l’héritage.
  • [6]
    AAL, Testamentos, 19-8, f. 19v.
  • [7]
    Sur ces trois legs, voir dans le testament du 2 septembre 1640 : AAL, Testamentos, 19-8, f. 12v-13 ; f. 14-15 ; f. 53-54. Voir aussi, AAL, Monasterio del Prado : I : 5 1642. Lima. Autos promovidos por el monasterio del Prado contra Juan de Esquivel y compañía, por la deuda de 52 000 pesos de a ocho reales que tienen asumida a raíz de la cesión de la misma por parte de Juan Clemente de Fuentes al dicho convento. Incluye la carta poder de Juan Clemente de Fuentes, que otorga la cobranza de la deuda al monasterio del Prado. 8f. La vente aux enchères de ses biens meubles a permis de réunir environ 1 800 pesos de a ocho reales. AAL, Testamentos, 19-8, f. 194-213.
  • [8]
    Dans une « économie des biens symboliques », toutes ces dimensions sont indissociables (Bourdieu, 1996 : 209).
  • [9]
    Archivum Romanum Societatis Iesu (ARSI), Fondo Gesuitico (FG) 1385/1/11 : Rapport en faveur de la fondation dans le Cercado, 10 juillet 1646.
  • [10]
    AAL, Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f. 69v, f. 183v.
  • [11]
    AAL, Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f.183v. L’inventaire de ses biens comporte quelques objets trouvés dans cette cellule, fermée à clé, selon l’inventaire (f. 188v).
  • [12]
    Le montant de cette faillite est d’un peu plus d’un million de pesos répartis en 629 créditeurs. L’actif fut évalué à environ 600 000 pesos, mais ne fut jamais réalisé en totalité (Suárez, 2001 : 85-86).
  • [13]
    Les bilans financiers de la province jésuite du Pérou figurent après les catalogues du personnel envoyés tous les trois ans à Rome, ARSI, Peru 4II, f. 320-321, f. 407-412v.
  • [14]
    ARSI, FG 1385/1/11 : Rapport en faveur de la fondation dans le Cercado, 10 juillet 1646, f. 6. FG 1385/I/2, lettre de Luis de Teruel au général, 8 juin 1641.
  • [15]
    ARSI, Peru 15, f. 139v : “en un quarto de nra casa habita agora el Sr/ Juan Clemente fundador futuro del seminario de missioneros, por estar entre nosotros.”
  • [16]
    ARSI, FG 1385/I/2 : lettre de Luis de Teruel au général, 8 juin 1641.
  • [17]
    Loyola, 1991, p. 433 [§148-149]. Ganss, 1981.
  • [18]
    Les « donnés » sont des laïcs dévots qui désirent servir un ordre religieux sans nécessairement y être admis comme membres. Ce statut existe depuis le Moyen Âge en Occident et s’est développé en Amérique vis-à-vis des Indiens, généralement exclus des ordres religieux et du sacrement de l'ordination, mais aussi des créoles (Olaechea, 1972).
  • [19]
    AAL, Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f. 14v (Espinoza, 2012 : 116-117 ; Campos, 1995, 1996).
  • [20]
    AAL, Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f. 15v-18.
  • [21]
    Cela correspond au prix moyen des femmes de cet âge, 439 pesos (Espinosa, 2009 : 601). La vente aux enchères d’une partie des biens : AAL, Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f. 194-213.
  • [22]
    ARSI, Peru 15, f. 19v : lettre annuelle de 1630-1631.
  • [23]
    ARSI, FG 1385/I/12 : lettre de Luis de Teruel au général, juillet 1647 : “seminario de misiones a indios en este arzobispado de Lima”.
  • [24]
    ARSI, FG 1385/I/12 : lettre de Luis de Teruel au général, juillet 1647 : “fundar un colleg.o, persistiendo en la misma intencion, dexa los dichos cinquenta mil pesos para fundar el Cercado, para que de el salgan los Padres a mision perpetua por este arçobispado, con condicion que en ningun color ni pretexto se pueda aplicar a otro intento, ni se pueda su hacienda mezclar con las da el colleg.o de San Pablo, ni con otra que la Comp.a tenga.”
  • [25]
    Il s’agit par conséquent de prendre au sérieux cette quête sotériologique (Crouzet, 2008 : 16-17).
  • [26]
    ARSI, Peru 15, f. 99.
  • [27]
    Esta dicha uilla de Misque es una uilla pequeña de poca gente”, “Es una uilla de más linda tenple todo de Castilla. Y tiene mucha arboleda y de frutales” (Ayala, 1987, t. 3 : 1064).
  • [28]
    ARSI, Peru 15, f. 17 : lettre annuelle de 1630-1631.
  • [29]
    ARSI, Peru 15, f. 2v : “Mucho a que esta provincia del Peru desea que en ella se cultiven gentiles como se doctrinan/ christianos, y que tan ynfinito numero de Yndios como ay en este gran continente/ de la america desde este mar del sur sobre que estamos hasta el Brasil y costas/ de aquella parte oriental no caresca de la luz de la fee, de que solo gozan los pocos en su/ comparacion yndios de aquestos llanos y de la sierra/ en latitud por lo mas ancho de 500/ leguas que tiene esta faxa del Peru descubiertas y pobladas, pero desotra vanda de la sierra/ al oriente ay ynfinitas naciones de Yndios gentiles, a quienes aunque en varias/ ocasiones se a procurado entrar para predicarles por este obispado y otros, y ultimamente por el de Chuquiavo, nunca a tenido effecto como en parte se escrivio en la annua pasada con/tando la muerte del P. Reus, que murio a manos de los Yndios Chunchos; No a sido/ esta parte para entiviar nuestros deseos antes de avivallos mas con la difficultad de la em/pressa y yo confieso los mios, que con lo que vi y experimente en el govierno del Para/guay y sus grandes missiones volvi a esta provincia del Peru, deseosissimo de que en ella/ tubiessemos nuestra conquista de ynfieles sabiendo adquirir y no solo ocupados en conservar.”
  • [30]
    AAL Testamentos Legajo 19 exp. 8, f. 13 : “a de ser para el sustento del colegio del sercado q fundo en la dicha cassa para que con lo que rrentare sirva de sustento a gasto de los Padres que an de asistir en el para que vaian a miciones por el districto deste arsovispado que la mitad dellos an de estar siempre ocupados en este ministerio y servicio de Dios y venidos y vueltos aquellos aca se vaya la otra mitad al dho egerzicio de miciones y estos suvsecivos unos a otros y es mi voluntad se cumpla asi sin que a esto se le pueda dar otra ninguna color.”
  • [31]
    Le terme indianisation renvoie à l’idée d’une uniformisation des populations indigènes.
  • [32]
    Les legs pour les hôpitaux d’Indiens mériteraient d’être analysés dans cette même perspective (Cahill, 1995 ; Ramos, 2013).
  • [33]
    ARSI, FG 1488/IV/40 : lettre de Nicolás Mastrilli, 15 mars 1642 : “esta mui cargado de deudas, i los ministerios/ de indios mui en su punto, donde se ocupan , i pueden ocupar muchos obreros/ i missioneros, porq todos los dias de la semana tienen mucho que confesar/ f°2 y tene mui gran comarca de pueblos de Indios a cada paso, mui aproposito para/ las missiones; i assi mismo tiene entrada para Indios infieles, a las quales dos vezes/ se a dado principio.” En effet, le collège de Huamanga doit, en 1639, 39 323 pesos, un peu plus que le collège d’Arequipa, 31 400, comparable en taille, mais les rentes de l’un et de l’autre s’élèvent respectivement à 3 614 pesos et 17 282 pesos, par conséquent, leurs capacités de paiement sont très différentes. “Estado temporal de esta provincia del Peru y Colegios della a 1° de enero 1639”, ARSI, Peru 4I-II, f. 415.
  • [34]
    ARSI, FG 1385/I/2 : lettre de Luis de Teruel, le 8 juin 1641 : “los ministerios de indios en/ este arçobispado estan tan caydos, que es verguenza dezirlo,/ porque de cinquenta sacerdotes que tiene San Pablo, solo/ uno, y esse muy moderado lengua acude a el; y para missiones/ de tan (gran) l()to districto, y tan necessitado, como lloramos, los que/ lo manejamos, no ay quien se aplique, ni sepa. Y este año para/f°2 no se quantas missiones fantasticas que se enbiaron la qua/resma, fue menester echar mano de los que dos meses antes/ se ordenaron, sin saber mas que unos malos principios de/ lengua, sin sciencia ni experiencia de ministerios, y assi fue/ lo que salio a ellas: y esto a vistas de un virrey, audiencia,/ y arçobispo; que son los que informan al consejo.”
  • [35]
    El colegio del sercado de los dhos padres de la Compañía de Jesus sea les le separado para siempre jamas de la casa grande de Lima y de otra casa cualquiera que tenga la compañía en otra parte alguna porque mi voluntad es no se pueda enagenar ni aplicar a otra cossa alguna mas que para el dho ministerio de miciones cuio cumplimiento y obligacion queda a los dhos padres lo qual encargo a los provinciales que governaren esta provincia asi lo hagan guardar e cumplir en todo ello”, Lima (AAL), Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f. 13v.
  • [36]
    Lettre du F. Alonso de Tomás Ruiz au provincial, FG1385/I/7.
  • [37]
    Lima (AAL), Testamentos, Legajo 19, exp. 8, f. 53, f. 69v-70.
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Le legs pieux de Juan Clemente de Fuentes, un marchand mort en 1640, ayant déposé à la fois son âme et ses biens chez les jésuites de Lima, révèle clairement les motivations missionnaires du donateur. Il insiste en effet sur un usage exclusivement destiné à l’évangélisation pour les 50 000 pesos qu’il lègue à la Compagnie de Jésus. Cette exigence a généré un conflit parmi les jésuites au sujet du destin qu’il fallait donner à la somme léguée. Un tel geste invite à prendre en considération aussi bien le contexte andin que la culture politique et religieuse partagée par les habitants des Indes occidentales avec les sujets européens de la Monarchie catholique. Ce dossier alimente la réflexion sur le financement de la religion par les laïcs et leur investissement dans les institutions religieuses. Il éclaire le phénomène missionnaire dans une perspective laïque et rend compte de la diversité des acteurs de la construction d’un espace chrétien dans la situation coloniale ibéro-américaine d’Ancien régime.

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Mis en ligne sur Cairn.info le 10/11/2020
https://doi.org/10.4000/assr.51621
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