CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Cet article s’intéresse au fonctionnement interne de la prison centrale de Yaoundé, dite Kondengui [1]. Il souhaite partager les premiers résultats d’une recherche. La réflexion part de l’étude des divisions architecturales pour analyser ensuite les appropriations et les adaptations des détenus à un espace contraint. Il pose l’hypothèse d’un écart entre l’espace conçu par les autorités pénitentiaires et celui transformé par les stratégies et les tactiques des détenus, sans évincer celles des gardiens (Chalamov, 1993). Il étudie ainsi les rapports de pouvoir entre gardiens et détenus d’une part, entre les détenus d’autre part.

2 La dimension spatiale des rapports de pouvoir et de domination dans la prison a pu être abordée, de manière explicite ou non, en particulier en sociologie et en science politique (Le Caisne, 2000 ; Fischer, 2009). À l’inverse, on peut déplorer le relatif silence de la géographie alors même que l’espace devient une ressource, voire une rente négociée, parfois disputée, entre divers acteurs (Philo, 2012 ; Moran, Piacentini, et Pallot, 2011 ; Milhaud, 2009 ; Martin et Mitchelson, 2008 ; van Hoven et Sibley, 2008 ; Baer et Ravneberg, 2008 ; Milhaud et Morelle, 2006 ; Lamarre 2001). La prison pourrait être définie comme un emboîtement d’espaces et de seuils dont le contrôle serait au fondement d’un dispositif de pouvoir. Cela est d’autant plus vrai dans la prison centrale de Yaoundé, l’une des dix prisons centrales camerounaises, marquée par l’un des plus forts taux de surpopulation carcérale du pays [2]. Construite en 1968 pour 1 000 détenus (Pacdet, 2010), elle abrite en mai 2011, 3 830 détenus (enquêtes personnelles). Cette concentration d’individus entraîne conflits et arrangements dans les usages de l’espace carcéral et suscite la mise en place de logiques informelles, qui s’ajoutent et s’articulent aux logiques institutionnelles, dans la gestion quotidienne de la prison [3].

3 L’analyse s’appuie sur une série d’enquêtes menées en avril et juillet 2010 puis en mai et septembre 2011 [4]. J’ai conduit 19 entretiens semi-directifs auprès de détenus, pendant les deux années concernées. En amont, j’ai rencontré divers acteurs de l’administration pénitentiaire ainsi que des avocats, des journalistes et des responsables d’ONG (9 entretiens). Surtout, à ces entretiens se sont ajoutées de nombreuses discussions informelles [5] (jusqu’à une fois par jour, avec certains détenus, sur un total d’environ 10 semaines de présence cumulées), dans les cellules, aux portes d’entrée ou encore au greffe auprès des gardiens, couplées à des observations à l’échelle de l’ensemble de la prison. Ce type d’entretiens permet d’éviter la formalisation inhérente à l’entretien semi-directif et les biais qu’elle entraîne (Bruneteaux et Lanzarini, 1998 ; Schwartz, 2001) : les détenus peuvent chercher à rendre acceptable leur histoire en passant sous silence les pratiques illégales auxquels ils ont recours pour vivre. Ils se méfient de ce qui peut advenir de leur parole, dans un contexte où ils sont poursuivis pour un crime ou un délit. Donner l’apparence d’une conversation ordinaire, à plusieurs reprises dans le temps, permet de libérer davantage la parole, de donner du temps, de revenir en douceur sur certains faits mentionnés par l’enquêté. Il a parfois été également plus facile de constater les violences entre détenus que d’en obtenir le récit. De manière générale, la question de ne pas blesser les personnes rencontrées et de ne pas les juger, quels qu’aient pu être leurs actes hors et dans la prison, s’est posée constamment au cours de ma recherche, et je ne peux prétendre avoir tout maîtrisé des conséquences de ma présence et de mes paroles (Morelle et Ripoll, 2009). Munie donc d’une autorisation du Secrétaire d’État à l’Administration pénitentiaire, je pouvais a priori me rendre librement et non accompagnée dans l’ensemble de la prison, de ses bureaux et de ses quartiers de détention. On peut penser que l’accès quotidien à la prison centrale a donc été facile une fois l’autorisation obtenue. Néanmoins, des difficultés demeurent. Prétendre saisir la réalité de la prison dans ses moindres détails face aux effectifs de détenus et à la diversité des individus présents n’est guère aisé. Surtout, tous les quartiers ne se ressemblent pas et ma présence dans certains d’entre eux (les plus surpeuplés ou encore celui réservé aux personnes souffrant de déficiences mentales) a pu se révéler une épreuve physique et morale. Au fil du temps, j’ai pu mettre à distance certains discours des gardiens et plus encore mes propres représentations quant à la dangerosité des prisonniers (Le Caisne, 2007). J’ai appris à passer les portes et me retrouver seule dans la Grande Cour, au vu et su de tous, et progressivement m’orienter au sein de la prison. Mais je n’ai pas toujours réussi à me sentir en confiance, en particulier dans les quartiers dits Kosovo[6], redoutés par beaucoup à Kondengui, qui abritent chacun plus de 1 300 détenus en moyenne. Les flux incessants de personnes, certaines en haillons, le brouhaha continuel, les cris, les appels, les moqueries ou menaces, la densité dans les allées, jusque dans les étages, le long des balustrades, l’impossibilité d’échapper aux regards, les bousculades et les empoignades (ne serait-ce que pour une assiette de nourriture) caractérisent l’ambiance de ces deux quartiers, réputés violents et dangereux. Pareille effervescence, toute en tension, m’a régulièrement fait douter de la possibilité de sortir des Kosovo une fois que j’y étais entrée [7]. En outre, les sollicitations sont très importantes de la part des détenus, curieux des raisons de ma présence, espérant me voir améliorer leurs conditions d’incarcération ou débloquer leur situation judiciaire. L’espoir tenace de sortir fait le jeu de nombreuses manipulations. Mon statut de femme, étrangère et blanche de surcroît, m’a systématiquement obligé à me démarquer du monde humanitaire dont on me croyait issue, dans l’espoir de couper court à certaines attentes que je n’aurai pu honorer. Enfin, ayant fait le choix de cibler mes enquêtes sur les hommes majeurs [8], j’ai été renvoyée à ce statut de femme, notamment lors de mes premières visites, en des termes allant du compliment aux remarques les plus désobligeantes, toujours sur mon physique (qu’ils jaugeaient parfois de manière très détaillée et à haute voix) et sur ce qu’ils supposaient de ma sexualité, avec pour conséquence un fort sentiment de vulnérabilité. Les premiers jours, j’ai alors tenté de rester dans la Grande Cour dans le but de rencontrer des détenus provenant de divers quartiers, mais les attroupements que cela a entraînés d’une part, les nombreux événements (visites, activités sportives) s’y déroulant d’autre part, m’ont assez vite convaincue d’abandonner l’expérience. Pour toutes ces raisons, j’ai été moins d’une fois par semaine dans les Kosovo ou même les autres quartiers. J’ai surtout travaillé dans le Quartier des Condamnés à Mort [9] où résident 22 prisonniers, tous les jours de presque chacune de mes dix semaines passées à Yaoundé. J’ai pu mener des entretiens à plusieurs reprises avec certains d’entre eux, être invitée dans leur cellule, l’un d’eux, que je peux considérer comme mon principal « informateur » (Whyte, 1996), m’ayant finalement « prêté » son local pour « recevoir » des détenus de différents quartiers de la prison. Bien entendu, ce choix a pu orienter mes enquêtes vers certains prisonniers plus que d’autres et minorer mes observations dans certains secteurs de la prison.

4 Pour discuter des rapports de pouvoir au sein de la prison centrale de Yaoundé, j’évoquerai tout d’abord les divisions principales de l’espace carcéral. Certaines d’entre elles sont réglementaires, d’autres relèvent d’un registre informel. Puis j’expliquerai combien il est utile de pouvoir circuler dans la prison et accéder à différents espaces, au-delà des divisions « classiques » de la prison. Enfin, je discuterai de la réalité du dispositif de pouvoir (Foucault, 1975) et de sa dimension spatiale.

1 Production de l’espace carcéral : divisions institutionnelles et appropriations informelles

5 L’agencement matériel de la prison a fait l’objet de nombreuses réflexions en particulier en Occident, aux XIXe et XXe siècle (Bentham, 1977 ; Foucault, 1975, Fairweather et McConville, 2000 ; Demonchy, 1998). L’architecture carcérale est pensée au service de la surveillance, de la punition et de l’amendement des détenus. Cependant, elle ne saurait résumer à elle seule les processus de contrôle à l’œuvre dans la prison. Aux divisions réglementaires s’ajoutent des partitions informelles, nées des discours et pratiques, notamment corruptives, des agents institutionnels comme des détenus. Ces « cloisonnements » (Chauvenet, Rostaing, et Orlic, 2008:5) et logiques de répartition au sein de la prison font l’objet de négociations informant sur les rapports de pouvoir qui se jouent entre l’administration pénitentiaire et les prisonniers.

1.1 L’espace conçu des autorités pénitentiaires

6 Colonie allemande, territoire sous mandat de la SDN puis sous tutelle de l’ONU, une large partie du territoire camerounais a été de fait administrée par la France après la Première Guerre mondiale. L’influence européenne se ressent dans la conception des architectures carcérales. Bien que l’enfermement n’ait pas été inconnu de certaines sociétés précoloniales, on peut avancer l’hypothèse, dans la lignée notamment de Florence Bernault (1999), que la colonisation est à l’origine des premières prisons camerounaises (Saibou, 2010 ; Idrissou, 2005). Néanmoins, l’administration pénitentiaire reste faiblement dotée en budget d’investissement et de fonctionnement. Les locaux servant à l’incarcération sont anciens, dégradés et exigus. Selon Idrissou, « en tenant compte seulement des prévenus et des condamnés de droit commun de 1932 à 1960, la prison de Yaoundé a toujours accueilli un nombre deux fois supérieur de détenus que sa capacité d’absorption réelle » (2005:228). Après la première réforme pénitentiaire en 1973, en 1992, une seconde réforme réaffirme la vocation de réinsertion de l’emprisonnement. Les chiffres actuels, énoncés plus tôt, démontrent la faible effectivité d’une telle loi alors même qu’en 1968, une nouvelle prison est construite à Yaoundé, dans le quartier dit de Kondengui.

7 Cette prison présente a priori tous les attributs d’un espace sous contrôle. Au fil des années, la croissance et l’étalement urbains de la capitale camerounaise font de Kondengui, au départ situé en périphérie, un quartier en position relativement centrale dans l’agglomération de Yaoundé. À plus grande échelle, l’administration pénitentiaire possède des terrains plus vastes que le seul espace construit de la prison. Ce foncier faiblement mis en valeur parvient à créer une sorte de glacis tout autour de l’édifice, qui l’isole un peu du reste de la ville. Une fois devant, se dresse un premier mur d’enceinte, aveugle, avec un chemin de garde et des miradors, parachevant le sentiment comme la réalité de l’enfermement. Passé une première porte, la Cour d’honneur et les bureaux de l’administration, une seconde enceinte délimite la zone de détention proprement dite. Dans celle-ci, différents quartiers, composés souvent de plusieurs bâtiments, abritant eux-mêmes les cellules collectives [10] (dites locaux), s’organisent autour de la Grande Cour. Le bureau du chef discipline et celui des gardiens placés sous sa responsabilité sont dans cette même cour. De là sont organisées de manière cyclique des fouilles dans les quartiers. Deux cellules disciplinaires ont aussi été installées dans deux des quartiers de la prison.

Fig. 1

Carte de la prison centrale à Yaoundé Site map of Yaounde Central Prison

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Carte de la prison centrale à Yaoundé Site map of Yaounde Central Prison

8 De prime abord, la logique de répartition des détenus correspond à trois critères : l’âge, le sexe et la peine [11]. On note ainsi l’existence d’un quartier Mineurs, d’un quartier Femmes et d’un quartier réservé aux Condamnés à Mort. Dans un second temps, on remarque la présence de plusieurs quartiers dits, dans le langage de la prison, « VIP » car dévolus aux anciens membres du gouvernement et directeurs généraux de sociétés parapubliques poursuivis pour détournement de deniers publics par l’État camerounais dans le cadre d’une vaste et récente opération de lutte anti-corruption (Vallée, 2010). Ces derniers sont ainsi « protégés » de la surpopulation généralisée et d’éventuelles agressions d’autres détenus. Ils circulent d’ailleurs rarement dans Kondengui sans leurs gardes du corps, embauchés à leurs frais, parmi les prisonniers. Ce qui leur donne un avantage sur les femmes, recluses dans leur quartier et sur les mineurs, censés ne pas sortir non plus du leur, les unes et les autres gagnant seulement la cour lors d’activités sportives, d’événements festifs, et certains quartiers, le dimanche, à l’occasion de la célébration des cultes. Ces logiques de partition sont récurrentes d’une prison à une autre, bien au-delà du seul contexte pénitentiaire camerounais (Artières et Lascoumes, 2004). Elles ont pour but de maîtriser les effectifs des détenus, de les classer pour mieux les contrôler. Elles ne sont pas dénuées de la volonté de protéger les catégories pensées comme plus vulnérables et d’offrir des services a minima, garantissant théoriquement des conditions d’incarcération dignes au regard des conventions internationales.

9 Mais l’appréhension de l’espace carcéral ne saurait se limiter à ces seules catégorisations émanant des acteurs institutionnels. Il est nécessaire de se pencher sur le statut et le rôle de quatre autres quartiers : le 1, le 3 et surtout les 8 et 9, les Kosovo qui abritent la grande majorité des détenus de Kondengui. Il faut analyser les rapports sociaux qui se jouent entre prisonniers puis les interactions entre détenus et gardiens.

Fig. 2
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Architecture et organisation générale de la prison centrale de Yaoundé Architecture and general organization of Yaounde Central Prison

1.2 Les divisions informelles : «le haut »et «le bas »de la prison

10 Les Kosovo sont répulsifs au sein de Kondengui. Avec les détenus de « la Buanderie [12] », déficients mentaux, et aux côtés des Condamnés à Mort, les prisonniers de ces quartiers se définissent eux-mêmes comme « Le Bas » de la prison. En opposition, les Quartiers « VIP » et les quartiers 1 et 3 incarnent « Le Haut » de Kondengui. Dans ces derniers, les détenus se considèrent comme des « personnes responsables » et cherchent à se distinguer des « bandits » des Kosovo. Ils estiment avoir exercé des professions honorables (commerçants, employés, militaires, fonctionnaires) quand, à leurs yeux, les prisonniers du « Bas » vivraient de petites activités informelles et illégales (pousseurs au marché, laveurs de voiture, etc.), en lien avec leur absence de formation et leur potentiel illettrisme. Ils se disent jugés pour des faits « plus nobles » (détournements, escroquerie) tandis qu’ils accusent les détenus du « Bas » d’être des « braqueurs », dénués de morale. Sans se prétendre membres d’une élite (position réservée aux seuls « VIP »), ils revendiquent une appartenance à une « classe moyenne », définie largement en creux par les traits qu’ils assignent aux ressortissants des catégories les plus populaires.

Fig. 3

Divisions institutionnelles et informelles de l’espace carcéral Institutional and informa divisions of carceral space

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Divisions institutionnelles et informelles de l’espace carcéral Institutional and informa divisions of carceral space

11 Lors d’un entretien, l’un d’eux (P., incarcéré depuis 5 ans, condamné à 6 ans pour complicité de recel aggravé, Quartier 1) avait le souci de se distinguer : il disait ne pas être un « bandit de grand chemin », ni « un voleur » : « Je ne suis pas un délinquant primaire. Je suis un homme ordonné. Je ne suis pas un habitué des prisons » (juillet 2010).

12 Ce type de représentations semble avoir été nettement incorporé de part et d’autre. Je n’ai pu vérifier complètement de telles assertions, les dossiers du greffe ne mentionnant pas le quartier d’affectation des prisonniers. En revanche, à partir de l’analyse de 298 dossiers de condamnés par le tribunal de grande instance du Mfoundi (Yaoundé), on peut noter l’effectif majoritaire de détenus exerçant, avant leur incarcération, dans le « secteur informel » (28,5 %), ou étant sans emploi (21,1 %), effectif qui vient gonfler ceux de la prison, et à n’en pas douter des Kosovo.

Tab. 1

Tableau des activités professionnelles déclarées par les détenus lors de leur incarcération Table of professional activities declared by inmates on incarceration

Catégorie socioprofessionnelle Total Pourcentage
Artisan, commerçant, technicien* (ACT) 99 33,2
Cadre supérieur 5 1,7
Cultivateur 13 4,4
Élève, étudiant 5 1,7
Fonctionnaire 6 2,0
Petites Activités du secteur informel **(PAI) 85 28,5
Sans profession 63 21,1
Absence de réponse 22 7,4
Total 298 100,0
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Tableau des activités professionnelles déclarées par les détenus lors de leur incarcération Table of professional activities declared by inmates on incarceration

* Par exemple, mécanicien, garagiste, chauffeur de taxi, chauffeur, comédien, informaticien, pâtissier, coiffeur, menuisier, électricien, maçon, etc. Soit des professions nécessitant a priori une formation.
**Par exemple, pousseur, vendeur à la sauvette, ferrailleur, jobs sur les marchés, gardien, gardien de nuit, mototaxi, laveur, manœuvre, etc.
dossiers des condamnés par le tribunal de grande instance du Mfoundi, greffe de la prison centrale de Yaoundé, consultations en mai 2011.

13 La lecture croisée des deux tableaux nous donne deux enseignements. On remarque une « criminalité en col blanc » avec la surreprésentation des fonctionnaires et cadres supérieurs jugés en première instance pour escroquerie ou détournement de deniers publics (8 individus sur les 11 des CSP concernées). Surtout, le vol aggravé est prégnant parmi les motifs d’incarcération des hommes dont les activités relèvent du secteur informel (37 % des PAI alors qu’ils sont 28 % et 63 % des ACT alors qu’ils sont 33 % [13]), ce qui pose la question de leurs conditions de vie à Yaoundé et leur capacité à faire face au système judiciaire et son mode de fonctionnement clientéliste.

Tab. 2

Tableau des motifs d’incarcération Table of reasons for incarceration

MOTIFS Nombre Pourcentage
Vol aggravé
Assassinat, meurtre, viol
Détournements de deniers publics
Escroquerie
Vol et recel
Évasion
Sans Information
Autres
163
74
24
16
11
6
1
3
54,7
24,8
8,1
5,4
3,7
2,0
0,3
1,0
Total général 298 100,0
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Tableau des motifs d’incarcération Table of reasons for incarceration

dossiers des condamnés en première instance par le tribunal de grande Instance du Mfoundi, greffe de la prison centrale de Yaoundé, consultations en mai 2011.

14 La manière d’accéder à un quartier de la prison éclaire encore davantage les rapports sociaux entre détenus. Elle informe aussi des rapports de domination entre détenus et acteurs institutionnels. A priori, après quelques jours passés dans une cellule de passage, les détenus sont affectés à un « local », dans un quartier donné, par l’administration pénitentiaire. Cependant, il est possible, selon les détenus, d’infléchir la décision de cette dernière en s’adressant au Chef Discipline et au régisseur : une place dans la prison s’achète en ayant recours à la corruption. Les plus fortunés, mais uniquement parmi les personnes jugées « responsables » par les gardiens, paieront ainsi 25 000 Fcfa au minimum pour échapper aux Kosovo, avoir un local et un lit [14] dans un quartier moins peuplé. De fait, les Kosovo accueillent les plus pauvres des prisonniers. L’arrivée dans ces quartiers 8 et 9 n’est que le début d’une initiation brutale à la prison. Face à la surpopulation [15], nombreux sont les détenus à ne pouvoir posséder un lit. Ils sont nommés les dorment-à-terre. Bien qu’affecté à une cellule, le nouvel arrivant, sans argent ni connaissance, dormira à même le sol, d’abord au seuil de la porte avant d’espérer, au fil des départs, rentrer dans la cellule et un jour accéder à l’un des 5 ou 6 lits superposés, de 3 étages chacun. Moyennant 10 000 Fcfa environ versés aux détenus responsables du quartier (cf. infra), un détenu pourra accéder à un lit, dès lors que l’un d’eux se libérera.

15

« Pour dormir, c’est pas facile puisque nous sommes serrés comme des sardines. Si tu te retournes, tu peux avoir des problèmes avec celui qui dort à côté de toi. Si tu le bouscules un peu, ça devient un problème. Parfois une bagarre même. Si tu veux te retourner, tu te lèves d’abord, tu te mets debout et tu te couches encore, de l’autre côté. Tu ne peux pas te tourner étant serré. » (G., un dorment-à-terre, Quartier 9 dit Kosovo, juillet 2010, prévenu depuis moins d’un an).

16 Pourtant, certains choisiront d’être affecté aux Kosovo (du moins ne tenteront-ils pas d’infléchir le choix des autorités), afin d’échapper plus facilement à la surveillance des gardiens (pour fumer du cannabis, téléphoner) et de retrouver parfois des acolytes avec lesquels tenter d’améliorer leur temps de détention, en se livrant à des vols, des escroqueries, des trafics, ou en accédant à divers privilèges et fonctions. À l’inverse, les détenus des Quartiers 1 et 3 vont subir davantage de fouilles, les gardiens prenant le moindre prétexte (cigarette, téléphone portable, etc.) pour menacer le fautif d’un renvoi dans l’un des Kosovo. Là encore, seule la corruption permettra d’éviter la sanction.

17 Dans une prison surpeuplée et dégradée, l’architecture et la simple présence de gardiens, en effectif bien moindre que celui des détenus [16], ne garantissent pas à elles seules le contrôle des prisonniers. Le recours à la corruption constitue un autre moyen d’établir des hiérarchies et des liens d’obligation entre gardiens et détenus, au service du maintien de l’ordre. Les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire détiennent une certaine maîtrise dans l’application des règles, formelles ou non. Ils n’outrepasseront pas certaines barrières sociales et pénales : un prisonnier condamné pour des crimes tels des braquages, réputé issu des quartiers populaires, quand bien même serait-il fortuné, ne sera pas affecté a priori dans le Quartier 1 ou 3 [17]. Quoi qu’il en soit, cette possibilité laissée à certains détenus d’échapper à quelques règles confère un pouvoir personnel aux agents de l’institution. Ce monopole du droit et du passe-droit (Bourdieu, 1990), des gardiens et surtout du Chef Discipline et du régisseur, qui semblent décider en dernier ressort, fait de l’espace carcéral une ressource non négligeable. On assiste à l’émergence d’une rente de corruption [18] dans un contexte de constants échanges monétaires [19]. À cet égard, l’étude des circulations carcérales s’avère encore plus éclairante.

2 Les circulations carcérales

18 Des mobilités contraintes existent au sein de la prison : regagner son quartier et son local le soir, être envoyé en cellule disciplinaire ou être convoqué au tribunal. Je souhaiterais mettre davantage l’accent sur un autre type de mobilités, nées d’arrangements et de négociations entre gardiens et détenus d’une part, entre détenus d’autre part. Elles montrent combien l’espace carcéral s’articule à une combinaison de seuils que l’on peut, ou non, franchir et qui matérialisent le rôle de l’espace dans les rapports de pouvoir. Ces mobilités révèlent aussi la double hiérarchie existant dans le travail de surveillance : les gardiens en ont certes la charge mais ils délèguent, sous leur contrôle, certaines tâches à quelques détenus.

2.1 Diversité des circulations

19 L’ensemble des quartiers sont connectés les uns aux autres, dans une moindre mesure les quartiers Femmes, Mineurs et VIP. La circulation entre les uns et les autres garantit cette mise en réseau, quotidiennement ou selon un rythme hebdomadaire. Ces déplacements correspondent souvent à une activité garante d’un revenu, aussi maigre soit-il. A titre d’exemple, être affecté aux cuisines permet de sortir de l’enceinte même de la prison et de manger en plus grande quantité. On peut aussi mentionner le travail en ateliers [20]. Dans la Grande Cour, les taxis, nommés par un détenu responsable du maintien de l’ordre (le Chef Cour, cf. infra) sont en charge d’aller chercher un détenu dans un quartier, à la demande d’un autre prisonnier, d’un gardien ou lors des jours de visites (qui se déroulent dans cette même cour, sous « le hangar » pour ceux qui peuvent y louer un emplacement). A eux de savoir se retrouver parmi la dizaine de quartiers et les milliers d’individus incarcérés. Une compétition peut s’instaurer et le vainqueur récoltera 50, 100 ou 200 Fcfa au maximum, suivant la bonne volonté de son mandataire. Dans le même esprit, les femmes font appel à des commissionnaires, chargés de transmettre plats cuisinés, objets (interdits ou non), ou encore messages à des hommes d’autres quartiers (et vice versa), de faire des achats, en particulier dans les cours des Kosovo où tout se vend (légumes, fruits, quincaillerie, tissus, magazines, cartes de téléphone, cannabis, etc.).

20 D’autres circulations servent à se rendre dans un autre quartier que le sien, dans la journée, en particulier les Quartiers 1 et 3 et celui des Condamnés à Mort. Il s’agit de fuir l’ennui, rencontrer d’autres détenus pour affaires ou pour jouer, prier (selon les quartiers et les heures, on peut par exemple rejoindre les Musulmans de Kondengui). Le quartier des Condamnés à Mort est ainsi réputé comme haut lieu de revente et de consommation de cannabis : les détenus se cachent derrière les rideaux qu’ils ont installés au seuil de leur cellule pour fumer, ce qui, du reste, ne masque nullement l’odeur [21]. On ne peut ignorer l’existence de relations sexuelles tarifées (également en direction des Quartiers 1 et 3) [22]. Pour beaucoup, accéder à ces quartiers (1, 3, Condamnés à Mort) est surtout synonyme de petite activité comme majordome. Il s’agira de faire la lessive et la cuisine de son employeur (un autre détenu plus fortuné). Les rémunérations sont variables et souvent en nature : don de vêtements, de nourriture. Surtout, notamment pour les détenus des Kosovo, l’accès à des toilettes et des douches moins sales et surpeuplées (plus sécurisées aussi) représente une indéniable ressource. L’hygiène est en effet une préoccupation primordiale chez les détenus.

Fig. 4
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Carte des circulations et de l’accès aux espaces de la prison Map of inmates’movements and access to different spaces in the prison

21 « Pour se laver, c’est pas facile. Il y a beaucoup de monde. Il y a l’embouteillage. Même pour faire les besoins, tu dois attendre. Il y a la bousculade. Il y a le vol. Vous partez, vous vous déshabillez. Bien après, vous vous rendez compte qu’on a volé votre pantalon. Il y a ceux qui sortent là-bas nus. On a volé leurs vêtements. (...) On vole tout là-bas. Le savon. Jusqu’aux brosses à dent. J’ai eu ce problème maintes fois. On a volé mes babouches, mes habits. Surtout quand vous êtes nouveaux, vous ne connaissez pas. Je suis obligé de supporter (...). Maintenant, je me lave aux Condamnés à mort : c’est calme. » (G., un dorment-à-terre, Quartier 9 dit Kosovo, juillet 2010, prévenu depuis moins d’un an).

22 Au sein de ces circulations, la Grande Cour s’impose. Elle est nécessairement traversée pour se rendre d’un quartier à un autre. Elle est un point de rassemblement pour l’appel au tribunal ou lors des fouilles des quartiers, pour recevoir aussi des visites. C’est un espace à part entière où, selon ses possibilités, stationner, se promener, pratiquer du sport (volley pour les femmes à des heures précises, football ou tennis pour les hommes [23]). Fréquenter cette cour permet d’échanger des informations et ne pas manquer une opportunité de rompre la monotonie de l’enfermement et éventuellement de gagner de l’argent. La cour est un espace incontournable de la prison.

23 Toutefois, nombre de prisonniers ne peuvent prétendre quitter leur quartier. Car à nouveau tout est affaire de négociation, de réseaux et d’argent. Ce que nous allons voir maintenant.

2.2 Un emboîtement de seuils et d’espaces :la prison comme rente

24 Face au nombre de personnes incarcérées, la volonté de classer et de compter les détenus devient un vœu pieu. Les gardiens sont amenés à s’adjoindre l’aide de détenus choisis, en charge de veiller au comptage des effectifs matin et soir, d’attribuer les cellules et les places et, plus généralement, d’assurer le calme et un semblant d’hygiène. Chaque quartier est ainsi placé, à la discrétion du régisseur et du Chef Discipline, sous la surveillance de détenus : un Commandant, aidé d’un Coordonnateur et d’un Maire qui assure le ménage du quartier. Les Commandants s’appuient sur des escadrons (de détenus), responsables du maintien de l’ordre [24].

25 A l’échelle de la cellule, on retrouve aussi un Commandant, un Coordonnateur et un Maire, tous nommés par les Commandants de quartier. Les nouveaux arrivants sont de corvée de ménage dans le quartier jusqu’au paiement d’une « taxe » de 2 500 Fcfa. De même, ils doivent donner 250 Fcfa aux escadrons qui tiennent le poste de police du quartier. Quant à celui qui ne payera pas ses droits (100 Fcfa pour un mandataire[25], 50 sinon), chaque semaine, dans sa cellule, il devra faire le ménage du local, pourra perdre son lit (ou sa place sur le sol du local). Les détenus accédant à des postes à responsabilité bénéficient donc d’une certaine bienveillance des autorités (pour des visites, l’entrée d’objets, des sorties nocturnes dans la Grande Cour, etc.) mais aussi d’une ressource financière. C’est auprès d’eux que se monnayent un lit, une faveur, de manière arbitraire, au profit d’une minorité.

26

« Quand l’un va se plaindre au poste de police [tenu par des détenus du quartier, appelés escadrons], on ne fait rien. Le poste de police est en complicité avec les voleurs. Quand un voleur vole, il part vendre au quartier 8. Il vient, il tchoko [verse un bakchich]. Il donne l’argent au poste de police et il reste avec sa part. » (G., un dorment-à-terre, Quartier 9 dit Kosovo, juillet 2010, prévenu depuis moins d’un an).

27 Le Chef Cour constitue une autre figure de ce dispositif. Fort de ses escadrons, il veille à l’ordre de la cour. Il s’enquiert des effectifs de prisonniers d’un quartier à un autre. Il nomme les taxis. Enfin, il choisit les portiers des quartiers. Ces derniers contrôlent les allées et venues de la cour vers les quartiers (et vice versa), moyennant finances. Celui qui ne paye pas (50 Fcfa au moins les premiers passages) et ne connaît personne ne sort pas [26]. Deux portiers sont, eux, en charge de la surveillance d’une des deux portes conduisant à la première cour de la prison : la Cour d’honneur. L’autre porte est surveillée par des gardiens. Cet espace entre deux portes forme un sas dit « La Porcherie », déjà sous contrôle des prisonniers. Les portiers (détenus) doivent notamment veiller à ce qu’aucune évasion ne se produise les jours de visite.

28 Pour résumer, on peut donc conclure à l’existence d’une surveillance pyramidale (cf. fig. 5) à l’origine d’une double hiérarchie : entre les gardiens et les détenus d’une part, entre les détenus d’autre part. Les gardiens ont la charge de maintenir l’ordre mais délèguent certaines tâches en quelques espaces à une poignée de détenus. La zone de détention proprement dite est placée sous le regard des gardiens postés dans les miradors et sur le chemin de ronde. Son entrée est aussi gardée par des personnels de l’administration pénitentiaire. Puis toutes les portes suivantes sont sous la responsabilité de détenus qui participent donc de la gestion des circulations des individus et des partitions des espaces. De même, si les gardiens organisent des fouilles dans les quartiers, le maintien de l’ordre au quotidien (contrôle des présences par l’appel, prévention des bagarres) est avant tout dévolu au Chef Cour, aux Commandants et à leurs Coordonnateurs et enfin à leurs escadrons, en particulier dans les quartiers et dans les cellules. En cas de troubles plus graves, les gardiens, dont le bureau est dans la Grande Cour, reviendront sur le devant de la scène avec le pouvoir de punir par le placement en cellule disciplinaire.

Fig. 5

Organigramme Organization structure

figure im7

Organigramme Organization structure

29 On comprend dès lors combien la prison se construit suivant divers gradients : de densité, de contrôle. La partition de l’espace en de multiples quartiers est au fondement de ressources (argent, privilège, honneur) dont le caractère monopolistique permet l’émergence de véritables rentes de domination, territorialisées. Contrôler un espace et son accès revient à exercer un pouvoir (Rivelois, 2008). Celui qui tient un seuil devient maître des circulations, élément essentiel de la vie d’un détenu car chaque porte ouvre sur une opportunité. Dès lors, comment caractériser le dispositif de pouvoir au fondement de l’incarcération, dans la prison centrale de Yaoundé ?

3 Incorporation des normes, adaptations ou résistance(s)

3.1 Rapports de domination et dispositif de pouvoir

30 Cette question de la rente ouvre la réflexion sur les rapports de pouvoir et de domination au sein de l’espace carcéral. Il est indéniable que le Chef Cour et les Commandants de quartiers sont désignés par les autorités (le Chef discipline avec l’aval du régisseur). L’administration pénitentiaire, on l’a vu, s’assure de la coopération d’un certain nombre de détenus dans l’exercice de surveillance de la prison. Le pouvoir est déconcentré depuis les bureaux des autorités pénitentiaires jusque dans les « locaux », avec une participation plus ou moins active de quelques détenus à ce dispositif. Selon les échelles d’administration (cour, quartier, local), les prisonniers ont une marge de manœuvre plus ou moins grande dans les modes de gouverner l’espace carcéral. Les choix des Chef Cour et Commandants de Quartier sont plus ou moins validés par le Chef Discipline, le responsable des gardiens. Mais s’ils sont soumis à une obligation de résultat (pacification de l’espace), ils sont relativement libres sur les moyens d’y parvenir.

31 Il est donc vain de vouloir appréhender la gestion de la prison à travers la lecture d’un règlement intérieur (dont l’existence reste à prouver à Yaoundé) et l’étude de son application. Pour citer A. Chauvenet, « l’autorité du surveillant, n’est une donnée préalable que sur un plan légal, abstrait et symbolique » (Chauvenet, Orlic, et Benguigui, 1994:83). Ensemble, autorités pénitentiaires (en minorité numérique) et prisonniers (en majorité) « ont (...) un intérêt commun dans le maintien d’une « coexistence pacifique », ou d’une « paix armée ». » (ibidem). Le contrôle de l’espace, son appropriation pour ne pas dire sa division en territoires carcéraux débouchent sur des formes de clientélismes et de corruption, au profit des deux parties. Les trafics des détenus, de même, ne peuvent se faire sans l’aval, voire la participation active des gardiens et ces commerces illégaux sont aussi au fondement d’un certain maintien de l’ordre à Kondengui. Les uns et les autres trouvent leur intérêt dans la pacification des rapports sociaux en prison. Ces processus informels, parfois illégaux ont cours dans de nombreuses autres prisons à travers le monde (Godoi, 2009 ; Garces 2010). Il se développe « un système d’échanges, certes limité, fondé non sur le droit – puisqu’inopérant – mais sur le don et le contre-don. Ce système d’échanges est initié dans les silences, les marges, le flou, les failles de la loi et contre elle. Il est de nature tout à fait informelle bien que toléré parce qu’indispensable » (Chauvenet, 1998:103). Le contrôle de l’espace carcéral se fonde sur une architecture carcérale, sur des usages de l’espace contraints dans le temps mais surtout sur une série d’arrangements. A Yaoundé, ces normes sont intériorisées par les acteurs en présence et diffusées grâce à une distribution stratégique de postes clefs dans la gestion de la prison. Cela débouche sur l’existence d’un véritable dispositif de pouvoir (Foucault, 1997) où les règles pénitentiaires ne sont codifiées nulle part mais où, par contre, des arrangements multiples bien que restant dans le non-dit, sont légions. Cependant, des détenus semblent monnayer une forme de liberté en maintenant un système qui leur est d’abord et avant tout défavorable. C’est une minorité qui voit s’étendre sa marge de manœuvre. En position d’exercer un certain pouvoir sur d’autres détenus, d’obtenir un statut qui les distingue, ils restent incarcérés et soumis à l’arbitraire des autorités pénitentiaires. La surpopulation carcérale ne débouche pas sur la moindre opposition à l’encontre de l’administration pénitentiaire (sauf rares cas d’évasions). Dans la lignée de Jean-François Bayart en particulier, face à l’absence de mouvements collectifs, doit-on parler d’une forme de « culture politique de l’impuissance » (Bayart, 1985:359), dans un État autoritaire ? Ne doit-on lire dans les tactiques des détenus (Certeau, 1998) qu’une manière de survivre dans le cadre d’une « institution totale » (Goffman, 1968) ?

32 En étudiant l’expérience quotidienne et en collectant les discours, il est possible de saisir les conflits, les contestations, les « ratés » du dispositif et par conséquent de nuancer l’incorporation des prisonniers aux modes de gouvernement de la prison (McKee, 2009 ; Mbembe, 1988).

33 Nombreux sont les auteurs à avoir évoqué puis repris, à la suite des travaux de Goffmann, la question des « adaptations secondaires » des personnes à l’enfermement (Baer, 2005 ; Darley, 2008). Dans le même sens, on peut donner quelques exemples observés à Kondengui. Chaque jour en prison est prétexte à toutes sortes de négociations, je l’ai montré, pour circuler, pour se nourrir, pour se soigner et simplement pour casser la monotonie du temps de l’incarcération. Chacun tente de s’approprier un espace où se mettre en retrait, des va-et-vient, des bruits et même de l’odeur des lieux.

34 Pourtant, ne peut-on pas prétendre, sans excès de romantisme ni surinterprétation, lire dans certains des actes des détenus des formes de résistance ? Ainsi, à plusieurs reprises, des prisonniers ont réussi à faire publier des articles dans des journaux camerounais en utilisant leurs contacts à l’extérieur de la prison. Ils dénoncent leurs conditions d’incarcération, en signant les articles sous un pseudonyme. Par exemple, dans le journal La Nouvelle (certes de faible audience) paru le 18 avril 2011, pouvait-on ainsi lire en première page « Prison de Kondengui : les « grands prisonniers » enrichissent-ils les régisseurs ? ». Suivaient trois pages entières donnant divers détails de faits de corruption avec une liste précise de noms dont, bien sûr, celui du régisseur incriminé, revenant aussi sur les problèmes liés à l’alimentation, à la santé. Les rédacteurs demandaient le respect des droits des personnes incarcérées. Ils n’étaient pas sans ignorer que des ONG par exemple condamnaient régulièrement dans leurs rapports la politique pénitentiaire du Cameroun, Amnesty International notamment. La diffusion de standards pénitentiaires internationaux (Quéro, 2004) légitime ainsi la demande de ces prisonniers qui appellent à une amélioration de leurs conditions de détention (sans, en conséquence, remettre en cause la prison elle-même ni la peine d’enfermement). Au quotidien, dans la prison, ces détenus jouent aussi le rôle de conseillers, voire d’avocats pour des détenus illettrés et les aident à rédiger diverses requêtes. Ils tentent de se doter d’un statut, de se distinguer par l’esprit afin d’échapper à des formes d’ennui et de maintenir, par les articles de presse, un lien avec l’extérieur. À cet égard, ils sont souvent les membres récurrents de l’association de détenus : la Fédération pour le sport, la culture et les loisirs des détenus (Fesculd). A la demande d’un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire (le chef service des activités socio-culturelles et éducatives), la Fesculd est en charge d’organiser des activités (championnat de football, théâtre, concours de poèmes, etc.). Elle a aussi l’autorisation de collecter les doléances des détenus. Surtout ces membres sont élus par des détenus (ceux participant à la co-gestion de la prison, ce qui limite la représentativité de la Fesculd), ce qui donne lieu à une campagne électorale. En 2011, les candidats victorieux avaient inscrit à leur programme la lutte contre la lenteur judiciaire et revendiquer une « humanisation des prisons » (demandant en particulier l’accès à des téléphones, la lutte contre la surpopulation et l’augmentation et l’amélioration de la ration alimentaire). Bien qu’émanant de l’administration et pouvant permettre à celle-ci de justifier d’un relatif respect à l’égard des détenus, la Fesculd peut donner l’occasion d’une prise de paroles aux prisonniers.

35 Un autre détenu m’expliquait avoir fait le choix de se retirer dans sa cellule et de limiter ses déplacements. D’une famille aisée, son local était d’ailleurs équipé d’une playstation (outre une télévision et un lecteur de DVD, assez fréquents parmi les détenus les plus riches) et d’une guitare électrique. Les étagères croulaient sous les livres. Une année, il a même réussi à faire entrer un ordinateur mais celui-ci a fini par être saisi. Furieux, il a décidé de se consacrer davantage encore à l’apprentissage de l’anglais, de l’espagnol puis du japonais, me disant que ce qu’il avait dans sa tête ne pouvait être pris par personne. Le recours aux langues étrangères lui permet de rompre l’ennui et surtout d’établir une connexion, aussi métaphorique soit-elle, avec un monde extérieur dont il est largement coupé, pour résister à l’emprise de l’institution.

36 Cette relation à l’extérieur se retrouve aussi, par exemple, avec la médiation de la photographie. Quand je demandai à un condamné à mort s’il avait décoré sa cellule et s’il avait notamment des photographies, il me répondit brièvement qu’il n’avait aucune photographie avec lui. S’il se faisait photographier, il envoyait ses portraits à sa famille. La circulation de la photographie peut symboliser le maintien voire la (re)création d’un lien avec l’univers social habituel, tenu à distance malgré soi, par l’incarcération. Le détenu se fait photographier et rappelle à ses proches son existence. Pour cela, il envoie « au dehors » une image de lui, contre la rupture et « l’érosion du temps » (François et Desjeux, 2000). À défaut de sortir, c’est son portrait qui s’échappe. Le portrait permet au détenu de (re)construire sa réalité, à cheval sur plusieurs univers sociaux. Cet objet « portrait » réalise un déplacement (Thévenot, 1993) et fait office de passerelle avec ceux qui sont hors de la prison. La photographie permet aussi de se mettre en scène, lors des visites des proches, drapé de ces meilleurs habits, aux côtés de sa femme ou de ses enfants, repoussant la « souillure » (Douglas, 2005) de la prison et mettant en scène l’identité d’époux ou de père. On pourrait aussi multiplier les exemples de détenus qui montent de petites associations pour promouvoir des activités artistiques ou culturelles, tel ce prisonnier qui me montrait le récépissé de déclaration d’association [27]et les photographies des vêtements en raphia qu’il réalisait. Mon statut d’universitaire a conduit plusieurs détenus à me demander de les aider à éditer leurs recueils de poèmes, leurs pièces de théâtre ou leurs autobiographies. Écrire en prison, au-delà du seul exemple camerounais, semble avoir toujours été une forme de résistance à la détention. C’est une manière de revendiquer un droit à la parole contre celle des institutions judiciaire et carcérale.

37 Certes, de nombreuses transgressions sont connues des autorités qui les tolèrent car elles en tirent souvent des bénéfices, dans le cadre de leurs fonctions et à titre personnel. En outre, le nouveau code de procédure pénal datant du début des années 2000 renvoie à un règlement pénitentiaire qui n’a apparemment pas encore été rédigé. Il est donc difficile de savoir quels sont les droits des détenus au Cameroun, ce qui laisse finalement, dans un système de contraintes, une marge de manœuvre importante. Mais au fil du temps, les discussions avec les détenus révèlent donc des actes cachés (Scott, 2008), appuyés à des discours réflexifs où un individu revendique un autre traitement, une autre identité que celle de prisonnier (époux, père, lettré, etc.). En créant un lien avec l’extérieur, symbolique ou réel, certains parviennent à s’extraire de l’univers carcéral, parfois à se faire entendre, en dépit de la surveillance. Si leur marge de manœuvre est faible, elle ne débouche pas moins sur des formes discrètes de résistance. Elles le sont le plus souvent individuelles (via l’apprentissage, la pratique de petites activités manuelles, la mise en scène de soi via la photographie et le portrait [28], etc.) et rarement collectives (en dehors de quelques articles de presse qui accusent en particulier les acteurs institutionnels de pratiques illégales ou l’existence, ambiguë, de la Fesculd). Elles ne prétendent pas déboucher sur un renversement des pouvoirs (Bayat, 1997). Mais elles permettent à chacun de prétendre exister en tant que sujet dans un contexte, violent, de surveillance. Elles autorisent à limiter les effets d’un dispositif aliénant, de passer outre le contrôle des gardiens, de déstabiliser parfois le régisseur, de se rappeler au reste de la société, du moins à ses proches.

38 Pour conclure, la prison centrale de Yaoundé apparaît comme une zone d’attente, voire d’oubli. Au premier abord, les détenus semblent une masse indistincte, immobilisée. La contrainte est forte : chacun est affecté à un quartier, voit ses circulations limitées et contrôlées, en fonction d’un emploi du temps d’une grande monotonie et sur lequel il a très peu de prise.

39 Puis, quelques figures de détenus émergent. Une poignée d’individus incarne les relais des autorités. Ensemble, ils tiennent la prison en contrôlant les circulations. Le monopole de la surveillance des espaces et de leur accès est à l’origine de véritables rentes : rentes de corruption pour les acteurs institutionnels, rentes de domination, territorialisées, au bénéfice de quelques détenus. Mais Chef Cour et autres Commandants n’échappent guère aux rapports de pouvoir et de domination prégnants en prison : les négociations et arrangements, s’ils sont incontournables pour la pacification des rapports sociaux en prison, ne se révèlent pas moins au service de l’arbitraire. Ils légitiment et reproduisent le pouvoir des autorités pénitentiaires. En cela, on peut parler d’un dispositif où le pouvoir est diffus, où chacun incorpore les normes de fonctionnement de l’espace carcéral. Les détenus ne reçoivent qu’un pouvoir délégué et non autonome, qui consacre le pouvoir institutionnel. Seuls quelques actes et discours, discrets, silencieux, individuels, permettent de nuancer l’assujettissement dont font l’objet les détenus (Hibou, 2011). Finalement, on voit combien la prison tout entière et ses multiples partitions sont propices aux transgressions, aux pratiques de clientélisme et de corruption. En cela, elle reflète « la politique du ventre » et les réseaux clientélistes de l’État camerounais : un État néopatrimonial où tout bien public fait l’objet d’une privatisation de la part des agents en charge du fonctionnement des institutions (Médard, 1991).

40 Ces rapports de pouvoir tels qu’ils apparaissent à Kondengui peuvent aussi être rapportés à l’échelle de la société urbaine. En effet, chaque individu est assigné à une place qui le situe dans l’espace carcéral mais aussi au cœur de rapports sociaux inégalitaires : on distingue les « VIP », les « responsables » des « braqueurs ». Selon leur statut social avant tout, leurs revenus ensuite, les détenus peuvent améliorer leur quotidien, ou non. Les « VIP » possèdent un net avantage comparatif car, malgré leur incarcération, ils sont proches du niveau institutionnel. Ils sont eux-mêmes des acteurs institutionnels ou politiques déchus qu’il faut préserver. Ils ont perdu leur pouvoir réel, mais ils disposent toujours d’une capacité d’influence. À l’inverse, les autres détenus sont à la recherche de privilèges locaux par la pratique de la corruption des institutionnels. Ces derniers les endettent en leur accordant des faveurs, et ces détenus paient leur « dette » en contribuant au maintien de l’ordre, suivant le principe du système de don-contre-don. [La prison] « ne fait que transposer, voire exacerber au cœur de la détention, les inégalités sociales et les capacités d’initiative différentielles à l’œuvre à l’extérieur de la prison. » (Chantraine, 2003:382).

41 Cet article met aussi en exergue des pistes restant à creuser. Comment les bénéfices remontent du gardien au régisseur de la prison en passant par le Chef discipline ? Il serait aussi utile de continuer à préciser, par une étude longitudinale, sur quels critères les détenus dotés de responsabilités sont-ils choisis, déchus et reconnus par les autres prisonniers.

Notes

  • [1]
    Du nom du quartier éponyme, où est située la prison.
  • [2]
    Le Cameroun compte 74 prisons, 10 prisons centrales, 48 prisons principales et 16 prisons secondaires (Direction de l’Administration pénitentiaire, 2010). En 2010, un rapport issu d’un programme européen décomptait 3 813 détenus (dont 2 637 prévenus) et concluait à un taux d’occupation de 381 % pour la prison centrale de Yaoundé. Si Kondengui compte l’effectif le plus élevé de détenus parmi les 10 prisons centrales, elle est au 3e rang en termes de taux d’occupation (Pacdet : Programme d’amélioration des conditions de détention Union européenne-Cameroun, 2007-2011, données issues du rapport 2010).
  • [3]
    On peut aussi noter le quasi-silence des sciences sociales sur les prisons en Afrique ou plus généralement dans les pays du Sud, à l’exception de travaux d’historiens. Voir quelques études de cas : Jefferson, 2010 au Nigeria et au Honduras ; Reed, 2003 en Papouasie Nouvelle Guinée ; Bandyopadhyay, 2010 en Inde.
  • [4]
    Dans le cadre du programme TerrFerme Les dispositifs de l’enfermement. Approche territoriale du contrôle politique et social contemporain (2009-2012). Financé par l’ANR (Réf. : ANR-08-JCJC 2008- 0121-01) et le Conseil Régional d’Aquitaine (Réf. : 2010407003).
  • [5]
    Ne sachant pas si j’étais autorisée à enregistrer mes entretiens, j’ai rapidement renoncé à l’usage de l’enregistreur, me contentant de prendre des notes dans un carnet (Guilbaud, 2008). Cela m’a poussé à retranscrire très régulièrement les entretiens, à tenter de les organiser le soir, à chercher les recoupements, les oublis et zones d’ombre afin de renouveler ultérieurement mes questions. L’absence d’un enregistrement oblige à coupler très fortement collecte et analyse (Morice, 2007:42).
  • [6]
    L’appellation renvoie directement à l’univers guerrier, sous-tendant l’idée qu’un prisonnier d’un Kosovo doit se battre pour sa survie. Il ne m’a pas été possible de retracer l’origine exacte de cette néo-toponymie, sans doute en lien avec les affrontements provoqués par le démantèlement de l’ex-Yougoslavie.
  • [7]
    Lors d’une discussion avec un jeune condamné à mort, placé au début de son incarcération en détention provisoire dans l’un des Kosovo, à l’âge de 19 ans, celui-ci me demanda si j’avais peur de me rendre dans ces quartiers. Je tentais d’esquiver la réponse, quand il me dit : « Ce sont comme des chiens. Tu ne dois pas leur montrer que tu as peur. » C’est moins sa référence à l’angoisse que peuvent procurer les premiers moments en prison qui me marqua que la manière dont il jugeait et se démarquait de ses co-détenus, réduits au rang d’animaux.
  • [8]
    Si à plus long terme, j’aimerais davantage intégrer le quartier des femmes à mes enquêtes, quartier dans lequel j’ai pu mener quelques observations et discussions informelles, j’ai centré mon travail, au moins dans un premier temps, auprès des hommes, incontournables en termes de contrôle des lieux, en gardant à l’esprit la question des relations entre hommes et femmes.
  • [9]
    Bien que la condamnation à mort existe toujours légalement au Cameroun, ces peines se transforment, dans les faits, en condamnation à perpétuité. Selon un rapport d’Amnesty International (2009:41), les dernières exécutions auraient eu lieu en 1997.
  • [10]
    En théorie, une cellule, ou local, peut accueillir entre 9 et 12 détenus.
  • [11]
    Exception faite des Condamnés à mort, les détenus condamnés ne sont pas séparés des prévenus. La durée de la peine n’influe pas sur les répartitions des prisonniers. Quant au type de délit ou de crime, il peut jouer dans la logique de séparation, mais de manière très nuancée et non sans interférences, comme je le verrai par la suite, suivant des logiques informelles qui échappent à tout règlement.
  • [12]
    Appelée ainsi car il s’agit de l’ancienne buanderie de la prison, transformée en quartier de détention, compte tenu du nombre de détenus.
  • [13]
    Cela démontre la difficulté à établir une nomenclature des activités au sein de ce vaste secteur informel. Des entretiens sur les parcours seraient nécessaires pour affiner la recherche.
  • [14]
    Il faudrait parler de sommier plutôt que de lit. À charge pour le détenu de trouver de quoi reconstituer un matelas et le cas échéant des draps.
  • [15]
    Entre 0,5 et 1,5 m3 par détenu (Noeske, Ndi, et Mbondi Mfondih, 2010).
  • [16]
    Je n’ai pu en obtenir le chiffre.
  • [17]
    Mais il n’est donc pas certain qu’il cherche à s’y rendre, sa réputation, ses relations lui garantissant des avantages matériels et financiers au sein des Kosovo.
  • [18]
    Je remercie Jean Rivelois pour sa relecture et plus particulièrement pour m’avoir suggéré l’emploi de l’expression « rente de corruption ».
  • [19]
    En guise de mise en perspective, on peut mentionner qu’en France, les échanges monétaires sont en théorie interdits.
  • [20]
    Une étude plus spécifique sur le travail des détenus dans la prison reste à mener.
  • [21]
    L’odeur du cannabis est tout aussi entêtante dans les recoins des Kosovo, spécialement tout au fond des deux quartiers.
  • [22]
    La sexualité et les identités sexuelles traversent de manière récurrente les discours des acteurs de la prison. Cela n’est pas anodin dans un univers masculin marqué par la privation de relations sexuelles (Cardon, 2002). Mais les rapports homosexuels demeurent fortement tabous et jusqu’à aujourd’hui, je parviens difficilement à obtenir des réponses à mes questions.
  • [23]
    Une association de détenus, autorisée par l’Administration pénitentiaire (cf. infra) est en charge d’organiser ces activités sportives.
  • [24]
    L’ordre est bien sûr soumis à une évaluation arbitraire à la charge des Commandants : il peut s’agir de mettre fin à une bagarre comme de couvrir le vol d’un détenu par ses voisins.
  • [25]
    Le mandataire, en opposition avec le dorment-à-terre, est celui qui dispose d’un lit, appelé mandat dans l’argot de la prison.
  • [26]
    Les Condamnés à mort peuvent aller partout, de même que les différents Chefs (à l’exception du quartier féminin et du Quartier Mineur).
  • [27]
    Déclaration d’association réalisée à l’extérieur par un tiers au nom du détenu, toute démarche administrative étant envisageable au Cameroun, même pour un détenu privé de ces droits, dès lors que l’on a recours à la corruption.
  • [28]
    À cet égard, on peut rappeler ce que J. Scott entend par « texte » : le discours, la parole, des « formes de communication non verbales, notamment les gestes ou les expressions corporelles ». Dans le « texte caché », Scott inclut aussi les rumeurs, ragots, légendes locales, plaisanteries, rituels, codes et autres euphémismes.
Français

Cet article traite du fonctionnement interne de la prison centrale de Yaoundé (Cameroun). Construite en 1968 pour accueillir 1 000 prisonniers, celle-ci abrite environ 4 000 détenus, répartis de manière très inégalitaire. De tels effectifs influent sur les processus de contrôle de l’espace carcéral. On constate l’émergence d’une gestion de la prison fondée sur une double hiérarchie dans le travail de surveillance : les gardiens exercent leur contrôle sur les détenus tout en déléguant une partie de cette tâche à certains prisonniers. Selon un système de don-contre-don, des détenus accèdent ainsi à de relatifs privilèges durant leur incarcération. Ils surveillent des espaces et des seuils au sein de la prison : ils en tirent une rente et un statut. D’autres prisonniers encore ont recours à la corruption des agents de l’administration pénitentiaire. Des logiques informelles de régulation et de pacification de l’espace carcéral côtoient ainsi des pratiques plus formelles. Ensemble, elles produisent un dispositif de pouvoir, garant du maintien de l’ordre en prison. Cet article étudie les rapports de pouvoir entre les personnels de l’Administration pénitentiaire et les détenus d’une part, et entre les détenus d’autre part, dans leur dimension spatiale, en étudiant en particulier les circulations internes à la prison centrale de Yaoundé.

Mots clefs

  • rapports de pouvoir
  • espace
  • rente
  • prison
  • Yaoundé
  • Cameroun

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Marie Morelle
maître de conférences – UFR de Géographie, université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Institut de Géographie 191 rue Saint Jacques 75 005 Paris
Marie.Morelle@univ-paris1.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/06/2013
https://doi.org/10.3917/ag.691.0332
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