CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La première étape de cette entreprise biographique consacrée à Jacques Maître remonte à l’hommage posthume qui lui a été rendu à l’EHESS le jeudi 17 octobre 2013 [1]. À la demande de Danièle Hervieu-Léger, j’avais réfléchi à ce que Jacques Maître a pu transmettre à la troisième génération des sociologues des religions qui, comme moi, ont l’âge de ses petits-enfants. Cette communication m’avait donné l’occasion de relire certains de ses articles et d’en découvrir d’autres, en particulier autour de deux thèmes qui relèvent de mes propres objets de recherche : le clergé et la vocation sacerdotale ; les questions de genre et de sexualité dans le catholicisme [2].

2Les témoignages de ses proches et les photographies projetées pendant l’hommage donnaient à voir des moments d’« une vie qui a quelque chose d’un roman », comme le souligne plusieurs fois son épouse Odile au cours du long entretien qu’elle nous a accordé depuis [3] : une enfance en Turquie jusqu’à l’âge de six ans, marquée par la dislocation du couple de ses parents (abandon par sa mère rapidement repartie en France) et par les difficultés du père à s’occuper seul des enfants qu’il envoie en France auprès de son frère, prêtre dans le Poitou ; la confrontation à la Seconde Guerre mondiale alors que Jacques n’est qu’adolescent et qu’il rejoint la Résistance ; un engagement en faveur du Vietnam de la fin des années 1940 jusqu’à sa mort. L’œuvre publiée alors que Jacques Maître est à la retraite constitue un autre élément énigmatique de cet itinéraire. La parution de quatre ouvrages « remarquables et remarqués [4] », entre 1993 et 1995, lui offre une notoriété tardive. Le journal Le Monde lui consacre ainsi, sous la plume de Roger-Pol Droit, une pleine page en décembre 1995 [5]. L’avant-propos dialogué avec Pierre Bourdieu [6], paru un an auparavant, apparaît comme sa consécration académique.

3Il ne m’a pas été possible de m’entretenir avec Jacques Maître, comme l’a fait sur le tard Pierre Lassave avec François-André Isambert jusqu’à construire avec ce dernier une forme de compagnonnage de fin de vie. J’ai certes plusieurs fois croisé et entendu Jacques Maître à des colloques de l’Association française de sciences sociales des religions (AFSR), au tournant des années 2000 lorsque j’étais étudiante en DEA puis doctorante. Mais nous n’avons alors pas eu l’occasion d’échanger. La difficulté n’a donc pas été pour moi la familiarité avec l’auteur, personnalité complexe, mais au contraire une distance, qu’en l’absence de journal, de carnet d’enquête ou d’échanges épistolaires suivis dans ses archives [7], il m’a longtemps semblé difficile de combler. J’ai cependant pu analyser plusieurs entretiens réalisés avec Maître ou certains de ses proches [8], ainsi qu’un texte autobiographique qualifié d’« autoanalyse » qui a d’abord fait l’objet d’une communication dans le cadre du colloque 2005 de l’AFSR [9] puis d’une publication partielle dans les Archives de sciences sociales des religions[10].

4Membre fondateur du Groupe de sociologie des religions, qu’il dirige de 1980 à 1984, Jacques Maître partage avec plusieurs de ses compagnons certains points communs : des premiers travaux relatifs au catholicisme et plus spécifiquement à la pratique religieuse et au clergé ; une reconversion thématique dans les années 1970 qui prend chez lui la forme d’une bifurcation vers la sociologie de la santé et la psychanalyse. Suivre son itinéraire, c’est ainsi parcourir ce que l’on peut appeler le second moment de la sociologie des religions, qui, après le moment durkheimien, est plus largement celui des refondateurs de la discipline sociologique à l’œuvre en France à partir de 1946.

De la philosophie à la sociologie

5Comme beaucoup de sociologues de sa génération, Jacques Maître fait des études de philosophie [11]. Doué en mathématiques, il aurait pu s’engager dans une voie scientifique, à l’image de son père ingénieur centralien [12]. Mais sous l’influence de son oncle ecclésiastique, il entre en hypokhâgne au lycée Pierre-de-Fermat à Toulouse. Il interrompt ses études lorsqu’il prend le maquis, puis s’y réinvestit à l’automne 1945. À la Sorbonne, il suit l’enseignement de Gaston Bachelard. Il soutient en 1946 un mémoire de Diplôme d’études supérieures intitulé « La notion de sagesse chez Spinoza », sous la direction du professeur René Le Senne.

6En 1947, il prépare l’agrégation de philosophie, en même temps que François Isambert. Le nombre élevé de candidats au concours relativement au nombre de postes témoigne alors de l’attrait de la carrière philosophique. On compte ainsi un admis pour 13 candidats en 1950, comme en 1935 :

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L’accès à la philosophie reste donc particulièrement difficile, y compris pour les normaliens de la rue d’Ulm, qui doivent souvent, c’est notamment le cas de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, s’y reprendre à deux fois avant d’être reçus à l’agrégation [13].

8Alors qu’Isambert est admis quatrième, Jacques Maître échoue. La même année, il se marie avec une jeune médecin, Odile, qu’il connaît depuis qu’ils ont l’âge de 11 ans. Leurs deux premiers enfants, François et Élisabeth, naissent en 1948 et 1950. Le couple partage quelques traits communs : même origine géographique (le Poitou), même éducation catholique. Les parents d’Odile, sa mère en particulier, semblent cependant réticents : « Dans ma famille, cela a été très mal vu que j’épouse un fils de divorcé [14] élevé par un curé [15] ! » Le fait que Jacques n’ait pas une situation professionnelle stable complique encore les choses. Collé à l’agrégation et en froid avec Georges Davy [16] qui préside le jury, il décline le poste d’auxiliaire qu’on lui propose dans l’enseignement secondaire et ne se représente pas au concours. Il exerce alors pendant quelques années divers travaux plutôt alimentaires mais teintés de militantisme (permanent de l’association France-Hongrie), et surtout s’investit dans les mouvements progressistes chrétiens – nous y reviendrons.

9Maître devient l’assistant de Georges Gurvitch à la Sorbonne. Gurvitch, figure aujourd’hui un peu oubliée qui fut au lendemain de la Seconde Guerre mondiale « une référence obligée pour quiconque s’intéressait à la sociologie [17] », l’embauche après avoir lu un de ses articles. Mais, très vite, les deux hommes se brouillent. Maître est recruté au CNRS en 1952, où il entre au Centre d’études sociologiques (CES), d’abord comme attaché pendant cinq ans puis comme chargé de recherche. Il est un membre fondateur du Groupe de sociologie des religions (GSR) et du comité de rédaction des Archives de sociologie des religions, dont le premier numéro paraît en 1956.

Les enquêtes de pratique religieuse et le clergé rural

10À la fondation du GSR, Jacques Maître dit avoir « spontanément choisi comme terrain de recherche le catholicisme français [18] ». Il entretient en effet depuis son enfance une grande proximité avec ce monde religieux. « Enfants de curé », c’est ainsi que l’on parle de Jacques et de sa sœur Geneviève, de deux ans son aînée. Délaissés par une mère qui ne s’intéresse pas du tout à ses enfants et un père pris par sa profession d’ingénieur qu’il exerce en Turquie où il réalise notamment l’adduction d’eau de la ville d’Ankara [19], ils sont, comme on l’a vu, confiés très jeunes à leur oncle paternel, Émile, prêtre et doyen de Saint-Savin-sur-Gartempe dans la Vienne. L’arrivée des deux enfants dans le Poitou constitue un véritable choc culturel. Âgé de 7 ans, Jacques parle alors mieux le turc que le français. Personne ne lui a encore appris à lire. L’enfant illettré prend le clocher de l’église abbatiale pour un minaret. Une jeune fille, envers qui il se montre parfois violent, lui enseigne la lecture au presbytère. Il n’est scolarisé qu’à partir de la cinquième, dans un pensionnat catholique à Poitiers puis en 1940 à Limoges, avec un bref passage au petit séminaire pour la classe de première. Il se révèle très bon élève, brillant en mathématiques, mais « forte tête » comme le relate Odile, régulièrement puni par les surveillants.

11Émile Maître, qui élève Jacques et Geneviève, est une figure charismatique : favorable à la loi de Séparation des Églises et de l’État, partisan du Sillon, résistant tenant tête à l’occupant allemand. Il fait partie de ces prêtres qui s’engagent dans l’entreprise de dénombrement de la pratique religieuse, sous la houlette du doyen Le Bras et du chanoine Boulard. Jacques et Geneviève passent ainsi plusieurs années au presbytère de Saint-Savin. Leur père meurt en 1942 sous les balles allemandes. Ils ne revoient leur mère, décédée cinquante ans plus tard, que de manière épisodique. La première communion de Jacques, où elle arrive au dernier moment et repart aussitôt, son mariage avec Odile auquel elle n’assiste pas, les faire-part envoyés à la naissance de leurs enfants et retournés avec la mention de ne plus lui adresser de courrier constituent autant de douloureuses occasions manquées.

12Sur cette situation d’abandon et sur la blessure qui en découle, Jacques Maître demeurera très discret. Ainsi, dans le portrait du Monde, il évoque sa petite enfance en Turquie et le fait qu’il a été élevé ensuite par un oncle prêtre, mais ne dit rien des circonstances qui l’ont conduit à Saint-Savin. Dans la table ronde sur psychanalyse et sciences sociales à laquelle il participe au milieu des années 1990, il mentionne brièvement sa relation avec sa mère, qui selon lui « a barré [20] » dans un premier temps son interprétation du personnage de la mère de Thérèse de Lisieux. De manière très elliptique, il décrit un phénomène de « résistance inconsciente [21] ».

13Par son oncle, Jacques Maître a une connaissance personnelle de ce que peut être le métier d’un curé de campagne au cours de l’entre-deux guerres. Il a lui-même, semble-t-il, envisagé pendant un temps de devenir prêtre. C’est du moins ce que certains de ses proches ont pensé, en particulier sa sœur Geneviève qui elle-même embrasse la vocation religieuse. Rien d’étonnant donc à ce que Jacques Maître consacre dans les années 1960 plusieurs travaux à la prêtrise, au clergé rural en particulier, après s’être impliqué dans les enquêtes de pratique religieuse [22]. Il participe ainsi, et dans une certaine mesure même donne naissance, à une série de travaux sociologiques qui font des campagnes un observatoire du changement religieux et même plus largement du changement social : que l’on pense à L’église et le village (1976) de Gabriel Le Bras, à Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours (1985) de Yves Lambert ou encore au chapitre que consacre Danièle Hervieu-Léger à la ruralité dans Catholicisme, la fin d’un monde (2003).

14Dans son ouvrage de 1967, Jacques Maître dresse le constat de la diminution rapide et inexorable des effectifs du clergé. Il évoque les « formules nouvelles [23] » qui émergent pour y faire face : regroupement de paroisses, appel aux laïcs, perspective des diacres permanents que le concile de Vatican ii vient d’ouvrir. La même année, dans un livre écrit avec Julien Potel et Paul Huot-Pleuroux, il s’intéresse à l’image que les sondages d’opinion donnent du prêtre, celle d’un personnage « familier et lointain, souvent rencontré ou évoqué, mais mal connu [24] ». Jacques Maître n’abandonnera jamais le catholicisme comme objet de recherche, qu’il s’agisse de ses liens avec l’extrême-droite [25], de la presse confessionnelle [26] ou plus tard de l’analyse quantitative de sa déprise [27].

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Jacques, sa sœur Geneviève, son oncle Émile

Figure 0

Jacques, sa sœur Geneviève, son oncle Émile

Saint-Savin-sur-Gartempe, années 1940
Fonds Maître, Archives nationales

La création du GSR : un moment (re)fondateur

16La création du GSR participe du moment de refondation de la sociologie au lendemain de la Seconde guerre mondiale [28], au sein du CES [29]. Par rapport à la première sociologie des religions que fut en France la sociologie durkheimienne, cette refondation se fait principalement à propos d’un monde religieux particulier, le catholicisme, et en lien avec des personnalités catholiques.

17L’impression des membres fondateurs du groupe n’en est pas moins d’être des pionniers : « Nous avions en commun la certitude que l’heure était à la mise en œuvre d’études scientifiques sur les “phénomènes religieux” [30] », déclare ainsi Jacques Maître lors du colloque de l’AFSR de 2005 au cours duquel il revient sur son parcours. « La sociologie des religions, au sens où nous avons voulu en faire, cela n’existait pas vraiment [31] », précise-t-il. S’il se pense comme pionnier avec ses camarades du GSR, Jacques Maître insiste également sur leurs « héros fondateurs », principalement allemands (Marx, Engels, Weber, Troeltsch et Joachim Wach), auxquels la revue de sociologie des religions qu’ils fondent fait une grande place au cours des premières années : « Nous étions bien sûr des enfants de Durkheim puisque nous faisions de la sociologie en France mais des enfants, quand même, très mâtinés d’autres traditions [32]. »

18Surtout, Jacques Maître plaide pour une sociologie du catholicisme qui ne se confonde pas avec la sociologie catholique, c’est-à-dire la sociologie catholique du catholicisme, à visée pastorale, voire apologétique [33] :

19

En choisissant l’expression « sociologie du catholicisme », nous cherchons à souligner d’emblée un souci qui tient une place importante dans les réflexions de nombreux chercheurs français. En effet, la formule courante – sociologie religieuse – recouvre une double ambiguïté. D’une part, elle laisse supposer que toutes les formes de vie religieuse tombent sous sa juridiction, alors qu’en fait on laisse le plus souvent de côté les recherches concernant les dénominations non catholiques (protestantisme, islam, judaïsme, « sectes », etc.) et les phénomènes religieux non confessionnels (athéisme, religion populaire, etc.). D’autre part, cette indécision correspond parfois à une indécision entre deux traductions : sociologie catholique ou sociologie du catholicisme. […] Le fait est que la sociologie du catholicisme n’est pas l’apanage des seuls catholiques, et que la coopération ainsi instituée est une des conditions de la constitution de cette sociologie comme science au sens plein du terme [34].

20Il rejoint en cela Henri Desroche [35]. La substitution de l’appellation « sociologie des religions » à « sociologie religieuse » , que l’on trouve dans le nom du groupe comme de sa revue, semble en revanche avoir « chiffonné » Le Bras qui y voyait, selon Maître, « l’emblème d’une différenciation et les risques d’une aventure [36] ». Or, si l’expression « sociologie religieuse » s’inscrit dans la filiation durkheimienne en ce qu’elle désigne la rubrique instituée dans L’Année sociologique, elle prête aussi à confusion.

21La thèse de doctorat de Jacques Maître intitulée Mathématique sociale du baptême catholique en France. Analyse de données fournies par les registres, soutenue à Paris v en 1967, est assez emblématique de cette volonté de constituer la sociologie du catholicisme en véritable science, par le recours aux statistiques. Il s’inscrit ainsi explicitement dans une perspective durkheimienne, celle du Suicide, assumant l’« irrévérence que constitue aux yeux de certains de nos maîtres l’application des modèles mathématiques à la vie chrétienne [37] ». En conclusion de sa thèse, Jacques Maître considère la mathématique sociale « appliquée aux phénomènes religieux » comme « un signe et un moyen de déconfessionnalisation des sciences “sacrées” [38] », ce qui est susceptible d’embarrasser Le Bras : « Un jour, au sujet d’un article que j’avais écrit sur les représentations logarithmiques des phénomènes religieux, il m’a dit que ce type de texte lui sortait des yeux mais qu’y faire obstacle serait contraire aux intérêts de la science [39] ». Ce recours aux mathématiques est loin d’être original au cours des années 1950-1960, où montent en régime ce qu’on appelle les mathématiques sociales [40]. En sociologie des religions comme dans d’autres domaines de la discipline, l’institutionnalisation de la sociologie va alors de pair avec l’utilisation des démarches statistiques, sous la double influence de la psychologie [41] et de la sociologie quantitative américaine telle qu’elle est alors pratiquée par Paul Lazarsfeld.

22Maître explique cette volonté partagée par les fondateurs du GSR d’une étude « scientifique » du catholicisme par les itinéraires personnels de « rupture ou de quasi rupture avec l’Église » que tous ont connus et qu’ils souhaitent analyser :

23

Chacun de ceux qui allaient devenir les doigts de la main avait certes un parcours très différent, mais chacun avait vécu une rupture ou une quasi rupture avec l’Église, en tout cas une distension très radicale des liens, pour des raisons historiques – parce qu’il y a avait eu la Mission de France, la Mission de Paris, les affaires des prêtres ouvriers, Économie et Humanisme : des choses qu’on peut repérer institutionnellement. Ce qui nous a réuni je crois, c’est que nous étions les porteurs d’une nouvelle époque – j’allais dire du point de vue épistémologique pour employer des grands mots […] – c’est que nous voulions étudier scientifiquement ce qui nous était arrivé, ce dont nous avions été acteur et témoin [42].

24Une telle posture n’empêche cependant pas des collaborations avec le clergé. Comme Isambert, Maître s’investit dans le Centre catholique de sociologie religieuse (CCSR), fondé en 1952, sous le patronage également de Le Bras, qui a pour objet de permettre à des ecclésiastiques de s’initier à la sociologie au cours de sessions de formation. D’abord interface entre la sociologie universitaire et la sociologie dite pastorale, le CCSR connaît ensuite un processus de déconfessionnalisation. Il devient en 1971, sous la présidence de Jacques Maître (1970-1974), Association française de sociologie religieuse [43].

25Se donnent ici à voir les effets produits par le paradoxe entre « un projet scientifique de sociologie objective, positive et descriptive des “faits religieux”, à distance des partis pris idéologiques et confessionnels [44] », et le rôle moteur qu’a joué dans cette entreprise une personnalité engagée comme Le Bras dans le catholicisme (on pourrait en dire autant de Léonard à propos du protestantisme) [45]. La position de Le Bras tranche avec celle des autres membres fondateurs du GSR, comme en témoigne Maître :

26

Nous n’étions pas du tout préoccupés de savoir si Dieu existe ou pas. Ça ne tracassait aucun d’entre nous dans ce travail. Au point que j’ignore si tel ou tel allait à la messe ou pas, était devenu complètement athée… Bien sûr, au fil du temps, certains éléments se sont manifestés. Dans nos débats, à propos des articles que nous publions dans les Archives, je n’ai jamais vu quelqu’un faire intervenir ses croyances religieuses. Il y avait une sérénité qui encore aujourd’hui m’étonne, à une époque où la crise de la religion faisait l’objet d’un débat de société. […] Le Bras, lui, était un croyant, il arrivait avec sa foi. Il désignait souvent notre petit groupe comme les cinq doigts de la main. Dans ces cinq doigts, il y en avait un qui n’était pas comme les quatre autres. Il considérait que ce qu’il faisait l’était pour l’Église, dans le cadre de sa foi. Il n’avait pas le même arrière-plan théorique que nous, pas la même histoire. Il ne pouvait pas comprendre qu’il y avait éventuellement un problème de pouvoir avoir une très grande liberté par rapport à ces questions, totalement déconnectée de convictions personnelles. Je l’ai entendu dire : « On peut faire de la sociologie du catholicisme, bien sûr, mais on ne peut pas faire la sociologie de l’histoire de Jésus. » Pourquoi un objet historiquement et sociologiquement accessible à l’étude serait-il interdit ? Pour nous, cela n’avait pas de sens. Le Bras savait très bien que nous n’étions pas de son avis [46].

27Rien d’étonnant à ce que le rapport à Le Bras soit ambigu : tout à la fois tenu à distance et revendiqué. Dans l’entretien qu’il accorde à Yann Potin, Maître est très clair :

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Il faut que tu saisisses le fait qu’aucun de nous n’est un élève de Le Bras. J’ai de lui ce souvenir qu’il y a des choses qui sont devenues possibles parce qu’il les a cautionnées, mais l’idée même du groupe, c’est Desroche. Et Le Bras a laissé faire Desroche. Plus encore, il était fier d’être le patron universitaire de cette entreprise tout en sachant bien que ce n’était pas lui le géniteur [47].

29Il n’en demeure pas moins que succéder à Le Bras a constitué un enjeu et attisé des rivalités. Odile Maître présente son époux comme « lié sentimentalement » à Le Bras. Elle mentionne des échanges intimes entre les deux hommes notamment sur la perte de la foi qu’a connu Jacques, des rencontres régulières jusqu’à la veille du décès du Doyen, le fait que Maître a trié ses archives personnelles. Elle considère même que c’est ce dernier qui était appelé à succéder à Le Bras sur sa chaire [48] et qu’il aurait laissé sa place à Isambert, qui venait de traverser une phase dépressive aigue. Dans l’entretien qu’il donne à Yann Potin, Jacques Maître lui-même insiste sur sa proximité avec Le Bras :

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C’est moi qui avais les relations les plus intimes avec lui, on allait très souvent prendre un café ensemble, et il m’a beaucoup parlé de ses propres croyances, avec son côté manichéen. Je crois que je me rappellerai toujours, il m’a dit : « Je n’arriverai jamais à croire que Dieu a créé des êtres aussi ignobles que nous sommes presque tous. » Pour moi, c’est le fond de l’âme de Le Bras tel qu’il me l’a laissé apercevoir. C’est quand même fort pour quelqu’un dont la vie a été modelée par la référence de ses relations avec Dieu, mais un Dieu qu’il concevait quand même dans ces termes. Oui, et puis obsédé par le Diable, en tant que métaphore de l’humanité [49].

31La légende dorée de la fondation du GSR, celle des « archevêques », des « cinq doigts de la main », aurait été construite par Jacques Maître. Il la reprend d’ailleurs lors de l’hommage rendu à Séguy après sa mort :

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Le noyau originel du Groupe de sociologie des religions et des Archives (Henri Desroche, François-André Isambert, Jacques Maître et Émile Poulat) fonctionnera tel quel pendant des dizaines d’années ; les chercheurs et techniciens qui viendront s’agréger à l’équipage prendront l’habitude d’appeler ces fondateurs « les archevêques », terme dont l’humour souligne aussi la hiérarchisation implicite qui caractérisera le fonctionnement du laboratoire et de la revue. Pourtant, un archevêque supplémentaire se trouvera intronisé dès 1960 : Jean Séguy [50].

33Les liens de Maître avec les autres membres fondateurs apparaissent cependant inégaux. C’est certainement d’Isambert qu’il est le plus proche intellectuellement, du fait de leur formation initiale commune en philosophie et de leur goût partagé des méthodes quantitatives, mais aussi du fait de leurs premiers engagements militants. Il entretient aussi des relations amicales avec Poulat et Desroche. Odile évoque des vacances passées en famille avec les Desroche, et le fait qu’elle a été l’une des dernières personnes à voir Poulat avant son décès. Dans la préface qu’il rédige à l’ouvrage consacré à Laurentine Billoquet, Poulat salue du reste un long compagnonnage intellectuel :

34

Nous voici donc quittes, si je puis dire, autant qu’on peut l’être entre compagnons de travail, Jacques Maître et moi, depuis bientôt quarante ans. C’est à lui que je dois d’avoir traité l’épineux dossier de l’intégrisme ; puis, attiré par d’autres recherches, il avait dû faire un choix et m’avait repassé l’enfant. Il en résulta deux gros ouvrages, mais il m’avait fallu une bonne douzaine d’années pour en venir à bout. De mon côté, depuis 1980, je l’ai vivement encouragé à s’enfoncer dans les profondeurs de la mystique, où il m’était difficile de suivre avec l’équipement lourd que supposait l’expédition.

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Nous sommes tous deux sociologues, et tous les deux dans le domaine des religions, chacun avec un tour d’esprit et un bagage de savoir qui lui sont propres, qui ont favorisé nos échanges et pesé sur nos relations. Le travail guidait nos pas, aucune ambition ne nous mettait en concurrence, et nous avons toujours eu assez de liberté entre nous pour vivre en harmonie. J’ai dû beaucoup donner à l’histoire ; il a, lui, baigné dans un entourage psycho-médical exceptionnel. J’ajouterai, mais on n’en verra rien ici, qu’il a beaucoup donné aux mathématiques, tandis que je me suis toujours montré sensible aux problèmes du langage [51].

36Les échanges semblent en revanche quasi inexistants avec Séguy, dont Maître s’attache à marquer la singularité tant du point de vue religieux que politique : « Séguy est sans doute allé à la messe jusqu’à sa mort. Très traditionnaliste, il était pied-noir, pro Algérie française… C’était une tout autre histoire que la nôtre [52]. » Maître, lui, est engagé à gauche.

Une vie militante : syndicalisme et animation des politiques de recherche

37« C’est quand même dommage qu’il soit syndicaliste, qu’il passe son temps en réunion [53] », aurait dit de lui un collègue. Dans le portrait que le journal Le Monde dresse de Jacques Maître en 1995, ce dernier assume pleinement une vie de militant, dont il trouve l’origine dans la Résistance : « J’ai le sentiment que, par la suite, je n’ai pas pu me démobiliser. J’ai toujours été militant. »

38Jacques Maître a 17 ans lorsqu’on lui met « pour la première fois une mitraillette entre les mains, face aux Allemands [54] ». Il se décrit comme « entraîné », « jeté dans la Résistance », dans laquelle s’engage également son oncle Émile. Arrêté par la police de Vichy alors qu’il est élève de terminale, il passe devant un tribunal militaire à Clermont-Ferrand en 1941. Finalement acquitté des faits de « propagande en faveur de la dissidence », il part étudier à Toulouse. Il y diffuse les Cahiers du Témoignage chrétien, dans un réseau étroitement lié au mouvement de la Jeunesse Étudiante Chrétienne, et s’oppose à Mgr Feltin, l’archevêque de Bordeaux. Son engagement dans la Résistance se fait alors sous le commandement de Jean-Pierre Vernant [55] qui est son professeur de philosophie et avec qui il entretiendra toute sa vie une très grande amitié. L’attaque de la gare de Matabiau, pendant la libération de la ville de Toulouse par les maquisards les 19 et 20 août 1944, constitue l’un de ses hauts faits d’armes sous le titre de caporal « Charles ». Au sein des Forces françaises de l’intérieur, il libère Saint-Savin et plusieurs villages de la région. Il rejoint alors la Division Leclerc, avec laquelle il est envoyé en Alsace puis en Allemagne.

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Caporal « Charles »

Figure 1

Caporal « Charles »

1944-1945
Fonds Maître, Archives nationales

40Membre fondateur de l’Union des chrétiens progressistes (UCP) à la Libération (1947), petit groupe d’intellectuels et de clercs réunis autour d’André Mandouze et de Marcel Moiroud, Maître est de ceux qui « encouraient l’excommunication majeure comme collaborant habituellement avec le Parti communiste puisque c’était la base même de la doctrine de l’Union des chrétiens progressistes [56] ». En effet, l’adhésion et même la simple collaboration avec le communisme, considéré comme « intrinsèquement pervers », ont été formellement interdits par Pie XI, par son encyclique Divini Redemptoris de 1937, interdiction renforcée par le décret du Saint-Office du 1er juillet 1949. D’abord centrée sur la réforme de l’Église, l’UCP s’oriente ensuite vers la défense de la paix puis se dissout en 1950 dans l’Union progressiste [57]. S’il est dès 1947 « un compagnon de route » du Parti communiste français (PCF), Maître demeure longtemps « sur le seuil » pour n’adhérer que tardivement (tant à l’échelle de son propre itinéraire politique qu’à celui du PC qui a alors déjà connu de nombreuses défections), en 1974, dans la perspective de l’union de la gauche et du programme commun, décrit comme « nécessaire pour améliorer la qualité de vie du plus grand nombre des Français » et comme un préalable « à l’instauration du socialisme ». Invité à témoigner dans La Nouvelle critique, alors revue des intellectuels communistes, il affirme son attachement au marxisme mais exprime également des critiques à l’égard du parti :

41

Membre fondateur de l’Union des chrétiens progressistes, j’ai toujours voté pour le parti et milité dans ce sens ; je me suis toujours refusé aux actions dirigées contre lui. Mais je crois que le parti ne fait pas suffisamment l’analyse marxiste des réalisations historiques concrètes du marxisme et surtout de leurs originalités ou de leurs insuffisances qu’il s’agisse des divers pays socialistes, des partis frères ou de notre parti lui-même. […] Une sympathie déjà ancienne, mais croissante, pour le parti communiste et son combat, mon appréciation du rôle essentiel, qu’il a à jouer dans l’avenir, ont fixé définitivement mon choix [58].

42Son soutien à l’indépendance, pendant la guerre d’Indochine, découle selon Maître directement de son engagement dans la Résistance :

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J’étais très jeune. Au moment du débarquement, j’avais dix-huit ans, et quand on m’a dit, par la suite, que les Vietnamiens voulaient leur indépendance et s’étaient insurgés, je ne connaissais rien en politique, parce que dans la Résistance, j’aurais bien été incapable de faire la différence entre un communiste et un socialiste, parce que je ne m’étais pas trouvé dans des circonstances où il était important de savoir ça. Mais, en revanche, il y a une chose que je savais en politique, c’est que si l’on était occupé par une armée étrangère, il fallait prendre les armes. On m’avait appris ça. […] Alors, pour moi la guerre française du Vietnam, ça a été la découverte de la vie politique. Et j’ai pensé : « Ce sont des frères, ils font exactement ce que nous avons fait ! » Et l’on me disait : « Oui, mais ils se battent contre l’armée française » et je répondais : « Raison de plus pour les considérer comme des frères : c’est nous qui leur faisons ça ! » Autrement dit, je trouvais que pour un Français, il était particulièrement mobilisateur que ce soit contre la France en tant que puissance conquérante, impérialiste, que ça se passait. […] Après, quand je me suis retrouvé étudiant, je me suis retrouvé tout naturellement dans les organisations étudiantes qui luttaient pour la décolonisation [59].

44L’engagement anticolonialiste, qui trouvera son apogée pendant la guerre d’Algérie, est une cause portée précocement par des intellectuels chrétiens [60]. Il n’en demeure pas moins que Maître entretient un lien personnel privilégié avec le Vietnam. Étudiant à Toulouse, il devient l’ami du peintre Lebadang (1921-2015). En 1968, il se lie avec Nguyên Thi Bình, qui est en 1973 l’une des négociatrices vietnamiennes des accords de paix de Paris. C’est elle qui une trentaine d’années plus tard, devenue vice-présidente du pays, vient le trouver pour lui demander d’enquêter sur les effets dramatiques de l’épandage de défoliants par l’armée américaine entre 1961 et 1973 dans une région très pauvre du Vietnam, à la frontière avec le Laos [61]. Maître fait son premier voyage au Vietnam en 1999. Il s’y rendra plusieurs fois avant sa mort. De 2006 à 2008, il préside l’Association d’amitié franco-vietnamienne.

45Jacques Maître s’est aussi beaucoup investi dans l’administration de la recherche. Il dirige le GSR (1980-1984) et accepte d’assumer de nombreuses et lourdes responsabilités au CNRS : il est membre du comité national (1960-1967), du directoire (1971-1975), du comité sectoriel des sciences de la vie (1975) et responsable de la Recherche coopérative sur programme « Médecine et société » (avec notamment Claudine Herzlich). Sa courtoisie, son esprit de synthèse et surtout sa capacité à réguler les conflits en font un homme très apprécié des personnels, en particulier des techniciens et techniciennes. Il préside l’Association française de sociologie religieuse au tournant des années 1970, contribuant notamment à sa déconfessionnalisation.

46Ces nombreuses charges intra ou extra-académiques peuvent expliquer que, lorsqu’il part à la retraite, il n’a pas derrière lui une œuvre. Mais c’est bien dès les années 1970 qu’il accumule une documentation scientifique et nourrit une réflexion sur les figures mystiques, qui feront l’objet de ses derniers et certainement plus intéressants travaux. Dans sa recension de l’ouvrage de Maître sur Thérèse de Lisieux paru en 1995, Claude Langlois cite un article de 1981 [62] et y voit ainsi un intérêt ancien [63]. Avec plus d’emphase, Michèle Bertrand, qui fréquenta Jacques Maître au GSR dans les années 1980 puis à l’unité 158 de l’Inserm auxquels elle appartint comme lui, parle de la révélation d’un « trésor caché » :

47

On peut se demander si la floraison soudaine de ses ouvrages sur les mystiques n’avait pas finalement quelque chose d’un trésor caché. Des analyses aussi érudites, aussi pensées et maîtrisées ne pouvaient pas arriver toutes ensemble sans un long parcours préalable d’accumulation et de réflexion. Or avant ces publications, Jacques s’était fait connaître comme un sociologue quantitativiste puis comme grand animateur des politiques de recherche. Il cachait bien son jeu [64].

La sociologie médicale

48La décennie 1970 marque un tournant pour le GSR. Comme celle d’autres membres (Isambert en particulier qui part vers l’éthique) et à peu près au même moment, la trajectoire de recherche de Jacques Maître le conduit à un certain dépassement de l’objet religieux, qu’il ne délaisse cependant jamais complètement et qu’il réinvestira une petite vingtaine d’années plus tard en se saisissant de la mystique. Dans son rapport d’activité de 1976, Maître écrit ainsi : « Sans abandonner mes travaux concernant la religion, j’ai commencé à animer des recherches en sociologie médicale. » Il se trouve mis à disposition de l’Inserm, où il intègre l’unité 158 « Savoirs et pratiques dans le champ médical : histoire, sociologie, psychanalyse ».

49Le fait que son épouse, Odile, soit médecin n’est certainement pas sans lien avec l’intérêt de Maître pour la sociologie de la santé. Comme Viviane Isambert-Jamati, Odile Maître mène une carrière indépendante de celle de son mari. Bachelière à l’âge de 16 ans, elle s’engage en 1941 dans des études de médecine, sans bénéficier d’un soutien particulier de ses parents qui se seraient « parfaitement satisfaits de la voir institutrice à La Roche-Posay ». Elle s’inscrit à la faculté de médecine de Strasbourg, repliée en zone libre à Poitiers, et se trouve directement plongée dans l’univers hospitalier. Très tôt, elle fait fonction d’interne. À la Libération, elle poursuit ses études à Paris, en pédiatrie, avec le professeur Robert Debré. Elle exerce à la clinique des Bleuets, à l’hôpital Necker et en libérale. Autonomes, les itinéraires professionnels d’Odile et de Jacques sont cependant aussi étonnamment intriqués. Alors qu’Odile est pédiatre, Jacques porte un intérêt particulier aux enfants. Il étudie notamment les enfants de petite taille (comme l’était son père) et l’on peut considérer que c’est l’enfant qui chez Thérèse de Lisieux (ce « bébé qui est à la mort ») retient tout particulièrement son attention. C’est d’ailleurs « aux Enfants malades » comme on le disait à l’époque, c’est-à-dire à l’hôpital Necker, qu’il a son bureau. Un drame personnel s’ajoute aux intérêts professionnels : le décès en 1956 de leur troisième enfant, Sophie, qui avait été opérée d’une tumeur cérébrale et succombe dans ce même établissement alors qu’elle n’est âgée que de deux ans.

50En 1976, Maître organise avec Claudine Herzlich, François Steudeler et Jean-Claude Guyot le colloque qui marque la naissance officielle de la sociologie médicale en France [65]. Claudine Herzlich souligne le rôle majeur qu’a tenu Maître dans le processus :

51

La tenue du colloque […] doit beaucoup à Jacques Maître qui avait dirigé la RCP [recherche coopérative sur programme] Médecine et société en lien avec Pierre Royer et l’unité Inserm de Ginette Raimbault. Dans le milieu des sciences humaines et sociales, en outre, Jacques Maître était beaucoup plus central et plus connu que moi, car il avait été président de la commission de sociologie du CNRS et membre de son conseil scientifique. Il a été très influent pour obtenir la reconnaissance et le financement par le CNRS [66].

52À l’occasion du colloque de l’AFSR « Gestions religieuses de la santé, de la maladie, de la guérison », qu’il organise avec Françoise Lautman en 1993, Maître fait dialoguer sociologie des religions et sociologie de la santé [67].

53

Odile Maître

Figure 2

Odile Maître

Portrait d'Odile Maître
Fonds Maître, Archives nationales

La psychanalyse socio-historique de figures mystiques

54Le décès en 1956 de la petite Sophie [68] puis celui de son oncle Émile en 1958 ainsi que le mouvement de Mai 68 éloignent Jacques Maître de la religion et le conduisent à entamer à l’automne 1968 une psychanalyse qui s’étendra sur une décennie, mais sur laquelle il est peu disert dans le monde académique. Il évoque seulement à ce propos sa proximité avec Ginette Raimbault (médecin et psychanalyste, spécialiste des enfants malades), et son souci de la clinique, tous deux appartenant à la même unité de l’Inserm [69].

55La mystique se présente au xixe siècle, moment qui retient l’attention de Maître, comme un objet hybride : religieux mais aussi politique et médical. Maître y trouve donc l’occasion de croiser de nouveau sociologie des religions et sociologie de la santé, les deux grands champs de la discipline dans laquelle il s’est investi au cours de sa carrière au CNRS. La perspective originale qu’il déploie est aussi interdisciplinaire : tout à la fois psychanalytique, sociologique et historique.

56À l’approche de ses 70 ans, Jacques Maître paraît saisi « d’une fièvre d’écriture », alors qu’il avait la réputation de ne pas parvenir à écrire, comme s’il avait « véritablement trouvé ses marques, son style de travail et son domaine propre [70] ». Au milieu des années 1990, quatre ouvrages analysant les itinéraires de trois femmes mystiques et celui d’un aspirant déçu au sacerdoce autour de 1900, paraissent ainsi à intervalle resserré : son livre sur Une inconnue célèbre, Pauline Lair Lamotte, la Madeleine de Paul Janet [71]; Les stigmates de l’hystérique ou la peau de son évêque autour de Laurentine Billoquet [72]; puis L’autobiographie d’un paranoïaque, sur l’Abbé Berry [73]; et surtout L’orpheline de la Berezina sur Thérèse de Lisieux [74], figure à laquelle il était personnellement le plus attaché selon Michèle Bertrand. Cette dernière résume ainsi l’originalité de l’approche de Maître, tout en soulignant les liens entretenus avec sa propre expérience, celle de la séparation d’avec sa mère alors qu’il n’est qu’un jeune enfant, et rationalisant ainsi le processus de sublimation au principe selon elle de ce parcours :

57

Ce qui est remarquable dans ses travaux, c’est l’association explicite entre deux régimes de savoir, la psychanalyse et la sociologie, sans que l’un empiète sur l’autre comme il arrive parfois trop souvent. Grâce à sa connaissance sociologique et historique, Jacques désenclavait l’approche psychologique de Pauline rendue célèbre par Janet en montrant notamment que son ascèse de dépouillement et de don total de soi s’inscrivait dans la mystique franciscaine. L’approche psychanalytique apparaît plus nettement avec l’étude sur Thérèse. Et ce d’autant que Jacques a travaillé sur les versions non expurgées de son journal, la Thérèse non hagiographique. Il montre ainsi comment cette mystique entre en rapport avec les premiers temps de sa vie, à savoir qu’elle a été une enfant très tôt privée de sa mère et ensuite de sa nourrice, et enfin de sa sœur ainée très tôt entrée au Carmel, autant de blessures laissant des traces psychiques. Donc une étude psychanalytiquement assurée, non littéraire pour ainsi dire. Et je dirais que Jacques s’avance de façon très prudente sur le terrain psychanalytique et qu’en outre, non seulement il a une connaissance des théories psychanalytiques mais aussi il a fait lui-même une expérience analytique. Donc sa connaissance se présente de l’intérieur. Lorsqu’on a fait une expérience analytique, on reconnaît dans le discours des autres quelque chose qu’on a vécu soi-même et on délaisse un peu les étiquettes théoriques. L’expérience de la détresse d’abandon qu’a également vécu Jacques, petit enfant très tôt séparé de sa mère, a joué dans la sublimation savante qu’il a opéré à travers Thérèse qui elle-même sublimait avec l’écriture. La transformation de Jésus en mère du bébé en souffrance est au cœur de ce travail. L’opposition insistante entre l’immensité de l’amour divin et la petitesse du petit enfant procède de ce schéma thérésien d’idéalisation. Il y a donc un écho d’une expérience personnelle dans le livre sur Thérèse [75].

58

Jacques Maître

Figure 3

Jacques Maître

Années 1980
Fonds Maître, Archives nationales

59Dans la première monographie, Maître s’intéresse à Pauline Lair (1853-1918) rendue célèbre sous le pseudonyme de Madeleine Lebouc par les travaux de Pierre Janet, psychologue et psychiatre, dont elle a été la patiente à La Salpêtrière. Il s’attache à reconstituer son itinéraire, par-delà un dossier hospitalier bien maigre, et à le contextualiser tant d’un point de vue politique (l’écrasement de la Commune) que religieux (les formes de piété alors promues par les franciscains et les capucins). Il montre ainsi comment sa volonté de vivre parmi les pauvres et les marginaux à Montmartre, alors qu’elle est issue d’une famille bourgeoise, est perçue comme une subversion tant de l’ordre public que de l’ordre catholique :

60

Qu’il s’agisse de sa vocation à la pauvreté prolétarienne, des soins aux cancéreuses, de l’effort pour obtenir que soit proclamée l’Assomption de la Vierge, des stigmates de la Passion, et des autres traits de sa spiritualité, Pauline se révèle bien de son temps, mais poussant la mise en œuvre de ses principes jusqu’à une rigueur subversive [76].

61Le « caractère sauvage de son itinéraire mystique » va faire l’objet d’une « domestication [77] », c’est-à-dire d’un contrôle social exercé de son vivant par la justice (elle est jugée et incarcérée pour vagabondage et prostitution) et par la médecine (elle est considérée comme hystérique), puis après sa mort par des théologiens qui entendent faire sortir son cas de la catégorie des mystiques : « Une connivence tacite s’établit entre psychiatres et théologiens qui veulent réduire le discours de Pauline à des “formes inférieures de l’activité humaine” [78]. »

62La seconde monographie porte sur Laurentine Billoquet (1862-1936). Les manifestations mystiques de cette jeune normande, étudiées tant par le clergé que par les médecins dans les années 1880, relèvent de « performances théâtrales : anorexie totale, stigmates, extases, visions, voyances et prophéties [79]. ». Elles sont disqualifiées par l’intervention d’un psychiatre qui dénonce une imposture. La hiérarchie ecclésiastique locale (l’archevêque de Rouen et l’évêque de Bayeux), d’abord fascinée, finit par s’inquiéter de la capacité critique de la prétendue mystique. Laurentine devient, ensuite, « l’égérie spirituelle [80] » secrète de l’archiprêtre de la cathédrale de Dijon qui mène une cabale contre son évêque, Mgr Le Nordez, connu pour son loyalisme à l’égard du régime républicain. Rome pousse ce dernier à la démission, ce qui a pour conséquence la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège en 1904, rupture qui précède d’un an la loi sur la séparation des Églises et de l’État.

63Eugène Berry (1878-1920) se distingue des trois autres figures, non seulement parce qu’il s’agit d’un homme mais aussi parce qu’il ne relève pas de la catégorie mystique. Contrairement à Pauline et Laurentine, son cas n’a pas fait l’objet d’une expertise psychiatrique, « bien que des jugements ecclésiastiques aient explicitement parlé de pathologie mentale (mythomanie, etc.) [81] ». Séminariste évincé du diocèse de Dijon (du fait de son absentéisme, de son insubordination et de son homosexualité présumée), Berry prétend avoir été ordonné clandestinement par Mgr Le Nordez. Il confie à André Billy (1882-1971), son autobiographie sacerdotale imaginaire, « un récit spectaculairement persécutif et mégalomane, où les symptômes d’une structure psychique paranoïaque se donnent libre cours [82] ». Le récit se trouve publié en 1939 avec pour titre Introïbo. Maître y voit l’occasion de saisir l’idéologie, produite tout à la fois par une inculcation institutionnelle par le groupe et par un investissement subjectif de la personne, qui engendre la « sacerdotalité » : néologisme par lequel se trouvent désignées « les manière d’être (de faire, de penser, de sentir) qui façonnent le prêtre dans des conditions sociohistoriques données », qui inclut « l’adhésion à la “vocation” comme cheminement vers la prêtrise et comme sacralisation de ce cheminement [83] ». Dans une filiation bourdieusienne revendiquée et rejoignant ici aussi Charles Suaud, filiation que l’on retrouve également dans les travaux de Jacques Lagroye [84], Maître insiste sur le fait que la vocation est « l’objet d’une croyance qui lui confère sa force de légitimation » et qu’elle se distingue ainsi de la notion de « recrutement du clergé [85] ». Les analyses démographiques du clergé produisent des résultats « destructeurs par les conséquences catastrophiques qu’ils laissent prévoir pour les stratégies ecclésiastiques actuelles et négateurs du rôle quasi-miraculeux attribué à l’action divine par la théologie de la vocation [86] ». Le cas limite d’Eugène Berry, dont la vocation à la fois « typique et incomplète [87] », révèle les opérations de sélection, de formation et de professionnalisation à l’œuvre dans la production de candidats au sacerdoce.

64La dernière monographie est celle de Thérèse Martin (1873-1897), plus connue comme Thérèse de Lisieux. Il s’agit pour Maître de saisir à travers les textes qu’elle a laissés « l’écho de la problématique inconsciente qui s’est nouée au cours de sa petite enfance [88] », la perte de sa mère à l’âge de quatre ans. C’est ainsi que se comprend le titre un peu énigmatique, L’orpheline de la Bérésina, expression utilisée par Thérèse pour signer les lettres adressées à son père qui désigne un personnage de roman qui se croit à tort orpheline mais finit par retrouver sa mère. La particularité de cette monographie est de reposer, contrairement aux trois autres, sur « le foisonnement des hagiographies, des gloses théologiques et des éditions critiques de documents [89] ». À l’exception de la troisième, ces monographies traitent de l’expérience mystique catholique au tournant du xixe siècle mais dont Maître souligne l’actualité :

65

Dans l’esprit de notre temps, le rebond de la vie religieuse passe souvent par l’accent mis sur la subjectivité individuelle, la chaleur du groupe restreint, la communauté émotionnelle, le sentiment océanique, l’expression corporelle, la reconnaissance positive de la féminité ; bref, la dimension expérientielle de la religion et la tonalité mystique qui s’y épanouit [90].

66Malgré d’évidentes différences (deux carrières religieuses « authentiques » et deux usurpées, des trajectoires qui nourrissent une notoriété très inégale), les quatre ouvrages forment un tout, une tétralogie, non seulement parce qu’ils partagent le même objet mais aussi parce qu’ils sont « d’inspiration similaire et de facture semblable [91] ». Ils sont d’ailleurs marqués par une forte intertextualité.

67Point commun formel, les quatre livres font l’objet d’une préface. Émile Poulat, autre membre fondateur du GSR, est chargé de celle du premier ouvrage ; Georges Lantéri-Laura de la seconde ; Pierre Bourdieu dialogue avec Maître dans l’avant-propos du livre de 1994 ; Ginette Raimbault et Michèle Bertrand offrent une préface à deux voix à celui de 1995. Ces préfaciers et préfacières semblent convoqués pour adouber une démarche singulière mais aussi risquée comme le sont les entreprises interdisciplinaires, en les marquant du sceau des disciplines qu’ils représentent : la sociologie, l’histoire, la psychiatrie et la psychanalyse. Leur choix et la sollicitation dont ils ont fait l’objet peuvent certainement être interprétés comme répondant chez Maître à une quête de reconnaissance intellectuelle, non satisfaite pendant sa période d’activité au CNRS.

68Le matériau, plus ou moins abondant, plus ou moins passé au filtre des autorités ecclésiastiques et médicales de son temps, est de même nature : journal intime, voire autobiographie, lettres, photographies, etc. Il dépasse largement, le cas échéant, le dossier médical de ces femmes, la psychiatrie intervenant dans l’itinéraire et la qualification des manifestations extraordinaires dont elles considèrent être l’objet (l’hystérie). Ce matériau est analysé selon la même méthode, sur laquelle Maître revient en 1997, dans un cinquième ouvrage qui parachève en quelque sorte la tétralogie : Mystique et féminité. Essai de psychanalyse sociohistorique[92]. Par le recours à la sociohistoire et à la psychanalyse, il s’agit comme il l’explicite de « saisir ensemble deux dimensions essentielles de faits qui mettent en jeu aussi bien une filière historique, des processus sociaux et le vécu subjectif de telle ou telle personne [93] ».

69Par-delà l’hétérogénéité des quatre itinéraires, il y a chez Maître un projet commun qui, comme l’écrit Claude Langlois, vise à « dire, en réunissant la singularité de l’enquête historique à l’attention aux écrits autobiographiques, ce qui a été ce mal-être que chacun d’eux a exprimé en ayant recours au registre religieux, identique et dissemblable, que leur proposait le catholicisme [94] ». Dans l’ouvrage qu’il consacre à Thérèse, Maître formule très précisément son dessein, qui vaut tout autant pour les trois autres livres :

70

Faire jouer l’articulation entre les deux plans : d’un côté, Thérèse investit son « économie psychique » dans certaines institutions, représentations et valeurs que lui propose le champ religieux ; de l’autre, ses désirs, ses angoisses, ses fantasmes ne manquent pas de se trouver modelés par sa socialisation religieuse qui leur fournit des figurations et un langage tenus pour légitimes [95].

71Bourdieu ne s’y trompe pas, lorsqu’il voit dans cette rencontre entre pulsions et institution et dans les subversions qui en résultent l’objet de prédilection du projet interdisciplinaire de Maître. Les cas « extraordinaires » qu’étudie Maître permettent de saisir, car elle s’y présente comme grossie, « la dialectique très générale des pulsions et des institutions, de l’investissement dans l’institution et de l’investissement par l’institution, de l’imposition et de l’adhésion, etc. [96] » à l’œuvre dans des expressions beaucoup plus ordinaires du rapport aux institutions :

72

On voit comment les agents peuvent satisfaire leurs intérêts et leurs désirs individuels, liés à leur histoire familiale, en détournant à leur profit des possibilités inscrites dans l’institution, notamment à travers ce qu’elle inculque par les rites d’institution, peut se servir des passions et des pulsions qu’elle canalise. Et on voit aussi comment il y a place pour la subversion, la transformation des structures : par exemple tel agent peut se servir du message idéal de l’institution contre l’institution réelle (en prêchant le retour aux sources, à la pureté originelle, etc.), il peut exploiter des possibilités laissées inutilisées par d’autres dispositions (c’est le cas de Pauline Lair Lamotte qui, en prenant pour elle, bourgeoise, un discours destiné aux pauvres, en subvertit tout le sens). C’est ce double travail du désir sur les institutions et des institutions sur le désir, que devrait prendre pour objet une socioanalyse dépassant réellement l’opposition entre la psychanalyse et la sociologie [97].

73Les dernières recherches de Jacques Maître portent sur l’anorexie mentale [98] et les automutilations adolescentes ainsi que les formes de virtuosité mystique « hors-piste [99] ». Il trouve dans l’anorexie un objet à propos duquel se rencontrent histoire de la spiritualité et histoire de la médecine. Il décrit un processus historique de médicalisation de l’anorexie, appréhendée désormais d’abord comme maladie mentale, au détriment de la valorisation religieuse d’une expérience perçue comme mystique [100].

74

Bouquet éditorial

Figure 4

Bouquet éditorial

Années 1990
Fonds Maître, Archives nationales

Des « terrains qui sentent un peu le souffre »

75Qu’il s’agisse de l’expérience mystique ou encore de la vocation sacerdotale, qu’il ressaisit dans les années 1990 après ses premiers travaux réalisés trente ans plus tôt, Jacques Maître effectue un changement profond dans la façon d’appréhender son objet de recherche. Il l’évoque ainsi dans son autoanalyse de 2005 : « Quittant la mise à distance impliquée par le formalisme logicomathématique, je prenais directement comme objet la composante émotionnelle du vécu religieux [101]. » C’est en 1994, à l’occasion de son avant-propos dialogué avec Bourdieu, qu’il avance, pour la première fois, des éléments réflexifs sur ce retournement. Le texte, qui passa un temps inaperçu, connaît depuis quelques années une indéniable postérité. Volontiers cité par la jeune génération de politistes bourdieusiens qui s’intéressent à la religion [102], l’avant-propos se voit consacré par quelques pages fort intéressantes de Jean-Louis Fabiani. Bourdieu s’y révèle sous un jour inattendu.

76Sur la question du rapport à l’objet religion en sociologie, on retient en général de Bourdieu son article de 1987, « Sociologues de la croyance et croyances des sociologues » [103]. L’article a pour origine une communication faite par Bourdieu en 1982 dans le cadre de l’AFSR, communication à laquelle a assisté Jacques Maître. Le propos est abrupt. Bourdieu affirme que la « sociologie scientifique du champ religieux » est une « entreprise très difficile ; non pas que le champ religieux soit plus difficile à analyser qu’un autre […] mais parce que, quand on en est, on participe de la croyance inhérente à l’appartenance à un champ quel qu’il soit (religieux, universitaire, etc.) et que, quand on n’en est pas, on risque premièrement d’omettre d’inscrire la croyance dans le modèle […], deuxièmement d’être privé d’une partie de l’information utile [104] ». Si l’appartenance constitue pour Bourdieu un obstacle à l’objectivation, une affiliation confessionnelle passée ne constitue pas une position meilleure : « Les investissements dans le champ religieux peuvent survivre à la perte de la foi ou même à la rupture plus ou moins déclarée avec l’Église. C’est le paradigme du défroqué qui a des comptes à régler avec l’institution [105]. » Le principal risque serait celui du double jeu, à la fois scientifique et ecclésial : « Le danger est grand de produire une sorte de science édifiante, vouée à servir de fondement à une religiosité savante, permettant de cumuler les profits de la lucidité scientifique et les profits de la fidélité religieuse [106]. » Ainsi, Bourdieu « visait [certainement] moins là l’éventuelle foi personnelle du sociologue, ou son appartenance de fait à quelque culture religieuse, que le réinvestissement académique de cette parenté [107] ». Le propos s’adresse à la génération des fondateurs du GSR qui se trouvent dans l’assistance, dont plusieurs avaient été prêtres, religieux ou séminaristes, et concerne donc d’abord l’appartenance au catholicisme. Dans l'avant-propos dialogué, les échanges que Bourdieu a avec Maître une dizaine d’années plus tard sont de nature très différente :

77

Tes travaux ont produit sur moi un choc, sans doute parce qu’ils étaient préparés par une réflexion critique sur ces limites implicites, inconscientes, associées à la profession : tu es quelqu’un qui s’est aventuré sur des terrains qui sentent un peu le soufre, paradoxalement, du point de vue de cette neutralité de laïcs un peu scientistes [108].

78On peut faire l’hypothèse que Bourdieu souhaite ici revenir sur, voire « réparer [109] », l’incident de 1982. Dans cette perspective, Erwan Dianteill parle, dans l’article qu’il consacre aux rapports entre Bourdieu et la religion, de « repentir [110] ». Si Bourdieu choisit à cet effet Maître comme interlocuteur, ce n’est pas un hasard. Maître est parmi les membres fondateurs du GSR celui qui apparaît comme le plus compatible avec Bourdieu. En outre, c’est un sociologue qui ne cache pas qu’il a perdu définitivement la foi. Isambert, proche collègue de Bourdieu qui l’a édité, aurait aussi pu fournir l’occasion d’un dialogue public avec la sociologie des religions mais l’occasion ne s’est pas présentée et le rapport entre les deux universitaires s’est sur le tard distendu, notamment, selon Isambert, autour des questions de traduction de Max Weber [111]. Dans l’avant-propos, Maître parle quant à lui d’« un retournement radical » par rapport au début de sa carrière où il dit avoir tout fait pour mettre l’objet à distance :

79

Je ne crois pas que beaucoup d’autres soient allés plus loin dans le refus de prendre vraiment l’objet religieux en considération, dans la volonté de l’aseptiser à ce point, de le mettre à distance ; à la fin, le retournement a été très radical parce qu’un jour je n’ai plus eu peur d’y aller [112].

80Cette mise à distance du religieux dans la première phase de son parcours a conduit selon Maître lui-même à sa mutilation :

81

À la réflexion, je me suis rendu compte que je mutilais mon approche du catholicisme en me bornant à cet aspect formel et mathématisé. J’avais perdu en route la richesse que pouvait constituer, pour ma vie personnelle aussi bien que pour mes recherches, cette familiarité avec, par exemple, l’émotion liturgique [113].

82Presque vingt ans plus tard, Anne Gotman pose le même diagnostic : « On a reproché à la sociologie des religions une incestueuse proximité avec son objet. On pourrait aussi lui faire une critique inverse, de traiter son objet comme le ferait un entomologiste observant le comportement des fourmis [114]. » Une forme d’« embarras laïque académique [115] » conduit encore en effet les sociologues des religions eux-mêmes à assez largement éviter certains objets (certaines croyances, la théologie, les pratiques mystiques) ou certaines dimensions des faits étudiés (la dimension expérientielle, sensible, émotionnelle de la pratique religieuse notamment). Maître va cependant plus loin. Non seulement il s’est saisi dans ses derniers travaux de ces sujets qui « sentent le souffre », mais il met ici en avant la « richesse » que représente sa familiarité personnelle par rapport à l’émotion liturgique et brise ainsi un autre tabou académique. C’est l’un des principaux sujets de l'avant-propos dialogué avec Bourdieu, sujet qui vaut à Bourdieu les propos suivants, bien éloignés de ceux qu’il avait pu tenir quelques années auparavant :

83

Cette période, de Renan à la guerre de 1914, a été dominée par la constitution de la science sociale contre la religion, et […], dans l’inconscient de notre discipline, il y a cette négation, ce refus originel. J’ai eu à découvrir dans ma propre tête toutes les mutilations que j’avais héritées d’une tradition laïque, renforcée par les présupposés implicites de ma science. […] Tout ce qui est de l’ordre des objets traditionnels de la religion et de la métaphysique, on se sent tenu – par une adhésion implicite qui est liée à l’entrée dans la profession – de le mettre entre parenthèses. Il y a une espèce de refoulement qui est tacitement exigé du professionnel. […] Ce que je trouve remarquable dans ton travail, c’est que tu vas, si je puis dire, en pays de mission, tu te risques toujours plus loin dans les endroits les plus « dangereux » pour la sociologie, des endroits où, ordinairement, […] on ne s’aventure pas. Il y a une bonne conscience scientiste que ton travail met en question.

84Lorsque Bourdieu évoque « les présupposés implicites de [sa] science » et « une bonne conscience scientiste », c’est aussi de lui qu'il parle, en reprenant la perspective que lui avait opposée Michel de Certeau lors du colloque de l’AFSR. Ce dernier avait en effet alors invité Bourdieu à réfléchir à « la religion de la science ».

85Jean-Louis Fabiani va plus loin dans l’interprétation des échanges entre Bourdieu et Maître. Selon lui, l’avant-propos dialogué donne l’occasion aux deux sociologues alors septuagénaires d’évoquer leur trajectoire scientifique et en particulier l’infléchissement récent de leurs positionnements respectifs, celle d’une rupture avec une forme de positivisme. Il paraît peu de temps après La misère du monde[116], qui donne à voir un changement chez Bourdieu tant dans le mode d’enquête que dans la forme de sa restitution :

86

Pense à ce que j’ai fait dans La misère du monde ! Dire que l’entretien est un exercice spirituel, ça m’a coûté. J’ai toujours pensé ça, toujours ressenti ça. Mais il y a une espèce de refoulement positiviste : un questionnaire doit être rigoureux, objectif, la neutralité, pas d’investissement. Tu as dû connaître toi aussi cette sorte de masochisme, identifié à la vertu professionnelle. Il a fallu que j’arrive à mon âge, et que j’aie un peu plus de culot social pour être capable de faire cette transgression [117].

87Les deux textes participent de ce que Jean-Louis Fabiani appelle « une libération », la « transgression » qu’évoque Bourdieu témoignant selon lui moins d’une rupture que d’une continuité : « Le moyen de faire enfin ce qu’il avait voulu faire dès le début, mais que le surmoi positiviste des sociologues l’avait empêché de faire [118]. » Quoi qu’il en soit de l’interprétation à donner à l’avant-propos dialogué, en traitant de l’expérience religieuse et de l’émotion liturgique, dont lui-même a été familier, Maître fait œuvre de pionnier dans la sociologie française des religions [119].

Conclusion

88L’itinéraire de Jacques Maître et ceux de plusieurs des fondateurs du GSR donnent à voir des liens, tant institutionnels qu’intellectuels, existant entre la sociologie des religions et le reste de la discipline, ce qui va à l’encontre de l’image d’un paysage académique compartimenté au sein duquel la sociologie des religions serait enclavée. Ainsi, lorsque Gabriel Le Bras donne naissance en 1931 à la sociologie du catholicisme en lançant sa grande enquête sur la pratique religieuse, il le fait avec les encouragements des durkheimiens Marcel Mauss et Célestin Bouglé. La parution des deux premiers volumes de l’Introduction à l’histoire de la pratique religieuse en France (Puf, 1942 et 1945) a pour effet d’introduire Gabriel Le Bras dans le cercle de Raymond Aron, Georges Gurvitch, Georges Friedmann et Jean Stoetzel, les quelques figures qui portent ce qui reste de la sociologie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

89Maître, pour sa part, appartient à la génération suivante, celle des refondateurs de la discipline. Ses débuts comme sociologue sont assez exemplaires de ce que devient la sociologie en France dans les années 1950-1960 : autonomisation par rapport à la philosophie, redéploiement à partir du CES, centralité des outils statistiques, proximité des chercheurs avec le marxisme. La suite de son parcours témoigne de la vitalité de la discipline dont l’assise institutionnelle se renforce, au CNRS notamment, où Maître prend en charge des responsabilités importantes, et où s’ouvrent des champs nouveaux, comme celui de la santé dans lequel il s’investit également. Enfin, le dernier temps de la carrière de Maître témoigne d’une émancipation par rapport au positivisme, que Bourdieu aurait partagée selon Jean-Louis Fabiani. En dépit de l’indéniable originalité que constituent son œuvre tardive et son entreprise interdisciplinaire de dialogue avec la psychanalyse, l’itinéraire de Jacques Maître me semble constituer, au-delà du seul GSR, une entrée intéressante pour faire l’histoire de cinquante années de la discipline. À son propos, on peut parler de « carrière », au sens où la sociologie interactionniste (Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss, Everett Hughes) donne à ce terme. Comme dans tout parcours, les aléas fourmillent et jouent sur les bifurcations en mobilisant des échelles collectives et individuelles variables et imbriquées.

90De cette histoire ressort bien un dialogue entre la sociologie des religions et le reste de la discipline, dont la carrière de Jacques Maître est exemplaire. Il n’en demeure pas moins que la légitimité de l’objet, que les fondateurs du GSR entendaient faire admettre [120], reste encore aujourd’hui souvent à prouver [121].

Notes

  • [1]
    Sous le patronage de l’EHESS, de l’EPHE, du GSRL, du CEIFR, ainsi que des Archives de sciences sociales des religions. Sont intervenus Danièle Hervieu-Léger, en introduction de la rencontre ; Patrice Bourdelais, Pierre-Cyrille Hautcœur et Denis Pelletier au titre des tutelles ; Patrice Jorland de l’Association d’amitié Franco-Vietnamienne ; Émile Poulat ; Constant Hamès ; Guy Michelat ; Michèle Bertrand ; Céline Béraud ; Odile, Élisabeth et François Maître. A également été lu par Claire d’Elbée (Maître) un message de Nguyên Thį Bình, vice-présidente de la République socialiste du Vietnam de 1992 à 2002.
  • [2]
    Les analyses que Jacques Maître développe à propos de la mobilisation catholique contre le Pacs (avec Michelat à l’occasion du colloque de l'Association française de sciences sociales des religions de février 2002 sur religion et sexualité) se révèlent éclairantes pour l’épisode du mariage pour tous. Voir Jacques Maître, Guy Michelat (eds), Religion et sexualité, Paris, L’Harmattan, coll. « Religion et sciences humaines », 2003. Plus largement, ce sont les relations entre genre et catholicisme que Maître travaille en pionnier.
  • [3]
    Entretien avec Odile Maître, réalisé par Céline Béraud et Pierre Lassave, le 16 mars 2017.
  • [4]
    Claude Langlois, « La Thérèse de Maître. À propos de Jacques Maître, L’Orpheline de la Bérésina. Thérèse de Lisieux (1873-1897). Essai de psychanalyse socio-historique, Paris, Éditions du Cerf, 1995 », Archives de sciences sociales des religions, 96, 1996, p. 41-50, ici p. 50.
  • [5]
    Roger-Pol Droit, « L’itinéraire de Jacques Maître », Le Monde, 16 décembre 1995.En ligne
  • [6]
    J. Maître, L’autobiographie d’un paranoïaque : l’abbé Berry (1878-1947), et le roman de Billy, Introïbo, avant-propos dialogué avec Pierre Bourdieu, coll. « Psychanalyse », 1994.
  • [7]
    Conformément à la volonté de Jacques Maître qui souhaitait que ses documents soient accessibles, sa famille représentée par sa fille Élisabeth a fait don à l’EHESS de ses dossiers et sa bibliothèque scientifique, qui étaient conservés à son domicile parisien du boulevard du Temple et dans sa maison de La Roche-Posay. Le fonds Jacques Maître, dont un premier inventaire a été réalisé par Isabelle Weiland, a été déposé le 14 décembre 2015 aux Archives nationales.
  • [8]
    Claudine Herzlich, entretiens avec Jean-François Picard et Suzy Mouchet (20 novembre 2000 et 1er février 2006) : http://www.histcnrs.fr/histrecmedcopie/entretiens/herzlich/herzlich.html (consulté le 28 novembre 2019) ; « Extraits inédits d’entretien de Jacques Maître pour le documentaire Les Archives », Archives de sciences sociales des religions, http://journals.openedition.org/assr/25322 (consulté le 28 novembre 2019) (entretien réalisé par Stéphane Eloy et Nathalie Luca en 2007 ; je remercie Stéphane Eloy de m’avoir transmis l’ensemble de l’entretien filmé) ; J. Maître, entretien avec Bernard Doray, http://www.aafv.org/odile-maitre-son-epouse-francois (consulté le 9 octobre 2017) ; Yann Potin, « Le passeur et la barrière. Gabriel Le Bras, le Groupe de sociologie des religions et la mémoire de Durkheim. Entretien avec Jacques Maître », Archives de sciences sociales des religions, 159, 2012, p. 113-133 (entretien réalisé le 27 mars 2012 dont je remercie Y. Potin de m’avoir transmis l’intégralité de la retranscription) ; Michèle Bertrand, entretien avec P. Lassave (15 février 2017) ; Odile Maître, entretien avec C. Béraud et P. Lassave, doc. cité.
  • [9]
    J. Maître, « Au fil des décennies, l’objet, la problématique et le chercheur ne cessent pas de muter », Paris, colloque AFSR « Le sacré hors religion », février 2005.
  • [10]
    Id., « Ruminations d’un dinosaure », Archives de sciences sociales des religions, 136, 2006, p. 63-65.
  • [11]
    Jean-Louis Fabiani voit dans la conversion de jeunes philosophes aux sciences sociales « un véritable trait culturel dans l’histoire intellectuelle française depuis qu’Alfred Espinas, agrégé de philosophie et prédécesseur de Durkheim à Bordeaux, a consacré sa thèse aux sociétés animales en 1878, jusqu’à Philippe Descola et Pierre-Michel Menger en passant par Durkheim et Lévi-Strauss, les plus illustres d’entre eux, mais aussi Marcel Mauss, François Simiand, Raymond Aron, Jean-Claude Passeron et Raymond Boudon » (J.-L. Fabiani, Pierre Bourdieu. Un structuralisme héroïque, Paris, Seuil, p. 70). La formation dans une autre discipline, en particulier la philosophie où la sociologie constitue un certificat, est un passage obligé avant la création de la licence de sociologie en 1958.
  • [12]
    Les grands-parents paternels de Jacques Maître sont respectivement cordonnier et marchande de parapluie à Vivonnes. Leur fils cadet Maurice est reçu à Centrale en 1913, ce qui constitue une importante mobilité sociale ascendante. Émile, leur aîné né en 1880, est prêtre.
  • [13]
    J.-L. Fabiani, Pierre Bourdieu…, op. cit., p. 68.
  • [14]
    Maurice et Paulette Maître ne divorcent pas. Une séparation de biens a lieu en 1938.
  • [15]
    O. Maître, entretien avec C. Béraud et P. Lassave, doc. cité.
  • [16]
    Georges Davy (1883-1976) est alors professeur de sociologie à la Sorbonne. C’est un des derniers durkheimiens historiques. Il préside le jury de l’agrégation de philosophie jusqu’en 1956 et encadre, avec Gurvitch, les premières thèses de sociologie de l’après-guerre.
  • [17]
    Voir Jean-Christophe Marcel, « Georges Gurvitch, les raisons d’un succès », Cahiers internationaux de sociologie, 110, 2001, p. 97-119, ici p. 106.
  • [18]
    J. Maître, « Au fil des décennies, l’objet, la problématique et le chercheur ne cessent pas de muter », dans Françoise Champion, Sophie Nizard, Paul Zawadzki (eds), Le sacré hors religions, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 269-280, ici p. 271.
  • [19]
    Maurice Maître a été plusieurs fois blessé pendant la Grande guerre qu’il fait en tant qu’artilleur, le « plus petit capitaine de l’armée » nous dit Odile (en raison de sa petite taille). Après la guerre, il prend son premier poste comme ingénieur à Naples, sous les ordres d’un général polytechnicien dont il épouse l’une des quatre filles, Paulette. Le général meurt subitement alors que Jacques Maître n’a que quelques jours. La famille se disperse. Maurice Maître part en 1925, avec femme et enfants, pour Ankara où il travaille à la modernisation des infrastructures promue alors par Atatürk. Maurice, marqué et diminué par la guerre (estropié et à moitié sourd), et Paulette, élevée dans le luxe et l’insouciance, de dix ans plus jeune, forment un couple mal assorti, non investi dans l’éducation de leurs deux enfants. Commentant des photos, émue, Odile Maître, décrit une belle-mère négligente qui laisse les petits habillés très légèrement jouer dans le froid et la neige autour de la superbe maison qu’ils occupent à Ankara.
  • [20]
    « Transferts disciplinaires. Psychanalyse et sciences sociales. Table ronde avec Paul-Laurent Assoun, Marie-Claire Lavabre, Jacques Maître, Bernard Vernier, introduite par Dominique Memmi et Bernard Pudal », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 29, 1995, p. 186-221, ici p. 207.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Voir notamment J. Maître, « Catholicisme Français contemporain. Variété et limites de ses dénombrements », Archives de sociologie des religions, 2, 1956, p. 27-38 (Gabriel Le Bras, Émile Poulat, Émile-G. Léonard, Henri Desroche et Hélène Cassin contribuent également à ce numéro intitulé « Mesures des appartenances religieuses en France ») ; J. Maître, « Le dénombrement de catholiques pratiquants. Tableau des enquêtes. Diocèses de la France métropolitaine (au 30 mai 1957) », Archives de sociologie des religions, 3, 1957, p. 72-95 (l’article s’appuie tout particulièrement sur les données du chanoine Boulard et sur les inventaires réalisés par Gabriel Le Bras, François Isambert et Juliette Turlan).
  • [23]
    J. Maître, Les Prêtres ruraux devant la modernisation des campagnes, Paris, Éd. du Centurion, 1967.
  • [24]
    Julien Potel, Paul Huot-Pleuroux, Jacques Maître, Le clergé français. Évolution démographique, nouvelles structures de formation, images de l’opinion publique, Paris, Éd. du Centurion, 1967.
  • [25]
    J. Maître, « Le catholicisme d’extrême droite et la croisade anti-subversive », Revue française de sociologie, 2-2, 1961, p. 106-117.
  • [26]
    Id., « La presse catholique », dans René Rémond (ed.), Forces religieuses et attitudes politiques dans la France contemporaine, Paris, Armand Colin, coll. « Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques », 1965, p. 257-290.
  • [27]
    Guy Michelat, Julien Potel, Jacques Sutter, Jacques Maître, Les Français sont-ils encore catholiques ?, Paris, Éd. du Cerf, 1991.
  • [28]
    Avec Baptiste Coulmont, nous avions parlé de 1945 comme d’une année zéro de la sociologie française, la discipline n’ayant alors presque plus d’existence institutionnelle. Voir Céline Béraud, Baptiste Coulmont, Les courants contemporains de la sociologie, Paris, Puf, 2008, p. 19-28.
  • [29]
    Sur ce point voir notamment Patricia Vannier, « Les caractéristiques dominantes de la production du Centre d’Études Sociologiques (1946-1968) : entre perpétuation durkheimienne et affiliation marxiste », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2, 2000, p. 125-145 ; J.-C. Marcel, « Le déploiement de la recherche au Centre d’études sociologiques (1945-1960) », La revue pour l’histoire du CNRS, 13, 2005, http://journals.openedition.org/histoire-cnrs/1656 (consulté le 28 novembre 2019). 
  • [30]
    Notes dans ses archives personnelles.
  • [31]
    J. Maître, entretien avec N. Luca et S. Eloy, doc. cité.
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Voir « Sociologues catholiques », dossier coordonné par Olivier Chatelan, Denis Pelletier et Jean-Philippe Warren, Archives de sciences sociales des religions, 179, 2017.
  • [34]
    J. Maître, « Quelques problèmes méthodologiques en sociologie du catholicisme français », Social Compass, 1959, 6, 4-5, p. 135-141, repris dans Sociologia religiosa, 5-6, 1960
  • [35]
    Voir par exemple Henri Desroche, « D’une décennie à l’autre. De la sociographie de pratique religieuse à une pratique de la sociologie des religions », Archives de sociologie des religions, 20, 1965, p. 3-6.
  • [36]
    Y. Potin, « Le passeur et la barrière. Gabriel Le Bras, le Groupe de sociologie des religions et la mémoire de Durkheim. Entretien avec Jacques Maître », art. cité, p. 115.
  • [37]
    J. Maître, Mathématique sociale du baptême catholique en France. Analyse de données fournies par les registres, thèse de doctorat, université Paris V, 1967, p. 4.
  • [38]
    Ibid., p. 93.
  • [39]
    Y. Potin, « Le passeur et la barrière. Gabriel Le Bras, le Groupe de sociologie des religions et la mémoire de Durkheim. Entretien avec Jacques Maître », art. cité, p. 133.
  • [40]
    Mathématiques sociales qui se trouvent alors enseignées à la vie section de l’EPHE par Marc Barbut et son compère Georges-Théodule Guilbaud (1912-2008). Voir Michel Armatte, « Marc Barbut (1928-2011). Un mathématicien humaniste », Hermès, La Revue, 67-3, 2013, p. 244-246.
  • [41]
    Sur la place centrale des outils statistiques, voir notamment Olivier Martin, Patricia Vannier, « La sociologie française après 1945 : places et rôles des méthodes issues de la psychologie », Revue d’histoire des sciences humaines, 6, 2002, p. 95-122. 
  • [42]
    J. Maître, entretien avec Y. Potin, doc. cité.
  • [43]
    Voir Bruno Duriez, « La sociologie dans ou sur la religion ? Du Centre catholique de sociologie religieuse à l’Association française de sciences sociales des religions », dans Céline Béraud, Bruno Duriez, Béatrice de Gasquet (eds), Sociologues en quête de religion, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 27-40.
  • [44]
    André Mary, « Les Archives… Cinquante ans… après », Archives de sciences sociales des religions, 136, 2006, p. 9-24, ici p. 16.
  • [45]
    Voir Pierre Lassave, « Le Groupe de sociologie des religions (1954-1995). Éléments de parcours », dans C. Béraud, B. Duriez, B. de Gasquet (eds), Sociologues en quête…, op. cit., p. 15-25.
  • [46]
    J. Maître, entretien avec N. Luca et S. Eloy, doc. cité.
  • [47]
    J. Maître, entretien avec Y. Potin, doc. cité.
  • [48]
    Maître poursuit sa carrière au CNRS. Il devient directeur de recherche en 1976.
  • [49]
    J. Maître, entretien avec Y. Potin, doc. cité.
  • [50]
    J. Maître, « L’entrée de Jean Séguy dans le GSR », Archives de sciences sociales des religions, 141, 2008, p. 157-158.
  • [51]
    Émile Poulat, « Préface », dans J. Maître, Les stigmates de l’hystérique et la peau de son évêque : Laurentine Billoquet (1862-1936), préface de É. Poulat, Paris, Anthropos, 1993, p. v.
  • [52]
    J. Maître, entretien avec Y. Potin, doc. cité.
  • [53]
    R.-P. Droit, « L’itinéraire de Jacques Maître », art. cité.
  • [54]
    J. Maître, entretien avec Y. Potin, doc. cité.
  • [55]
    Jean-Pierre Vernant prend en 1942 la direction de l’organisation militaire de l’Armée secrète en Haute-Garonne, tout en continuant à enseigner à Toulouse. Voir J.-P. Vernant, De la Résistance à la Grèce ancienne, Paris, Éd. de l’EHESS, 2014.
  • [56]
    J. Maître, entretien avec N. Luca et S. Eloy, doc. cité.
  • [57]
    Voir B. Duriez, « Faire une autre gauche : des chrétiens en politique », dans Denis Pelletier, Jean-Louis Schelgel (eds), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, p. 153-175, ici p. 162-163. Dans le même ouvrage, voir également Frédéric Gugelot, « Intellectuels chrétiens entre marxisme et Évangile », p. 203-219.
  • [58]
    La Nouvelle critique, 78, 1974.
  • [59]
    J. Maître, entretien avec B. Doray, doc. cité.
  • [60]
    F. Gugelot, « Intellectuels chrétiens entre marxisme et Évangile », art. cité, p. 211.
  • [61]
    J. Maître (ed.), Việt Nam central : renaissance de la vallée d’A Lưoi après les bombes américaines et l’agent orange, 1961-2011, préface de Nguyên Thį Bình, Paris, L’Harmattan, 2013.
  • [62]
    J. Maître, « Idéologie religieuse, conversion religieuse et symbiose mère-enfant. Le cas de Thérèse Martin (1873-1897) », Archives de sciences sociales des religions, 51, 1981, p. 65-99.
  • [63]
    C. Langlois, « La Thérèse de Maître », art. cité, p. 41.
  • [64]
    M. Bertrand, entretien avec P. Lassave, doc. cité.
  • [65]
    On assiste très vite à un glissement sémantique, de la sociologie médicale à sociologie de la santé. Voir Danièle Carricaburu, Marie Ménoret, « Introduction », dans Sociologie de la santé. Institutions, professions et maladies, Paris, Armand Colin, 2004, p. 5-10.
  • [66]
    Entretiens de J. Maître avec C. Herzlich, doc. cité.
  • [67]
    Françoise Lautman, Jacques Maître (eds), Gestions religieuses de la santé, Paris, L’Harmattan, 1995.
  • [68]
    Claire, la quatrième enfant de Jacques et Odile, naît en 1957.
  • [69]
    « Transferts disciplinaires. Psychanalyse et sciences sociales », art. cité, p. 193.
  • [70]
    R.-P. Droit, « L’itinéraire de Jacques Maître », art. cité.
  • [71]
    J. Maître, Une inconnue célèbre : Madeleine Lebouc (Pauline Lair Lamotte) (1863-1918), préface de Georges Lantéri-Laura, Paris, Anthropos, 1993.
  • [72]
    J. Maître, Les stigmates de l’hystérique…, op. cit.
  • [73]
    Id., L’autobiographie d’un paranoïaque.., op. cit.
  • [74]
    Id., L’Orpheline de la Bérésina. Thérèse de Lisieux (1873-1897). Essai de psychanalyse socio-historique, préface dialoguée de Michèle Bertrand et Ginette Raimbault, Paris, Éd. du Cerf, 1995.
  • [75]
    M. Bertrand, entretien avec P. Lassave, doc. cité.
  • [76]
    J. Maître, Une inconnue célèbre…, op. cit., p. XXX.
  • [77]
    Ibid., p. XXI.
  • [78]
    Ibid., p. XXVI.
  • [79]
    J. Maître, Les stigmates de l’hystérique.., op. cit., p. 5
  • [80]
    É. Poulat, « Préface », dans J. Maître, Les stigmates de l’hystérique…, op. cit., p. XI.
  • [81]
    J. Maître, L’autobiographie d’un paranoïaque.., op. cit., p. 286.
  • [82]
    Ibid., p. 5.
  • [83]
    Ibid., p. 8-9. Maître rapproche sa notion de « sacerdotalité » et celle d’habitus sacerdotal forgée par Charles Suaud à qui il fait explicitement référence, même si sa « sacerdotalité » présente davantage d’épaisseur compréhensive. Voir C. Suaud, La vocation : conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Minuit, 1978.
  • [84]
    Voir en particulier Jacques Lagroye, Appartenir à une institution. Catholiques en France aujourd’hui, Paris, Economica, 2009.
  • [85]
    J. Maître, L’autobiographie d’un paranoïaque…, op. cit., p. 10.
  • [86]
    Ibid., p. 11.
  • [87]
    Ibid., p. 19
  • [88]
    Id., L’Orpheline de la Bérésina…, op. cit., p. 21.
  • [89]
    Ibid., p. 20
  • [90]
    Id., Une inconnue célèbre…, op. cit., p. XXXIV.
  • [91]
    C. Langlois, « La Thérèse de Maître », art. cité, p. 41.
  • [92]
    J. Maître, Mystique et féminité. Essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Éd. du Cerf, 1997. Dans la recension qu’il en fait dans Clio. Histoire‚ femmes et sociétés (15, 2002, p. 222-224), Jean-Pierre Albert considère qu’il s’agit de « cerner la diversité des contextes et la permanence de certaines structures psychiques, ou plus exactement les expressions ou réalisations des tendances psychologiques telles qu’elles sont façonnées par les attentes d’une époque » (ici p. 223).
  • [93]
    J. Maître, Mystique et féminité, op. cit., p. 14.
  • [94]
    C. Langlois, « La Thérèse de Maître », art. cité, p. 44.
  • [95]
    J. Maître, L’Orpheline de la Bérésina…, op. cit., p. 20-21.
  • [96]
    J. Maître, « Avant-propos dialogué avec Pierre Bourdieu », dans L’autobiographie d’un paranoïaque…, op. cit., p. IX.
  • [97]
    Ibid., p. XIX.
  • [98]
    J. Maître, « Anorexies religieuses. Anorexie mentale », Revue française de psychanalyse, 65-5, 2001, p. 1551-1560.
  • [99]
    Id., « Au fil des décennies, l’objet, la problématique et le chercheur ne cessent de muter », dans F. Champion, S. Nizard, P. Zawadzki (eds), Le sacré hors religions, op. cit., p. 278.
  • [100]
    J. Maître, Anorexies religieuses. Anorexie mentale. Essai de psychanalyse sociohistorique. De Marie de l’Incarnation à Simone Weil, Paris, Éd. du Cerf, 2000.
  • [101]
    Id., « Au fil des décennies, l’objet, la problématique et le chercheur ne cessent de muter », dans F. Champion, S. Nizard, P. Zawadzki (eds),  Le sacré hors religions, op. cit., p. 274.
  • [102]
    Comme le sont également Charles Suaud et Jacques Lagroye.
  • [103]
    P. Bourdieu, « Sociologues de la croyance et croyances des sociologues », Archives de sciences sociales des religions, 63-1, 1987, p. 155-161.
  • [104]
    Ibid., p. 156.
  • [105]
    Ibid.
  • [106]
    Ibid., p. 160.
  • [107]
    P. Lassave, « Les sociologues des religions et leur objet », Sociologie, 5-2, 2014, p. 191-206, ici p. 191.
  • [108]
    J. Maître, « Avant-propos dialogué avec Pierre Bourdieu », dans L’autobiographie d’un paranoïaque…, op. cit., p. XV.
  • [109]
    Cette piste m’a été suggérée par Danièle Hervieu-Léger, témoin en 1982 de la scène qu’elle a relatée dans deux textes : D. Hervieu-Léger, La religion pour mémoire, Paris, Éd. du Cerf, 1993 ; Id., « Objet perdu et retrouvé : de quelques singularités de la scène française de la sociologie des religions », dans Catherine Paradeise, Dominique Lorrain et Didier Demazière (eds), Les sociologies françaises. Héritages et perspectives 1960-2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 209-220.
  • [110]
    Erwan Dianteill, « Pierre Bourdieu et la religion. Synthèse critique d’une synthèse critique », Archives de sciences sociales des religions, 118, 2002, p. 5-19.
  • [111]
    Voir P. Lassave, « François-André Isambert, Jointures et brisures » (supra).
  • [112]
    J. Maître, « Avant-propos dialogué avec Pierre Bourdieu », dans L’autobiographie d’un paranoïaque…, op. cit., p. XVIII.
  • [113]
    R.-P. Droit, « L’itinéraire de Jacques Maître », art. cité.
  • [114]
     Anne Gotman, Ce que la religion fait aux gens. Sociologie des croyances intimes, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 14
  • [115]
    C. Béraud, « Introduction », dans C. Béraud, B. Duriez, B. de Gasquet (eds), Sociologues en quête…, op. cit, p. 7-12, ici p. 9.
  • [116]
    P. Bourdieu (ed.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993.
  • [117]
    J. Maître, « Avant-propos dialogué avec Pierre Bourdieu », dans L’autobiographie d’un paranoïaque…, op. cit., p. XVIII.
  • [118]
    J.-L. Fabiani, Pierre Bourdieu…, op. cit., p. 212.
  • [119]
    Sur ce thème, voir Jean-Paul Willaime, « L’approche sociologique des religions. Une réduction de son objet ou une compréhension objectivante de celle-ci ? », dans Anthony Feneuil (ed.), L’expérience religieuse, approches empiriques, enjeux philosophiques, Paris, Beauchesne, 2012, p. 197-216.
  • [120]
    C’est un point sur lequel Maître insiste dans son entretien avec Yann Potin : « Nous, nous avions besoin de légitimer que, dans le CES, il y ait – l’expression de groupe vient de là, qu’il y ait un groupe de sociologie des religions comme il y avaient des groupes de sociologie des loisirs, de sociologie industrielle, de sociologie rurale, etc. On se partageait le gâteau de la société française. Et certains avaient remarqué que cela correspondait au découpage administratif d’un gouvernement : ministère de l’agriculture, de l’industrie… Sauf que pour la religion, en France, il n’y a pas de ministère. Alors au niveau de la méthodologie, le groupe a acclimaté l’idée qu’on peut faire des enquêtes avec des échantillons, des questionnaires, etc. »
  • [121]
    Voir C. Béraud, B. Duriez et B. de Gasquet (eds), Sociologues en quête…, op. cit.
Céline Béraud
CéSor (EHESS-CNRS) – celine.beraud@ehess.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/03/2020
https://doi.org/10.4000/assr.49872
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