CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1.  Introduction : la chôralisation

1 La genèse d'un lieu est complexe et dynamique ; on peut lui appliquer ce que Bonnemaison (1981 : 250) écrivait du « culturel » : « face cachée de la réalité […] à la fois héritage et projet, et dans les deux cas, confrontation à une réalité historique qui parfois l'occulte […], ou au contraire le révèle ». Cette dualité héritage/projet le rapproche de ce que Berque (2009) dit du paysage – à la fois « empreinte » et « matrice » du milieu – et ce rapport ambigu au réel le rapproche de l'imaginaire – dont Debarbieux (2003 : 489) dit que « conf [érant] une signification et une cohérence à la localisation, à la distribution, à l'interaction de phénomènes dans l'espace [il] contribue à organiser les conceptions, les perceptions et les pratiques spatiales ». Berque (2009 : chapitre 1) distingue deux manières de comprendre le lieu : le topos, « lieu cartographiable » défini mathématiquement (par ses coordonnées : latitude, longitude, altitude) et la chôra « lieu existentiel » défini trajectivement [1]. Comme tout fait trajectif, une chôra est contingente et suppose une histoire humaine ; par contre, il est possible de considérer qu'un topos existe indépendamment de cette histoire : les Mascareignes, inhabitées jusqu'à la colonisation européenne, ressortaient auparavant d'un topos mais pas d'une chôra[2]. À la même époque, Madagascar représentait bien une chôra tant pour ses habitants que pour les hommes liés aux réseaux commerciaux arabo-indiens qui fréquentaient ce qui est aujourd'hui l'Afrique orientale ; en revanche, elle n'était encore que topos virtuel pour les Européens qui n'y arrivèrent que plus tard.

2 Ici, nous étudierons plus précisément le rôle de l'imaginaire dans l'émergence d'un sens du lieu d'une chôralisation pourrions-nous dire, par analogie avec la territorialisation qui est sémiotisation d'un espace (Raffestin, 1995) – dans le cas de fictions littéraires devenues des mythes (c'est-à-dire que leur vérité est moins une affaire d'adéquation entre la réalité et les faits contés que d'efficacité du récit à influer sur la réalité : Armstrong, 2005). Il ne s'agira donc pas seulement de comprendre comment naît la chôra, mais aussi comment elle rétroagit sur le topos – et donc comment on peut s'en servir pour orienter telle ou telle pratique territoriale (Bailly et Scariati, 1989 évoquent par exemple l'aménagement du territoire, Berliner 2010 la muséification de Luang Prabang). Nous examinerons ainsi les cas de deux utopies issues de la présence européenne dans l'océan Indien occidental à partir du xvie siècle : Libertalia et la Lémurie. Libertalia aurait été une République pirate, multiculturelle, égalitariste ; fondée sur les côtes malgaches (un consensus se fait autour de la baie de Diego Suarez) à la fin du xviie siècle, elle n'aurait vécu que quelques années avant d'être détruite par une attaque d'autochtones. Quant à la Lémurie, elle serait un continent englouti ayant abrité les premières civilisations humaines, et dont Madagascar, les Mascareignes, les Seychelles et les Comores seraient les vestiges.

3 Méthodologiquement, il y a un intérêt heuristique à se saisir de mythes eurocentrés mais portant sur des topos situés dans l'océan Indien occidental : cela doit permettre de mettre en avant le décalage entre topos et chôra, et d'envisager les facteurs d'impacts rétroactifs de la seconde sur le premier. Nous relierons des sources et des analyses littéraires et historiques à des données récoltées surtout durant plus de deux années de séjour en pays Betsimisaraka (côte Est de Madagascar, régions Atsinanana et Analanjirofo), où nous avons travaillé dans des villages de la côte et de l'arrière-pays (Bing 2012, 2014 a, 2014 b), et complétées éventuellement par nos données indonésiennes (Bing, 2015 a et b). Nous commencerons par replacer les deux figures de Libertalia et de la Lémurie dans l'histoire littéraire, afin de comprendre comment elles se sont fait mythes. Puis nous nous pencherons sur deux aspects de leur territorialité en reprenant la distinction (heuristique, car en pratique les deux mouvements sont concomitants et complémentaires) que fait Berque (2009) au sujet du paysage par rapport à la médiance : empreinte et matrice ; nous interrogerons donc d'abord la territorialité-empreinte des mythes (qui, par la culture dont ils sont porteurs, donne sens à l'espace qui leur sert de cadre), puis leur territorialité-matrice (les modifications qu'ils ont engendrées et engendrent dans le réel).

2.  De la figure littéraire au mythe

4 Outre que les espaces concernés ne sont pas exactement les mêmes et que leur géohistoire les inscrit dans des temporalités différentes (Grataloup, 2011) – nous l'avons dit : les Mascareignes pouvaient être considérées comme hors des mondes avant l'arrivée des Européens, ce qui était loin d'être le cas de Madagascar – la principale différence entre les deux corpus tient à leur nature et à leur composition. Les deux corpus sont aujourd'hui considérés comme relevant de la fiction (Libertalia) ou de la poésie (Lémurie), mais ce fut loin d'être toujours le cas : leurs auteurs (un seul dans le premier cas : Samuel Defoe sous pseudonyme ; plusieurs dans le second, qui reprirent le thème les uns à la suite des autres) les présentaient en effet comme vrais. Retracer la généalogie littéraire de Libertalia et de la Lémurie permettra donc de comprendre comment ces deux figures littéraires ont acquis une force mythique [3].

2.1.  La valeur de la preuve, ou du bon usage des codes

5 La légende de Libertalia est en fait composée des chapitres XX et XXIII du livre II de l'Histoire générale des plus fameux pirates, ouvrage dont la première édition date de 1724 et signé par un certain « Capitaine Johnston ». Son autorité ne fit pendant longtemps aucun doute, son auteur ayant semble-t-il employé une méthode rigoureuse de recherche, présentée dans une longue « Introduction générale » (27 p., pour un livre qui compte 2 tomes de plus de 400 et 300 p. [4]), qui lui fait considérer à la fois des sources de première main de l'Amirauté britannique, des témoignages écrits et oraux et enfin d'autres sources indirectes. Confronté aux autres sources d'époque, presque tout ce que « Johnston » raconte d'autres pirates (Teach, England, Rackam…) est confirmé (Le Bris 1990). L'ouvrage de « Johnston », le plus complet écrit à l'époque, devint ainsi l'une des principales sources pour tout travail relevant de l'historigraphie scientifique de la piraterie (Racault, 2007) ; un bon exemple en est livre de Deschamps (1972), qui présente l'histoire de Libertalia comme une réalité en se basant essentiellement sur l'Histoire… dont il complète les informations par des travaux annexes portant sur les lieux ou les personnages.

6 Jules Hermann (1845-1924), qui fut l'un des premiers à populariser le thème lémurien, mena une triple carrière, politique, scientifique et poétique. Son œuvre scientifique embrasse plusieurs thèmes ; il correspondit régulièrement avec l'Académie des sciences de Paris qui en fit son correspondant dans la région. Pour écrire son principal travail sur la Lémurie, intitulé Révélations du Grand Océan, cet honnête homme à la mode du xviiie siècle fait œuvre de géologue, d'archéologue et de linguiste : il se rend sur le terrain, procède à des relevés, confronte ses données et ses analyses à d'autres, fait des références à l'évolution humaine, etc. ; bref, il respecte les canons épistémologiques de la recherche scientifique (Racault, 2007). Que, à propos de la Lémurie, ses résultats soient erronés et empreints des préjugés culturels d'un créole des Mascareignes, n'empêchent pas qu'ils répondent aux caractères popperiens de scientificité ; il est vrai en revanche, que les longues licences poétiques qu'il s'autorise tiennent plus du style de la Renaissance que du positivisme alors naissant (Latour, 2010).

7 Nous constatons donc que « Johnston » et Hermann assoient l'autorité de leurs propos sur des preuves rationnelles présentées comme vérifiables. Leurs continuateurs, y compris les plus contemporains (cf. 3), emploient eux aussi le même genre de discours ; mais ces auteurs, comme d'ailleurs leurs éditeurs, glissent facilement de l'autorité de la preuve à la preuve par l'autorité. C'est ainsi, on l'a dit, que beaucoup (dont Deschamps 1972) prirent pour argent comptant les propos de « Johnston » sur Libertalia. Plus proche de nous, pour asseoir la crédibilité d'Atlantis[5] (qui fond en un seul récit plusieurs mythes dont la Lémurie et l'Atlantide, cf. 3.1) auprès de son lectorat, l'éditeur joue à fond l'argument d'autorité, en présentant sur la couverture Arisyo N. Dos Santos comme un « géologue et physicien nucléaire » de premier plan ; or, sa biographie (sur le site Internet consacré au livre [6]) précise qu'il enseigna certes la physique nucléaire, mais que géologie et archéologie lui servent de « hobbies », au même titre que l'ethnologie, la linguistique, l'occultisme ou l'alchimie… Ce type de manipulations est classique dans les courants pseudo-scientifiques qui veulent s'approprier l'autorité du « savoir de référence » (Bing, 2012) qu'est la science, comme les créationnistes de nos jours (Lemartinel, 2012) ou les théosophes hier.

8 Là se trouve donc un premier outil donnant force à ces récits : ils se présentent non comme des fictions, mais comme une narration de faits vrais ; établis à l'époque moderne où, même chez les antimodernes, sciences et techniques apparaissent comme un gage de vérité, ils respectent donc formellement les formes des canons académiques (Latour, 2010). Mais cela ne suffit pas, et leurs auteurs doublent cette froide rationalité apparente d'un puissant jeu sur l'imaginaire et l'incertain.

2.2.  La force de l'imaginaire, ou du bon usage de l'incertitude

9 Si l'autorité de l'Histoire… de « Johnston », on l'a dit, ne fit pendant longtemps aucun doute, les chapitres sur Libertalia posèrent rapidement question : nulle autre source que les chapitres XX et XXIII de l'Histoire… n'évoque le capitaine Misson et Libertalia, et seule l'autorité acquise par « Johnston » grâce à ses autres chapitres les font considérer comme réels. Les spécialistes de la piraterie considérèrent donc que « Johnston » avait eu accès soit à des sources de première main disparues depuis, soit à des témoignages directs d'acteurs désirant rester anonymes – peut-être même Misson lui-même ou un de ses proches (puisqu'il est censément décédé peu après la chute de la République pirate). L'incertitude au sujet de Misson était d'autant plus forte que « Johnston » dit explicitement que le nom du capitaine était sans doute un pseudonyme.

10 On sait désormais, par un long travail allant des années 1950 aux années 1980 (Le Bris 1990, Racault 2007), que Libertalia fut en fait une géniale mystification de Daniel Defoe (1660-1731), écrivain fasciné par les pirates (Jorrand 2009), dont « Capitaine Johnston » ne que fut l'un des nombreux pseudonymes utilisés, et que l'Histoire… mêle réalité et fiction, témoignage et roman, en de savants entrelacs difficiles à démêler (Le Bris 1990). Le chapitre XXIII (le second de l'histoire de Libertalia) est particulièrement impressionnant à cet égard ; il porte sur un autre personnage important de la geste libérie : le capitaine Thomas Tew, seul homme présent à Libertalia dont la réalité est corroborée par d'autres sources, éponyme dudit chapitre XXIII. Or des nombreux faits marquants la vie de ce pirate (invention d'une nouvelle route…) confirmés par d'autres sources, « Johnston » ne dit rien ; il se concentre uniquement sur la participation de Tew et de son équipage à l'épopée libérie et la chute de la cité. Pour en finir avec Tew, ajoutons que certains chercheurs contemporains pensent que la mort que Johnston lui attribue (éventré par un boulet lors d'un combat en 1695) n'aurait été qu'un simulacre destiné à échapper aux poursuites de l'Amirauté britannique ; ceux-ci font même de Thomas White (pirate anglais ayant sévi au début du xviiie siècle et objet du chapitre XXV de l'Histoire…) un pseudonyme de Tew ; nous verrons en 4.1 que les coïncidences sont en effet nombreuses…

11 Avec R.E. Hart [7] (1891-1954) et M. de Chazal (1902-1981), continuateurs de J. Hermann dans la propagation mascarine du mythe lémurien, on entre dans un autre monde : celui des poètes visionnaires, qui, s'ils créditent Hermann d'avoir sorti des limbes de l'oubli la Lémurie, lui reprochent d'être resté bien trop rationaliste et d'être passé à côté de toute la signification métaphysique de la civilisation perdue (Racault, 2007). Ils reconnaissent certes la « validité » scientifique du travail d'Hermann, mais prétendent s'inscrire dans une épistémologie supérieure qui la transcende. Alors que les institutions académiques rejetèrent d'ailleurs assez rapidement l'hypothèse lémurienne, c'est dans les milieux occultistes que la Lémurie a attiré ses plus fervents partisans : ainsi, certaines mouvances théosophiques (Racault, 2007) et New Age la présentèrent [8] et la présentent encore [9] comme une vérité.

12 Apparaît ici un risque épistémologique à étudier le mythe comme facteur de spatialité : il peut faire l'objet de manipulations de la part de groupes variés, politiques ou pseudo-religieux, qui jouent à la fois sur les formes de la rationalité scientifique et sur une sacralité qui serait supérieure, confondant à dessein leurs épistémologies (Lemartinel, 2012). La « cartographie » proposée par Latour (2010) pour retracer la généalogie des discours paraît une méthode propre, d'une part, à parer à ce risque et, d'autre part, à mettre en lumières les manipulations et leurs modalités. Nous pouvons ainsi apprécier pleinement l'art d'un Defoe ou d'un Chazal, tout en évitant de tomber dans les filets d'une Blavatsky ou d'un Dos Santos.

13 La place laissée à l'imaginaire compte donc tout autant que la crédibilité du récit pour comprendre sa transformation en mythe ; plus précisément, c'est l'intrication des deux éléments qui permet la mythification (Jorrand 2009). Cependant, en tant que tel, le mythe est a-territorial. Il est possible de s'y référer en dehors de tout espace réel, quand bien même ils sont localisés quelque part : ce qui importe aux textes des théosophes ou du New Age à propos de la Lémurie, ce n'est pas ce qui en reste, mais ce qui a été perdu ; quant à Libertalia, elle relève de cette catégorie de textes – les utopies – dont l'étymologie même révèle qu'elles se situent hors de tout topos réel. Les espaces matériels ne comptent pas ; or la chôra, comme tout fait trajectif, nécessite une base physique (le topos) : c'est là ce qui oppose Berque (2009) aux « métabasistes ». À ce stade, il n'y a donc pas encore chôra. Mais il faut garder à l'esprit que ce qui vient d'être établi correspond à ce que nous savons aujourd'hui ; au contraire Hermann, Hart ou Chazal enracinent leur Lémurie (même mythique) dans des espaces réels qu'ils connaissent bien (cf. 3.2), tandis que Defoe, même n'ayant jamais quitté l'Angleterre, a sans doute recouru à des descriptions suffisamment proches du réel pour faire illusion. Il importe donc maintenant de comprendre les mécanismes de la chôralisation qui a suivi.

3.  La chôra empreinte : donner sens au lieu

14 Un deuxième point interrogera la chôralité (toujours notre analogie Berque/Raffestin – cette fois-ci avec la territorialité) de ces deux mythes. Regard porté sur un espace, la chôralisation donne du sens à ce topos et le transforme en chôra – si l'on préfère recourir au français plutôt qu'au grec, nous dirons avec Yi-Fu Tuan (2006) que la chôralisation donne du sens à l'espace et le transforme en lieu. Or si nous avons dit que ces mythes sont localisés quelque part, nous n'avons pas encore considéré la signification de ladite localisation : pourquoi là et pas ailleurs ? – question qui est d'ailleurs celle de toute géographie (Pitte 2010). Par ailleurs, ce regard s'inscrit dans un projet qui, trajecté dans un topos particulier, le transforme autant qu'il est transformé par lui : la chôra est empreinte autant que matrice.

3.1.  Donner un lieu à l'utopie

15 La geste pirate se relie à l'émergence de la pensée protestante et à l'autonomisation de l'individu : « la grande question politique deviendra alors peu à peu « comment rester ensemble » alors qu'on peut toujours partir, se délier » (Abel 2009 b). Elle offre donc un champ d'expérimentation aux utopistes, que leur société de rêve s'édifiât seulement de manière littéraire, ou qu'ils le tentassent concrètement. Certes, formellement, le projet liberi est dénoncé par Johnston/Defoe, tout comme d'ailleurs la vie de Moll Flanders ; cependant, le lecteur ne peut s'empêcher de ressentir de la sympathie – voire plus – pour Misson (dont les discours rappellent fort les prêches des dissenters dont était Defoe : Le Bris, 1990) et Libertalia. Ainsi, à défaut remettre publiquement en cause les valeurs sociales et les institutions (les protestants radicaux qui l'avaient fait, diggers et ranters[10], avaient été massacrés ou chassés d'Angleterre par les Églises mieux établies, comme auparavant les anabaptistes de Münster avaient été condamnés par Luther) ou de partir courir l'aventure sur les océans, Defoe – qui ne fut pas qu'un honorable commerçant, mais aussi un polémiste condamné au pilori et un dissenter hostile à la religion d'État – utilisa ses livres comme moyen de faire passer des idées, ou du moins des questions, auprès du grand public. Faire de Defoe un anarchiste avant la lettre ou un ranter après relèverait de l'anachronisme ; constatons néanmoins que, comme Voltaire plus tard, il sut conjuguer admirablement adhésion et rejet à sa propre société…

16 De la République de Platon à nos jours en passant par le xviie siècle anglais, l'idéal utopique est toujours situé au loin, et l'île, figure de l'« isolement » voire de la « rupture » (Bonnemaison 1991), en constitue un cadre singulièrement approprié (Abel 2009 b). Quant à la geste pirate, elle use abondamment des îles : elle ne s'est d'ailleurs déployée dans l'océan Indien occidental au tournant des xviie et xviiie siècles qu'après que les Caraïbes eussent été nettoyées par les monarchies européennes. Flibuste et utopie forment deux « antimondes » complémentaires au monde, que ce soit dans le passé ou aujourd'hui (Houssay-Holzschuch 2006) ; leur îléité est ancrée dans la réalité (Abel, 2009 b) comme dans nos imaginaires, même si généralement l'imaginaire européen y associe la Caraïbe plus que l'océan Indien (il n'est qu'à comparer le nombre de chapitres de L'Histoire… consacrés à ces deux ensembles). Dans les deux chapitres de l'Histoire… consacrés à Libertalia, les îles abondent : les Comores sont le lieu des premiers grands combats, et c'est à Madagascar que se bâtit la République pirate… La Grande île occupe d'ailleurs une place singulière dans l'Angleterre du xviie siècle, où furent élaborés plusieurs projets de colonisation parfois idéale qui, finalement, échouèrent ; c'est d'ailleurs à Madagascar que Defoe a situé un autre vrai-faux témoignage sous forme de journal de voyage publié sous pseudonyme et lui aussi longtemps tenu pour authentique (Le Bris, 1990).

17 La société libérie est très organisée et, comme pour les autres utopies, sa structuration de l'espace et par l'espace est forte. Tout est fait pour éviter la fragmentation de la cité en communautés nationales : de l'échelle de la ville à la répartition des places à table, les individus sont forcés de côtoyer non leurs compatriotes mais des étrangers de toute couleur de peau ; par ailleurs, un esperanto est créé. De même, il n'y a pas de haie entre les jardins, afin d'incarner le communautalisme de la propriété. Ce programme n'ayant suscité nulle mise en œuvre, le propos « chôral » demeure ici « empreinte » (des projets réels dont Defoe s'inspire) et n'entre pas dans le domaine de la « matrice » (traitée dans notre point 3). De son côté, si le mythe lémurien n'implique aucune organisation sociale particulière, en revanche il sert à décrypter les lieux : Hermann trouve une bonne part de ses « preuves » dans le relief de La Réunion, dont il interprète les saillances et les creux comme des traces d'anciennes sculptures accomplies par une société de géants technologiquement très puissante – l'on voit que la scientificité de ses thèses avait une limite quoiqu'en aient pensé Hart et Chazal… Le mythe lémurien ne reste cependant pas sans conséquences politiques (cf. 2.2).

18 La Lémurie et Libertalia représentent un rapport inverse au géogramme « île ». L'ensemble de l'archipel mascarin, structuré autour des trois îles principales (La Réunion, Maurice, Rodrigues), est incommensurablement plus petit (4 300 km2) que Madagascar (587 000 km2). Pour Defoe imaginant Libertalia [11], l'insularité physique se double de la distance à l'Europe (cf. 3.2) et même se triple de par la très faible densité de population sur une vaste superficie (Deschamps 1972) : Libertalia entourée de ses remparts apparaît comme une île fermée à l'environnement considéré comme hostile et entourée d'un désert de terre et d'eau ; d'ailleurs, dans le chapitre XXIII de L'Histoire…, aux attaques des puissances européennes venues de la mer, succède la destruction de Libertalia opérée par un raid surprise venu de l'intérieur des terres – raid dont le modus operandi (rapidité, surprise, violence) évoque fort celui des pirates… Au contraire pour Hermann et ses continuateurs, habitants des Mascareignes, l'insularité, loin d'une protection, était une contrainte réelle et quotidienne ; l'immensité continentale perdue et attribuée à la Lémurie est donc à l'opposé de cette insularité qui les isole. Selon la typologie de Bonnemaison (1991), Libertalia serait donc îléenne (recherche de rupture), alors que les Mascareignes subissent leur insularité (isolement).

3.2.  Inversion des rapports centre/périphérie

19 Créés et diffusés par des Européens ou descendants d'Européens créolisés, Libertalia et la Lémurie s'inscrivent par ailleurs dans des rapports ici/ailleurs eux aussi inversés. Pour Defoe qui imagina Libertalia comme pour les dissenters qui tentèrent réellement l'aventure outre-mer, la centralité européenne permit de considérer l'Ailleurs comme une terra nullius où pouvait se déployer une utopie répondant à des interrogations existentielles et à des revendications matérielles bien européennes (côté catholique, les jésuites désireux de refonder une chrétienté pure loin de l'Europe corrompue eurent eux aussi à cœur de recommencer à zéro une histoire dans les mondes neufs de leurs réductions). Inversement, par la Lémurie, les poètes créoles se créèrent une autochtonie qu'ils valorisèrent en replaçant leurs petites îles récemment peuplées et mal connues des compatriotes métropolitains au centre du monde et de l'histoire humaine, et en renvoyant l'Europe à la périphérie [12]. S'il ne faut pas exagérer son importance quant à l'ethnogenèse des identités réunionnaise et mauricienne, le mythe lémurien les a néanmoins accompagnées et en a fourni une variation, non exempte d'ailleurs d'un certain racisme étroitement lié au contexte colonial (Racault, 2007) ; nous verrons en 4.1 comment ce mythe lémurien, réapproprié, accompagne également l'émancipation post-coloniale des minorités.

20 Le couple spatial chôra/topos a pour pendant temporel le couple aiôn/kronos (Solinas, 2012). Or l'éloignement de la Lémurie est moins affaire d'espace que de temps : les références se font à une civilisation antique et disparue, à un continent effondré et englouti ; le temps vécu est alors « rémanent » (Durand, 2004). Hermann et, surtout, Hart et Chazal se voient comme les héritiers d'un passé glorieux mais révolu et à redécouvrir : pour eux qui édifièrent le mythe de la Lémurie et y adhérèrent, les îles actuelles, qui ne seraient que les sommets du continent effondré, ne doivent cette topographie qu'à une catastrophe ; autrefois matrice de toute civilisation, les lieux (topos) en question – Mascareignes, Comores, Madagascar… – ont certes la forme d'îles isolées, mais leur essence (chôra) est d'être le centre du monde. Ce fantasme d'une civilisation disparue à retrouver autorisera par les suites les récupérations par toutes sortes de mouvements occultistes, théosophiques ou New Age qui, eux, s'inscrivent dans un temps « immanent » (Durand, 2004) qui actualise le mythe. Il y a là une différence avec l'utopie qui, elle, se projette dans le futur ; celui-ci peut cependant se présenter pour différentes raisons sous une forme passé ou présente (y compris concernant la conjugaison) : ainsi si, par prudence vis-à-vis de la censure, Johnston/Defoe raconte Libertalia au passé, son récit s'inscrit par contre dans une visée « promanente » (Durand, 2004) – de même Rabelais et l'abbaye de Thélème…

21 Alors que le topos comme le kronos des lieux sont univoques et objectivables, chôra et aiôn peuvent diverger et se contredire – mais avec un seul impératif : faire sens. Temporellement comme spatialement, donc, les mythes de Libertalia et de la Lémurie sont inversés, mais leur structure demeure pareillement liée à une problématique européenne ou créole ; d'où sans doute la popularité de ces deux mythes chez les Européens habitant la région ou chez les créoles qui en descendent. Par contre, Libertalia et la Lémurie n'éveillent que peu d'écho chez les Malgaches ou chez les Comoriens, qui disposent de leurs propres mythes, différemment enracinés. À Madagascar, nul besoin de Lémurie pour ressentir et vivre la centralité et la sacralité de la tanindrazana (« terre des Ancêtres [13] ») ; impossible aussi de postuler une utopie sur les côtes, puisque celles-ci ne sont pas une terre lointaine mais une réalité du quotidien (Bing, 2014 a).

22 Nous avons donc vu ici que l'espace-temps des mythes de Libertalia et de la Lémurie fait sens. Ces mythes sont proprement géo-graphiques, en ce qu'ils écrivent le monde plus qu'ils ne le représentent. Ils le font, et lui donnent une nouvelle réalité (ou redonne naissance à une ancienne : cas des créoles redécouvrant le passé lémurien, ou des dissenters et de leurs successeurs à Madagascar qui recréent l'Eden biblique d'avant la chute). Il y a là un premier niveau de concrétisation de l'imaginaire : il informe un espace qui, par lui, devient un lieu (Tuan, 2006) ; plus précisément, c'est l'une des faces de la pièce de la trajection : faire d'un lieu-topos une chôra. Un point semble important à souligner : alors que le topos est univoque, la chôralité peut être plurielle. Nous avons vu ici que l'insularité de Madagascar reçoit une valorisation opposée selon que le regard jeté sur elle vienne d'un urbain anglais ou d'un créole réunionnais ; voyons maintenant comment, au contraire, deux chôralités divergentes peuvent coexister voire s'appuyer l'une l'autre.

4.  La chôra-matrice : l'incarnation quotidienne du mythe

23 Le troisième point se penchera donc sur le lieu de l'incarnation quotidienne des récits : après la « chôralité-empreinte », la « chôralité-matrice ». Comment ces mythes ont-ils influé et influent-ils encore sur le devenir des espaces qu'ils ont investi ? Comment ces textes écrits il y des décennies voire des siècles sont-ils encore aujourd'hui des mythes agissants ? Comme tout mythe vivant, Libertalia et la Lémurie évoluent et se perpétuent en se modifiant : exploitation littéraire, théâtrale, scientifique ou pseudo-scientifique. Identifier les acteurs impliqués et leurs motivations – certains croient en la réalité de ces récits, mais d'autres n'y croient pas (ou pas vraiment) – permettra de mieux comprendre les manifestations concrètes liées à ces récits.

4.1.  La recherche des traces

24 De même qu'Hermann fit de son travail de terrain l'un des fondements de sa théorie lémurienne, l'un des principaux champs d'incarnation du mythe libéri se trouve dans la recherche des traces archéologiques que l'on suppose pouvoir découvrir si l'on accepte l'historicité du récit. Ainsi, la recherche du « vrai lieu » de la geste républicaine pirate occupe nombre d'Européens établis à Madagascar. Certains investissent des sommes importantes et énormément de temps dans cette quête [14]. Plusieurs hypothèses s'affrontent (Deschamps, 1972). La plus partagée, place Libertalia dans la baie de Diego Suarez : outre que les descriptions de Johnston/Defoe correspondraient bien aux lieux, la baie est parsemée de toponymes évoquant la présence d'étrangers. Assez nombreux aussi sont ceux qui la localisent plus au Sud, sur la petite île Ste-Marie, à quelques encablures de la Grande île et dont l'historiographie confirme qu'elle fut un haut lieu de la piraterie européenne.

25 Plus hétérodoxe, d'autres cherchent la République pirate certes pas très loin de Ste-Marie, mais directement sur la côte Est ; plusieurs indices, en effet, pourraient relier le littoral betsimisaraka à l'épopée libérie. Certains voient ainsi dans le terme ranters l'origine du toponyme Rantabe, sur la côte Est de Madagascar [15] ; la thèse d'une dérive via l'expression « Ranters Bay » est loin d'être absurde, puisque d'autres toponymes locaux proviennent des langues parlées par les colons et aventuriers européens : français bien sûr, mais aussi anglais ou portugais (Diego Suarez, du nom de deux navigateurs). Restons un instant sur le cas de Foulpointe (de son nom officiel Mahavelona [16], petite commune rurale célèbre pour son lagon qui attire nombre de touristes nationaux depuis Tamatave et Tananarive) et de Fénérive-Est (de son nom officiel Fenoarivo Atsinanana, capitale du district éponyme et de la région Analanjirofo), distantes d'une quarantaine de kilomètres. On se souvient (cf. 2.2) que T. Tew et T. White sont peut-être une même personne – en tout cas, qu'une légende le dit. D'une part, Tew a sans doute frayé, comme bien d'autres pirates (Deschamps 1972), dans les environs : Ste-Marie est d'ailleurs toute proche (à une cinquantaine de km au Nord de Fénérive-Est). Quant à White il aurait vécu, à en croire le chapitre XXIII de l'Histoire…, une histoire d'amour avec « une indigène » qui lui aurait donné un fils. Cette femme ne seraient autres que Rahena, et le roi Ratsimilaho (env. 1694-1754) qui unifia la côte Est malgache et le fondateur du royaume des Betsimisaraka, dont on sait qu'il était métis et qu'il fit des études en Angleterre (Deschamps, 1972). C'est White qui aurait nommé la capitale de sa bien-aimée Hopefull Point (nom cité par Johnston/Defoe, et qui a donné Foulpointe), et l'on sait que Ratsimilaho fit de Fénérive sa capitale. Par opposition aux Merinas parfois considérés comme des colonisateurs bien plus envahissants que les Français, les Betsimisaraka font de la geste pirate un fondement de leur propre identité : de Fouplointe à Fénérive-Est, l'aristocratie locale revendique son appartenance à la lignée des zanamulata (« enfants de mulâtres ») dont le plus illustre n'est autre que le roi-fondateur Ratsimilaho. Autre manifestation de ce particularisme opposé à la centralité merina : à Fénérive-Est, le rova (fort) construit lors de la prise de possession par le royaume tananarivien demeure isolé de la ville, peu mis en valeur, jamais évoqué (contrairement, par exemple, à celui de Foulpointe) ; en revanche, nosy Akoho (petit îlot à quelques encablures de la ville qui aurait été le premier lieu d'inhumation de Ratsimilaho) demeure protégé par plusieurs fady[17].

26 Bref, si aucune théorie n'emporte complètement l'adhésion, toutes reposent sur un faisceau d'indices et construisent une histoire cohérente de chaque lieu. Chacune s'appuyant sur des « preuves » rationnelles (archéologiques, philologiques…) il n'est pas étonnant que cette controverse rappelle celle au sujet de la localisation d'Alésia [18] – en moins violent toutefois : les passions déchainées par celle-ci s'expliquent bien sûr par l'envie d'avoir raison dans un débat scientifique et par de puissants ressorts imaginaires liés à notre propre récit national, mais renvoient aussi à des querelles de pouvoirs au sein et entre institutions [19] ; autour de Libertalia, comme tout se déroule entre francs-tireurs et hors des académies (et des budgets qui vont avec…), l'enjeu se limite à des conversations autour d'un verre de rhum arrangé. Pour en finir avec la recherche du « vrai lieu » de Libertalia, il est fort probable que toutes ces théories détiennent une part de vérité : Defoe aurait, pour composer son utopie, fondu en un récit unique et cohérent toute une série d'expériences vécues par des pirates ou des dissenters à Madagascar, depuis la baie de Diego jusqu'à Foulpointe en passant par Sainte-Marie ou ailleurs (Racault, 2007) [20].

4.2.  Du réel, du virtuel et du culturel

27 C'est ici que la distinction entre empreinte et matrice opère pleinement : si les deux mythes informent un espace, sa perpétuation sur place amène cet espace à influer sur ce mythe. Ainsi Libertalia et la Lémurie, qui ne font sens dans leur version originelle que pour les Européens ou pour les autochtones ayant des rapports avec eux, connaissent de nouvelles versions plus métissées. La pièce de théâtre Libertalia la République des insoumis de la Compagnie Kabar Club [21] prend une coloration malgache qui n'existe pas chez Defoe, pour qui les Malgaches ne sont que des sauvages tout juste bons à mettre fin à l'utopie. La présentation de Sébastien Welsch, l'un des deux auteurs de la pièce, dit ainsi qu'il « creuse maintenant les racines de la vieille terre du Berry qu'il métisse aux sables du Sahel et aux embruns de l'Océan Indien [22] », en se référant aux années qu'il a passé au Niger et à Madagascar [23]. De même, si chez J. Hermann la Lémurie était homogène culturellement et racialement, chez M. de Chazal elle prend en littérature comme en peinture une tournure aussi métissée que l'est la population de l'île Maurice (Racault, 2009 [24]). De nos jours, le site Web Potomitan (« Site de promotion des cultures et des langues créoles » qui organisa en 2009 une exposition sur la Lémurie [25]) ne peuvent s'appréhender qu'avec des références mêlant héritages européens et non européens. À ce titre, certains livres de J.M.G. Le Clézio témoignent de la réussite du projet littéraire lémurien dans sa version post-coloniale de mettre les Mascareignes multiculturelles au centre du monde : c'est la France métropolitaine, l'ancien centre, qu'il vit comme un exil, et Maurice qu'il aspire à retrouver pour s'y ressourcer [26]

28 Internet sert ici de démultiplicateur, puisqu'il offre à la moindre exploitation un espace mondial de visibilité. Ainsi, avec pour entrée « Libertalia », Google propose des sites qui offrent toutes sortes de perspectives sur ce toponyme : déclinaisons littéraires (tel le roman Les Enfants de Libertalia de C.G. Gauvin [27]), produits dérivés variés (jeu de société [28], éditions [29], bière, hôtel…). Si on entre « Lémurie », un autre aspect d'Internet est mis en valeur, qui explique par exemple qu'il serve de vecteur à toutes les théories du complot : le mythe lémurien se perpétue, présenté à travers la « révélation » de « vérités » réservées à des « initiés » (cf. 2.2) – ce qui semble paradoxal à propos de ce média qui est sans doute le plus grand public qui ait jamais existé. Enfin, il arrive aussi que certains auteurs assimilent ces mythes avec d'autres : ainsi M. de Chazal réunit en seul endroit Atlantide et Lémurie (Racault 2007 : 257) – hypothèse reprise (et « prouvée scientifiquement », cf. 2.1) par Dos Santos quoique déplacée en Insulinde. Nous sommes ici très loin des lieux réels où sont localisés Libertalia et la Lémurie, et naviguons en plein « métabasisme » (Berque, 2009) puisque le Web permet un fonctionnement en roue libre du virtuel détaché de tout lien non seulement avec le topos mais aussi avec la chôra.

29 Cependant, si certains produits dérivés commerciaux (jeu de société, éditions) n'ont rien à voir avec Madagascar, d'autres en revanche contribuent à l'économie de la grande île : la bière [30] y est brassée et vendue, et l'hôtel [31] se trouve sur l'île Ste-Marie. Cela ne signifie pas forcément que le mythe a été approprié par les Malgaches : la bière (d'ailleurs d'invention récente : 2013) est une ambrée assez amère et ne correspond pas au goût local, la plupart des Malgaches préférant la THB (une blonde assez peu marquée) ; son prix, relativement élevé, la destine d'ailleurs plutôt à la classe moyenne voire aux élites – donc à une petite minorité. Quant à l'hôtel, sinon luxueux du moins raffiné, il s'adresse lui aussi à une clientèle aisée. Dans les deux cas c'est clairement l'élite nationale, culturellement marquée par l'Europe (Bing, 2012), ou les expatriés qui sont visés. De même, ceux qui à Ste-Marie, fréquentent le cimetière dit « des pirates [32] » sont surtout des touristes. La visée commerciale obéit donc à une stratégie marketing qui cherche à toucher celles et ceux pour qui Libertalia fait sens – encore une fois. En dépit de cette réserve, le rôle économique que joue le mythe libéri lui donne une influence concrète sur la vie quotidienne de certains Malgaches, même s'il ne fait pas sens pour eux. Cela n'est pas sans rappeler les cultures d'exportation, nombreuses sur la côte Est : litchis, girofle ou vanille ne font certes pas partie de la gastronomie betsimisaraka (contrairement au riz, au zébu, aux brèdes ou au poisson) et sont consommés soit à l'étranger soit par les classes moyenne et supérieure (ou par les expatriés), cependant ils marquent le paysage de tout l'arrière-pays des régions Atsinanana et Analanjirofo (Rajeriarison et Urfer, 2010).

30 Nous pouvons enfin poser la question d'une appropriation en train de se faire de Libertalia par certains Malgaches, en dehors de l'élite sociale déjà exposée aux manifestations commerciales ci-évoquées. Ainsi, un « festival Libertalia » a lieu tous les ans à Diego-Suarez (localisation privilégiée par les chercheurs de traces, cf. 4.1) ; certes il s'adresse lui aussi aux minorités privilégiées des classes moyenne et supérieure et aux étrangers, mais ce sont des musiciens et des chanteurs venus de tout Madagascar qui s'y produisent [33]. Ce dernier point n'est pas sans importance, puisqu'il témoigne de la vitalité de la culture malgache en langue Malgasy alors que la décolonisation culturelle reste à accomplir (en dépit des rodomontades de la Deuxième République : Bing 2012) et que les secteurs exclusivement liés au tourisme courent le risque de la folklorisation et de la fossilisation (Berliner, 2010). Si cette appropriation se révélait effective – et l'exemple de la Lémurie adoptée et acculturée dans chaque île des Mascareignes par les tenants d'identités multiculturelles peut le laisser entrevoir – alors un sens nouveau du mythe libéri pourrait se faire jour, adapté cette fois aux interrogations existentielles et/ou politiques des Malgaches (Alexandre, 2001) ; ce ne serait d'ailleurs pas le premier exemple de malgachisation d'un apport culturel étranger (Rabemananjara, 2001).

31 Après la « chôralité-empreinte », nous avons vu à l'œuvre la « chôralité-matrice » : orientant le travail des hommes vers certaines activités, lui donnant sens, l'imaginaire participe à la construction du quotidien et du lieu-chôra qui par rétroaction modifie le lieu-topos à différentes échelles de sa géohistoire (Grataloup, 2011) ; en retour, l'incarnation quotidienne du mythe peut faire évoluer la forme ou le fond de celui-ci : l'épopée libérie se fait théâtre, la Lémurie après avoir exprimé une créolité européenne se métisse (Racault, 2007). Cependant, ce pouvoir de l'imaginaire est loin d'être total ; encore faut-il qu'il ait prise sur les sociétés et fasse prise (au sens de « prise médiale ») pour elle : la Lémurie fait sens pour des créoles à la recherche d'une identité territorialisante et Libertalia fait sens pour des Européens confrontés à une altérité pour qui ils demeurent des étrangers ; mais pour les Malgaches elle demeure essentiellement – comme la vanille – une importation étrangère acculturée, utile par les revus qu'elle fournit mais sans vraiment de résonance sur la chôra et dans l'imaginaire local – une affaire d'« échange », donc, plus que de « vernaculaire », de « référence » ou de « sacré » (Bing, 2012). Cependant il importe aussi de remarquer que, par-delà ces divergences, l'interprétation utopique de la geste de Tom Tew/White par les Européens et l'interprétation généalogique et enracinante des Betsimisaraka ne s'excluent pas : elles se complètent sur des plans différents et peuvent se croiser.

5.  Conclusion : chôra et sens du lieu

32 Commençons par noter une limite de ce travail, qui dessine une piste de recherche : nous avons fait le pari qu'un cas trajectif dont chôra et topos sont éloignés ; si nous en avons vu l'efficacité pour saisir la circulation de mythes de vastes échelles de temps (du xviie au xxie siècle) et d'espace (une chôra allant de l'Europe à l'Indonésie pour un topos localisé entre Madagascar et les Mascareignes) et la constitution par les ressortissants des premiers espaces d'une chôra portant sur les secondes, en revanche nous manquons de données de première main émanant directement du topos lui-même, notamment des Mascareignes. Il y a là une carence à combler, notamment en s'intéressant aux riches corpus oraux et écrits en langues vernaculaires (Malagasy et créoles réunionnais et mauricien). Ce travail complémentaire serait d'autant plus nécessaire que nous nous sommes appuyés ici sur un corpus relativement étroit : élargir la réflexion par exemple à des textes de même type que ceux étudiés ici mais concernant la piraterie caraïbe ou contemporaine, ou à d'autres types de textes (que nous avons d'ailleurs pu croiser : récits de voyage, fiction contemporaine, textes à visée religieuse, etc.), et le tout dans d'autres langues, amènerait sans doute une compréhension plus fine de l'intertextualité de notre corpus.

33 À partir de deux figures littéraires établies aux confins de ce que sont aujourd'hui sciences sociales et de la littérature (mais qui, à l'époque, ne se distinguaient pas clairement), Libertalia et la Lémurie sont devenues des mythes. Combinant une épistémologie rationnelle à de larges marges d'incertitude, ces territoires mythifiés ont ouvert, pour certains groupes sociaux précis (dissenters à l'époque de Defoe, Européens de Madagascar aujourd'hui, créoles des Mascareignes…) un espace où penser des enjeux existentiels. Les autres groupes sociaux habitant le même espace (Malgaches, Comoriens…), pour qui ces mythes ne font pas sens, ne les ont pas adoptés, ou donnent un autre sens aux mêmes faits. Par ailleurs, ces mythes ont des conséquences spatiales concrètes, imaginaires ou matérielles – ainsi l'économie touristique à Madagascar qui joue parfois sur le mythe libéri, ou la réinvention post-coloniale des identités mascareignes.

34 Est aussi apparu un risque à trop solliciter le mythe pour donner du sens aux lieux : jouant sur des cordes sensibles, il rend possible des dérives (politiques ou pseudo-religieuses) usurpant une apparence d'autorité scientifique (que les scientifiques eux-mêmes ne revendiquent d'ailleurs en fait plus vraiment : Latour, 2010). Nous estimons alors d'autant plus important de ne pas laisser à ces manipulateurs l'exclusivité de la définition de ce « lien au lieu » (Berque et al., 2014) : il s'agit donc d'une part de constater la pluralité toujours possible de la chôralité d'un même topos, d'autre part de pouvoir retracer sa généalogie en ne confondant ni les niveaux du discours ni ceux du territoire. Ici, en considérant la chôra comme une concrescence trajective du récit et du lecteur/auditeur/arpenteur, nous avons mis en évidence l'une des modalités de sa genèse (via le mythe littéraire), et certaines de ses conséquences (économiques, territoriales, imaginaires…). Finalement, nous avons montré son historicité (Berque [2009] parle de « contingence ») contre ceux qui voudraient en faire une caractéristique propre du lieu en lui-même. Produit contingent d'une histoire certes pleine d'énigmes mais vécue, écrite et dite par des êtres humains, le lieu sous son aspect chôra n'existe que par et pour ces derniers : du point de vue scientifique qui est le nôtre, il ne recèle ni vérité cachée ni mystère métaphysique.

35 Le sens des lieux (Berque et al., 2014), qui serait ce qui distingue le topos de la chôra, demeure donc une réalité de l'espace vécu, du milieu trajecté (Berque, 2009), du territoire sémiotisé (Raffestin 1995) par un groupe social ; à l'échelle individuelle, il peut même avoir une force incitative voire prescriptive (Pitte, 2010). Ni gadget ni concept, en tant que phénomène social, il mérite d'être étudié par les géographes plutôt que d'être rejeté comme objet non-conceptualisable. Enfin, il peut constituer un médiateur fort heuristique pour co-construire en commun nos pratiques, par-delà les incommensurabilités des niveaux de savoirs (Bing 2012) et des cultures (Bing, 2014 b), et éviter des bourdes fossilisatrices ou folklorisantes (Berliner, 2010). Là est sans doute son principal intérêt – mais ceci est une autre histoire…

Notes

  • [1]
    Berque (1990) définit la trajection comme une « combinaison médiale et historique du subjectif et de l'objectif, du physique et du phénoménal, de l'écologique et du symbolique ».
  • [2]
    Il n'est toutefois pas impossible que des marins y aient fait escale ; cependant, ces occupations très temporaires n'ayant semble-t-il pas eu de suite, nous nous permettons cette simplification.
  • [3]
    Cet article se situant dans le champ des sciences sociales plus que des études littéraires, nous nous pencherons moins sur les procédés littéraires que sur les procédés para-scientifiques de cette histoire. Pour plus de détails concernant les premiers, nous renvoyons à Racault (2007).
  • [4]
    Dans cet article, nous nous référons à l'édition mentionnée en bibliographie à propos de Le Bris (1990).
  • [5]
    Santos A., Atlantis. The last continent finally found, 2010, UFUK. Il s'agit là de la deuxième édition indonésienne de ce livre, dont l'édition en langue originale remonte à 2005.
  • [6]
    http://atlan.org/author/ (comme tous les liens cités, celui-ci a été vérifié le 01/09/2015 après J.-C.).
  • [7]
    Cf. http://bibliotheque.mu.refer.org/livres_upload/lecycledepierreflandrerespiration.pdf.
  • [8]
    Cf. La doctrine secrète d'Helena Blavatsky (URL : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55684882).
  • [9]
  • [10]
    Sur un dérivé toponymique possible, cf. 4.1.
  • [11]
    Peut-être ce caractère protecteur de l'île a-t-il à voir avec le fait que Defoe était anglais. Mais il ne vivait pas au temps de Winston Churchill et de John King, et nous craindrions l'anachronisme en attribuant à celui-là l'îléité militante de ceux-ci. Un autre paramètre à prendre en compte dans cette hypothèse serait le fait que la superficie de l'Angleterre et de la Grande-Bretagne fait figure d'intermédiaire entre les minuscules Mascareignes et l'immense Madagascar ; enfin Defoe était un Londonien, qui vivait donc dans l'une des plus grandes concentrations humaines de son époque. Ces deux facteurs font que son vécu de l'île était nécessairement très éloigné, à la fois de celui qu'il attribue aux Libéris et de celui vécu par Hermann et autres Hart.
  • [12]
    Pouvoir se replacer au centre du monde quand on a l'impression d'en être une périphérie : c'est sans doute aussi l'une des raisons qui expliquent le succès, en Indonésie, d'Atlantis (cf. 2.2, 4.2 et Bing, 2015).
  • [13]
    L'expression elle-même est révélatrice : bien que les origines ultramarines soient connues (une anecdote : quand ils confondaient notre épouse, javanaise, avec une Merina, bien des Malgaches se justifiaient en invoquant « nos ancêtres venaient d'Indonésie ») et enseignées dans les manuels scolaires, l'île demeure néanmoins le référent géo-identitaire principal – légitimement, bien sûr, puisqu'elle est le lieu de l'ethnogenèse.
  • [14]
    Témoignage du chasseur d'épave Pierre Van den Boogaerde dans le reportage d'Hervé Jouon « Libertalia, un rêve pirate » diffusé dans l'émission Thalassa. Cf. http://www.france3.fr/emissions/thalassa/reportage-libertalia-reve-de-pirate_232881.
  • [15]
    Situé à l'entrée de la baie d'Antongil, et à quelques milles de l'île Ste-Marie ; B. Larsson y situe par ailleurs la narration de son roman Long John Silver (Grasset, 2000) – toujours le « mythe pirate » (Abel 2009).
  • [16]
    Généralement, le nom officiel est moins couramment employé que celui qui l'était déjà à l'époque coloniale. On peut y voir là la force de l'habitude, mais peut-être aussi dans le cas des Bestsimisaraka la revendication d'un héritage zanamulata opposée à l'assimilation centralisatrice de Tananarive.
  • [17]
    Une légende locale évoque comme punition, pour celui qui viole l'un de ces « interdits », l'égarement dans la forêt qui couvre l'îlot.
  • [18]
  • [19]
  • [20]
    De manière plus littéraire nous avons, dans quelques nouvelles (à paraître), localisé Libertalia à Maroantstra, au fond de la baie d'Antongil, à quelques dizaines de kilomètres au Nord de Rantabe. Nous sommes donc aussi victimes du « syndrome Libertalia »…
  • [21]
  • [22]
  • [23]
    Communication personnelle.
  • [24]
  • [25]
  • [26]
    Deux livres sont ici particulièrement intéressants. Dans Raga (Seuil, 2006) il interroge, via l'Océanie, les notions d'île et de continent. Vingt ans avant, dans Voyage à Rodrigues (Gallimard, 1986), il présentait Maurice comme le centre de son monde, d'où il était né exilé, et évoque à deux reprises Misson et Libertalia ; dans ce livre, les temps rémanent de la Lémurie perdue et promanent de Libertalia à bâtir se rejoignent dans le présent atemporel du mythe vécu.
  • [27]
  • [28]
  • [29]
  • [30]
  • [31]
  • [32]
    Il date en réalité du xixe siècle soit après la geste pirate (fin du xvie-début du xviie siècle).
  • [33]
    Cf. http://www.rfimusique.com/actu-musique/musiques-monde/20140303-festival-libertalia-madagascar. Concernant l'importance capitale – y compris pour le français sur l'île de revaloriser le malgache comme langue de culture, cf. Bing (2012).
  • [34]
    Les chapitres XX et XXIII font partie du tome II, intitulé Le grand rêve flibustier (même éditeur, même date).
Français

Cet article tente de saisir la part de l'imaginaire dans la genèse du lieu (considéré non comme topos cartographique mais comme chôra porteuse de sens), en examinant le processus de sémiotisation né de fictions littéraires devenues des mythes. Il examine les cas de deux utopies issues de la présence européenne dans l'océan Indien occidental à partir du xvie siècle : Libertalia et la Lémurie. Méthodologiquement, il relie des sources et des analyses littéraires et historiques à des données récoltées durant plus de deux années de séjour en pays Betsimisaraka (Madagascar). Étudier des mythes portant sur des topos situés dans l'océan Indien occidental bien qu'eurocentrés présente un intérêt heuristique pour mettre en avant le décalage entre topos et chôra et envisager les facteurs d'impacts rétroactifs de la seconde sur le premier. Cet article commence par replacer ces deux figures dans l'histoire littéraire, afin de comprendre comment elles se sont fait mythes. Puis, appliquant la distinction berquienne d'« empreinte » et de « matrice » à la chôra, il interroge d'abord la chôralité-empreinte des mythes (qui, par la culture dont ils sont porteurs, donne sens à l'espace où ils se déploient), puis leur chôralité-matrice (les modifications qu'ils ont engendrées dans le réel).

Mots-clés

  • chôra
  • empreinte et matrice
  • littérature
  • mythe
  • Libertalia et Lémurie

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Jean-Baptiste Bing
Assistant-doctorant, université de Genève, Faculté des sciences de la société, Département de géographie et environnement, Institut universitaire de formation des enseignants
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/09/2016
https://doi.org/10.3917/ag.709.0272
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