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À la sœur Marie de Saint-Joseph, la mère Agnès, abbesse de Port-Royal, rappelle « qu’il faut entrer dans les choses de Dieu si purement, qu’on n’y contribue rien que le simple consentement et acquiescement à ce qu’il veut faire en nous ». La Règle du couvent, en effet, héritière exigeante de la culture augustinienne, tout entière vouée à la seule œuvre de Dieu, porte discrédit du « moi », cette protestation d’amour-propre qui fait obstacle à son accomplissement. Et discrédit doit s’entendre en son sens le plus radical, qu’Agnès Cousson décline en toutes ses occurrences. Dans l’espace de Port-Royal, et au sein de la communauté des religieuses, tout doit s’effacer qui pourrait relever d’une singularité affective, d’une présence personnalisée, d’une identité spécifique. Le saccage du « moi » est poursuivi jusqu’à son anéantissement même. Les moniales sont esclaves de Dieu, victimes sacrificielles d’un holocauste spirituel. Clôture conventuelle et clôture spirituelle définissent alors un haut lieu d’expérience entièrement dévolu à Dieu, où les religieuses ne sont tant « mortes au monde », qu’en elles-mêmes le monde se meurt. Monde du silence, car la parole est porteuse de corruption et source de péché. Sait-on que dès le début de l’ordre de Citeaux, les religieux communiquaient en langue des signes, muets comme ces « incirconcis des lèvres » dont parle l’Écriture, et sourds à ce qui pourrait s’entendre de leur monde intérieur ? Lavés ainsi de tout soupçon d’effusion et de plaisir propre à l’échange…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 23/08/2014
- https://doi.org/10.4000/assr.25442