CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Les espaces périurbains sont généralement considérés comme des lieux où les contraintes de la mobilité s’exercent de manière particulièrement forte sur les habitants. Espaces par excellence de la dépendance automobile (Dupuy, 1995), formatés par et pour l’usage de la voiture, ils sont le support de déplacements nombreux et de distances parcourues plus élevées que dans le reste des agglomérations urbaines (Orfeuil, 2000 ; DREIA, 2013). Les faibles densités et la dispersion des lieux d’emploi, des commerces, des équipements et, plus généralement de l’ensemble des lieux d’activités, tendent à accroître une mobilité non choisie.

2 Ces contraintes de mobilité concernent l’ensemble des ménages périurbains, qui ont à gérer des chaînes de déplacements complexes et coûteuses. Elles sont particulièrement fortes pour les ménages modestes, qui sont amenés à réduire leurs déplacements pour faire face aux coûts élevés de la mobilité (Motte-Baumvol et al., 2010). Devenant parfois « captifs du périurbain » (Rougé, 2007), et réalisant l’essentiel de leurs activités dans des espaces de vie restreints, ces ménages se trouvent dès lors affectés par un accès moindre aux équipements, services ou emplois (Caubel, 2006 ; Motte-Baumvol, 2008 ; Wenglenski, 2004). À l’inverse, les ménages aisés, se déplaçant dans des espaces beaucoup plus vastes, ont des possibilités d’accès élargies mais en paient le prix, en termes de temps passé et de coût financier.

3 Pourtant, depuis une dizaine d’années, de nombreux travaux ont remis en cause cette image générale, largement dépréciative, du périurbain comme territoire de mobilités intenses (Rougé et al., 2013). On remarque d’une part une tendance à l’inflexion des comportements de mobilité, pour les navettes domicile-travail comme pour les mobilités d’achats ou de loisirs, ou tout du moins à une complexification des mobilités périurbaines, et ce dans différents contextes territoriaux, des grandes aires urbaines, en Ile-de-France ou dans l’agglomération toulousaine (Aguilera et al., 2006 ; Berger, Aragau et Rougé, 2014 ; Bonnin-Oliveira, 2013) aux villes moyennes (Cailly et Dodier, 2007). D’autre part, plusieurs travaux ont mis en évidence l’ancrage des habitants des espaces périurbains. Jean Rémy (1996) a défini l’ancrage comme « l’attachement à un lieu », qui peut représenter, pour certains individus, « le point de référence à partir duquel des explorations extérieures se font ». Comme le rappelle Christophe Imbert (2005, p. 160), l’ancrage « peut se décliner sous plusieurs modalités et à plusieurs échelles sociales, spatiales et temporelles ». Les travaux sociologiques ont permis d’approfondir la question de l’attachement collectif à un lieu dans ses dimensions les plus symboliques et de décrire les éléments qui font qu’au quotidien, les habitants s’ancrent dans un espace particulier (Authier, 2001 ; Authier, 2008 ; Benoît-Guilbot, 1986). On sait depuis les premiers travaux sur les pavillonnaires que l’ancrage périurbain passe par un fort rapport au logement (Haumont, 2001 ; Goyon, Ortar, 2009), mais il s’appuie également sur des réseaux sociaux et familiaux inscrits dans l’environnement proche, comme l’ont notamment montré les travaux de C. Imbert pour les villes nouvelles (2005), et plus généralement sur les ressources locales (Berger, Aragau, Rougé, 2014). À cet ancrage s’articule de surcroît la construction d’une identité spécifique, proche de celle des ruraux, autour de l’idée de « campagne » (Morel-Brochet, 2007).

4 Ainsi, l’image générale d’espaces périurbains où les habitants sont soumis soit à une immobilité subie soit à une mobilité imposée par la dispersion des lieux d’activité nous semble devoir être relativisée, pour deux séries de raisons. D’une part, les habitants déploient des stratégies visant à réduire ou neutraliser les effets de la contrainte de mobilité, en particulier automobile (Coutard et al., 2002, 2004 ; Motte-Baumvol et al., 2010), qu’il s’agisse de relocalisation de l’emploi, de chaînage des déplacements à motifs multiples, de mobilisation des ressources locales (Bouleau et Mettetal, 2014 ; Jouffe et al., 2015) ou des réseaux familiaux et sociaux. D’autre part, loin d’être caractérisé par une dispersion généralisée, le périurbain apparaît comme de plus en plus structuré par des pôles d’activités, tant sur le plan des emplois (Berroir et al., 2007) que des commerces (Delage, 2012) ou des équipements et services (Motte-Baumvol, 2008), qui organisent les pratiques des habitants dans des espaces de proximité.

5 À partir de ce double constat, cet article vise à analyser les pratiques de mobilité des habitants dans les espaces périurbains et à interroger le rôle de l’ancrage dans la construction de leurs espaces de vie, définis comme « l’ensemble des lieux avec lesquels l’individu est en rapport », ce qui permet « d’élargir le champ de l’observation au-delà de l’individu, en replaçant celui-ci dans son contexte spatial » tout en le « [situant] socialement ou fonctionnellement » (Robette, 2012). Cette notion recoupe celle d’espace d’activités, qui désigne la combinaison de lieux fréquentés au cours des activités quotidiennes ainsi que les trajets qui les relient (Golledge, Stimson, 1997), sans pour autant s’y réduire puisque l’espace de vie « englobe non seulement les lieux de passage et de séjour, mais également tous les autres lieux avec lesquels l’individu est en rapport » (Courgeau, 1988).

6 Les espaces de vie sont donc construits par les pratiques spatiales des individus et plus largement par les manières d’habiter (Authier, 2008). Plusieurs recherches ont montré que ces manières d’habiter sont différenciées selon les caractéristiques sociales des individus et selon les caractéristiques morphologiques et sociales des contextes dans lesquels ils résident (Authier, 2008). À la suite de ces travaux, nous partons ici de l’hypothèse selon laquelle, dans le contexte des espaces périurbains, tout autant que dans celui des espaces centraux, les espaces de vie sont fortement structurés par la position sociale. Nous suivrons en cela les conclusions d’autres auteurs (Cailly et Dodier, 2007 ; Hervouet, 2007) qui ont montré que les pratiques de mobilité comme la configuration des espaces de vie dépendent de l’appartenance sociale [1].

7 Cependant, nous montrerons, dans un second temps, que l’ancrage joue un rôle essentiel dans les pratiques de l’ensemble des habitants, qui tendent à privilégier des pôles de ressources locales. Ainsi, les habitants du périurbain semblent favoriser et valoriser l’ancrage local de leurs pratiques. Finalement, il s’agit d’établir que la mobilité, loin de s’opposer à l’ancrage, tend au contraire à s’y articuler, selon des modalités qui varient en fonction de l’appartenance sociale.

1.  Terrains et méthodes

8 Nous nous appuyons sur une enquête menée en 2013 [2] dans trois secteurs situés au nord de la métropole parisienne, autour d’Écouen-Ézanville, Méru et Senlis [3]. Si le premier secteur s’inscrit en bordure de l’agglomération parisienne à laquelle il appartient, les deux autres ont en commun d’être situés à la même distance de Paris, à savoir environ 50 km. Méru est incluse dans l’aire urbaine de Paris depuis 1999, Senlis définit à elle seule une petite aire urbaine, mais celle-ci se trouve en bordure de l’aire urbaine de Paris. Socialement, ces secteurs sont très différenciés, en particulier ceux de Méru et Senlis, le premier étant marqué par une forte présence des classes populaires, alors que l’autre constitue un lieu de résidence traditionnel de la bourgeoisie. Le choix de ces terrains fort contrastés renvoie à notre objectif de mesurer le poids des contextes résidentiels et des déterminants sociaux dans le rapport des habitants au territoire périurbain. Les 98 entretiens semi-directifs réalisés ont porté sur trois thèmes : le parcours résidentiel et biographique ; l’espace de vie, incluant la collecte systématique des lieux régulièrement fréquentés en lien avec une activité [4] ; l’ancrage et les représentations du territoire. Par le choix des terrains puis par ajustements successifs, nous avons construit un échantillon (tab. 1) le plus proche possible de la population de référence, notamment en termes de catégories socio-professionnelles, de genre et d’âge (Berroir et al., 2015) [5].

Tableau 1

Profil des enquêtés  

Profiles of inhabitants interviewed  

    Secteur de Méru Secteur de Senlis Secteur de Écouen-Ézanville
Enquêtés Nombre 34 31 33
Âge Tranche d’âge 23 à 86 ans 24 à 75 ans 24 à 80 ans
Moyenne d’âge 49 ans 51 ans 48 ans
Sexe Homme 20 13 11
Femme 14 18 22
Situation Actifs avec emploi 18 23 20
Actifs sans emplois 6 1 4
Retraités/
préretraités
9 7 7
Étudiants 1 0 2
Niveau d’étude Sans le Bac 22 7 7
Avec le Bac uniquement 10 18 11
2e et 3e cycles 2 6 15
Statut d’occupation dans le logement Propriétaire 22 26 33
Locataire 11 5 0
Hébergé 1 0 0
Ancienneté d’occupation < 2 ans 2 2 5
2-10 ans 14 20 21
> 10 ans 18 9 7
Possibilité d’utiliser une voiture Non 2 0 0
Oui, occasionnellement 7 4 3
Oui, tout le temps 25 27 30
figure im1

Profil des enquêtés  

Profiles of inhabitants interviewed  

Source : Enquête « Lieux et hauts lieux des densités intermédiaires » auprès de 98 habitants (2013)

9 L’analyse qualitative de ces entretiens vient éclairer de manière fine les rapports que les habitants entretiennent avec leur espace local et régional en fonction de leur position sociale. Elle apporte des éléments d’une grande richesse sur les contraintes de mobilité qui pèsent sur les habitants autant que sur les formes prises par l’ancrage local. L’analyse quantitative permet d’étayer précisément les hypothèses relatives à la forme de l’espace de vie des habitants à partir de la géolocalisation [6] de l’adresse des lieux cités. L’échantillon [7] sur lequel nous nous appuyons pour cette analyse est constitué de 98 lieux de résidence et de 1604 lieux d’activités. Trois indicateurs complémentaires ont été créés pour analyser les pratiques de mobilité des habitants et la forme de leur espace de vie :

10

  • ­ le nombre de lieux d’activités par habitant ;
  • ­ la distance moyenne (à vol d’oiseau) entre les lieux d’activités et le lieu de résidence des habitants ;
  • ­ la dispersion spatiale des lieux d’activités et de résidence par habitant, à partir de la taille de l’ellipse de dispersion [8].

11 Tant pour l’analyse quantitative que qualitative, nous avons abordé la structuration sociale des pratiques de mobilité en classant les enquêtés en quatre catégories : classes populaires, « petits moyens », classes moyennes et classes supérieures. La répartition des enquêtés dans chaque catégorie, qui inclut bien entendu une part de subjectif, a été effectuée en mesurant, pour chaque enquêté, la combinaison des niveaux de capital économique et de capital culturel (Bourdieu, 1979) :

12

  • ­ Les classes populaires (17 enquêtés) se caractérisent par un niveau très faible de capital économique et de capital culturel. Ce sont généralement des ouvriers ou des employés, parfois chômeurs. Ils ont des revenus modestes ou très modestes et sont pour la plupart locataires de leur logement. La quasi-totalité de ces enquêtés vit à Méru, dans le centre ancien du bourg et dans un quartier d’habitat social.
  • ­ La classe des « petits moyens » (30 enquêtés) est issue des travaux de Cartier et al. (2008), qui désignent ainsi des ménages d’origine populaire ayant connu une trajectoire de petite ascension sociale tendant à les rapprocher des classes moyennes sans les y inscrire totalement. Ces enquêtés sont presque tous propriétaires de leur logement, qui est généralement une maison individuelle située dans un lotissement de la périphérie des bourgs.
  • ­ Les classes moyennes (35 enquêtés) sont la catégorie la plus représentée dans notre enquête. Elles se caractérisent par un capital économique et un capital culturel plus importants que les « petits moyens » et une trajectoire sociale et résidentielle plus assurée.
  • ­ Les classes supérieures (16 enquêtés) cumulent un capital économique et un capital culturel élevés. Cadres supérieurs, pilotes ou chefs d’entreprise, ils sont tous propriétaires de leur logement et vivent pour la plupart à Senlis et dans ses environs.

2.  Des pratiques de mobilité et des espaces de vie différenciés selon la position sociale

13 L’analyse à la fois quantitative et qualitative des pratiques spatiales des habitants de nos trois terrains d’étude montre que le nombre de lieux d’activité fréquentés ainsi que l’étendue des espaces d’activité des habitants sont liés à leur position sociale. Notre enquête confirme ainsi globalement le rôle déterminant de la position sociale dans les pratiques de mobilités : les ménages les plus aisés parcourent des distances nettement plus importantes que les ménages modestes (Orfeuil, 2004) et ont des trajets quotidiens plus longs (Le Jeannic et Razafindranovona, 2009). Laurent Cailly et Rodolphe Dodier (2007, 2013) montrent qu’en matière de pratiques et de modes d’habiter, la différenciation sociale est importante dans les espaces périurbains des villes moyennes : les périurbains à faible niveau de ressources économiques et culturelles se caractérisent par une mobilité hors travail très réduite, un fort investissement du logement et de sa périphérie immédiate. À l’inverse, les périurbains aisés se distinguent par une forte mobilité hors travail et une fréquentation intense du centre de leur agglomération. Pour eux, la mobilité n’est pas une contrainte mais un « principe d’épanouissement », voire une forme de distinction. Laurent Cailly (2008) a également mis en avant le rôle de la position sociale dans les pratiques des habitants du périurbain, sous forme d’un différentiel de « capital de mobilité ».

2.1.  Les espaces de vie des classes populaires : une dépendance locale marquée

14 Dans nos enquêtes, les pratiques des ménages des classes populaires sont circonscrites à des espaces très restreints, dans un rayon faible de leur lieu de résidence : « En règle générale, c’est quand je prends l’air dehors, euh… je me promène juste dans le centre-ville… Mais euh, c’est tout hein » (Sonia, 38 ans, chômeuse, propriétaire d’une maison dans le centre ancien de Méru) [9]. On constate (tab. 2) que la distance entre le lieu de résidence et les lieux d’activités est bien moindre pour les classes populaires (6 km en moyenne, contre 7,8 km pour l’ensemble de la population) que pour les classes supérieures (10,1 km en moyenne). Ce gradient social apparaît cependant plus ou moins clairement selon le type d’activité considéré. Par exemple, pour les courses alimentaires, la distance par rapport au domicile reste sensiblement la même quelle que soit la catégorie sociale. En revanche, pour les services et équipements, les distances parcourues par les habitants augmentent progressivement avec le statut social et vont jusqu’à doubler entre les classes populaires et les classes supérieures (3,1 contre 6,9 km) [10].

Tableau 2

Description de l’espace de vie des habitants selon leurs catégories sociales  

 Description of space of living of inhabitants according to social categories 

  Population totale
98 individus
Classes populaires
17 individus
Classe « Petits Moyens »
30 individus
Classes moyennes
35 individus
Classes supérieures
16 individus
Test
Anova
Distance moyenne (en km) entre le lieu de résidence et les lieux d’activités
Tout type d’activités 7,8 6,0 7,6 7,6 10,1 < 0,001
Courses alimentaires 3,7 4,2 3,3 3,6 4,3 > 0,10
Services et équipements 4,2 3,1 3,6 4,1 6,9 0,001
Travail/études 15,8 14,7 15,5 10,2 24,0 < 0,01
Loisirs 11,2 8,7 10,7 11,8 12,5 > 0,10
Nombre de lieux d’activité par habitant (en moyenne)
Tout type d’activités 16,4 12,1 17,9 16,5 17,7 < 0,001
Courses alimentaires 3,8 3,6 3,7 4,1 3,8 > 0,10
Services et équipements 4,4 3,8 3,9 4,6 4 > 0,10
Travail/études 0,6 0,3 0,6 0,6 1 0,01
Loisirs 7,3 4,1 8,6 7,2 8,6 < 0,001
Nombre (%) des lieux d’activités situés à Paris par habitant (en moyenne)
Tout type d’activités 0,9 (5.4 %) 0,2 (1,5 %) 0,9 (5,0 %) 0,7 (4,3 %) 1,9 (10,9 %) < 0,001
Dispersion spatiale des lieux de résidence et d’activité
Taille moyenne de l’ellipse de dispersion (en km²) 229,5 119,9 212,4 254,3 323,8 < 0.10
figure im2

Description de l’espace de vie des habitants selon leurs catégories sociales  

 Description of space of living of inhabitants according to social categories 

Sources : Enquête « Lieux et hauts lieux des densités intermédiaires », 2013

15 Une nette différenciation sociale apparaît aussi quant au nombre de lieux fréquentés, notamment pour les loisirs, qui sont deux fois moins nombreux chez les classes populaires que chez les classes supérieures (figure 2). Les habitants des classes populaires effectuent peu de sorties, ne partent pas en week-end, et partent beaucoup moins en vacances que les habitants des autres catégories sociales : « Non. Moi, rien. J’reste à Méru-plages, moi […]. J’ai pas les moyens moi de sortir » (Maria, 47 ans, technicienne de surface, locataire HLM à Méru/La Nacre). Leurs sorties se résument surtout à des visites à la famille. Les déplacements sont limités par la contrainte des moyens financiers mais aussi par le manque de familiarité avec les lieux et une certaine crainte de l’inconnu :

16

« Mes enfants le savent, quand ils vont dans une grande ville, ils me préviennent : maman, on va dans une grande ville, n’aie pas… ça va aller. Bon, je sais qu’ils sont là, mais toute seule, non. […] Beauvais, pour moi, c’est déjà grand, vous voyez » (Mireille, 60 ans, ouvrière, locataire HLM à Méru).

17 Ces habitants des classes populaires fréquentent très peu Paris. Moins de 2 % de leurs lieux d’activités y sont situés, tout d’abord en raison de la pénibilité du déplacement : « Déjà, quand je vais à Paris, une journée, je reviens, je suis…, j’ai la tête, elle est grosse comme une citrouille » (Magali, 57 ans, ouvrière, locataire d’une maison dans le centre ancien de Méru). La peur de s’y perdre est parfois évoquée. De nombreux discours renvoient à « l’idéologie anti-urbaine » développée, selon Laurent Cailly et Rodolphe Dodier (2007), par les habitants périurbains modestes. Ils révèlent parfois un repli sur le logement, lié à une précarisation économique et à une certaine désaffiliation sociale, à l’image de Bruno (24 ans, chômeur, locataire d’un appartement ancien du centre de Méru) : « Disons que je suis un casanier […]. Mes amis, je ne les vois plus […]. Quand je rentre chez moi, je préfère être tranquille. »

18 Cette limitation des déplacements est aussi liée à des contraintes plus matérielles. Ainsi, l’absence fréquente de voiture ou l’accès limité à celle-ci (notamment pour les femmes) sont des raisons fréquemment invoquées pour expliquer la limitation des déplacements : « J’ai pas de voiture, donc j’peux pas bouger » (Sofia, 47 ans, technicienne de surface, locataire HLM à Méru/La Nacre). De même, l’absence de permis de conduire est un obstacle fréquent à la mobilité. Elle peut induire une situation de dépendance pour une grande partie des déplacements :

19

« Voilà, pour être à côté… vu que j’ai pas le permis pour l’instant, je suis en conduite accompagnée, donc… j’ai toujours besoin de mon mari pour m’emmener quelque part. Parce qu’avec le train, bon c’est pas évident, hein » (Lisa, 38 ans, chômeuse, propriétaire d’une maison dans le centre ancien de Méru).

20 Le fait de ne pas avoir de voiture ou de permis a également des répercussions sur les choix résidentiels, conditionnés par la nécessité de trouver un lieu d’habitation où la plupart des ressources sont accessibles sans voiture. Lionel Rougé (2007) a parlé de captivité, voire d’une certaine « assignation à résidence » pour ces ménages, piégés par le périurbain. Ils s’y sont installés en pensant gagner sur les coûts du logement et n’ont pas anticipé les coûts de la mobilité (Orfeuil et Pollachini, 1999). Celle-ci devient donc extrêmement contrainte et les ménages tendent à réduire leurs déplacements pour faire face à ces coûts. Cela renvoie également à un processus de dépendance locale (Coutard et al., 2002), qui attache les habitants des classes populaires à des territoires pourvus des ressources indispensables, dont ils sont relativement captifs.

2.2.  Les espaces de vie diversifiés des « petits moyens » et des « classes moyennes »

21 Les espaces de vie des petits moyens et des classes moyennes combinent pratiques de proximité associées à des déplacements pédestres et pratiques plus lointaines motorisées. Plus diversifiés, ces espaces de vie ne révèlent pas une dépendance locale aussi marquée que pour les classes populaires. Les déplacements pour l’emploi, pour l’accès aux commerces (notamment vers les nombreux centres commerciaux), aux services, ou aux loisirs se font très majoritairement en voiture. Nombreux sont ceux qui évitent de prendre les transports en commun, parfois après les avoir beaucoup utilisés, un choix qui s’explique souvent par la mauvaise image de ce mode de déplacement, par sa pénibilité voire par de mauvaises expériences passées. Si les habitants sont souvent conscients de leur dépendance à la voiture, ils tendent à souligner les facilités qu’elle permet, par exemple pour rejoindre directement un lieu d’emploi alors que les transports en commun imposeraient plusieurs changements. Si certains itinéraires sont peu appréciés du fait des encombrements, un nombre non négligeable d’enquêtés fait référence aux traversées de la campagne, à la qualité et à l’ouverture des paysages qui sont très valorisées.

22 De façon commune à l’ensemble des habitants de cette catégorie, la multipolarité des espaces quotidiennement fréquentés est un élément fort de différenciation avec ce qui a été mis en évidence pour les classes populaires. La place que les différents centres bourgs, petites villes ou villes un peu plus importantes, majoritairement situés dans un environnement proche, occupent dans les espaces de vie des habitants est variable et dépend de plusieurs facteurs, notamment du type de ressources : commerces spécialisés (produits alimentaires spécifiques, magasins de bricolage…), commerces non sédentaires (marché), équipements spécifiques (cinéma par exemple…). Les habitants démontrent ainsi combien ils savent jouer de la complémentarité des lieux suivant les ressources proposées pour les commerces ou les sorties.

23 Au sein de ces espaces de vie multipolaires, Paris occupe une place très variable selon les habitants, qui ont à son égard un rapport assez ambivalent, sans qu’il soit possible de différencier clairement des pratiques en fonction du niveau social au sein même de cette catégorie de population. Certes, certains propos témoignent de cette vision négative et de cette volonté d’évitement, rejoignant alors certaines positions « anti-urbaines » des classes populaires : « Paris, c’est trop ville pour moi. Je déteste Paris, le bruit, le monde… être bousculée tout le temps » (Emma, 27 ans, conseillère de vente, propriétaire d’une maison à Esches). Mais de façon plus partagée, c’est moins une image négative de la ville elle-même qui est exprimée, que les nombreuses difficultés rencontrées pour y accéder. Ainsi, la route pour aller à Paris peut être jugée peu agréable, dangereuse, embouteillée, le stationnement à Paris difficile et les déplacements en transports en commun longs et contraints par des horaires pas toujours bien adaptés.

24 Les deux catégories, « petits moyens » et classes moyennes, ne se distinguent pas nettement du point de vue de la nature et de la diversité des activités pratiquées. Le nombre de lieux d’activités, leur distance par rapport au domicile ainsi que la dispersion spatiale des lieux fréquentés sont relativement similaires pour ces deux groupes sociaux (tab. 2). Cependant, les entretiens laissent penser que les habitants des classes moyennes ont une plus grande capacité de mobilisation des ressources associatives et culturelles reposant sur la possession de capital culturel. Ces pratiques différentielles se retrouvent aussi dans la fréquentation de la bibliothèque, du théâtre, ou encore du cinéma.

25 De même, la nature du rapport à la ville introduit des nuances entre les individus, qui semblent assez nettement recouper la diversité des positions sociales de ce sous-ensemble. Pour les niveaux supérieurs de ces classes moyennes, la ville, au-delà d’un lieu de concentration de ressources variées, est également décrite et appréciée comme un lieu de promenades, de flânerie : « On aime bien aller se promener dans les rues piétonnes, derrière la cathédrale, tout ça. Donc Beauvais, j’aime bien » (Edwige, 51 ans, comptable, propriétaire d’une maison à Anserville). A contrario, Livia (36 ans, coiffeuse, propriétaire d’une maison à Lormaison) met en avant la fréquentation des centres commerciaux périphériques de Beauvais, alors qu’elle ne fréquente pas le centre de la ville. La place des grands centres commerciaux dans les pratiques et les discours des habitants dessine une ligne de partage, pour partie sociale, entre celles et ceux qui valorisent les aménités urbaines et la fréquentation des centres urbains et qui ont une image fonctionnelle voire négative des centres commerciaux, et les habitants qui au contraire apprécient ces lieux pour la densité et la diversité de l’offre commerciale proposée et la possibilité de s’y promener.

2.3.  Les espaces de vie des classes supérieures : la mobilité comme distinction ?

26 En analysant les espaces de vie des habitants des classes supérieures, on constate que l’ensemble de leurs lieux d’activités (à l’exception de leurs lieux d’achats alimentaires) sont plus éloignés du domicile que ceux des classes populaires et que leur dispersion spatiale est près de 2,5 fois supérieure à celle des classes populaires (tab. 2). Ces résultats reflètent bien l’idée d’éclatement spatial et de « zapping territorial permis par l’automobile » pour les classes supérieures (Cailly, 2008), et rendent compte de la capacité des classes supérieures à accéder à des ressources rarement situées à proximité les unes des autres. Une analyse quantitative portant sur près de 5 500 habitants de l’agglomération parisienne avait également mis en évidence que la dispersion spatiale des lieux d’activité augmente avec les revenus des habitants et que les populations les plus aisées, en plus de disposer d’un nombre accru de ressources à proximité de leur domicile, accédaient grâce à leur mobilité à un plus grand nombre de ressources à proximité des lieux qu’elles fréquentent quotidiennement (Vallée et al., 2015). Espaces urbains comme périurbains apparaissent donc comme des territoires où les pratiques spatiales quotidiennes sont socialement différenciées. Cependant, contrairement aux habitants des classes supérieures des centres urbains, les pratiques quotidiennes des périurbains aisés s’appuient sur l’automobile : tous les enquêtés ont un accès facile à l’automobile et ne prennent que très rarement les transports en commun. Les travaux sur les représentations des modes de transports ont bien montré « l’imbrication des attributs spatiaux et des attributs sociaux » dans la production des représentations des modes de transports (Carpentier, 2011). On relève ainsi une très forte valorisation de la voiture, alors que les transports en commun peuvent être l’objet de discours très négatifs. Tel est le cas de Samuel, dont le ménage dispose de trois voitures :

27

« [Les transports en commun], c’est un environnement qui ne me plaît pas, je suis désolé mais déjà c’est pas propre, et puis… on croise un maximum de loulous là-dedans et puis moi c’est bon… Je tiens à ma sécurité c’est aussi con que ça » (Samuel, 36 ans, pilote de ligne, propriétaire d’une maison à Villers-St-Frambourg).

28 On retrouve chez les classes supérieures une configuration des pratiques proche de celle des classes moyennes, avec cependant des pratiques de mobilités à des échelles plus larges et plus variées, en lien avec des activités très diversifiées (culture, consommation, loisirs…). Leurs espaces de vie se caractérisent en premier lieu par une pratique intense des petites villes environnantes, comme Senlis ou Chantilly, à la fois pour l’emploi, les commerces et services, les sociabilités et les sorties, ainsi que des bourgs commerçants, ce qui distingue assez fortement les classes supérieures des autres groupes sociaux. Romain précise être « en train de changer ses habitudes » dans ce sens :

29

« Pour tout ce qui est alimentaire, purement alimentaire on allait dans la zone de Cora, une grande surface alimentaire, et en fait on change et on va maintenant dans des petits commerces dans les petits villages juste à côté de Chamant, et Villers-Saint-Frambourg. Il y a un boucher à Villers-Saint-Frambourg qui est très, très bon » (Romain, 40 ans, informaticien, propriétaire d’une maison à Barbéry).

30 Un autre point qui distingue les pratiques des classes moyennes et des classes supérieures est la fréquentation de Paris, beaucoup plus régulière chez les secondes, comme l’illustrent les cartes des ellipses de dispersion réalisées pour chaque groupe social (fig. 1) : les ellipses sont bien plus larges pour les classes supérieures et intègrent la ville de Paris. De fait, le nombre de lieux d’activités situés à Paris est nettement plus élevé pour les classes supérieures que pour les classes populaires. Cette fréquentation accrue de Paris est rarement liée à l’emploi mais renvoie à des activités spécifiques : loisirs et vie culturelle, sociabilité et réseaux d’amis. Ainsi, Elsa (40 ans, hôtesse de l’air, propriétaire d’une maison dans le centre de Senlis) se rend plusieurs fois par mois à Paris pour des activités culturelles (expositions, concerts) ou des sorties (café et restaurants avec des amis). Comme l’indique Laurent Cailly (2008), les ménages périurbains aisés combinent une mobilité intense et un fort rapport à la ville dense. De même, Matthieu fréquente Paris « parce que ce n’est pas loin » (39 ans, chef de cabine, propriétaire d’un appartement, Senlis/Faubourg-St-Martin) pour aller au restaurant, au café et visiter des musées au moins une fois par mois.

Figure 1

Dispersion spatiale des lieux de résidence et d’activités selon les catégories sociales des habitants 

 Spatial dispersion of places of residence and of activities, according to inhabitants’social categories. 

figure im3

Dispersion spatiale des lieux de résidence et d’activités selon les catégories sociales des habitants 

 Spatial dispersion of places of residence and of activities, according to inhabitants’social categories. 

31 À une échelle plus large, il faut souligner qu’une part importante des enquêtés appartenant aux classes supérieures possède une résidence secondaire ou dispose d’une maison de famille où ils se rendent régulièrement. Ariane va ainsi « le plus souvent possible » dans la maison de ses parents en Bretagne, « un endroit [qu’elle] apprécie autant pour la maison que pour les paysages magnifiques » (46 ans, décoratrice d’intérieur, propriétaire d’un appartement dans le centre de Senlis). De même, Jean « adore le village du Tour au-dessus de Chamonix » où il a un pied-à-terre et où il « aime bien aller pour la tranquillité, la nature, la montagne » (68 ans, directeur marketing à la retraite, propriétaire d’une maison dans le centre de Senlis). On retrouve également des formes de bi-résidence et les déplacements récurrents dans une autre région, et en particulier dans une autre ville où réside un proche, comme Jeanne-Marie (60 ans, mandataire liquidateur, propriétaire d’une maison à Villers-Saint-Frambourg) dont le conjoint travaille à Biarritz et qui s’y rend donc souvent. Plusieurs enquêtés correspondent même à un profil d’hypermobile, en particulier ceux qui travaillent pour des compagnies aériennes et fréquentent de ce fait une grande diversité de villes à travers l’Europe et le monde.

32 En définitive, chez les périurbains des classes supérieures, la mobilité n’est souvent pas vécue comme une contrainte mais comme un « principe d’épanouissement », voire une forme de distinction (Cailly et Dodier, 2007). Cela vaut d’ailleurs aussi pour le vécu de la mobilité quotidienne. Nombreux sont les enquêtés qui la considèrent comme un moment à part entière, quasiment comme un moment de détente en solitaire ou de concentration :

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« J’apprécie car j’écoute de la musique, je chante, je suis seule, je peux penser… Ça me détend avant d’aller voir mes patients. Je suis bien toute seule. Pascal c’est différent, quand il est dans un embouteillage il en profite pour appeler ses clients. Il ne perd pas son temps. Et là je peux lui parler, il a le temps » (Anne-Lise, 50 ans, podologue, propriétaire d’une maison dans le centre de Senlis).

34 Les discours révèlent très souvent un rapport esthétique aux territoires traversés : la beauté des paysages et de leurs variations saisonnières est souvent soulignée, certains itinéraires sont particulièrement appréciés. La mobilité s’en trouve elle-même valorisée, comme pour Ariane qui fait des trajets à l’aube dans la campagne aux alentours de Senlis :

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« Tous les vendredis j’ai réunion avec des chefs d’entreprise à Crépy, et c’est le matin à 7h15. Au début j’ai commencé à y aller c’était l’hiver, et au fur et à mesure tu y vas avec le lever du soleil. Et là tu as des paysages, ah mais ouais… Tu te dis que tu t’es levée à 5h45 mais ça valait le coup. La route de Crépy qui peut paraître moche comme ça mais de semaines en semaines, tu vois la végétation, la brume, Montépilloy dans le brouillard, c’est fantastique. Même s’il fait gris, il y a des nuances, il faut savoir apprécier ces moments-là » (Ariane, 46 ans, décoratrice d’intérieur, propriétaire d’un appartement dans le centre de Senlis).

36 Les pratiques de mobilité dessinent donc des espaces de vie très différents selon les positions sociales des habitants. Les espaces de vie réduits des classes populaires, contraints par la dépendance locale, s’opposent à ceux, plus diversifiés et multipolarisés des « petits moyens » et des classes moyennes. Quant aux classes supérieures, elles se caractérisent par des espaces de vie dilatés et un rapport spécifique à la mobilité, qui relève de la distinction plutôt que de la contrainte.

37 Si les pratiques de mobilité revêtent un caractère central dans les modes d’habiter et la définition des espaces de vie périurbains, elles ne suffisent cependant pas à caractériser les pratiques des habitants. Ainsi, nos résultats mettent particulièrement en avant le rôle de la proximité pour les habitants, à travers la mobilisation des ressources de l’espace local, qu’il s’agisse de l’emploi, des commerces et services ou des espaces de nature. Elles mettent également en lumière l’importance des réseaux sociaux dans la construction de l’ancrage local.

3.  La proximité et l’ancrage comme éléments structurants des pratiques des habitants

38 En Ile-de-France, si les habitants du périurbain se déplacent en moyenne sur des distances deux fois plus longues que les habitants du reste de l’agglomération (Bouleau et Mettetal, 2014), ces distances n’augmentent plus depuis 2010 et la longueur moyenne d’un déplacement a même légèrement diminué. Pour la première fois, les espaces de vie se reconcentrent. Mireille Bouleau et Lucie Mettetal (2014) en déduisent que les habitants des espaces périurbains franciliens, pour répondre à un besoin croissant d’ancrage, « exploitent de plus en plus les ressources de leur proximité », tandis que la recomposition des formes du périurbain explique également cette évolution des mobilités. Les trajets domicile-travail se sont stabilisés, en particulier pour les cadres et les employés. Dans l’Ouest francilien étudié par Martine Berger et al. (2014), on observe même un processus de rapprochement entre lieu de résidence et lieu de travail, qui concerne surtout les femmes des couples biactifs, et qui augmente avec la durée de l’installation, mettant en évidence des stratégies de rapprochement du lieu de travail. La proximité semble donc gagner du terrain dans les pratiques des habitants du périurbain. Selon Lionel Rougé et Séverine Bonnin-Oliveira (2008) [11], au fil des années, les habitants du périurbain toulousain « prennent place » dans leur commune et dans leur territoire de résidence par une meilleure maîtrise de leurs mobilités et un changement de leurs modes de vie, qui se recentrent sur l’espace résidentiel. La « captivité » décrite par Lionel Rougé dans ses premières enquêtes (2007) laisse place à un ancrage local, une insertion dans la localité et une moindre dépendance à l’agglomération (Rougé et Bonnin-Oliveira, 2008). Le mode d’habiter périurbain, caractérisé par une mobilité intense et dominée par l’automobile, devient de moins en moins spécifique (Cailly, 2008) et la « maturation » du périurbain (Berger et al., 2014) induit des pratiques de plus en plus structurées par la proximité et révélatrices d’ancrage. Les habitants du périurbain s’adaptent à leur milieu par une « gestion programmée et rationnelle de la mobilité » et tentent de recréer des espaces de proximité, en organisant leurs espaces de vie en réseau (Cailly, 2008).

39 Le second volet de cet article met l’accent sur le rapport dialectique entre mobilités, proximités et ancrage, puisqu’à la suite d’autres auteurs (Rémy, 1996 ; Authier, 1999), nous supposons que mobilités et ancrages ne constituent pas deux manières opposées d’habiter l’espace. Dans nos enquêtes, l’ancrage local se donne à voir dans les discours des habitants par la valorisation des ressources de l’espace local et par les stratégies mises en places pour maximiser l’utilisation des ressources de proximité et pour tisser des réseaux sociaux locaux : la recherche d’ancrage et de proximité se révèle être un élément structurant des pratiques de l’ensemble des habitants du périurbain, même si ces deux dimensions s’articulent selon des modalités différentes en fonction de l’appartenance sociale.

3.1.  Mobilisation et valorisation des ressources de l’espace local

40 Dans les travaux de Jean-Yves Authier et al. (2001), l’ancrage se définit par des pratiques intenses du logement et du quartier. Ainsi, le degré d’attachement au quartier des citadins est, la plupart du temps, étroitement lié « aux rapports effectifs qu’ils entretiennent, sous forme d’usages et de relations, avec leur lieu de résidence » (Authier, 2008). Il se reflète dans les activités (loisirs et sociabilités) pratiquées dans le logement ainsi que dans les différents registres d’usage du quartier (fréquentation des commerces, des bars, sorties dans le quartier, etc.).

3.1.1.  L’importance de l’emploi local

41 Une partie importante des enquêtés ont un emploi à proximité de leur lieu de résidence. C’est tout particulièrement le cas chez les classes populaires, qui ont en moyenne leur travail à moins de 15 km de leur domicile (contre 24 km pour les classes supérieures, cf. tableau 2). Ainsi, parmi les enquêtés, la proximité de l’emploi est particulièrement valorisée : « Je trouve que c’est une chance exceptionnelle d’avoir son lieu de travail à 10 min à pied, pour moi c’est une chance et ça n’a pas de prix » (Claude, 57 ans, infirmière, propriétaire dans le centre de Senlis). De nombreux habitants cherchent à rapprocher leur emploi lorsqu’il est éloigné. C’est le cas de Clémence (38 ans, assistante marketing, propriétaire d’une maison, Senlis/Bon Secours) qui a choisi de quitter son emploi à La Défense suite à son déménagement à Senlis et a fini par en trouver un nouveau à Creil, après un an et demi de chômage. C’est aussi le cas d’Angélique (42 ans, assistante maternelle, propriétaire d’une maison à Ézanville) qui a auparavant travaillé dans les Hauts-de-Seine, dans les assurances, alors qu’elle habitait à Villiers-le-Bel, ce qui lui imposait trois heures de transports en commun par jour ; le double changement professionnel et résidentiel lui a permis un recentrage sur son lieu de résidence : « j’ai voulu privilégier l’avenir de mes enfants. […] J’ai changé de métier, tout, pour pouvoir… m’occuper des miens, mes enfants ». Noël explique aussi comment ses parents ont cherché à relocaliser leur emploi près de leur lieu de résidence pour avoir une meilleure qualité de vie : « C’était la solution la plus simple. Les salaires sont moins élevés qu’à Paris, forcément, mais bon, c’est un choix. En fait c’est un autre cadre de vie. » (Noël, 23 ans, étudiant, habitant chez ses parents, Esches).

42 Ces différentes tactiques ont été également constatées par Lionel Rougé et Séverine Bonnin-Oliveira (2008) dans la seconde enquête sur les « captifs » du périurbain, qui ont peu à peu développé des stratégies d’adaptation telles que la relocalisation de l’emploi. De son côté, Nathalie Ortar (2008) montre que le critère de proximité est privilégié par les femmes périurbaines, notamment celles qui sont les moins qualifiées. Séverine Bonnin-Oliveira (2013) met aussi en avant des stratégies de rapprochement d’emploi, mises en œuvre en particulier par les femmes et pas seulement par les moins qualifiées. Ces stratégies sont permises par l’émergence de nouvelles polarités périurbaines, qui contribuent à la création d’une nouvelle géographie des mobilités, caractérisée par une croissance des flux dispersés et à courte distance.

3.1.2.  L’utilisation relativement intense des commerces locaux

43 L’univers d’approvisionnement des 98 enquêtés inclut certes des grandes centralités de la métropole parisienne, qu’elles soient situées dans l’agglomération (Paris, Stains, Saint-Denis, Cergy-Pontoise…) ou sur ses pourtours (L’Isle-Adam, Chantilly…), ainsi que deux villes moyennes (Beauvais et Compiègne). Mais pour la grande majorité des enquêtés, leur fréquentation est beaucoup moins forte que celle des centralités les plus proches des lieux de résidence (Berroir, Delage, Fleury, 2016). Ces pratiques de proximité renvoient avant tout au commerce alimentaire. Les habitants interrogés parcourent en moyenne 4,7 km depuis leur domicile pour faire leurs achats alimentaires, sans qu’on observe d’ailleurs de différences selon le profil social (tab. 2). Ces pratiques participent largement de l’ancrage des habitants dans l’espace local, en créant des liens avec d’autres habitants et/ou avec les commerçants.

44 C’est tout particulièrement le cas des petits commerces. Certains commerçants arrivent à créer des lieux ou des moments qui attirent les habitants et suscitent des rencontres, comme le propriétaire du café « Le Bar’béry », un lieu dont plusieurs enquêtés soulignent le caractère convivial, ou le boulanger qui passe régulièrement à Esches et Anserville. L’attachement des habitants aux petits commerces et aux commerçants se traduit par le constat récurrent d’une disparition de ces commerces, toujours déplorée, et du manque d’animation qui en découle. Pour une partie non négligeable des enquêtés, les centres commerciaux apparaissent également tout autant voire davantage valorisés que le petit commerce. La diversité de l’offre – incluant des commerces culturels voire des équipements de loisirs (cinémas, bowlings, etc.) – est bien souvent mise en avant. Ces centres commerciaux apparaissent en outre comme des lieux de déambulation, de flânerie, de sorties en famille. Les enquêtés ayant grandi dans ces secteurs expriment même volontiers leur attachement à ces lieux, comme Doreen (24 ans, maquilleuse, habitant chez ses parents, Moisselles), qui « adore l’espace culturel [Leclerc] » où elle « [passait] des après-midi entières quand [elle] était petite ».

3.1.3.  L’usage des espaces ouverts

45 Les pratiques de proximité font aussi ressortir de façon assez privilégiée les usages des espaces ouverts, comme l’ont montré des travaux antérieurs (Poulot et al., 2015). Selon la localisation du logement, les habitants privilégient les bois et les forêts ou bien les champs et les chemins ruraux. Ces usages prennent des formes multiples, incluant surtout la promenade et la flânerie, mais aussi des activités sportives (vélo, randonnée, équitation, quad, etc.) ou encore la cueillette. Ils sont hebdomadaires voire quotidiens. Les promenades décrites tendent à valoriser un environnement ouvert, non bâti, fait de champs, de pâtures et d’espaces boisés aisément accessibles depuis le domicile : « Une vue superbe. Et puis on est bien dans ce petit parc. Oui, et puis là, on se perd dans la forêt, enfin c’est génial, quoi » (Daniel, 33 ans, enseignant, propriétaire d’une maison, Esches). Ces pratiques souvent régulières contribuent à construire une connaissance intime des lieux. Certains habitants évoquent ainsi leurs « circuits favoris » – valorisant la faune et la flore – et donnent même un « petit nom » à certains d’entre eux. D’autres pointent les différences de paysages et d’usages entre les forêts, avec force détails. Dans la majeure partie des cas, un contact privilégié avec la « nature » est recherché : de nombreux enquêtés insistent sur la beauté des paysages et de leurs changements suivant les saisons, sur la diversité de la flore et de la faune, mais aussi, même si c’est un peu moins courant, sur les odeurs et sur les bruits de la « nature ». Ces pratiques de l’espace ouvert se font en solitaire ou avec un animal de compagnie, mais aussi avec des proches voire des voisins, et peuvent donc aussi être l’occasion de construire ou de renforcer des sociabilités locales et des modes d’appropriation collective des territoires locaux.

3.1.4.  Un mode de déplacement privilégiant la proximité : la marche

46 L’importance accordée à la proximité se manifeste également par la pratique de la marche, répandue parmi tous les enquêtés. Dans les villages, la marche est quasi quotidienne et prend surtout la forme soit de fréquentation des commerces et services de proximité, soit de promenades dans les chemins ruraux ou en forêt : « On part derrière, on fait nos petites balades de 8 km, c’est pépère, ça. […] On part d’ici avec le chien, on n’a pas besoin de la voiture. Tous les jours on y va » (Alain, 64 ans, électrotechnicien retraité, propriétaire d’une maison à Anserville). Même s’ils sont globalement moins fréquentés que les espaces ouverts, les rues et places des villages tiennent une place importante dans les pratiques des habitants. Un certain nombre d’enquêtés s’y promènent régulièrement. Il y a d’ailleurs pour ces habitants une continuité forte avec les espaces ouverts, grâce à des cheminements qui combinent ces différentes formes d’espaces.

47 Dans les deux petites villes où a été menée l’enquête, Senlis et Méru, ainsi qu’à Écouen et Ézanville, la majorité des habitants se déplace très souvent à pied. Ces déplacements renvoient à des activités diverses, associant la promenade et la flânerie aux pratiques d’achats, voire de loisirs : « J’fais à pied, oui, j’aime bien moi. J’aime pas trop la voiture. J’aime bien marcher. Donc, euh… comme la poste elle est pas loin, le médecin il est pas loin [rires]. Donc j’fais tout à pied » (Mireille, locataire HLM, Méru, ouvrière, 60 ans). La marche est pratiquée et valorisée chez des enquêtés aux positions sociales diverses. Ainsi, parmi les habitants des classes populaires, elle est souvent appréciée et reliée à la fréquentation des espaces verts. À Méru, une majorité d’enquêtés, comme Mireille qui « aime bien marcher » (60 ans, ouvrière, locataire HLM, Méru), se rend régulièrement à pied dans le parc de la ville ou dans le Bois de Boulaines. De même, les habitants de Senlis, appartenant majoritairement aux classes moyennes et supérieures, valorisent fortement ce mode de déplacement, associé aux ressources urbaines auxquelles il permet d’accéder facilement : « C’est unique de pouvoir sortir de chez soi et de tout faire à pied » (Jean, 68 ans, directeur marketing à la retraite, Senlis centre).

48 Les pratiques des habitants se caractérisent donc par un recours important à l’espace local et à la proximité. Ces pratiques de proximité contribuent à l’ancrage local des habitants, qui renvoie aussi à l’intensité de la mobilisation des réseaux sociaux.

3.2.  L’ancrage par les réseaux sociaux

49 L’ancrage intègre une dimension sociale, dépendant aussi des liens sociaux dont l’espace est « le substrat matériel » (Lefeuvre, 1993). Dans son travail sur les villes nouvelles, Christophe Imbert (2005) relie également l’ancrage aux relations sociales tissées dans un lieu. Pour saisir le rôle de la proximité et de l’ancrage, il importe donc de prendre en compte à la fois les pratiques spatiales et les pratiques sociales, notamment la place qu’y prennent les réseaux sociaux.

50 La plupart de nos enquêtés valorisent les sociabilités et les réseaux sociaux liés à l’espace local. Tous ou presque les mobilisent et mettent en avant la proximité de ces réseaux. Cette mobilisation varie bien entendu selon les groupes sociaux : comme les travaux sociologiques l’ont montré (Bonvalet et al. 1999, 2002), les réseaux sociaux et familiaux des classes aisées se déploient dans des espaces beaucoup plus vastes que ceux des classes populaires. Si les proximités familiales ne sont qu’une des dimensions de l’ancrage, elles jouent néanmoins un rôle décisif dans les processus d’attachement aux lieux (Imbert, 2005).

3.2.1.  Interconnaissance et sociabilités de voisinage

51 De nombreux enquêtés valorisent les potentialités de rencontres dans les villages et les bourgs. Il s’agit le plus souvent de sociabilités avec des voisins. On retrouve cette dimension à Anserville où la camionnette du boulanger de Méru est vue comme un lieu de regroupement régulier, de sociabilité avec le voisinage : c’est un « point de ralliement, c’est convivial » (Eric, commercial, Anserville, 59 ans). De même, Alain, dans le même village, déclare apprécier la rue, comme lieu de sociabilité : « Quand il se passe quelque chose, on est tous dans la rue, là, y a des apéritifs là, sur le trottoir [rires] ! On a déjà vu des apéritifs commencer à 11h du matin et se terminer à 11h du soir ! » (64 ans, retraité, ancien électrotechnicien, propriétaire d’une maison, Anserville). À Villers-St-Frambourg, la sociabilité de village prend la forme de la participation aux activités et événements municipaux mais aussi d’initiatives des habitants comme l’organisation de rassemblements hebdomadaires pour faire de la course à pied ou d’une fête entre voisins pour le Beaujolais nouveau. Les termes « vivant » ou « convivial » reviennent d’ailleurs souvent pour qualifier leur village. Les voisins permettent de s’intégrer dans le quartier, de connaître les services, les bons plans ; ils aident pour bricoler ou garder les enfants :

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« Ça fait bientôt 39 ans que j’habite là, donc tous les anciens me connaissent, et puis même tout le monde en général. Là, le petit que je garde, c’est mon voisin ! […] Là en diagonale, vous avez des Portugais, on est comme cul et chemise, on a chacun notre indépendance, mais ça arrive qu’ils m’appellent, « viens boire un coup », ou alors il m’aide pour le bricolage, tout ça » (Dolores, 38 ans, assistante maternelle, Écouen, Bois Bleu).

3.2.2.  L’importance des réseaux sociaux locaux pour les classes populaires

53 Les réseaux sociaux locaux sont valorisés par la majorité des enquêtés mais revêtent une importance encore plus cruciale pour les classes populaires. À Méru, les habitants mobilisent ainsi leurs réseaux sociaux et familiaux de manière intense. C’est le cas pour augmenter leur mobilité puisqu’ils ont un recours fréquent à l’accompagnement, au covoiturage, à l’emprunt de véhicule, comme cela a été montré par d’autres travaux sur les ménages modestes périurbains (Motte-Baumvol, 2008). Dans nos enquêtes, nombreux sont les habitants qui sont accompagnés par leurs enfants ou même des voisins ou amis, pour aller faire leurs courses ou aller en promenade. Arnaud (28 ans, chômeur, habitant chez ses parents, Méru) va à ses cours de salsa avec des amis motorisés, Magali (57 ans, ouvrière, locataire d’une maison dans le centre ancien de Méru) fait régulièrement les brocantes des environs avec sa sœur, Marlène (48 ans, chômeur, locataire HLM à Méru/La Nacre) se fait véhiculer par son ex-concubin, qui emmène parfois aussi sa voisine.

54 Les réseaux sociaux et familiaux situés à proximité sont bien au cœur des pratiques de ces ménages et révèlent de véritables stratégies d’ancrage (Jouffe et al., 2015). Cet ancrage se caractérise par une grande familiarité avec les lieux et les gens (Fol, 2009) : « Tous les habitants qui sont là sont comme de la famille pour moi » explique Saïd (46 ans, commerçant, locataire HLM à Méru). Et même si l’attachement à la petite ville de résidence n’est pas nécessairement revendiqué, l’ancrage local se révèle à travers une connaissance intime du territoire et de ses habitants, comme pour Magali qui connaît « par cœur » le chemin de chez elle à chez son père et qui pourrait « y aller les yeux fermés » (57 ans, ouvrière, locataire d’une maison dans le centre ancien de Méru).

3.2.3.  Proximité et entre soi chez les classes supérieures

55 Pour les classes supérieures, les réseaux sociaux sont liés à une proximité spatiale qui est avant tout sociale. Ils prennent alors la forme d’un entre soi comme c’est le cas de Jeanne-Marie, par exemple, dont l’activité sociale est presque exclusivement liée à la fréquentation hebdomadaire du Rotary Club de Senlis. Quelques enquêtés insistent ainsi sur le côté « protégé » de Senlis et de ses environs, comme Rodolphe (49 ans, vernisseur au tampon à son compte, Senlis centre) : « Je trouve qu’à Senlis on est quand même protégés. Il n’y a pas trop de racaille ici pour l’instant » (en comparaison avec la banlieue proche). Matthieu a choisi Senlis par rapport à Chantilly parce que c’est plus préservé : « Le côté un peu bourge, pas de gare, le côté 8 000/9 000 habitants… » (39 ans, chef de cabine, propriétaire d’un appartement, Senlis Faubourg-St-Martin). Si le discours négatif sur les communes de Creil ou Pont-Sainte-Maxence n’est pas réservé aux classes supérieures, il est néanmoins particulièrement présent dans leurs propos.

56 De même, Pascal (44 ans, agent à Roissy, propriétaire d’une maison, Senlis Bon Secours) voit Senlis comme « une sorte de petit îlot » dans lequel « on n’est pas embêtés par cette proche banlieue ». L’entre soi permet une mise à distance par rapport à la « banlieue », sur laquelle un regard très négatif est porté.

Conclusion

57 Ainsi, l’analyse des pratiques et des espaces de vie des habitants périurbains met en évidence une diversité des expériences de la mobilité, en lien avec la position sociale des enquêtés. Chez les habitants des classes populaires, la mobilité est réduite à des territoires relativement restreints, centrés sur l’espace résidentiel. La limitation des espaces de vie qui en résulte traduit un processus de dépendance locale (Coutard et al., 2002), lié à la fois à des contraintes financières et matérielles (absence de voiture ou de permis de conduire) et à des difficultés, pour certains habitants, à se déplacer dans des espaces non familiers. Les habitants appartenant aux catégories des petits moyens et des classes moyennes ont des espaces de vie nettement plus étendus et des lieux d’activités plus nombreux et plus diversifiés. Leur dépendance à l’automobile, indissociable de leurs pratiques multipolaires, n’est pas exclusive d’une fréquentation des territoires locaux et en particulier des espaces de nature. Pour les classes supérieures, qui ont les espaces de vie les plus étendus et les activités les plus diversifiées, la mobilité n’est pas nécessairement vécue comme une contrainte et peut être au contraire fortement valorisée.

58 Nos enquêtes montrent que les territoires périurbains sont le support de sociabilités de voisinage parfois aussi intenses que les « quartiers-villages » analysés par les sociologues (Bidou, 1984). Alors que des formes d’ancrage et de valorisation de la proximité se développent dans le périurbain, certains territoires y jouent un rôle important, voire croissant, de polarisation des pratiques et d’ancrage. Ainsi, dans les territoires périurbains pas plus que dans d’autres types d’espaces, la mobilité et l’ancrage ne s’opposent (Rémy, 1996) : elles constituent les deux facettes d’un rapport au territoire qui se construit et évolue. L’ancrage périurbain a certes des ressorts propres, où la nature et les espaces ouverts tiennent une place privilégiée. Mais il s’appuie aussi sur un large usage des réseaux sociaux et familiaux et sur des pratiques de proximité qui valorisent tantôt le caractère villageois de certains territoires périurbains, tantôt certaines formes d’urbanité incarnées par les petites villes périurbaines.

Notes

  • [1]
    D’autres déterminants jouent un rôle dans les pratiques spatiales et la définition des espaces de vie, notamment le genre et l’âge. Mais nous avons choisi de ne pas les aborder ici dans la mesure où ces aspects ont déjà été traités de manière approfondie par certains travaux, portant en particulier sur les pratiques de mobilité dans les espaces périurbains (Ortar, 2008 ; Cailly, 2008 ; Dodier, 2013 ; Bonnin-Oliveira, 2011).
  • [2]
    Cette recherche a été conduite dans le cadre d’un appel d’offres du PUCA sur les espaces périurbains. Les entretiens ont été réalisés puis retranscrits au cours de l’année 2013 par Marie Bocquet, Helin Karaman, Simon Labussière et Eugênia Viana. Nous souhaitons ici les remercier vivement pour leur apport à ce travail.
  • [3]
    Pour chacun des trois sites enquêtés, afin de mieux caractériser les différences de pratiques et de représentations en fonction du contexte résidentiel, la première moitié des entretiens a été menée dans les centres-villes et leurs quartiers péricentraux (quartier d’habitat social de la Nacre et lotissement du Val à Méru ; faubourg St-Martin et Bon Secours, deux quartiers pavillonnaires, à Senlis) et l’autre moitié a été conduite dans quelques villages périphériques (Moisselles et le Mesnil-Aubry autour d’Écouen-Ézanville, Anserville, Corbeil-Cerf, Esches et Lormaison autour de Méru, ainsi que Barbéry et Villers-Saint-Frambourg autour de Senlis).
  • [4]
    Commerces (marchés, supermarchés, discounts et petits commerces), services et équipements (établissements scolaires ou de santé, services courants tels que la banque, le coiffeur ou la poste…), lieux de loisirs (sport, culture, etc.), activités associatives ou religieuses, visites de proches (famille ou amis), sorties (café, restaurant, etc.).
  • [5]
    Dans l’ensemble, l’échantillon reflète les contrastes observés dans la population de référence, mais il les accentue, parfois très fortement : les ouvriers sont par exemple 4 fois plus nombreux à Méru qu’à Senlis et Écouen, alors qu’ils ne sont « que » 2 fois plus nombreux d’après l’INSEE. Ce renforcement des contrastes s’observe également pour le niveau d’études et le statut d’occupation du logement. La composition par sexe et par âge montre également quelques distorsions par rapport à la population de référence. Alors que les profils pour l’ensemble de la population sont assez proches d’un terrain à l’autre, ils se différencient assez nettement dans l’échantillon : à Méru, la population est plus masculine et plus âgée ; à Écouen, on note une forte surreprésentation de femmes ; à Senlis, une légère surreprésentation de femmes, moins âgées que la population de référence. Du point de vue de l’ancienneté d’occupation du logement, l’ancienneté de résidence tend à être sous-estimée dans l’enquête à Senlis et surtout à Écouen (peu de personnes installées depuis plus de 10 ans) par rapport à la population de référence.
  • [6]
    La géolocalisation a été réalisée avec le logiciel Batch Geocodeur.
  • [7]
    Les lieux d’activités situés à plus de 100 km des lieux de résidence (39 lieux d’activités) ont été exclus du champ de l’analyse, afin de se concentrer sur les pratiques spatiales pouvant être qualifiées de « locales » (Orfeuil, 2002). Ont été ensuite exclus de l’analyse les 76 lieux d’activités qui n’ont pas pu être géocodés par manque d’information ou dont la précision géographique était inférieure à la commune.
  • [8]
    L’ellipse de dispersion permet de résumer un nuage de points en renseignant sur le centre de gravité du nuage de points, sur sa forme et sur sa dispersion. Plus la dispersion des lieux est grande, plus l’ellipse est de taille importante. La surface de l’ellipse de dispersion est un indicateur intéressant à prendre en compte dans notre analyse en plus de la distance moyenne des lieux d’activités au lieu de résidence car le lieu de résidence n’est pas forcément au centre des lieux d’activités des habitants. Si ces deux indicateurs s’avèrent bien corrélés dans notre jeu de données (avec un coefficient de corrélation R² de 0,58), ils fournissent cependant des informations différentes.
  • [9]
    Les prénoms ont été modifiés.
  • [10]
    Ces distances varient aussi selon les contextes résidentiels : de 5 à 7 km pour les habitants des villes-centres et des quartiers péricentraux, et de 10 à 12 km pour les habitants des villages périphériques.
  • [11]
    Les deux auteurs ont mené une nouvelle enquête auprès des habitants interviewés par Lionel Rougé dans le cadre de sa thèse.
Français

Les espaces périurbains sont souvent considérés comme des lieux où les contraintes de la mobilité s’exercent de manière particulièrement forte sur les habitants, imposées par la faible densité de ces territoires et la dispersion des ressources telles que les lieux d’emploi, les services et commerces ou encore les équipements. Cependant, depuis une dizaine d’années, cette image largement dépréciative des mobilités périurbaines est remise en cause : loin d’être caractérisé par une dispersion généralisée, le périurbain apparaît comme structuré par des pôles d’activités et de ressources, qui organisent les pratiques spatiales et sociales des habitants dans des espaces de proximité. À partir de l’analyse qualitative et quantitative d’entretiens menés en 2013 auprès d’une centaine d’habitants de trois secteurs situés au nord de la métropole parisienne (autour d’Écouen-Ézanville, Méru et Senlis), cet article s’attache à décrire les rapports que les habitants du périurbain entretiennent avec leurs territoires en articulant plutôt qu’en opposant les notions de mobilité et d’ancrage. Si les pratiques de mobilité des habitants et leurs espaces de vie sont fortement structurés par leur position sociale, l’ancrage local apparaît comme un élément valorisé par l’ensemble des habitants interrogés, quelle que soit leur appartenance sociale.

Mots-clés

  • mobilité quotidienne
  • périurbain
  • proximité
  • ancrage
  • ressources locales
  • Île-de-France

Bibliographie

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Sandrine Berroir
Maître de conférences, Université Paris-Diderot Paris 7, UMR Géographie-cités
Matthieu Delage
Maître de conférences, Université Paris Est Marne-la-Vallée, EA ACP 3350
Antoine Fleury
Chargé de recherche, CNRS, UMR Géographie-cités
Sylvie Fol
Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR Géographie-cités
Marianne Guérois
Maître de conférences, Université Paris-Diderot Paris 7, UMR Géographie-cités
Juliette Maulat
Maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR Géographie-cités
Lina Raad
Docteure en géographie, UMR Géographie-cités
Julie Vallée
Chargée de recherche, CNRS, UMR Géographie-cités
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Mis en ligne sur Cairn.info le 03/03/2017
https://doi.org/10.3917/ag.713.0031
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