CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L'œuvre fictionnelle, littéraire et cinématographique, de Philippe Claudel est traversée par une réflexion sur « celles et ceux que l'on blesse [1] », sur les laissés-pour-compte et les exclus, l'exclusion prenant la forme du rejet de l'autre, de la solitude, de la vieillesse, de la pauvreté ou de l'exil. C'est ce thème que développe La petite fille de Monsieur Linh[2], dont le personnage central est la figure même de l'exclu [3] et de l'étranger. Monsieur Linh a fui son village ravagé par la guerre ; c'est un vieil homme que la perte des siens a fait basculer dans une forme de folie, la petite fille qu'il croit protéger n'étant qu'une poupée ; il échoue dans un pays dont il ne parle pas la langue, dans une ville où tout lui est étrange. Entre Monsieur Linh et un homme rencontré par hasard au cours d'une promenade, Monsieur Bark, naît pourtant une amitié indéfectible. L'amitié est plus forte que la barrière irréductible de la langue, que l'enfermement de Monsieur Linh dans un asile pour vieillards, puisque les deux amis parviennent à se retrouver, à la fin du récit, au lieu de leur première rencontre. Une histoire improbable, donc, le récit de cette amitié.

2 Histoire improbable mais possible, si l'on admet, à la suite de Milan Kundera [4], que « les romanciers dessinent la carte », non pas de la réalité, mais « de l'existence », c'est-à-dire « le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable ». Pour le dire autrement, l'expérience du déracinement représentée par l'histoire de Monsieur Linh n'est pas véridique, elle ne décrit pas une réalité que l'écrivain aurait puisée dans son expérience d'exilé ou dans des témoignages collectés [5]. Il serait donc vain d'y chercher un savoir positif, conforme à ce qu'enseignerait une enquête sur des réfugiés, ou de vouloir mettre en regard le « savoir » de la fiction et le savoir savant. Mais l'on peut y trouver ce que la science ne vise pas à montrer ou peine à dire, une forme de savoir, ou, si l'on préfère, une pensée sur la condition existentielle de l'exilé [6]. Cela signifie que l'on considère le monde fictionnel créé par l'écrivain comme une construction qui puise dans le monde factuel pour en dire quelque chose. Pour reprendre les mots de M. Collot, « l'imagination poétique [entendons, créatrice] n'est pas la fiction d'un autre monde mais la réponse à la provocation de notre monde [7] ». En d'autres termes, le monde réel n'est pas en opposition avec le monde créé par l'écrivain, il en est l'origine et la visée, source et matière d'émotions et de pensées que le travail des mots vise à ressaisir. En effet, l'œuvre de fiction n'est pas l'expression immédiate d'une subjectivité en prise avec le monde, mais un jeu de construction verbale [8] par quoi l'écrivain recompose le réel, le redécrit [9] pour en rendre visibles des significations et des virtualités. Aussi, ne faut-il pas voir dans le monde inventé par l'écrivain une représentation restituant, plus ou moins, une réalité du monde mais un dispositif qui porte une pensée sur le monde. Pourtant, l'absence de toute référence à une réalité localisée dans le temps ou l'espace, l'absence de toponymes, même imaginaires, semblent placer l'histoire de Monsieur Linh hors du monde. Précisément, c'est cette absence qui, dans ce récit de facture réaliste, indique clairement que l'histoire a valeur de modèle : elle représente une expérience possible, elle ne restitue pas une expérience réelle.

3 En littérature, la pensée se déploie en images plutôt qu'en raisonnement. Dans La petite fille de Monsieur Linh, c'est par l'espace qu'est figurée la condition de l'exclu. La question de l'espace structure le récit : le voyage qui éloigne du pays d'origine (le roman s'ouvre par l'image d'un vieil homme qui voit s'éloigner son pays), le voyage qui éloigne des lieux familiers découverts avec Bark (le déplacement vers l'asile, au milieu du récit, qu'annonce le trajet inquiétant qui mène chez le médecin), ou, à l'inverse, le voyage qui abolit la séparation. Ainsi, le parcours de Linh fuyant l'asile pour retrouver son ami (aux derniers chapitres [10] du roman), qu'annoncent les excursions des deux amis, dans les rues de la ville, au petit port de pêche, ou encore, en rêve, au pays de Monsieur Linh. Le paysage, ou son absence, est l'autre modalité de l'expérience de l'exil : aux paysages du pays abandonné s'oppose l'espace illisible, insensé du pays d'accueil ; cet espace insensé devient progressivement paysage par l'amitié qui lie les deux personnages du récit. Le dispositif construit par P. Claudel pour dire en quoi consiste l'épreuve du déracinement est géographique ; c'est lui qui oriente l'analyse qu'on propose de son roman [11] : l'espace insensé du pays inconnu (§1), le paysage du pays d'avant (§2), la condition et la signification du paysage (§3).

1.  L'espace insensé du pays inconnu

4 La scène introductive montre Monsieur Linh (le seul, hors le lecteur, à connaître son nom, puisque tous ses proches sont morts) « debout à l'arrière d'un bateau », regardant son pays s'éloigner, devenir infiniment petit, disparaître à l'horizon (p. 9) ; le récit se clôt par l'image de Monsieur Linh, étendu sur le sol, serrant sa petite fille (p. 184). Entre ces deux moments, qui s'inscrivent entre le début de l'automne et les premiers jours du printemps, le narrateur accompagne son personnage [12] dans un monde insensé que tout oppose au pays d'avant, dont ne subsistent pour l'exilé (et sa petite fille [13]) que des souvenirs de paysages et une poignée de terre (p. 10).

5 Rien de commun entre sa terre qui portait des odeurs, des saveurs, des bruits, et ce pays « étrange et étranger » où il ne reconnaît rien (p. 14). L'air y a la même saveur muette que la première soupe qu'on le force à avaler. Monsieur Linh a beau respirer, « il ne sent rien » (p. 12, p. 42), sauf la morsure de l'air froid (p. 35, p. 80) ou le choc d'une bousculade sur le trottoir (p. 37, p. 170). La rencontre avec le pays nouveau est une agression, il s'y cogne, on le percute (p. 170). La foule pressée, indifférente (p. 35, p. 69), le flot des voitures innombrables et bruyantes (p. 22, p. 65), la poussière des rues, le vacarme, les moqueries des passants (p. 168), ou encore, les magasins débordant de marchandises (p. 22) : rien ne ressemble à ce qu'il connaît (p. 22), à son village, aux chemins de terre qui couraient entre les rizières (p. 46), à la rivière, à la forêt (p. 64). Rien de familier (p. 41), rien qui lui parle.

6 L'incommunicabilité de ce pays pour Monsieur Linh n'est pas seulement linguistique (il n'en comprend pas la langue, personne ne parle la sienne), elle est spatiale. La ville où il échoue – le seul ancrage qu'il y trouve est le banc de ses rendez-vous avec son ami, M. Bark [14] – est anonyme, ville sans nom et sans forme, comme composée d'éléments sans relation. Le grand port où son bateau a accosté, le réfectoire où il prend son premier repas, le dortoir où il est hébergé dans les premières semaines, le petit port de pêche que lui fait connaître son ami, l'asile pour vieillards où on l'enferme sont les pièces non assemblées d'un décor qu'on peut difficilement qualifier d'espace. Les distances entre les lieux sont déformées par la peur de l'inconnu, d'un nouvel exil : ainsi, le trajet qui le déplace du dortoir, devenu familier, vers l'asile, dure si longtemps que la ville semble ne pas finir (p. 119). La perception de la ville, par la vitre mouillée de la voiture en mouvement, est déformée elle aussi : ses formes sont étirées, ses couleurs brouillées (p. 118). Ou bien, c'est la perception même de l'espace que la peur de se perdre interdit. Lors de sa première sortie, Monsieur Linh « avance sur le trottoir sans vraiment regarder la ville, trop occupé à sa marche même » (p. 21) ; lorsque, s'étant enfui de l'asile, il erre dans la ville, il avance comme un automate, ne voyant plus rien, regardant le sol (p. 169).

7 La ville, pour Linh, est illisible, car elle représente ce qui est en dehors de son refuge, le dortoir, la rue qui le longe, le banc qui fait face au parc-zoo où il retrouve Bark chaque jour. Et lorsqu'il cherche son chemin, elle devient « un monstre qui va le dévorer, ou le perdre » (p. 167). Dévorer/perdre : sans ancrage (sans repère), rôle que joue le banc, pareil à « un morceau de bois flotté » auquel il s'accroche (p. 46), pas de repérage possible. Or, se repérer, Claudel le montre explicitement, suppose de se projeter, d'aller vers, ce qui définit l'orientation. Jusque dans sa façon de se mouvoir, Monsieur Linh est un être désorienté qui avance à petits pas, les yeux baissés vers le sol (p. 35), parfois bousculé ou percuté par un passant, vieil homme qui « se cogne contre les années et contre les gens qui courent » (p. 170). Ou bien il demeure immobile, comme figé, sur le banc, dans le dortoir, et déjà à l'arrière du bateau qui le mène au pays nouveau. Frêle statue au visage triste (p. 12), tronc d'un petit arbre mort emporté par le courant (p. 70), ombre mince (p. 150), automate, hagard, errant (p. 165, p. 169) dessinent la figure de l'exilé dont l'accoutrement lui donne l'apparence d'une marionnette (p. 9, p. 126), d'un gros épouvantail boursouflé (p. 20), d'une grosse boule de laine difforme (p. 63), échos du personnage de l'émigré [15].

8 Le pays nouveau est réduit à quelques lieux (du bateau au dortoir, du dortoir à l'asile, tel est le parcours de Linh) qui ne sentent ni ne parlent et forment l'espace clos d'une prison, ce que Linh pressent, avant même d'être jeté à l'asile, lorsqu'il regarde le zoo. Rien d'étonnant qu'on ne puisse en dessiner les contours, en carte ni en poème. Pourtant, deux paysages font exception à l'indescriptibilité de la ville. Un grand porche en fer ouvragé, une longue allée de gravier qui serpente dans un parc ; au bout de ce parc, un Château, sur une hauteur, demeure majestueuse aux tours immenses (p. 119) : ce paysage qui s'offre à la vue de Monsieur Linh, c'est l'asile. Un décor paysager qui pourrait être une publicité (un beau parc où se promener, une vue sur la mer, magnifique) pour un simulacre de résidence : « Dans un angle [de l'entrée], il y a un palmier dans un pot. Dans un autre angle, il y a trois vieillards, vêtus de robes de chambre bleues en tissu épais. […] Tout paraît mort en eux » (p. 120). Un paysage sans relation paysagère donc, un non-paysage.

9 La seconde scène paysagère décrit un petit port de pêche où Monsieur Bark emmène Monsieur Linh (p. 92-93). Une scène pittoresque : la forme courbe du port, les couleurs de l'eau et des bateaux, des oiseaux qui tourbillonnent, des pêcheurs qui réparent des filets. Une ambiance : les paroles, les rires, les sifflements des pêcheurs, et des parfums, « de véritables parfums, de sel, d'air, de poisson séché, de goudron, d'algues et d'eau », et la chaleur du soleil qui annonce la fin de l'hiver. L'horizon : l'horizon visuel du ciel et de la mer, l'attachement à son ami. En bref, un lieu qui répond bien à la conception du paysage comme « structure d'horizon » [16], un lieu où s'accomplit l'expérience de l'espace, du temps et d'autrui.

10 Par ces pages situées au milieu du texte, et du parcours de Monsieur Linh, s'opère un tournant du récit : le paysage ne désigne plus seulement le pays d'avant ; le pays d'accueil cesse d'être un espace sans signification, il devient paysage, grâce à l'amitié de Monsieur Bark (p. 84).

2.  Le paysage du pays d'avant

11 On a peu parlé de l'évocation du pays quitté. C'est bien son image qui surgit en contraste avec le contact du pays inconnu qui déconcerte Monsieur Linh : ses rues bruyantes et agitées, la fadeur des aliments et de l'air ambiant, le rythme heurté du déplacement en voiture. Des perceptions nettes ressurgissent, la saveur des aliments parfumés (p. 15) ou de l'air où se mêlent les odeurs de la mer et du poisson qui sèche au soleil (p. 42) ; des perceptions qui parlent de la terre et résonnent intactes, comme les sonorités qui les disent : délicieux, douceur, citronnelle, suavité, picotement, tripes cuites [17]. Ou bien, c'est le souvenir du village, de l'eau limpide de sa belle rivière, du rythme paisible des buffles que l'agitation désorbitée de la ville appelle en opposition, scènes de la vie quotidienne qui parlent d'une « réalité perdue » (p. 23, p. 36, p. 64, p. 109). Une réalité toujours là cependant, que Monsieur Linh voit lorsqu'il regarde sa petite fille, Sang diû, dont le nom même dit le pays (age) [18]. Dans les yeux de l'enfant, il voit « des matins lumineux », « l'ombre ployée des grands banians », « la brume bleue qui descend des montagnes vers le soir » (p. 11). Par sa petite fille, en elle, il voit son pays en paysage. C'est encore le visage de Sang diû qui semble déclencher la longue évocation du pays qui se développe sur douze pages vers la fin du récit, au cours d'un rêve qui s'intercale entre la première tentative de fuite de l'asile et la seconde (p. 137-148). La place de ces deux évocations du pays, la première sur le bateau de l'exil, la seconde dans le lieu de l'exil définitif (« cette maison aux murs fermés », « ce mouroir », « une prison », p. 152), et leur association au regard porté sur le visage de la petite fille [19] montrent l'importance de l'espace dans l'identité du sujet. L'identité dont il s'agit se manifeste dans l'attachement à un lieu et à un paysage, au point qu'en être séparé conduit à se sentir « excentrique à la vraie vie », ce qui définit avec justesse le sentiment de Monsieur Linh [20]. Mais cette identité n'est pas exclusive, elle est ouverte comme en témoigne le rêve de Linh.

12 Le voyage des deux amis au pays de Monsieur Linh, vécu en rêve, dessine une carte du pays, construite à plusieurs échelles : une grotte dans la montagne, la forêt, les rizières de la plaine, le village, la maison de Monsieur Linh, le village, les rizières, la forêt, une source extraordinaire (qui allège la mémoire de tous les mauvais souvenirs), la grotte. Parcourir, ce n'est pas franchir une distance, c'est ouvrir un chemin, le voyage important plus que la destination. En témoignent le parcours circulaire des deux amis, comme aussi le champ lexical du mouvement (15 occurrences) et du chemin (8 occurrences) qui décrit leur voyage. La carte est aussi la trace d'une expérience paysagère. Le pays se découvre dans et par le cheminement : les perceptions accompagnent la marche, surgissent dans le mouvement, au point que le marcheur semble se fondre dans le monde comme le chemin se coule dans la forêt. « Ils descendent le chemin qui se coule dans la forêt. […] L'air embaume la terre humide et la fleur de frangipanier. […] les bambous frémissent des bruissements de mille oiseaux » (p. 139). Et le monde est moins perçu qu'il ne manifeste sa présence active : le soleil perce, les arbres bruissent, la lumière se déverse, les bambous frémissent.

13 Ce que révèle le voyage de Monsieur Linh, c'est l'harmonique du pays/paysage : les correspondances entre les lieux, entre les paysages et les gens, entre l'humain et le non humain, entre l'espace et le poète, entre l'espace et le temps. Le repas préparé pour les deux amis n'est pas seulement un festin de saveurs, il est le pays des rizières, de ses gestes (« c'est la belle-fille de Monsieur Linh qui l'a préparé, avant de partir aux champs », p. 142), de ses paysages (« par la fenêtre de la pièce [où ils mangent] on voit les rizières et la lumière du soleil qui étincelle dans l'eau », p. 143). La rizière est davantage qu'un champ ou même qu'un paysage, elle accomplit la fusion harmonieuse d'un monde où les buffles méditent, les pique-bœufs paradent, les femmes chantent en travaillant et les hirondelles écrivent dans le ciel d'invisibles poésies (p. 140). Le pays est le paysage, composition idéale de lieux (la forêt, les rizières, la mer) et de couleurs qui se déroulent en continuité (embrasse, étendue, s'épanche, tremblant) : à la lisière de la forêt, le regard embrasse « l'étendue verte [des rizières] qui tout au loin s'épanche vers le bleu tremblant de la mer » (p. 140). Le paysage dit le pays, non parce qu'il en porte l'identité, mais parce qu'il unit les hommes en les reliant au monde. Il est donc un paysage ordinaire de l'existence quotidienne. Ainsi, cette scène qui associe les générations dans la mémoire d'un geste et inscrit le temps de la nature dans le temps et l'espace des hommes : « A l'ombre d'un banian plusieurs fois centenaire, de vieilles femmes tressent des nattes en bambou. A leurs côtés, trois bambins […] » qui sont « les aubes des lendemains » (p. 141-142).

14 Dans ces pages s'illustre une conception du paysage que l'auteur, par la voix de Linh, définit en plusieurs points du récit. Il dit, ainsi, du paysage perçu dans le mouvement lent d'une charrette tirée par des buffles, qu'il « change avec une lenteur précieuse qui permet de regarder vraiment le monde », « et de parler avec ceux que l'on croise, d'entendre leurs voix » (p. 108-109). On a évoqué plus haut la transfiguration de l'espace en paysage grâce à l'amitié de Monsieur Bark, par qui « le pays nouveau a un visage » (p. 84). L'importance de la relation aux autres dans l'appropriation du monde, dans la possibilité d'être en prise avec le monde [21] est au cœur de ce récit d'une amitié qui paysage l'espace.

3.  La condition et la signification du paysage

15 Reprenons ce moment du récit où l'espace devient paysage. Des signes annoncent l'appropriation progressive du pays nouveau par Monsieur Linh, ils sont tous associés à la présence de son ami : les cigarettes qu'il fume sont « le premier parfum que le pays nouveau lui donne » (p. 50) ; la boisson brûlante et citronnée qu'il lui offre a une saveur (p. 80) ; même l'air froid qui lui brûle la gorge n'est pas si désagréable, lorsqu'il l'attend sur le banc (p. 41), ce banc devenu le premier repère dans la ville inconnue, jusqu'à ce qu'il en découvre, avec son nouvel ami, d'autres quartiers, des places, des avenues, des ruelles (p. 85). Le personnage de Monsieur Bark apparaît comme l'intercesseur qui rend possible une prise au monde. En humanisant l'étendue, puisque c'est par lui que « le pays nouveau a un visage, une façon de marcher, un poids, une fatigue et un sourire, un parfum » (p. 84), il ouvre à Monsieur Linh la possibilité de s'orienter, de trouver son chemin dans la ville. Revoir Monsieur Bark, c'est « comme de retrouver un signe sur un chemin alors qu'on est perdu dans la forêt », pense Monsieur Linh (p. 48).

16 La possibilité de s'orienter, ce n'est pas seulement une méthode pour comprendre l'espace, mais un projet pour le comprendre. Retrouver son ami, dont l'asile l'a séparé, trouver pour sa petite fille un lieu habitable [22] définissent bien un projet, celui de Monsieur Linh lorsqu'il devient celui « qui veut » [23]. C'est lorsqu'il forme et formule le dessein de s'enfuir, qu'il ose s'engager dans la ville et trouve le ressort de s'y orienter. Pour mener à bien son projet, il lui faut dessiner en pensée une carte de la ville, une carte tournée vers l'action [24]. C'est précisément ce que Linh accomplit en observant la ville, au loin, de sa fenêtre, pour la comprendre (p. 158). Comprendre, c'est-à-dire, « retrouver le tracé de ses artères, l'emplacement du quartier où se trouvait l'immeuble du dortoir, le café où il se rendait avec le gros homme, le banc de leurs rendez-vous » (p. 158). Observer, comprendre, le tracé, l'emplacement, ses artères, le quartier, l'immeuble, le café, le banc : tous ces mots disent que la ville a cessé d'être pour Linh un espace informe, pour devenir un espace géographique ordonné, hiérarchisé, lisible. L'éducation géographique de Linh ne procède pas seulement, on s'en doute, de l'observation, mais aussi de l'expérience acquise au cours de ses promenades avec son ami [25], une « expérience incorporée qui fournit comme une carte où figureraient la disposition des rues et leur tonalité propre, une carte en pratique » [26]. C'est bien la disposition des rues que Linh observe pour se diriger, c'est bien par un aller et retour entre le territoire et la carte (mentale) qu'il s'oriente. Apercevant les grues du port, « il réfléchit, s'arrête. Si le grand port est là-bas, c'est que le petit port de pêche est plutôt par ici, et s'il se trouve par ici, alors le banc du rendez-vous ne peut être que dans cette direction » [27] (p. 160). Mais, lorsqu'il perçoit le banc qui fait face au parc, il « a soudain l'impression d'être à l'intérieur d'une image qu'il a souvent contemplée à bout de bras » (p. 171). Ce qu'il perçoit, n'est pas le banc, la rue, le parc mais la tonalité propre du lieu familier, son regard et son expression en quelque sorte [28], et en trouvant le lieu, il se retrouve.

17 L'opposition espace/paysage, mise en évidence précédemment et qui semblait caractériser la relation au pays d'exil/au pays d'avant dans ce récit, doit donc être fortement nuancée. L'expérience du pays nouveau, de la ville en l'occurrence, qui met en jeu les sens et la recherche de sens, donne sur une compréhension de l'espace et une relation paysagère. Ce qui en limite l'accès n'est pas tant la barrière de la langue, ou, s'agissant de l'espace, l'incompréhension de sa forme et de ses pratiques. L'accès au paysage comme à l'espace géographique est conditionné par la présence de l'autre. De même que Linh apprivoise la ville avec Bark, Bark se familiarise avec le pays de son ami, dans le voyage accompli en rêve. Les paysages se répondent en contrepoint, le paysage du port de pêche qui émeut Linh (p. 92), le paysage de rizières admiré par les deux amis (p. 140). Les deux paysages ouvrent sur l'horizon et représentent, chacun, un modèle paysager [29]. A l'exclamation de Linh : « Que c'est bon ! » (p. 93) fait écho celle de Bark : « Que c'est beau ! » (p. 140). Et de l'émotion esthétique qui naît du paysage vient le besoin de le nommer, de dire « le nom de chaque montagne » et raconter « pour chacune d'elles la légende qui y est attachée » (p. 144) ; ou la possibilité de le nommer enfin : Monsieur Linh « dit à haute voix le nom de son pays » (p. 93) qui « sonne désormais comme un espoir, non plus comme une douleur » (p. 99). La composition en contrepoint éclaire la signification que prend le paysage dans ce récit : un don réciproque, un langage commun.

18 À propos du pays de Monsieur Linh, on a parlé de l'harmonique de ses paysages. Contrepoint, harmonique : le registre musical se justifie également par la présence d'une chanson qui rythme le récit. Si le lecteur ne saisit que les paroles de la comptine, l'ami de Monsieur Linh en perçoit la mélodie. Et c'est précisément pour lui que Monsieur Linh chante, en trois occasions qui donnent à la musique le même rôle qu'au paysage : échange de dons, langage commun. En ces trois moments [30],il dit sa gratitude en même temps qu'il exprime son émotion. Mais il chante aussi pour sa petite fille, pour la rassurer lorsqu'on les bouscule dans la rue (p. 38), à son arrivée à l'asile (p. 124). Comme les paysages de son pays, la chanson unit les hommes, l'espace et le temps : « c'est une chanson qui vient de la nuit des temps et que les femmes chantent à toutes les petites filles du village » (p. 38), c'est une chanson simple qui dit le monde : le retour du matin, de la lumière, du lendemain, de la vie. Elle porte une espérance qui répond à l'adversité (p. 38, p. 124), elle est un geste de fraternité (p. 78, p. 106, p. 145).

19 Monsieur Linh chante aussi pour « entendre sa propre voix et la musique de sa langue » (p. 12). Tout comme il aime entendre Monsieur Bark, bien qu'il ne comprenne pas ses paroles. Mais il « l'écoute avec attention, cherchant dans les inflexions de sa voix les signes, le début d'une histoire et d'un sens » (p. 96). Car au-delà des mots et du langage, le ton de la voix indique des sentiments (p. 52) ; « c'est une musique qui épouse tout de la vie, ses caresses comme ses âpretés » (p. 102). C'est encore par une chanson, en quelque sorte, que s'achève le récit, une chanson à deux voix, formée du seul mot que les deux amis ont en commun : bonjour (p. 184). Et leurs deux voix qui se répondent, tout comme leurs paysages, disent bien l'enjeu de cette histoire : le paysage et la poésie relient les hommes, c'est ce par quoi ils sont humains. P. Claudel l'écrit ailleurs, avec d'autres mots : « Dessiner le pays sur le parchemin, […], nommer les mers et les villes, les montagnes, s'appliquer à peindre les chemins, c'est écrire la terre dans un langage personnel mais que d'autres hommes pourront comprendre, c'est humaniser l'étendue […] » [31].

Conclusion

20 La conception du paysage qu'incarne ce roman de Philippe Claudel entre en résonance avec celle que la littérature et les sciences sociales contemporaines développent : ainsi, l'importance accordée à la dimension sensible de l'expérience paysagère, ou aux paysages ordinaires dans l'émotion esthétique [32]. Ces aspects de la spatialité se retrouvent chez maints artistes contemporains, confirmant l'analyse développée par Michel Collot d'une pensée-paysage [33]. Mais dans cette œuvre de Claudel [34], le paysage prend une consistance supplémentaire en étant étroitement associé à la musique. Le paysage est alors pensé comme un langage qui, à l'instar de la musique, de la tonalité de la voix, d'un geste peut être compris au-delà des mots. Un langage intemporel, comme la comptine chantée par Linh. Un langage universel qui unit les hommes en les reliant au monde. Ce langage universel, c'est celui du poète, celui qui dessine « le pays sur le parchemin », qui écrit « la terre dans un langage personnel mais que d'autres hommes pourront comprendre ».

21 Mais si l'enjeu du texte est la question de l'écriture, l'expérience du déracinement serait-elle un prétexte et l'espace/le paysage une simple métaphore ? Rien n'est moins sûr. D'une part, la pensée de Claudel est une pensée en espace. Être exilé, être exclu, c'est être privé d'espace et de paysage : c'est ce que dit l'histoire de Monsieur Linh. Ou plutôt, c'est ce qu'elle montre, en représentant la condition d'un exilé par sa relation à l'espace, puisque la communication verbale lui est impossible. Elle le montre aux prises avec l'espace inconnu, sans saveur, sans repères, sans signification ; en prise avec son pays et ses paysages d'avant l'exil ; elle le montre enfin, trouvant son chemin dans un espace devenu un territoire. D'autre part, et c'est sans doute une question d'importance pour le géographe comme pour l'écrivain, il faut considérer que le langage et l'espace sont indissociablement au cœur de l'expérience du monde. Le paysage et la carte [35] en sont deux manifestations. Si le paysage est central dans ce roman de Claudel et pensé comme un langage qui unit les hommes en les reliant au monde, la présence de la carte n'est que suggérée. Lorsque Linh dessine en rêve le parcours de son pays avec son ami (p. 137-148) ou lorsqu'il élabore une carte mentale de la ville pour y trouver son chemin (p. 158-160), c'est bien d'activité cartographique qu'il s'agit. Cartographier : le mot n'apparaît pas dans ce roman de Claudel mais dans l'analyse qu'il a consacrée aux Géographies d'André Hardellet. La carte, mais aussi bien le récit de voyage, ou le poème qui dit l'étrangeté du monde, répondent au désir de l'homme d'écrire la terre, de limiter et connaître le territoire inconnu et illimité, nous dit P. Claudel [36]. Et le détenteur de la carte, ajoute-t-il, est « celui qui possède l'image du pays, ses contours, son relief. Celui qui peut donc se situer vraiment dans le lieu qu'il habite, et qui est sien » [37]. On comprend que la carte et le paysage ne soient pas pensés en opposition, puisqu'elles participent d'un même geste : écrire la terre pour s'y insérer, pour y habiter. On comprend mieux, dès lors, qu'aucun toponyme ne désigne le pays où échoue Monsieur Linh. Le pays d'exil n'est pas cartographiable, c'est un espace blanc qui n'est pas habitable, pour l'exilé.

22 Au-delà de l'expérience spécifique de l'exil que décrit le roman, ce qui est en jeu, me semble-t-il, c'est la géographicité humaine, l'expérience de la condition spatiale de l'existence qu'évoquent explicitement les mots déjà cités de Claudel : « se situer vraiment dans le lieu [qu'on] habite, et qui est sien ». Dans l'opposition entre les paysages et la carte du pays d'avant et l'espace sans nom et sans épaisseur du pays d'exil se lit l'opposition entre deux modes de relation à l'espace : habiter, occuper. « Habiter un espace quel qu'il soit », écrit J.-M. Besse, « c'est reconnaître qu'il n'est pas vide, qu'il est vivant et, surtout, c'est se relier à cette vie, c'est s'y insérer, c'est y participer » [38]. Or, la façon qu'ont les hommes d'habiter la terre, leur géographicité, met en jeu des structures spatiales universelles : la distance (l'expérience d'un ici et d'un là-bas) ; la direction (les préférences spatiales) ; la situation (le sentiment d'appartenance au monde, d'être en confiance dans le monde) ; la grandeur (la perception et le sentiment de l'amplitude et de la générosité du monde) [39]. Ces universaux anthropogéographiques, on les observe dans la description que P. Claudel fait de l'expérience de Monsieur Linh. Ainsi, l'épreuve de la distance entre ici et là-bas est telle que seul le rêve permet de l'abolir (le voyage accompli en rêve), et la possibilité même de nommer son pays n'est rendue à Linh qu'au moment où ici devient habitable (la promenade au petit port de pêche). Le lieu où se produit l'événement n'a rien de fortuit : le port de pêche, c'est un peu le pays de Monsieur Linh, ses odeurs, son rythme, son ambiance, tout ce qui a formé ses préférences spatiales. On a souligné précédemment la désorientation du personnage puis son aptitude progressive à trouver son chemin dans la ville, à se situer. Sa perception de l'espace, des distances parcourues lors de ses trajets dans la ville se modifie à mesure qu'il prend confiance dans le pays d'accueil. Pour le dire autrement, son comportement spatial (désorienté/orienté) et sa perception de l'espace (de l'étendue de la ville, de l'éloignement de son pays) sont en relation étroite avec son insertion dans le monde. En devenant un habitant, Monsieur Linh a apprivoisé la séparation. On espère que l'analyse de son expérience aura montré la contribution de la fiction aux savoirs de la géographie, et plus largement la légitimité d'une géographie de la littérature.

Notes

  • [1]
    « Pour celles et ceux que l'on blesse » est l'exergue de Quelques-uns des cent regrets (P. Claudel, Paris, Gallimard, 2005 [2000]).
  • [2]
    Claudel P., La petite fille de Monsieur Linh, Paris, Stock, 2005, 184 p. Les références au roman (p. X) sont extraites de l'édition de poche.
  • [3]
    Linh n'incarne pas seulement le réfugié. Sa relégation à l'asile atteste qu'il représente l'exclu.
  • [4]
    Kundera M., L'art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p. 57.
  • [5]
    Même si le contact avec le milieu carcéral où il a enseigné pendant des années a pu nourrir sa compréhension de l'exclusion.
  • [6]
    L'exil doit être compris, à la lumière du personnage de Linh, au sens large de séparation, d'isolement.
  • [7]
    Collot M., Paysage et poésie. Du romantisme à nos jours, Paris, José Corti, 2005, p. 407.
  • [8]
    Cette expression est empruntée à M. Collot (Le Corps Cosmos, Vottem, La Lettre volée, 2008, p. 75).
  • [9]
    Paul Ricoeur désigne ainsi la description poétique qui n'imite pas mais refait la réalité en la recomposant pour la rendre visible (La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 308).
  • [10]
    Le terme est impropre dans ce récit continu dont les « chapitres » ne sont pas numérotés ni ne portent de titre.
  • [11]
    Rappelons que le projet d'écriture n'est pas dissociable de la pensée chez l'écrivain. Elle n'est donc pas dispersée en des lieux du texte, elle est la matière même de son œuvre, ce qui rend incontournable une analyse littéraire de l'œuvre, déroutante peut-être pour le géographe, bien qu'elle soit comparable, d'une certaine façon, à l'analyse de terrain. Précisons aussi que, faute de travaux universitaires sur l'œuvre de P. Claudel (d'après l'observation du fichier des thèses et des ressources scientifiques en ligne), l'analyse présentée ici ne s'appuie pas sur la critique littéraire.
  • [12]
    Le narrateur semble omniscient, puisque c'est par lui que sont rapportées les pensées du personnage de Linh, puis, lorsqu'il est presque inconscient à la fin du récit, celles de son ami Bark. Mais l'écrivain a effacé toute marque de sa présence, au point qu'il est avec ses personnages, « à côté d'eux, avec eux, afin que le lecteur […] ait le sentiment de vivre un moment vivant » (Entretien avec Philippe Claudel, Revue de fixxion française contemporaine, 2013, en ligne).
  • [13]
    Ils sont « seuls à deux » (p. 65).
  • [14]
    « un morceau de bois flotté auquel il se serait accroché au beau milieu d'un large torrent, tourbillonnant et bizarre » (p. 46).
  • [15]
    Le personnage de Linh rappelle celui de Chaplin. Ce rapprochement est plausible tant l'écriture de Claudel romancier est marquée par l'écriture de Claudel cinéaste : « Dans plusieurs de mes romans, il y a des scènes qui sont visualisées avant d'être écrites » (Entretien avec P. Claudel, Revue critique de fixxion française contemporaine, 11/11/2013, en ligne).
  • [16]
    Ce que désigne ainsi Michel Collot, c'est cette « structure anthropologique universelle qui régit aussi bien la perception des choses dans l'espace que la conscience intime du rapport au temps et à autrui » (La Pensée-paysage, Arles, Actes Sud/ENSP, 2011, p. 93).
  • [17]
    On saisit l'importance des odeurs et des saveurs, pour l'auteur, à la lecture de Parfums (Claudel P., Parfums, Paris, Stock, 2012).
  • [18]
    Sang diû signifie en vietnamien Matin clair ou Lumière douce, Linh signifie Spiritualité. Mais l'origine géographique du personnage n'est jamais précisée, même lorsqu'il dit le nom de son pays, et la formulation de salutation qu'il utilise, « tao laï » n'est pas attestée en vietnamien.
  • [19]
    Qui n'est pas séparable de Linh, qui est son prolongement, puisqu'ils sont seuls à deux.
  • [20]
    « Notre corps et notre perception nous sollicitent toujours de prendre pour centre du monde le paysage qu'ils nous offrent. Mais ce paysage n'est pas nécessairement celui de notre vie. Je peux `être ailleurs'tout en demeurant ici, et si l'on me retient loin de ce que j'aime, je me sens excentrique à la vraie vie » (Merleau-Ponty M, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1990 [1945], p. 330).
  • [21]
    Au sens qu'Augustin Berque donne au concept de prise (Médiance. De milieux en paysages, Montpellier, GIP Reclus, 1990).
  • [22]
    « Pas dans ce mouroir, pas dans un asile, pas dans une prison » s'écrie Monsieur Linh (p. 152).
  • [23]
    Sur moins d'une page (p. 152-153), « il veut » est répété dix fois. Cinq occurrences concernent Sang diû, cinq son ami. « Il veut voir son enfant s'épanouir », « il veut sentir sa présence [de son ami] » encadrent le passage.
  • [24]
    Ou, selon les mots de G. Deleuze et F. Guattari (1980), « une carte tournée vers une expérimentation en prise sur le réel » (cité dans Besse J.-M., « Cartographier, construire, inventer. Notes pour une épistémologie du projet », Les carnets du paysage nº 7, Arles, Actes Sud, 2001, p. 129). On notera que la carte mentale de Linh réunit des espaces d'échelles différentes.
  • [25]
    Bark lui a fait découvrir la ville entière (p. 85) et des lieux lui sont devenus familiers (p. 158).
  • [26]
    Rosemberg M., « Une exploration de la ville avec la littérature. Contribution méthodologique » in Breux S., Collin J.-F. et Gingras C., Représenter l'urbain : apports et méthodes, Montréal, Presses de l'Université Laval, 2014, p. 147-170.
  • [27]
    On a souligné les marques du raisonnement géographique de Linh.
  • [28]
    « Nous ne percevons presque aucun objet, comme nous ne voyons pas les yeux d'un visage familier, mais son regard et son expression. Il y a là un sens latent, diffus à travers le paysage ou la ville, que nous retrouvons dans une évidence spécifique sans avoir besoin de le définir » (Merleau-Ponty M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1990 [1945], p. 325).
  • [29]
    Voir l'analyse de ces deux paysages, supra.
  • [30]
    Au café où Bark l'a invité (p. 78), au restaurant où il reçoit un cadeau pour sa petite fille (p. 106), sur le chemin de la source au cours du voyage qu'il fait avec son ami (p. 145).
  • [31]
    Claudel P., Géographies d'André Hardellet, Thèse de doctorat de Lettres, Université de Nancy 2, 2001, p. 14. André Hardellet (1911-1975) est un écrivain peu connu dont l'œuvre, nourrie d'Aloysius Bertrand, Gérard de Nerval et André Breton, « pourrait être lue comme un manuel à l'usage du marcheur » (Claudel P., 2001, op. cit, p. 24).
  • [32]
    Rosemberg M., Le géographique et le littéraire. Contribution de la littérature aux savoirs de la géographie, HDR, Paris 1, 2012, chap .3 et 4.
  • [33]
    Collot M., La pensée-paysage, Arles, Actes Sud/ENSP, 2011.
  • [34]
    Comme dans l'une de ses œuvres cinématographiques, Tous les soleils (2010), qui conjoint la musique, la littérature et la ville.
  • [35]
    Par carte, il faut comprendre ici toute forme de description de l'espace permettant aux hommes de prendre la mesure de leur présence au monde, de se situer dans le monde.
  • [36]
    Claudel P., 2001, op. cit., p. 13.
  • [37]
    Claudel P., 2001, op. cit., p. 14.
  • [38]
    Besse J.-M., 2014, « Géographie psychique. Notes sur l'espace comme sentiment », Gruppen nº 9, Revue de création transdisciplinaire, p. 16.
  • [39]
    D'après J.-M Besse J.-M., 2014, op. cit., p. 23-26.
Français

Entre la représentation imaginaire du monde et sa représentation savante, le dialogue est-il possible ? On voudrait montrer, à partir de l'analyse du roman de Philippe Claudel, que le monde inventé par l'écrivain porte un savoir qui entre en résonance avec celui du géographe. Mais l'absence de toute référence à une réalité localisée dans le temps ou l'espace semble placer l'histoire de Monsieur Linh hors du monde. C'est précisément cette absence qui montre la condition existentielle du déraciné, sous la figure d'un pays qui ne peut être nommé ni cartographié. En figurant l'exilé par son rapport à l'espace et au paysage, l'écrivain dit ce qu'est l'épreuve du déracinement, plus généralement de l'exclusion, et propose, au-delà, une réflexion sur la géographicité.

Mots-clés

  • expérience du déracinement
  • figuration de l'espace
  • géographicité
  • géographie et fiction
  • paysage

Références bibliographiques

  • Berque A. (1990), Médiance. De milieux en paysages, Montpellier, GIP Reclus, 163 p.
  • Besse J.-M. (2014), « Géographie psychique. Notes sur l'espace comme sentiment », Gruppen nº 9, Revue de création transdisciplinaire, p. 12-26.
  • Besse J.-M. (2001), « Cartographier, construire, inventer. Notes pour une épistémologie du projet », Les carnets du paysage nº 7, Arles, Actes Sud, p. 126-145.
  • Claudel P. (2013), Entretien, Revue de fixxion française contemporaine, 2013, en ligne, http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx07.12/767
  • Claudel P. (2012), Parfums, Paris, Stock, 2012, 217 p.
  • Claudel P. (2005) [2000], Quelques-uns des cent regrets, Paris, Gallimard, 181 p.
  • Claudel P. (2005), La petite fille de Monsieur Linh, Paris, Stock, 184 p.
  • Claudel P. (2001), Géographies d'André Hardellet, Thèse de doctorat de Lettres, Université de Nancy 2, 504 p.
  • Collot M. (2011), La Pensée-paysage, Arles, Actes Sud/ENSP, 282 p.
  • Collot M. (2008), Le Corps Cosmos, Vottem, La Lettre volée, 111 p.
  • Collot M. (2005), Paysage et poésie. Du romantisme à nos jours, Paris, José Corti, 446 p.
  • Kundera M. (1986), L'art du roman, Paris, Gallimard, 198 p.
  • Merleau-Ponty M. (1990) [1945], Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 531 p.
  • Ricoeur P. (1975), La métaphore vive, Paris, Seuil, 412 p.
  • Rosemberg M. (2014), « Une exploration de la ville avec la littérature. Contribution méthodologique » in Breux S., Collin J.-P. et Gingras C., Représenter l'urbain : apports et méthodes, Montréal, Presses de l'Université Laval, p. 147-170.
  • Rosemberg M. (2012), Le géographique et le littéraire. Contribution de la littérature aux savoirs de la géographie, HDR, Inédit, Paris 1, 2012, 175 p.
Muriel Rosemberg
MCF HDR en Géographie à l'Université de Picardie Jules-Verne – Chercheur à EHGO (UMR 8504 Géographie-cités)
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/09/2016
https://doi.org/10.3917/ag.709.0405
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