CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« C’est normal, personne n’habiterait dans un pavillon témoin ou dans les pièces reconstituées d’un grand magasin de meubles ».
Olivier Cadiot, Histoire de la littérature récente (tome I)

1La géographie s’est précocement intéressée à l’écriture au point d’en faire l’un de ses questionnements réflexifs récurrents : l’ambition de ce numéro thématique des Annales de géographie l’atteste. En effet, qu’il s’agisse d’interroger l’écriture des géographes (Laplace-Treyture, 1998 ; Lefort, 2003 ; Orain, 2009) ou d’étudier les textes littéraires en mobilisant des approches géographiques (Tissier, 1995 ; Chevalier, 1992 ; Rosemberg, 2012), la discipline s’est emparée de ces préoccupations qu’elle partage aussi bien avec les études littéraires – notamment pour ce qui relève des épineux problèmes de la mimesis et de la mise en récit de l’espace (Westphal, 2007 ; Collot, 2014 ; Calbérac, Ludot-Vlasak, 2018) – qu’avec les autres sciences sociales soucieuses de comprendre ce que l’écriture fait à la construction des savoirs qu’elles construisent (Berthelot, 2003). Alors que la géographie ne s’est que très récemment intéressée à l’art (Lévy, Sartoretti, 2018 ; Volvey, 2021), elle a pourtant fait, dès ses origines vidaliennes, grand cas de la littérature : c’est en effet dans la perspective de l’écriture réaliste et naturaliste que les géographes (encore pétris d’humanités classiques) ont défini les cadres épistémologiques de leur discipline (Robic, 2001, 2003 ; Orain, 2009). La « crise de la géographie » est concomitante de la « crise de la représentation » (Foucault, 1966 ; Bougnoux, 2019) qui entraîne elle-même la crise du roman au profit d’un nouveau roman (Sarraute, 1956 ; Robbe-Grillet, 1963) : afin de poursuivre son effort réflexif, la géographie s’est alors cherché de nouveaux modèles d’écriture parmi les écrivains qui ont pris le tournant spatial de la littérature (Bernabei, 2015 ; Calbérac, Ludot-Vlasak, 2018), comme Georges Perec (Lefort, 2003), Italo Calvino (Lévy, 2013) ou encore Kateb Yacine (Morel, 2016). Plus près de nous, ce sont Pierre Michon (Tissier, 2013), Philippe Vasset (Lussault, 2018), Jean Rolin (Charrin, 2012; Ruffel, 2012), ou encore Aurélien Bellanger (Deseilligny, Wrona, 2020; Lamant, 2020) qui, par leur écriture, interrogent en retour les manières d’écrire des scientifiques, parmi lesquels les géographes : qu’ils produisent une fresque d’inspiration réaliste, un récit de voyage ou tentent d’épuiser un lieu, ces auteurs s’attachent à instruire, comme le font les géographes, des espaces et les spatialités (Lussault, 2003) qui s’y déploient. Le roman est ainsi devenu un outil privilégié d’analyser des mutations spatiales, sociales, politiques et économiques de la société contemporaine [1], et la ville n’a cessé de constituer un terrain privilégié (Horvath, 2007). On aboutit ainsi à un brouillage des catégories entre la science (la géographie) et l’art (la littérature) : forte de son héritage naturaliste (Piton-Foucault, 2015), la littérature s’érige en instrument d’analyse à visée scientifique, alors que la géographie cherche à enrichir son dispositif heuristique en trouvant dans les procédés esthétiques mis en œuvre dans la littérature des réponses à ses questionnements méthodologiques et épistémologiques.

2Il est donc paradoxal que, dans cet aller-retour fécond entre la littérature et la géographie, celle-ci ne se soit pas emparée d’une forme d’écriture sinon exclusivement littéraire du moins artistique qui met pourtant explicitement l’espace et sa pratique au cœur de ses enjeux : le théâtre. En effet, loin de se limiter au seul texte écrit, le théâtre a une finalité : la scène et la représentation (Biet, Triau, 2006 ; Grésillon, 1996 ; Pavis, 2014). L’écriture théâtrale est en effet éminemment spatiale et déborde le seul texte – dont le statut reste d’ailleurs problématique surtout dans le cas des écritures contemporaines (Mégevand, Thomasseau, Verrier, 2005) – au profit de la scénographie (François, 2012 ; Fohr, 2014) – c’est-à-dire le moyen d’agencer et d’organiser la scène dans laquelle les comédiens vont évoluer – et de la mise en scène (aussi appelée mise en espace) (Roger, 2011 ; Biet, 2011 ; Losco-Lena, 2016). Même si la géographie s’est intéressée à de multiples formes d’arts et notamment à la performance (Volvey, 2018), le théâtre reste un angle mort de la recherche géographique, bien qu’il commence à être mobilisé comme une méthode d’enquête pertinente dans le cadre des réflexions sur les démarches d’enquête qualitatives (Calbérac, Lussault, Vet, 2018 ; Landrin, 2019).

3Cet article programmatique entend donc poser les prémices d’une géographie capable de se saisir des spatialités théâtrales [2] (Calbérac, 2020). Il ne s’agit en effet pas tant d’étudier le fait théâtral dans l’espace (par exemple la localisation des intrigues représentées sur scène ou encore la répartition des institutions théâtrales dans le territoire) que d’analyser les spatialités propres à l’art théâtral, et donc à comprendre ce qui se joue sur scène quand des comédiens jouent un texte devant un public à un moment donné. De même que l’étude du théâtre a entériné un glissement depuis les études littéraires (centrées sur l’étude des seuls textes) au profit des études théâtrales qui ambitionnent de prendre en compte la totalité de l’expérience artistique (c’est-à-dire la représentation dans son ensemble), cette géographie entend donc non seulement questionner les spatialités des textes (comme elle le fait déjà pour les textes littéraires), mais surtout analyser les spatialités propres à la représentation, c’est-à-dire aux textes tels qu’ils sont performés au plateau et tels qu’ils sont reçus par le public dans le cadre de dispositifs scéniques eux aussi questionnés (Freydefont, 2007).

4Pour mener à bien ce projet, cet article s’appuie sur la trilogie Des territoires conçue, écrite et mise en scène de 2013 à 2019 par le jeune dramaturge Baptiste Amann [3]. Né en 1986 et formé au jeu, il se met à écrire pour la scène : très ancrées dans les problématiques de notre société contemporaine, ses sept pièces – Les fondamentaux, Déter, La truite, la trilogie Des territoires, Rapports sur toi (De mon chaos est née une étoile filante) – analysent les difficultés des rapports aux autres, qu’il s’agisse de relations amicales, amoureuses ou familiales. Son projet artistique prend de l’ampleur quand il entame en 2013 l’écriture de Nous sifflerons la Marseillaise, pièce qui, en 2015, après les attentats, devient le premier volet d’une trilogie [4] qu’il conçoit pour répondre à la sidération qui frappe alors la société française. Cette trilogie présente la vie d’une fratrie de quatre enfants qui ont grandi dans le pavillon témoin d’une banlieue HLM et que l’on suit la veille, le jour et le lendemain des obsèques de leurs parents, morts soudainement. Au moment de la création du premier volet, Baptiste Amann écrit :

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« Les thèmes abordés par la pièce sont effectivement ceux qui travaillent notre société. On y parle, toutes échelles confondues, de la difficulté de vivre ensemble, dans un même pays, dans une même ville, dans un même quartier, au sein d’une même famille. On se débat. On s’oppose. On spécule. On juge, on condamne, on accuse. On s’inquiète de la montée du salafisme dans les quartiers. On manipule des concepts plus grands que soi comme la démocratie, l’héritage, la liberté, la révolution, l’identité. La résonance avec l’actualité n’est pas le fruit d’une intuition visionnaire. Elle témoigne surtout du fait que notre génération (dans l’équipe nous avons tous autour de trente ans) s’est construite au contact de ces problématiques. Comme toutes celles qui l’ont précédée, au moment où elle s’apprête à devenir à son tour la référence pour ceux qui « hériteront », elle a l’impression d’être la plus à même de parler du monde[5]. »

6Par ce geste théâtral, l’auteur s’inscrit pleinement dans un théâtre politique (Neveux, 2019) qui prend en charge la société et ses contradictions, afin de les faire travailler et de les porter au plateau. Pour ce faire, il devient également le metteur en scène de ses textes [6], c’est dire l’importance de ce projet qui emprunte largement à son itinéraire biographique (Amann, non publié). Les trois pièces créées à un rythme bisannuel forment donc un tout cohérent : si chaque pièce peut être vue séparément, les trois jouées à la suite produisent une chronique familiale saisissante, mais aussi, à un autre niveau, une traversée des contradictions politiques, sociales et territoriales de la France contemporaine. Chacune d’entre elles repose sur un même dispositif dramaturgique, l’anachronisme, qui consiste à éclairer d’un jour nouveau la situation représentée sur scène en introduisant à la fin de chaque pièce un épisode historique qui fait écho à la situation représentée et joué par les mêmes acteurs. Le premier épisode mobilise les espoirs d’émancipation portés par la Révolution française au moyen de la figure de Condorcet ; le deuxième évoque l’échec de la Commune autour de son personnage emblématique Louise Michel, alors que le troisième convoque la Guerre d’Algérie au travers de la figure de la résistante Djamila Bouhired. Ces pièces sont donc ancrées à la fois dans une actualité révolutionnaire immédiate – émeutes urbaines, violences policières, contestation de projets d’aménagement, Zones À Défendre, mouvements Occupy, conflits mémoriels… – et dans la longue histoire révolutionnaire française récente avec laquelle ces thématiques actuelles font écho [7].

7Mobiliser la trilogie Des territoires pour interroger les spatialités théâtrales présente donc un double intérêt. Thématique d’une part, explicité dès le titre du cycle : la trilogie propose une entrée dans ces problématiques sociales par l’espace et les territoires. La géographie est ainsi au cœur du questionnement, et sans doute n’est-ce pas une coïncidence qu’un géographe (et pas n’importe lequel), Élisée Reclus, figure parmi les communards mis en scène dans le deuxième volet. Scriptural d’autre part : l’auteur est également metteur en scène, ce qui permet de questionner plus avant ce qui constitue l’écriture théâtrale : le texte et sa représentation. Dès lors, l’ambition de cet article est double. Il s’agit non seulement de poser les jalons de ce que peut être une géographie des spatialités théâtrales et donc de regarder (et non plus seulement lire) ces pièces en géographe (ce que la géographie fait à l’œuvre), mais aussi de comprendre comment ces pièces peuvent aider la géographie à réorienter son projet et à approfondir la conceptualisation de ses objets (ce que l’œuvre fait à la géographie). Trois enjeux distincts apparaissent donc :

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  • Tout d’abord, un enjeu méthodologique : l’article fait l’hypothèse que le théâtre constitue un dispositif d’observation efficace de la société, qui repose sur une équivalence entre la fiction représentée sur scène et la société qu’elle prétend prendre en charge, c’est-à-dire entre le réel et sa représentation. Comme le dit un personnage dans D’une prison l’autre : « Il ne s’agit pas de notre maison là, mais d’un modèle de société » : si la pièce montre la maison, le public, lui, est capable de voir la société. Ce qui rend possible ce glissement entre la maison et la société, c’est la prise au sérieux de la polysémie du terme acteur, entendu à la fois comme l’acteur théâtral, mais aussi l’acteur spatial (Lussault, 2000). La première partie de l’article entend donc développer une théorie de l’acteur capable de prendre en charge cette syllepse.
  • Mais également un enjeu théorique : la trilogie permet d’aborder une multitude de thèmes tous redevables d’une approche géographique, ce que Baptiste Amann englobe sous le terme de territoire. Toutefois, plus que le territoire, ces trois pièces donnent en fait à voir la construction et l’utilisation que les géographes peuvent tirer de l’habiter qui met l’accent non pas tant sur les espaces produits (les territoires) que sur les spatialités des acteurs qui habitent ces espaces (Lazzarotti, 2006 ; Stock, 2003, 2015). Contrairement à ce que son titre suggère, la trilogie ne présente pas des territoires, mais plutôt des acteurs qui, en agissant, les produisent : cela justifie l’inscription de cette réflexion dans le champ de l’habiter plus que de la seule géographie sociale. Logiquement, la deuxième partie de l’article entend développer, à partir de cette trilogie, une théorie de l’habitant qui participe à l’effort collectif d’élaboration de l’habiter.
  • Enfin, un enjeu épistémologique, filé tout au long de l’article, qui permet de construire une symétrie entre acteur et habitant (et donc entre les deux parties de l’article) mais qui est aussi la condition de possibilité de cette géographie des spatialités théâtrales : non seulement le tournant actoriel (Calbérac et al., 2019) mais surtout l’habiter envisagé dans sa dimension artistique (Lazzarotti, Mercier, Paquet, 2017).

1.  « Il ne s’agit pas de notre maison là, mais d’un modèle de société »

9Affirmer, comme le prétend Hafiz dans D’une prison l’autre (p. 76), l’adéquation entre la maison et la société repose sur une double équivalence qu’il faut déminer, à commencer par l’équation problématique entre le plateau (ce qui est représenté) et la société (qui reçoit la représentation), ce qui constitue l’un des fondements de la convention théâtrale. En effet, selon le principe de la double énonciation (Ubersfeld, 1996), le dialogue théâtral a à la fois deux émetteurs (le personnage qui parle sur scène, mais aussi l’auteur de la pièce) et deux destinataires (le personnage à qui la réplique s’adresse, mais aussi le spectateur qui reçoit le spectacle). Les acteurs jouent ainsi un rôle central dans cette double énonciation : ils endossent à la fois le rôle des personnages qui parlent entre eux, mais sont également les porte-parole de l’auteur qui s’adresse au spectateur. Mais aussi l’équivalence tout aussi problématique entre ce qui se passe au sein d’une fraction de la société (ici une famille) avec la société dans son ensemble, ce qui est au cœur du tournant actoriel des sciences sociales : les acteurs sont des opérateurs spatiaux et sont donc porteurs de l’intégralité des spatialités de la société (Lussault, 2000). Faire du théâtre [8] un dispositif d’observation de la société – et donc en faire une méthode d’analyse de la société légitime pour les sciences sociales et la géographie – implique donc de prendre au sérieux ce terme d’acteur et de travailler sa polysémie. Regarder Des territoires en y étant attentif permet alors d’interroger comment Baptiste Amann parvient à articuler deux récits indissociables : la chronique familiale d’une part et la fresque sociale d’autre part. Bien qu’intitulée Des territoires, la trilogie pose la question de la communauté – qu’est-ce qui permet de vivre ensemble et de faire société ? – mais apporte une réponse qui passe par une réflexion fine sur les enjeux spatiaux (et donc politiques) à la fois des drames représentés et de la représentation elle-même (Arrigoni, 2017).

10Le premier récit à dénouer est familial. Si on devait la résumer, l’intrigue de la trilogie Des territoires tiendrait en effet en quelques lignes : trois journées décisives de la vie d’une fratrie, la veille, le jour et le lendemain de l’enterrement de ses parents. Durant ces trois journées passées dans le pavillon familial, un drame familial rencontre une crise sociale, alors qu’un passé douloureux (aussi bien familial que politique) ressurgit. Cette fratrie est composée de trois garçons et d’une fille : Lyn, la sœur aînée, qui s’occupe de son frère cadet Benjamin (surnommé Benny), devenu handicapé à la suite d’un accident de la route ; Samuel, le benjamin, qui s’intéresse à la politique et travaille au sein du comité de quartier. Enfin, Hafiz, fils d’un combattant du FLN, est le frère adopté. Dans le premier volet (Nous sifflerons la Marseillaise) ils sont seuls en scène : l’heure est à la préparation des obsèques de leurs parents (peut-on confier à une société de pompes funèbres un numéro de carte bancaire pour finaliser un dossier ?) et aux questions qui se posent déjà : faut-il accepter l’offre d’achat de la maison ? Faut-il la vendre alors que des ossements ont été découverts dans le jardin à la faveur d’une expertise immobilière et qu’il apparaît qu’ils appartiennent à un grand personnage historique, à savoir Condorcet ? Trop occupés à leur douleur, les frères et sœur regardent de loin la révolte qui éclate à la suite de la mort d’un jeune du quartier tué lors d’une intervention policière. Le deuxième volet (D’une prison l’autre) commence après l’enterrement des parents qui s’est mal passé : faute d’avoir finalisé le dossier dans les temps, l’entreprise de pompes funèbres n’a pas transporté les cercueils au cimetière, ce qui a contraint les quatre enfants (dont un handicapé) à porter eux-mêmes les deux cercueils jusqu’au caveau. À leur retour chez eux, ils découvrent non seulement un quartier bouclé par le couvre-feu consécutif aux émeutes, mais surtout leur salon occupé par des amis (Moussa, le propriétaire du camion pizza fréquenté par la famille et secrètement amoureux de Lyn, et son ami Lahcen qui ont inventé un stratagème pour s’immiscer dans le pavillon et y retrouver Lyn) mais aussi par une militante altermondialiste (Louise Michel) qui profite du couvre-feu pour sensibiliser les habitants du lotissement contre le projet d’extension du centre commercial voisin : le dilemme familial (vendre ou non le pavillon chargé de souvenirs) devient donc politique (résister ou non à l’extension du centre commercial) et cette petite société passe la nuit à en débattre. Elle se termine par un drame : alors que Benjamin sort du pavillon, il est mortellement attaqué par un chien. C’est donc à l’hôpital que se passe le dernier volet (Et tout sera pardonné ?) : la fratrie est réunie autour du lit de Benjamin, qui, s’il n’a plus aucun espoir, peut encore sauver d’autres vies que la sienne dès lors que sa famille consent à donner ses organes. L’hôpital est dans l’agitation : à l’activité habituelle (rendue plus importante à cause des émeutes) s’ajoute celle du tournage d’un film historique sur la Guerre d’Algérie et sa figure emblématique, la résistante Djamila Bouhired. Hafiz se lie avec Nailia, l’actrice qui incarne la résistante et qui fuit le plateau et le réalisateur colérique, alors que Moussa, qui culpabilise d’avoir causé la mort de Benjamin, attend dans le hall de l’hôpital. Tous se retrouvent au chevet de Benjamin au moment de lui dire adieu.

11La trilogie met donc en scène deux principes constitutifs des spatialités humaines (Lussault, 2007) : l’homme est spatial, c’est-à-dire qu’il est toujours pris dans des relations sociales qui se déploient dans l’espace, et ces formes de sociabilité se construisent toujours à partir de petites cellules, notamment familiales. Le premier volet explore ainsi les sociabilités intra-familiales, et qui ne sont pas exemptes de conflits, loin de là. À partir de questions simples – que faire de la maison et des souvenirs qui y sont attachés ? comment organiser l’enterrement des parents ? – se dessinent des oppositions, des conflits qui traversent la fratrie. Les volets suivants permettent de montrer que ces conflits familiaux rejoignent, sous une forme ou une autre, des conflits qui traversent plus largement la société. Ainsi une question aussi intime (premier volet) que la vente de la maison familiale devient-elle politique (deuxième volet) quand elle est commandée par des projets d’aménagement local : que valent les emplois créés par ce centre commercial (mais vont-ils profiter aux jeunes du quartier ?) par rapport à « ce salon [qui est] tout entier une scène de crime pleine d’indices où tout nous accuse d’y avoir vécu, et ri et pleuré. De nous y être aimés » (p. 64) ? L’espace intime devient ainsi un espace de revendication politique (Chollet, 2015), si bien que rien n’empêche de l’occuper, tente Quechua à l’appui, comme n’importe quelle autre place où s’indigner (Macé, 2019). Bien plus, la trilogie met en scène l’extension progressive des spatialités. Le premier volet est centré sur la maison et s’ouvre sur une description très minutieuse du pavillon témoin ; le troisième se clôt sur une description tout aussi précise de la ville et de sa région. En changeant d’échelle, la trilogie illustre la théorie des coquilles d’Abraham Moles selon laquelle la construction et l’appropriation de l’espace se font par des coquilles successives, depuis le corps humain jusqu’au monde (Moles, Rohmer, Schwach, 1998).

12La scénographie [9] traduit à la fois cette construction progressive de la société à partir de la cellule familiale ainsi que la forte intrication des sphères intimes et publiques dont le partage est toujours complexe. Ainsi les spectateurs voient-ils le pavillon témoin, celui qui est précisément décrit par Benjamin au seuil de la trilogie, mais il n’apparaît, dans le premier volet, que par ses contours, et encore, à peine esquissés : limites extérieures du jardin avec ses graviers, limite des murs avec des parpaings. Des panneaux légers représentent les pièces de la maison. Au centre, la cuisine ; et en son centre, une table, où tous les personnages se retrouvent, sans jamais toutefois s’y retrouver ensemble en même temps. La société commence là : un lieu (la maison) partagé mais une coprésence difficile à créer [10]. Il n’y a jamais vraiment de lieu commun. Si le deuxième volet se passe encore dans le pavillon familial, la scénographie a changé : une seule pièce est clairement identifiée, la salle de bains en fond de scène. Les autres espaces sont simplement délimités par une patience [11] et un voile assure une séparation mobile entre ce qui relève des pièces intimes (les chambres, qu’on ne voit pas) et des pièces de réception. Le pavillon réduit au seul salon devient ainsi une arène politique dans laquelle s’invitent non seulement des amis, mais aussi la militante Louise Michel. Contraints à passer la nuit ensemble, dans le salon, en raison du couvre-feu consécutif aux émeutes urbaines, les uns et les autres devisent sur la politique [12]. L’enjeu n’est alors plus de définir un lieu commun comme dans le premier volet (la coprésence est cette fois imposée par la force), mais plutôt d’envisager l’avenir de ce lieu commun, et donc à définir un temps commun, c’est-à-dire un agenda : comment concilier les discours d’une fratrie qui a enterré ses parents le matin et se rappelle ses souvenirs d’hier dont regorge le pavillon, et ceux d’une militante qui invite à penser un futur alternatif ? Le troisième volet – Et tout sera pardonné ? – se déroule à l’hôpital où Benjamin a été hospitalisé après avoir subi l’attaque d’un chien durant les émeutes, et où est tourné un film sur la résistante Djamila Bouhired. Le drame intime et familial rejoint alors le drame politique que constituent la Guerre d’Algérie et sa mémoire : comment continuer à lutter quand tout est perdu ?

13Le second récit est quant à lui politique et, s’il est profondément ancré dans les questionnements les plus contemporains de la société [13], son traitement passe en partie par la réactivation d’un imaginaire historique que Baptise Amann convoque tout au long de sa trilogie. Les pièces sont ainsi traversées par une analyse d’autant plus fine de la société contemporaine qu’elle se nourrit d’un questionnement profond sur l’idée révolutionnaire aux xviiie, xixe et xxe siècles, et sur les révoltes que connaît le xxie siècle. La question politique est omniprésente dans la trilogie, et chacun des thèmes traités permet de faire du théâtre un instrument d’analyse de la société et de ses contradictions. Si cette question politique semble en marge du premier volet (notamment par l’évocation subreptice de la Marseillaise sifflée dans un stade et par le récit de la mort d’un jeune lors d’une intervention policière), c’est parce que la fratrie se rassemble pour affronter son deuil. Ces événements politiques passeront au premier plan dans les deuxième et troisième volets. Ainsi la nuit passée à veiller et à débattre dans le pavillon occupé permet-elle de mettre en relation une multitude de thèmes qui font régulièrement la une de l’actualité : la perte de confiance dans le politique, les discontinuités sociospatiales qui structurent les villes, les violences urbaines, les violences policières [14], les mémoires postcoloniales de la Guerre d’Algérie… font irruption dans la vie de la fratrie. La question aussi privée que celle du devenir de la maison familiale devient ainsi politique, si bien qu’un vote est organisé pour choisir démocratiquement s’il faut la vendre ou non. La question du corps électoral se pose et toute la société (et pas seulement les quatre frères et sœur) est invitée à se prononcer. Ces questions politiques deviennent aussi celle de la société tout entière : l’affrontement entre Hafiz et Lahcen, emblématique des rivalités entre deux barres HLM, tourne autour d’enjeux urbains – « Tu te souviens ? Quand les immeubles de la Buissière faisaient face aux Aygalons, tu te souviens ? La symétrie parfaite. Au milieu comme un miroir. Un putain de miroir. La ville comme traversée par un putain de miroir. Et nous face à face. Tu te souviens ? […] Il y a toujours eu douze étages entre nous » (p. 71) – mais aussi mémoriels : « Il y a l’Algérie entre nous. Il faut connaître l’histoire ». La Guerre d’Algérie occupe logiquement le troisième volet : la grande histoire rejoint l’histoire familiale, et le Hafiz, le frère adopté, se rappelle quand son père, combattant du FLN, a confié son fils à sa nouvelle famille.

14Si la trilogie permet de représenter la société et ses conflits contemporains (et donc de donner prise à l’analyse), ce récit politique ne reste toutefois pas à la surface de l’actualité : l’histoire – le retour du refoulé – s’immisce dans chaque pièce au moyen d’un anachronisme qui permet de mettre en perspective les questionnements d’aujourd’hui avec des épisodes historiques qui ont forgé les idéaux révolutionnaires contemporains (Traverso, 2016). Bien plus, chaque analepse s’articule avec le récit principal, au moyen de différents procédés. La Révolution française est déjà présente quand les résultats de l’expertise attestent que les ossements retrouvés dans le jardin sont bien ceux de Condorcet : c’est à partir de cette découverte que la figure de Condorcet apparaît et que ses idéaux (l’éducation et les Lumières) font écho avec les préoccupations de la famille qui a connu une certaine ascension sociale en accédant à la propriété du pavillon témoin du lotissement : de riche chez les pauvres, elle est passée pauvre chez les riches. Dans le deuxième volet, c’est le nom d’un personnage qui permet d’enclencher l’anachronisme : Louise Michel, la militante altermondialiste, est un homonyme de la communarde [15]. La situation que vivent les personnages de la pièce – une assemblée où l’on débat des problèmes politiques – fait alors écho à celle de l’anachronisme : les morts ou les exilés de la Commune (Louise Michel, Théophile et Marie Ferré, Gustave Courbet, Élisée Reclus, Élisabeth Dmitrieff…) devisent gaiement de l’échec de la Commune et de sa répression, jetant ainsi un doute sur la capacité des mouvements d’aujourd’hui à réussir. Dans le troisième volet, c’est le tournage d’un film, à quelques mètres de la chambre ou Benjamin agonise, qui permet à la pièce d’emporter les spectateurs vers le passé : la scène du procès de Djamila Bouhired met en lumière que la réussite et l’échec d’une révolution sont indissociablement liés, ce qui délivre l’ultime message de la trilogie : c’est dans l’échec que la grandeur d’une cause (et donc sa réussite future) se révèle. La condamnation à mort de Djamila Bouhired [16] en a fait une conscience algérienne qui dépasse la seule révolution ; et la mort de Benjamin permet, par le don des organes, que la vie continue.

15Deux fils narratifs s’entrelacent donc, et sont portés par deux formes différentes d’écritures théâtrales : l’écriture dramatique, quand le spectateur assiste à l’action qui est représentée sur scène (elle constitue depuis Aristote une des modalités principales du théâtre), et l’écriture épique quand un personnage raconte une action qui a (eu) lieu en hors scène. C’est un trait caractéristique de l’écriture de Baptiste Amann, dans Des territoires comme dans toutes ses autres pièces : l’importance de l’écriture monologique. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas d’assigner un type d’écriture à un fil narratif : par exemple l’écriture dramatique au récit familial et l’écriture épique au drame social. Les monologues portent aussi bien sur la vie familiale (comme lorsque Benjamin raconte son accident dans le premier volet) que sur la chronique sociale (comme lorsque Louise Michel évoque son engagement militant dans le second volet). Ce procédé permet ainsi d’articuler finement ces deux récits et de montrer leur indéfectible intrication : la chronique familiale ne peut s’épanouir que sur cet arrière-plan social qui reprend ainsi régulièrement le dessus : dans le pavillon témoin, le fond de l’air est rouge. Un personnage occupe une place emblématique dans ce dispositif : Moussa. Ami de la fratrie, il culpabilise d’être à l’origine de l’accident dont a été victime Benjamin à la fin du deuxième volet. En effet, celui-ci (accompagné de Lahcen) s’est introduit dans le pavillon en prétendant chercher son chien (alors qu’il n’en a pas), prétexte commode pour expliquer sa présence à Lyn qu’il cherche à séduire ; et c’est un chien qui mord Benjamin à la gorge. Présent à l’hôpital tout au long du troisième volet, il ne participe pas à l’action : il reste dans le hall de l’hôpital, sous la gravure d’une vieille carte de la région, et dans ses trois monologues successifs il apporte les clés pour comprendre la portée de la pièce, et surtout pour faire le lien entre les trois pièces et donner sa cohérence à la trilogie. Dans le premier monologue, il résout l’énigme de la localisation de la pièce. Les paysages décrits dans les deux premiers volets (un pavillon témoin, une cité HLM, des rocades, un camion pizza…) ne permettent pas de localiser précisément l’action (ce qui a pour effet de rendre universelle la portée des événements décrits). Pire, une fausse piste est proposée : comme Condorcet est mort à Bourg-la-Reine et que son corps est découvert dans le jardin du pavillon, tout laisse à penser que l’action se déroule dans la banlieue parisienne. L’action se déroule en fait en Avignon – là où a grandi Baptiste Amann (Amann, non publié) – comme le révèle la carte du Comtat Venaissin du xviiie siècle qui orne le hall de l’hôpital : la description d’Avignon que livre Moussa (la vieille ville autour du Palais des papes) fait écho à la description liminaire du pavillon et permet de changer d’échelle, de la maison à la ville, de la famille à la société. Il permet donc d’ancrer l’intrigue dans un contexte géographique : le titre de la trilogie est ainsi justifié. Dans son deuxième monologue, Moussa décrit l’agitation qui règne à l’hôpital, entre les malades et le tournage du film en cours, et comme c’est par le film sur Djamila Bouhired que viendra l’anachronisme, il résout l’adéquation de l’histoire d’aujourd’hui avec l’Histoire avec sa grande hache (pour reprendre la formule de Perec). Le dispositif dramaturgique de l’anachronisme s’en trouve à son tour justifié. Dans le troisième monologue, il explique que les remblais qui ont servi à aménager les rives du Rhône en Avignon et dans le Comtat dans la deuxième moitié du xxe siècle viennent des travaux du RER parisien, ce qui permet d’expliquer la présence de la dépouille de Condorcet dans le jardin du pavillon. Il permet ainsi de boucler la trilogie, et de transformer la question des territoires en une question d’ancrage : la question n’est plus de savoir avec qui l’on peut faire monde commun, mais surtout où. « Il y a des morts partout sous la terre, il suffit de gratter un peu ». Le rôle que joue Moussa est donc celui du chœur qui, dans la tradition antique (et ce n’est pas surprenant si l’on a en tête que la forme de la trilogie emprunte aux origines politiques du théâtre antique), constitue la voix de la cité[17] et assume donc pleinement la portée politique de la pièce. Par l’adresse au public, le chœur et plus largement tous les personnages dès lors qu’ils prononcent un monologue, brisent le quatrième mur, cette convention théâtrale héritée du naturalisme, manière d’associer plus étroitement encore le public à l’action décrite sur scène. En plus des monologues, cette convention est abolie à deux moments : d’une part lors de l’anachronisme du deuxième volet quand les communards déambulent dans le public et y reconnaissent leurs camarades de luttes morts comme eux, et d’autre part dans l’anachronisme du troisième volet, quand les spectateurs deviennent les figurants du public du procès dans le tournage. Là encore, le procédé permet de rompre la distance entre le passé et le présent, entre l’histoire et le contemporain et de tendre un miroir au spectateur : le recours à l’histoire n’est qu’un moyen de regarder la société contemporaine en face (Boucheron, 2016).

16Plus que des personnages et des comédiens pour les incarner, il s’agit bien d’acteurs et d’actrices de leur rôle et surtout de l’histoire que nous voyons sur scène. S’ils jouent des rôles, les acteurs incarnent surtout une part de la société qu’ils donnent à voir sur scène. Utiliser le terme d’acteur (en lieu et place de personnage et/ou comédien) permet de prendre conscience de la portée heuristique et politique (et non plus seulement esthétique) du théâtre qui devient ainsi un instrument d’observation et d’analyse de la société. C’est en prenant le terme d’acteur au sérieux que l’on peut sortir de l’opposition entre réel et fiction, entre scène et hors scène, et donc de questionner pleinement la représentation, entendue à la fois comme un moment (celui du spectacle) mais aussi comme un dispositif de mise à distance de la société à des fins d’observation.

2.  « Tu habites où ? […] Tu ne connais même pas le quartier ! »

17La trilogie Des territoires est donc pleinement redevable d’une analyse géographique. À l’inverse, elle a aussi sans doute quelque chose à dire à la géographie, même si le mot géographie n’apparaît qu’une seule fois dans l’œuvre [18] et le mot territoire, jamais (sauf dans son titre) ! Ces pièces permettent toutefois de mettre à l’épreuve le concept de territoire tel que les géographes le définissent et l’utilisent depuis l’essor de la géographie sociale (Di Méo, 1998) mais surtout de le faire évoluer vers le concept d’habiter, plus riche et plus en phase avec le tournant actoriel dans l’horizon duquel est construite cette approche des spatialités théâtrales (Lazzarotti, 2006; Stock, 2015; Calbérac, 2020) dont cet article entend définir les contours. En effet, l’intérêt de la trilogie n’est pas tant de montrer des territoires (c’est-à-dire des espaces) que les spatialités que les acteurs qui les pratiquent y déploient. Dès lors l’intérêt du théâtre est de donner à voir comment les acteurs (en reprenant la polysémie du terme élucidée dans la première partie de cet article) habitent le théâtre (c’est-à-dire à la fois l’espace scénique, lieu de la représentation, que la société dans son ensemble représentée) : l’acteur devient donc pleinement habitant (Calbérac et al., 2019), ce qui permet d’articuler le passage du territoire à l’habiter en mettant en lumière les spatialités des acteurs (Lussault, 2003). L’horizon est donc de contribuer à une théorie de l’habitant encore en cours d’élaboration. Pour mener à bien ce programme, le plus simple est de partir du territoire en mobilisant la définition qu’on en donne habituellement – un espace délimité, aménagé et approprié (Brunet, Ferras, Théry, 1992 : 480 et 481) – et d’envisager, pour chacun des items, comment la trilogie met en scène les spatialités, et permet donc de passer du territoire à l’habiter : si ces thèmes sont diffus tout au long de la trilogie, chaque pièce met l’accent sur une dimension particulière du territoire, et, surtout, elles permettent toutes de voir (et donc d’analyser) comment les acteurs « font avec l’espace » (Stock, 2015).

18Le territoire est un espace délimité, et cette délimitation est logiquement l’enjeu du premier volet de la trilogie. Nous sifflerons la Marseillaise donne à voir une maison familiale saturée de lignes et de limites ; en cela, le pavillon est un bon emblème de la société dans son ensemble. La scénographie laisse apercevoir les limites du pavillon témoin ; on ne voit d’ailleurs qu’elles, dans la mesure où la maison n’est dessinée que par ses limites : la haie, l’allée de gravier, des parpaings pour figurer les murs extérieurs, des cloisons légères pour les parois intérieures. À ces limites strictes de la maison et au découpage des pièces répond le zonage urbain qui divise la ville en différents quartiers qui s’opposent, comme le révèle l’échange entre Hafiz et Moussa dans le deuxième volet, la ville étant elle-même ceinte d’une muraille, comme la décrit Moussa à la fin du troisième volet. Ces limites, à la fois matérielles et symboliques – qui renvoient à ce que les géographes désignent par le terme de discontinuités (Gay, 1995) – sont sans cesse franchies, illustrant ainsi une affirmation de Georges Perec dans Espèces d’espaces : « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner » (Perec, 2010) [19]. Même si les acteurs s’efforcent de ne pas franchir ces limites, matérielles ou symboliques (comme Benjamin quand il dessine et qu’il s’applique à ne dépasser les lignes), ils ne peuvent s’empêcher de les transgresser et de s’y cogner : Benjamin qui, au volant de sa voiture, franchit la ligne blanche et entraîne, dans l’accident, la mort de son amoureuse ; Moussa, Lahcen et Louise Michel qui franchissent les murs du pavillon pour l’occuper ; la famille qui quitte une barre HLM et s’installe dans le pavillon témoin ; un tournage de film qui se fait dans un lieu inhabituel ; Nailia qui quitte le plateau et se réfugie dans le hall de l’hôpital où elle rencontre Hafiz… Le franchissement est même un principe dramaturgique : c’est ce qui rend toute l’action possible. On retrouve ainsi appliqués sur scène les principes formulés en narratologie par le théoricien Youri Lotman qui fait du franchissement des espaces narratifs la condition de possibilité de tout récit (Lotman, 1973). Même si la scène présente avant tout des lieux clos (le pavillon et l’hôpital), les personnages ne cessent de se déplacer : seul le couvre-feu les immobilise (et encore, les acteurs finissent par le transgresser lui aussi), une nuit durant, dans le salon familial. La mobilité est donc intense. Les acteurs sont tous et toujours sur le départ : Samuel ne cesse de devoir aller à la rencontre de Cuvilliers qui anime le comité de quartier dans lequel il travaille, Louise Michel fait du porte à porte pour militer contre l’extension du centre commercial, la fratrie ne craint pas de porter les cercueils de leurs parents à pied jusqu’au cimetière. Le camion pizza de Moussa est un parfait emblème du mélange d’ancrage et de mobilité qui caractérise tous les personnages de la pièce.

19Pour passer d’un espace à un autre, et pour franchir ces limites, c’est-à-dire pour relier ces zones pas nécessairement contiguës, il existe des réseaux. Le premier dialogue de la pièce est une controverse entre Samuel et Hafiz pour déterminer l’itinéraire le plus court pour aller du pavillon au camion pizza de Moussa : faut-il prendre la rocade ou la nationale ? Ce débat est loin d’être aussi anecdotique qu’il n’y paraît : il en dit long sur les manières contemporaines d’habiter les territoires à l’heure de l’urbain diffus et de l’essor de la périurbanisation, sur l’importance des mobilités, sur l’effet tunnel entre les points du réseau. Plus que jamais, à l’heure des sociétés mobiles, habiter, c’est mettre en relation différents lieux (Stock, 2006). Ces mobilités peuvent aussi être sources d’émotions : Hafiz évoque son départ d’Algérie et son arrivée dans sa famille adoptive, et Lyn se rappelle avec souffrance quand, toute petite, elle avait le sentiment d’abandonner son frère cadet Benjamin quand elle ne s’asseyait pas à côté de lui dans l’autocar qui les menait au centre aéré. Bien plus que de présenter des surfaces soigneusement délimitées (des territoires), l’intérêt de la trilogie est de montrer comment les acteurs pratiquent ces territoires, comment chacun les habite et comment chacun investit les lieux de ses propres représentations. Samuel ne voit aucun obstacle à vendre la maison familiale – « Parce que tu les trouves pittoresques nos pavillons ? Pittoresque ce placo ? Ce carrelage ? Ces agglos ? Matière pauvre pour souvenir pauvre. Rien par ici n’est construit pour la mémoire » (p. 50) – alors qu’Hafiz, le frère adopté reste attaché à tous les souvenirs dont la maison est dépositaire. C’est d’ailleurs par les pratiques spatiales que l’on entre dans la maison, avant même de la voir surgir sur le plateau : le long monologue initial de Benjamin décrit la maison telle qu’elle est vue (et donc vécue) par un de ses habitants.

20Ces territoires sont également aménagés : cet aspect est au cœur du second volet de la trilogie dont l’intrigue se noue justement autour de la contestation d’un projet d’aménagement de grande ampleur : l’extension d’un centre commercial. Le public assiste à cette occasion à un aménagement, aussi élémentaire que symbolique : Louise Michel déploie sa tente Quechua dans le salon et s’y installe. L’espace hostile (l’espace à occuper), devient ainsi, grâce à cet aménagement rudimentaire et provisoire, un espace où tout devient possible (Macé, 2019). Dans ce geste (autant théâtral que politique) se lit tout le spectre de l’aménagement que D’une prison l’autre mobilise et qui va de la « lutte des places » telle que l’analyse Michel Lussault (Lussault, 2009) à l’habiter temporaire et à la poétique qu’il mobilise (Meadows, 2016 ; Breteau, 2019). L’espace enferme – « La prison, ce n’est que de la géographie » (D’une prison l’autre, p. 78) comme témoigne Lahcen – et les acteurs essaient de contourner la violence que les aménagements exercent sur eux, afin de créer des espaces de liberté et d’émancipation. La rivalité entretenue par les jeunes des deux barres prend en effet fin quand l’une des deux est détruite : cette victoire d’une barre sur l’autre est en réalité une défaite, car les habitants de la barre détruite sont relogés dans le quartier pavillonnaire en construction. Et que dire du projet de centre commercial : s’il constitue un espoir d’emploi pour les jeunes du coin, combien d’entre eux s’y feront finalement embaucher ? La spéculation immobilière qui touche le lotissement ne fait qu’accroître les rivalités entre ceux qui veulent vendre et ceux qui veulent garder leur maison. Quelle est la place des habitants pour décider du devenir collectif du territoire ? Comment les habitants peuvent-ils se réapproprier leur territoire ? C’est le but du projet d’émancipation et d’empowerment (Bacqué, Biewener, 2013) défendu par Louise Michel. Son appel à l’occupation – qui rappelle les mouvements Occupy qui ont secoué la planète au tournant des années 2010 (Emeran, 2013) – affirme la nécessité de se réapproprier une capacité à délibérer contre des projets d’aménagement. Et dans cette perspective, le salon familial joue le rôle non plus d’une zone d’aménagement différé (ZAD) (dans l’attente de l’extension du centre commercial) mais bel et bien d’une zone à défendre (ZAD), un espace où le dialogue est à nouveau possible, et où essaie de faire de la politique autrement (Taïbi, 2018). Lors de cette occupation du salon, deux clans s’affrontent. D’une part la famille qui pense que Louise Michel n’est pas légitime à mener ce combat, parce qu’elle n’est pas propriétaire de la maison et qu’elle n’est même pas d’ici : « Tu habites où ? […] Tu ne connais même pas le quartier ! ». Lyn rejette même le principe du vote : « Je n’en peux plus de voter. On a voté pour tout… Le bois du cercueil, la liste des invités, la date de l’enterrement… Je n’en peux plus de ce réflexe démocratique à la con ! » D’autre part Louise Michel (qui parvient à rallier des soutiens à sa cause) qui affirme que tous sont légitimes car tous sont concernés par ce qui va advenir à la place du lotissement : elle introduit donc dans le débat non seulement des procédures de délibération nouvelles, mais aussi une conscience scalaire. En effet, ces aménagements ont des impacts à toutes les échelles, ce qui légitime donc l’action du plus grand nombre. Dès lors, l’occupation du salon devient un acte politique et une réflexion démocratique où se joue la réussite de toute action collective. La tente Quechua [20] qu’elle installe est certes provisoire (mais aussi dérisoire) mais peut-être est-ce la seule façon de suspendre les projets en cours, comme la raille Samuel : « Tu penses pouvoir bloquer les travaux avec ta tante Quechua ? » Ce sont donc deux points de vue radicalement opposés qui s’affrontent : d’une part ceux qui s’en tiennent à un ordre dans lequel la ville ne cesse d’évoluer – Baudelaire est appelé à la rescousse : « La forme d’une ville change, hélas, plus vite que le cœur des mortels [21] » – et d’autre part Louise Michel qui voit dans l’affrontement, et dans la suspension, une forme de victoire. Alors qu’elle contemple le jardin du pavillon retourné par les expertises après la découverte des ossements de Condorcet, elle ne peut s’empêcher de voir dans la boue qui évoque aussi bien l’émeute que le futur chantier une raison d’espérer : « C’est beau cette terre retournée… On dirait un champ de bataille ». Là encore, la pièce mobilise un imaginaire révolutionnaire nourri des combats du passé (Traverso, 2016).

21L’aménagement n’est qu’un moyen de s’approprier le territoire. Deux modalités en sont proposées dans le dernier volet : l’attachement et l’enracinement. Cette dernière pièce permet en effet à l’action de s’enraciner. Alors qu’un doute planait sur la localisation de cette histoire dans les deux premiers volets, il est définitivement levé (cela a été dit) dans ce troisième opus. L’intrigue est précisément localisée et des toponymes sont indiqués [22], modalité importante d’une appropriation symbolique par les habitants (Giraut, Houssay-Holzschuch, Guyot, 2008) : Avignon est mentionnée, ainsi que son hôpital et que les principaux hauts lieux de la vieille ville (le Palais des papes, le jardin des Doms…) et de l’agglomération. La carte joue un rôle primordial dans ce volet, et c’est sous la carte du Comtat Venaissin du xviiie siècle qui orne l’un des murs du hall que Moussa prononce ses trois monologues. Mais cette carte n’apparaît pas sur scène : Baptiste Amann a fait le choix de ne pas la montrer. Elle n’apparaît que par les descriptions qu’en fait Moussa : cette hypotypose fait écho à la description liminaire du pavillon par Benjamin. Le pavillon trouve ainsi son ancrage. Bien plus, cet ancrage n’est pas seulement toponymique : il est davantage topographique, voire géologique. Moussa dans son monologue décrit les paysages du Vaucluse, le cours du Rhône et les remblais qui ont permis aux sociétés humaines de s’établir tout au long de l’histoire. C’est à la terre, celle dans laquelle on enterre les parents, celle que l’on retourne dans le jardin du pavillon, ou celle que l’on fait venir à grands frais de région parisienne, que l’on s’attache : l’attachement au lieu se fait d’abord par un ancrage au sol. Dans cette perspective, la scène de l’enterrement du deuxième volet prend toute sa signification : Tchekhov fait dire à l’un de ses personnages dans Platonov qu’il faut « enterrer les morts et réparer les vivants ». C’est ce que font les personnages. C’est par l’enterrement qu’on s’attache à un sol. C’est la mort des parents qui permet à la fratrie de s’attacher plus encore à cette maison, et c’est sans doute la guerre et la mémoire de la souffrance qui attachent les Algériens, comme Hafiz ou Nailia, ou les pieds-noirs, comme le médecin qui soigne Benjamin, à la terre d’Algérie (Chevalier, Hertzog, 2018). Paradoxalement, pour ces trois personnages, l’enracinement n’est jamais aussi fort que parce qu’ils n’y sont plus. Et la complexité de la mémoire de cette guerre apparaît, et pas seulement dans le tournage du procès de Djamila Bouhired. L’enracinement se lit donc dans l’histoire longue, celle des générations qui se succèdent sur une terre, mais aussi celle de la géologie. Pour autant, le projet de l’auteur ne tombe jamais dans un propos conservateur, bien au contraire : il réaffirme plus que jamais la nécessité d’une conscience politique. En cela, il donne tort à la tâche que Lucien Febvre assignait à la géographie : « Aux géographes le sol et non l’État » (Febvre, 1922). C’est parce que l’on s’intéresse au sol (entendu ici dans sa matérialité) que l’on peut s’intéresser à l’histoire et au politique. C’est par le sol que le recours à l’anachronisme est justifié dans la dramaturgie : les os de Condorcet sont déterrés, les morts de la Commune reviennent, et Djamila Bouhired affirme son appartenance à un peuple et à sa terre, juste avant sa condamnation à mort. L’histoire est ainsi une modalité d’attachement non seulement à la communauté mais aussi aux lieux qui les portent.

3.  Conclusion

22Le traitement que Baptiste Amann réserve à l’histoire familiale et à la fresque sociale permet donc d’enrichir la conception que les géographes se font du territoire. Loin d’être seulement un espace délimité, aménagé et approprié, l’analyse de la trilogie révèle que le territoire est également composé d’une réflexion collective sur le temps, à la fois celui du passé – qui permet l’ancrage et l’enracinement – mais aussi celui à venir. Le territoire, c’est à la fois un espace partagé – la coprésence – mais aussi un temps partagé, celui de l’agenda. Le recours à l’histoire est une modalité essentielle pour construire cet espace et ce temps communs. C’est à ce prix que les acteurs deviennent pleinement des habitants : loin de seulement occuper des territoires (même s’ils sont soigneusement définis), ils les pratiquent et les habitent. L’intérêt de la pièce – et peut-être du théâtre en général – n’est pas tant de montrer des espaces que les acteurs qui se les approprient. Il existe donc un habiter propre au théâtre, qui permet de faire du théâtre un outil d’analyse puissant des sociétés, dont les sciences sociales – et en premier lieu la géographie – peuvent s’emparer.

4.  Remerciements

Je remercie les évaluateurs anonymes dont les remarques constructives m’ont permis de clarifier et d’approfondir mon propos, ainsi les directeurs de ce numéro thématique qui ont estimé que cet article trouvait une place dans la collection qu’ils ont rassemblée. Je remercie surtout Baptiste Amann des échanges et du travail mené ensemble depuis Nous sifflerons la Marseillaise et de la confiance qu’il m’a témoignée et de l’aide qu’il m’a apportée tout au long de l’écriture de cet article.

Notes

  • [1]
    On retrouve l’ambition sociologique et historique qui anime aussi bien les cycles de Balzac (La comédie humaine) que de Zola (Les Rougon-Macquart).
  • [2]
    Cette formulation est calquée sur l’article très riche de Muriel Rosemberg « La spatialité littéraire au prisme de la géographie » (Rosemberg, 2016).
  • [3]
    Une fiche bio-bibliographique est proposée sur le site de « Théâtre ouvert » (Centre national des dramaturgies contemporaines) : http://theatre-ouvert.com/biographie/baptiste-amann
  • [4]
    Le premier volet s’intitule Nous sifflerons la Marseillaise (Amann, 2015), le deuxième D’une prison l’autre (Amann, 2017) et le troisième Tout sera pardonné ? (Amann, 2020). Les intrigues sont résumées dans la première partie de cet article.
  • [5]
    Extrait de la présentation du spectacle disponible en ligne : http://theatre-ouvert.com/territoires-nous-sifflerons-marseillaise.
  • [6]
    Ses autres textes ont tous été montés par le metteur en scène Rémy Barché.
  • [7]
    La mobilisation de cette histoire révolutionnaire permet également à Baptiste Amann d’inscrire sa trilogie dans l’actualité théâtrale : des dramaturges ont mobilisé en même temps que lui ces matériaux de l’histoire de France. Joël Pommerat met en scène la Révolution française dans Ça ira (1). Fin de Louis (Pommerat, 2016) ; Sylvain Creuzevault dans Banquet Capital (créé en 2019) relit Marx pour explorer non pas la Commune et la fin du Second Empire mais 1848 et l’avènement de la Seconde République ; Julie Bertin et Jade Herbulot (Le Birgit Ensemble) convoquent quant à elles la Guerre d’Algérie dans Les oubliés (Alger-Paris) créé à la Comédie-Française en janvier 2019, tout comme Alexandra Badea dans Points de non-retour. Quai de Seine (Badea, 2019) créé au Festival d’Avignon en 2019.
  • [8]
    Rappelons qu’étymologiquement le théâtron désigne l’endroit depuis lequel on assiste à une représentation.
  • [9]
    La scénographie désigne l’aménagement de la scène en vue de la représentation d’une œuvre.
  • [10]
    Il faut attendre la fin du troisième volet, Et tout sera pardonné ?, pour que la fratrie – et ceux qui la rejoignent – se retrouve ensemble autour du lit de Benjamin à l’hôpital au moment où il meurt.
  • [11]
    Au théâtre, une patience est un long rail le long duquel on peut tendre des voiles qui délimitent des portions de la scène.
  • [12]
    La situation rappelle celle du Decameron de Boccace tel que l’analyse Lionel Ruffel (Ruffel, 2019) : un groupe se coupe de la société alors que la menace gronde et, par ses discours, invente un nouveau monde. Cela anticipe les confinements et couvre-feux que la crise du covid-19 a rendus familiers.
  • [13]
    Les titres de chacune des pièces l’attestent. Nous sifflerons la Marseillaise fait écho à la Révolution française, mais aussi aux événements qui ont émaillé la finale de la Coupe de France de football au Stade de France le 11 mai 2002 ; Et tout sera pardonné ? fait écho à la première une de Charlie Hebdo après la reprise de la publication interrompue par les attentats de janvier 2015 (Boucheron, Riboulet, 2015). C’est une manière de clore le cycle sur le terrorisme (l’élément déclencheur de l’écriture de la trilogie) tout en permettant de revenir à l’Algérie.
  • [14]
    Même si la pièce a été conçue bien avant (la première lecture publique a eu lieu à Théâtre Ouvert en juin 2019), les spectateurs du troisième volet à l’hiver 2019 ne peuvent que faire le rapprochement avec la crise des gilets jaunes qui a commencé quelques semaines plus tôt. Bien plus, le long monologue sur les violences policières fait écho lui aussi aux violences exercées par les forces de l’ordre dans la répression de ces manifestations (Dufresne, 2019).
  • [15]
    Baptiste Amann explique avoir été surpris d’entendre un jour une militante d’un mouvement Occupy en Australie qui s’appelait Louise Michel : son seul nom donnait ainsi à son combat une portée bien plus grande.
  • [16]
    Djamila Bouhired est revenue sous les feux de l’actualité, alors qu’elle s’est volontairement tenue à l’écart de la vie politique algérienne. Au printemps 2019 (alors que le troisième volet de la trilogie était déjà écrit et en création) elle a participé à deux manifestations à Alger contre la candidature du président sortant Bouteflika à l’élection présidentielle. Là encore, avec une certaine préscience, Baptiste Amann anticipe l’actualité, preuve de la contemporanéité des thématiques qu’il traite et des matériaux historiques qu’il convoque.
  • [17]
    La cité est bien sûr ici à prendre dans sa polysémie et désigne aussi bien le corps politique que le quartier d’où vient le tumulte et dont Moussa est un représentant.
  • [18]
    « La prison, ce n’est que de la géographie » (D’une prison l’autre, p. 78). Le mot géographe apparaît pour désigner Élisée Reclus dans le second volet : Louise Michel le qualifie de « géographe végétarien ».
  • [19]
    Cette citation – qui a inspiré le travail du chorégraphe Aurélien Bory qui en a tiré un spectacle créé en 2016, Espaece (Blondeau, 2017) – constitue un programme de travail pour la géographie dans son ensemble.
  • [20]
    Là encore, la tente Quechua renvoie à un imaginaire politique contemporain, qui a commencé sur les rives du canal Saint-Martin à Paris en 2006 avec les « Enfants de Don Quichotte » pour aider les sans-logis, et qui passe par les différentes Zones à Défendre, comme à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens. La tente Quechua donne aussi de la visibilité aux migrants présents en plein cœur de Paris.
  • [21]
    Cette citation de Baudelaire, extraite du poème « Le cygne » (Les fleurs du mal), reprise par Julien Gracq dans La forme d’une ville puis par Jacques Roubaud comme titre de son recueil La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, constitue, elle aussi, un programme pour la géographie.
  • [22]
    De faux toponymes sont mobilisés dans le deuxième volet, comme la cité des Aygalons dont parlent Lahcen et Hafiz : ce nom est fictif et ne renvoie à aucun lieu existant.
Français

L’ambition de cet article est double. D’une part, proposer une grille de lecture fondée sur l’habiter qui permette d’explorer les spatialités théâtrales, c’est-à-dire ce qui se produit sur une scène quand des comédiens performent un texte (écrit ou non) dans le cadre d’une représentation. D’autre part, mobiliser cette grille de lecture pour étudier les dimensions géographiques de la trilogie Des territoires écrite et mise en scène par le dramaturge Baptiste Amann. L’analyse ainsi menée met en lumière l’importance de la dimension spatiale pour comprendre les significations historiques, sociales et politiques de l’œuvre, et sa portée contemporaine.

Mots-clés

  • Théâtre
  • spatialités théâtrales
  • habiter
  • habitant
  • acteur
  • Baptiste Amann
  • Des territoires

Bibliographie

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Yann Calbérac
Maître de conférences, Université de Reims-Champagne-Ardenne, CRIMEL, Institut universitaire de France
Université de Reims-Champagne-Ardenne
UFR Lettres et sciences humaines – Département de géographie
57 rue Pierre-Taittinger
51096 Reims cedex
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/07/2021
https://doi.org/10.3917/ag.739.0080
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