CAIRN.INFO : Matières à réflexion

? Augustin J.-P. Géographie du sport Spatialités contemporaines et mondialisation Paris, Armand Colin, coll. U, 2007, 224 p.

Le sport, entre tourisme et culture

1 C’est un spécialiste reconnu de la géographie du sport qui nous présente cette synthèse, dont il dit lui-même qu’elle manque encore de matériaux pour être complète. La tonalité générale du livre est universitaire et non « grand public », ce qui correspond à l’esprit de la collection U d’Armand Colin.

2 Le livre allie des développements généraux souvent novateurs et des monographies de facture plus traditionnelle, que l’on peut cependant aisément pardonner à l’auteur si l’on considère la très grande variété des pratiques recouvertes par le terme « sport ». On comprendra aisément la difficulté en prenant comme exemple le sous-chapitre intitulé « des diffusions particulières : hockey sur glace et surf » (p. 68-80), qui conduisait fatalement à la juxtaposition de deux études de cas...

3 L’auteur a exploité avec soin les travaux, pas si nombreux, qui éclairent les différents aspects de la géographie, voire de l’histoire, l’économie et la sociologie du sport. Les dix pages de bibliographie qu’il publie à la fin de l’ouvrage ne doivent pas faire illusion : les études spécialisées et « localistes » l’emportent largement sur les vues d’ensemble, même si quelques titres plus généraux, en français ou en anglais, attestent du développement d’une approche globale au cours des dernières décennies.

4 Le sport est un objet d’étude qui se situe entre tourisme et culture, et l’auteur montre bien à la fois sa composante « loisirs » (en tant que spectacle ou pratique) et sa contribution aux identités nationales, régionales et locales. Par sa conception, le livre fait surtout penser aux géographies du tourisme, avec lesquelles il a beaucoup de points communs, comme l’ouverture vers la sociologie, la variété des échelles ou l’inscription spatiale des équipements ; on notera aussi dans les deux cas le rôle pionnier des Britanniques, relayés par les autres pays d’Europe Occidentale et l’Amérique du Nord. Certains passages pourraient d’ailleurs figurer in extenso dans une géographie du tourisme, comme le sous-chapitre « stations de ski et aménagement de la montagne » (p.159-166), traitant des « sports » d’hiver.

5 L’ouvrage est construit en deux parties. La première, « cultures sportives et diffusion mondiale », comporte une approche historique et sociologique, ainsi qu’une étude des localisations et des diffusions à différentes échelles, appuyée sur un solide bagage théorique. La notion de « culture sportive » est particulièrement intéressante, car elle donne un éclairage complémentaire sur les relations entre espace et société. Les chapitres de la seconde partie, « aménagements régionaux et sites sportifs mondiaux », sont introduits par un rappel historique, qui conduit à la présentation des aménagements et équipements sportifs en milieu naturel et urbain. Assez classique sur les stations touristiques, la synthèse est plus originale sur les « compétitions et grands sites sportifs », chapitre qui justifie pleinement le sous-titre du livre. 9 tableaux et 42 figures illustrent un ouvrage dont on peut penser qu’il contribuera à faire de la géographie du sport une branche à part entière de notre discipline.

6 Jean-Claude Boyer

? Bromberg A., Morrow G., Pfeiffer D. Spatial Justice Critical Planning, UCLA Journal of Urban Planning, vol. 14, summer 2007.

Justice spatiale : une mobilisation très contemporaine

7 Ce numéro spécial de la revue d’urbanisme de l’Université de Californie, issu d’une série de séminaires tenus à UCLA entre la fin 2006 et le printemps 2007, et aussi en lien avec une exposition (Los Angeles Contemporary Exhibitions, 2007), rassemble 12 contributions, produites surtout par de jeunes chercheurs en géographie et en urbanisme. Dans la tradition de la géographie radicale, il s’agit de textes engagés, certains écrits directement par des militants associatifs impliqués dans les luttes contre l’exclusion, d’autre part des artistes militants. 5 textes traitent des États-Unis, les pays du Sud sont aussi largement couverts (Nigeria, Indonésie, Palestine) ainsi que l’Europe (2 textes).

8 La notion de justice spatiale est prise dans un sens large dans la brève (trop ?) introduction. S’appuyant sur des références classiques (on trouve d’ailleurs en annexe une bibliographie utile et complète sur la notion de justice spatiale) les éditeurs scientifiques, dans la lignée d’Iris-Marion Young et de David Harvey, se positionnent d’emblée dans une acception large de la notion, non-universalisante et localisée. Ensuite, en aménageurs et géographes, ils récusent les approches qui considèrent l’espace comme extérieur au social : la justice sociale est pour eux nécessairement aussi spatiale puisque l’espace est un produit social. Et la quête de justice suppose la compréhension de la relation dialectique entre le spatial et le socio-économique, c’est-à-dire non seulement de la manière dont les conditions socio-économiques modèlent « inéquitablement » l’espace, mais aussi de celle dont, en retour, l’espace est producteur d’injustices. Ici les références principales sont E. Soja, encore D. Harvey et bien sûr Henri Lefebvre. Ce dernier est, heureusement avec Alain Reynaud, la seule référence francophone dans l’ouvrage.

9 Les textes réunis sont étonnamment peu théoriques et au contraire appliqués. Une seule exception : un ensemble de trois entretiens (Don Mitchell, géographe ; Waziyatawin Angela Wilson, historienne ; Jane Trowell, artiste), très riches, réalisés par un groupe de chercheurs de l’Université de l’Illinois. Les autres textes sont soit des exemplifications de situations d’injustices, soit des études d’actions militantes pour une plus grande justice spatiale. Dans ce second registre, on remarquera deux contributions qui établissent parfaitement le lien entre engagement militant et réflexion sur un « espace juste », l’un est consacré à l’action associative pour établir des solidarités de quartier à Baltimore, l’autre aux choix résidentiels alternatifs des habitants des Bauwagen à Hambourg. Ce qui rend le volume passionnant est que la diversité des formes d’injustice spatiale est illustrée : géopolitiques (Palestine), liées à la fragilité face aux risques (les femmes dans les réparations post-tsunami en Indonésie ; les plans d’aménagement post-Katrina à la Nouvelle Orléans), au caractère « minoritaire » d’un groupe (amaricano-japonais en Californie), à l’héritage colonial (accès à l’eau à Lagos) ou à l’exclusion de l’espace public (à Manhattan, à Philadelphie ou à Tashkent — un texte remarquable d’Elise Morrison).

10 Un recueil donc qui illustre très utilement la richesse contemporaine d’une notion et son caractère à la fois éminemment géographique (par la place centrale qui est accordée systématiquement aux interactions entre le spatial et le social) et transdisciplinaire.

11 Philippe Gervais-Lambony

? Buléon P., Shurmer-Smith L. (dir.) Espace Manche : un monde en Europe ! Channel Spaces : a world within Europe Université de Caen, 2008, l98 p.

Une entente cordiale

12 This fascinating and beautifully prepared atlas focuses on the busy stretch of water that separates northern France from southern England but also links two stretches of territory that have many similarities but also display significant differences. It is the fruit of two decades of collaborative research by scholars in French and British universities, headed by Pascal Buléon at Caen and Louis Shurmer-Smith at Portsmouth, and has been composed by cartographer Frédérique Turbout. A total of 65 full-colour bilingual maps are included, together with an array of specially commissioned photographs and a substantial bilingual text. Along with conventional maps, the authors introduce surprising new projections and orientations that challenge our usual ways of looking at Europe’s major maritime trans-frontier region.

13 The atlas begins by positioning the Espace Manche in relation to north-western Europe and includes an inverted depiction from north to south that would have been apparent to Allied troops involved in the D-Day Landings in 1944. On numerous occasions, northern France and southern England experienced a shared history in times of peace and war. A superb array of maps and photographs then presents the distinctive physical geographies of the two sides of the Channel, before depicting the movement of ferries, container ships, oil tankers, fishing boats and other vessels across and through the Manche, and their use of ports of all sizes. Such activity is not, of course, without its hazards ranging from shipwreck to environmental pollution by oil and chemicals.

14 The coasts and their inland environs are under heavy pressure for housing and other forms of development but an important contrast exists between the relatively “empty” littoral of northern France and the more congested coast of southern England. Both sides of the Manche have attracted large numbers of retired people and some valuable maps show the spatial impact of changing population pressures from 1950 to the present. Agriculture, fishing and manufacturing form the backdrop to the economies of regions surrounding the Espace Manche, but the service sector is now the economic driver. Detailed maps of tourism and heritage sites highlight the proliferation of military museums in Normandy and remind readers that England has not been invaded in time of war since 1066.

15 For a work of inter-university and international collaboration, it is appropriate that attention should be directed to higher education, research institutes and town twinning. The atlas concludes by raising key questions about future aspects of environmental change, energy production, population change and economic development in this busy but ecologically fragile part of the world. A surprisingly brief bibliography, complemented by a list of websites, draws this handsome and very useful volume to a close. Its editors, cartographers and contributors will take pride in its appearance.

16 Hugh Clout

? Cattan N. (éd.) Cities and networks in Europe A critical approach of polycentrism Montrouge/Esher, John Libbey, 2007, 210 p.

Métropolisation ou polycentrisme en Europe ?

17 Nadine Cattan, chercheuse française spécialiste des villes européennes, a coordonné la publication de cet ouvrage en anglais qui rassemble vingt contributions émanant de vingt-six auteurs originaires de sept pays européens. Il ne s’agit pas vraiment d’une recherche collective mais du regroupement de contributions individuelles, pratique courante chez les éditeurs anglo-saxons. Ces études prennent la forme d’exposés théoriques ou plus souvent d’études de cas. Le fil directeur est le « polycentrisme », considéré comme une alternative au modèle « centre-périphérie » et à la « métropolisation », et proposé comme clé de lecture de l’organisation territoriale de l’Europe et comme principe de base d’un développement territorial « durable » — notamment dans le cadre des politiques de l’Union européenne. « Rather than being viewed in a polarised, pyramidal manner, spatial dynamics are being read in terms of interconnection and articulation » (N. Cattan).

18 L’habillage de ces contributions reste assez sommaire : une introduction qui présente et résume l’ouvrage, pas de conclusion, pas de table des figures, pas de bibliographie commune. Le plan de l’ouvrage paraît lui-même quelque peu arbitraire si l’on considère la répartition des contributions entre les différentes parties : « Evaluating polycentrism : is polycentrism effective to strengthening territorial cohesion ? », « polycentrism : what is behind the concept ? », « networking : what potential for the polycentrism ? ».

19 Ces réserves ne mettent pas en cause la valeur intrinsèque de la plupart des études, qui apportent leur pierre à la définition d’un concept à la mode et en donnent des exemples concrets, illustrés de nombreux graphiques et cartes. Les études de cas, réalisées à des échelles différentes, offrent un très large panorama de la situation en Europe occidentale : Arc atlantique, Arc latin méditerranéen, Europe du Nord-Ouest, Italie, Pays-Bas, Bruxelles... La dernière partie, consacrée à des cas extra-européens, laisse cependant le lecteur sur sa faim.

20 Globalement, la démonstration est convaincante pour fonder l’existence et le renforcement de « réseaux », donc d’une structure polycentrique. D’autant que les contributeurs prennent soin de ne pas confondre « semis » et « réseaux » : plusieurs études montrent bien que le choix de leurs partenaires par les villes n’est pas nécessairement lié à une proximité spatiale. Une question reste cependant posée : face à la tendance lourde de la « métropolisation », que pèsent ces réseaux dans le fonctionnement du système urbain et dans l’espace vécu des citadins ? Certains auteurs semblent considérer que ce sont les pesanteurs des habitudes de pensée qui expliquent l’insuffisante prise en compte du polycentrisme dans l’analyse spatiale. Ils admettent toutefois la coexistence de plusieurs modèles d’organisation spatiale, qui reflèteraient la diversité de l’Europe. Ainsi une contribution oppose la structure mégalopolitaine et hiérarchisée de l’Europe du Nord-Ouest à la structure polycentrique de l’Arc atlantique. Mais doit-on considérer celui-ci comme un mode d’organisation de l’espace ou seulement comme une alliance défensive de régions victimes de leur « périphéricité » et voulant profiter de la manne européenne ?

21 Jean-Claude Boyer

? Dikeç M. Badlands of the Republic : Space, Politics and Urban Policy London, Blackwell Publishing, RGS-IBG Book Series, 2007.

La Politique de la ville et l’imagination de la banlieue

22 Comment comprendre la récurrence des émeutes de banlieue en France ces dernières décennies malgré l’engagement de l’État dans une politique de la Ville substantielle ? Mustafa Dikeç explique ce dérangeant paradoxe français dans un livre brillant.

23 Pour ce faire, l’auteur retrace l’évolution de la Politique de la Ville en France du début des années 1980 au milieu des années 2000. À ses débuts, cette politique concevait les banlieues comme des territoires « en danger », que l’État devait aider par des politiques ponctuelles, provisoires et promouvant la démocratie locale. Progressivement, l’objet de la politique de la Ville a été associé aux peurs de l’immigration et considéré comme une menace pour la République : il est devenu les « banlieues dangereuses ». L’émergence de cette conception s’est accompagnée d’une bureaucratisation de la politique de la banlieue — et donc de la marginalisation des acteurs locaux de la société civile — et de l’obsession accrue de surveiller et punir. Ainsi, alors que les habitants des banlieues font face à des inégalités et à des discriminations croissantes, les politiques urbaines deviennent de plus en plus enfermantes et répressives et se désengagent de leur dimension sociale originelle. Dès lors, les émeutes de 2005 ne doivent-elles pas être interprétées comme exprimant une soif confuse de justice ?

24 La force de la démonstration de M. Dikeç repose sur la triple originalité de sa démarche. Tout d’abord, c’est bien en géographe que l’auteur analyse les politiques urbaines : il démontre de manière convaincante que « la banlieue », loin d’être un territoire donné, est en réalité le produit d’une construction, voire l’objet d’une manipulation des politiques. Elle a été érigée en badlands (littéralement : « mauvaises terres ») à travers l’invention de noms descriptifs, de désignations spatiales et de catégories statistiques (toutes représentations qu’il appelle la « police » en se référant au philosophe Jacques Rancière). Autrement dit, il met en évidence les liens étroits mais souvent méconnus qui unissent espace et politique. Un autre point fort du livre tient au fait que les politiques urbaines ne sont pas analysées comme si elles advenaient dans un vacuum politico-économique : au contraire le contexte national et international rend compte de certains infléchissements de la banlieue imaginée, et oriente, à plus ou moins court terme, les mesures concrètes qui la concernent.

25 Une troisième originalité de l’ouvrage consiste en son effort pour articuler les voix « d’en-haut », qui font la Politique de la Ville, avec celles « d’en bas », qui tentent vainement de faire entendre leur désir d’intégration. C’est là, à mon sens, la principale faiblesse du livre : un unique chapitre (sur huit) est consacré à ces « voix alternatives ». Un déséquilibre que l’on regrette, quand il s’agit de faire saisir la légitimité des habitants dans la production de la ville. On s’étonne d’ailleurs de l’absence de référence à Violences urbaines, violence sociale (Beaud et Pialoux, Paris, La découverte, 2003), qui donne justement toute leur place à ces voix de la banlieue, et dont les analyses rejoignent parfaitement celles de Badlands of the Republic.

26 En bref, voici un livre remarquable, que ne pourront ignorer tous ceux qui s’intéressent à la ville.

27 Sonia Lehman-Frisch

? Douzet F. La couleur du pouvoir. Géopolitique de l’immigration et de la ségrégation à Oakland, Californie Paris, Belin, coll. Histoire et Société, 2007, 381 p.

Ségrégation, multiculturalisme et justice spatiale

28 Alors que la dimension « ethnique » prend une place croissante dans les analyses des processus de ségrégation et d’exclusion sociale en France, l’ouvrage de Frédérick Douzet donne des clés de compréhension du « modèle » états-unien de multiculturalisme, trop souvent et super-ficiellement donné en exemple ou utilisé au contraire comme repoussoir. Dans un pays qui ne cesse d’accueillir de nouveaux immigrants, certains États comme la Californie sont aujourd’hui caractérisés par une diversité raciale sans précédent. La nation américaine est ainsi prise dans des tensions de plus en plus fortes liées au développement d’un multiculturalisme de fait, qui tout à la fois questionne son identité, ravive en permanence les tendances xénophobes et pose le problème des inégalités et des discriminations structurelles dont souffrent les « minorités » ethniques. Tandis que depuis les années 90, le multiculturalisme fait l’objet d’un débat (avec, en particulier, la remise en question des politiques d’affirmative action), l’auteur s’attache à en analyser les conditions de mise en pratique sur le terrain, à travers une approche très fine des rapports de force politiques et des modes de compétition entre les différents groupes. Elle a choisi pour cette étude de géopolitique urbaine la ville d’Oakland, dans l’agglomération de San Francisco, exemple typique de ville industrielle en crise et en même temps de « ville noire », aujourd’hui lieu d’accueil de minorités hispaniques et asiatiques de plus en plus nombreuses. La ségrégation y est particulièrement lisible sur le territoire, avec un découpage très net entre des collines peuplées de familles blanches aisées et des flatlands qui concentrent les populations pauvres et appartenant aux minorités ethniques. Après une analyse des difficultés de gestion publique de la crise urbaine depuis l’après-guerre, liées à la fragmentation du contexte politique et institutionnel, Frédérick Douzet retrace la lente conquête du pouvoir politique par les Noirs. Les tensions liées à la mise en œuvre d’un « multiculturalisme concret » sont analysées à travers trois exemples : celui de la représentation politique locale des minorités, celui de l’éducation et celui de la criminalité. Il apparaît alors que l’idéal multiculturaliste, très présent dans les représentations des habitants de la ville comme des acteurs politiques locaux, se confronte aux rivalités de pouvoir entre groupes ethniques et à la compétition qui se joue pour l’obtention des emplois ou du pouvoir local, dans un contexte où les effets de la discrimination et de la ségrégation pèsent fortement sur les conditions de vie et le destin social des minorités. Au terme de la lecture de ce passionnant ouvrage, qui interroge de manière très nuancée la question de la justice spatiale, on aura compris que si la dimension raciale est au centre des enjeux géopolitiques locaux et à l’origine de tensions extrêmement vives, le multiculturalisme tel qu’il est mis en œuvre à Oakland n’en permet pas moins l’expression et la représentation politiques des différents groupes.

29 Sylvie Fol

? Ghorra-Gobin C. (dir.) Dictionnaire des mondialisations Paris, Armand Colin, 2006, 398 p.

Une approche transdisciplinaire originale

30 Cet ouvrage important et ambitieux de 398 pages, rédigé par une équipe pluridisciplinaire de 48 auteurs placée sous la direction de Cynthia Ghora-Gobin, se propose en 149 mots clés et 39 essais de « rendre intelligible la nature des mutations structurelles qui affectent la France, l’Europe et les différentes parties du monde » (p. VII). Surtout, celui-ci se singularise par sa volonté d’aborder non pas « la » mondialisation, mais « les » mondialisations, c’est-à-dire l’approche multidimensionnelle de ce phénomène. Si les ouvrages et les manuels publiés sur la question insistent en effet surtout sur sa dimension économique, ce dictionnaire entend faire la part belle aux grilles de lecture propres à la géographie culturelle et à la géo-histoire, à l’environnement, aux sciences politiques ainsi qu’aux sciences stratégiques. L’idée est assez novatrice et se concrétise par des notices riches et pertinentes sur des thèmes aussi divers que l’américanisation, la jeunesse, la justice internationale, les pandémies, le sport, le cinéma, la fracture numérique, le terrorisme, l’esthétique urbaine, l’évolution des pratiques alimentaires, etc., aux côtés de thèmes plus convenus, mais très synthétiques, sur la métropolisation, les migrations internationales, les transports, le tourisme, les drogues, les énergies, etc. L’aspect le plus original de cet ouvrage réside surtout dans ses essais, présentés sous forme de questions : Mondialisation de la culture ou culture mondiale de masse ? Le capitalisme s’est-il vraiment mondialisé ? Le « sans-frontiérisme », quel bilan ? Religion et religieux, quel changement ? Mondialiser, est-ce déterritorialiser ou reterritorialiser ? Etc.

31 En dépit de ses nombreuses qualités, ce travail peut néanmoins laisser le lecteur sur sa faim. Chacun regrettera, en effet, que les auteurs n’aient pas davantage ouvert la boîte de Pandore au profit d’autres thématiques.

32 Surtout, l’équipe éditoriale a pris le parti de minimiser et de banaliser le rôle pourtant central de l’économie dans le processus de mondialisation, si bien que le phénomène, tel qu’il est présenté dans cet ouvrage, perd finalement de sa signification. La géographie économique, dans ses approches et son questionnement pourtant profondément renouvelés, apparaît d’ailleurs comme le maillon faible de cet ouvrage. Des entrées majeures et consubstantielles de la mondialisation sont par exemple occultées alors qu’elles s’imposaient dans un dictionnaire de cette envergure. Rien par exemple, ou si peu, sur le concept de pays émergent, les clusters technologiques, les pôles de compétitivité, les zones franches d’exportation, la guerre économique, le désarmement douanier, la R & D, le marketing, etc. Les notices économiques sont par ailleurs souvent beaucoup trop courtes et ont manifestement fait les frais de l’ouverture thématique. Une entrée aussi importante que celle relative aux investissements directs étrangers, vecteur pourtant déterminant de la mondialisation, ne compte par exemple qu’une petite colonne de texte, soit quatre fois moins que les notices consacrées aux loisirs, au star system ou aux gangs... Le séisme financier, qui a saisi le monde à partir de l’été 2008, rappelle opportunément que la mondialisation reste d’abord et pour longtemps encore un phénomène fondamentalement économique.

33 François Bost

? Staeheli L. A., Mitchell D. The People’s Property ? Power, Politics, and the Public Routledge, 2007, 195 p.

De l’espace public aux régimes de publicité

34 Lynn Staeheli et Don Mitchell poursuivent ici leur exploration de l’espace public et de ses conflits, entamée depuis plusieurs années dans une perspective de géographie radicale, préoccupée de justice sociale et des espaces dans lesquels s’exerce cette justice — ou, le plus souvent, ces injustices. Ils ancrent empiriquement leur travail dans des cas étasuniens, évaluant des situations concrètes dans un pays considéré comme l’archétype de la privatisation, de la « militarisation » (M. Davis) voire de la « fin » (Sorkin) de l’espace public. En interrogeant au plus près les acteurs, en fréquentant les lieux, ils montrent la complexité des situations leur permettant de reformuler les questionnements classiques. L’espace public n’est pas un donné juridique ou urbanistique, il est construit et contesté et une bonne partie des luttes qui le constituent concerne la définition même du « public » : quels sont les publics visés, légitimes, souhaités, réels, tolérés ou exclus de ces espaces, et pour quels acteurs ? Le paysage de la protestation (protest landscape) des manifestations à Washington, la place centrale de Santa Fe (Nouveau Mexique), le centre ville rénové et privatisé de San Diego (Californie), le mall du Carousel à Syracuse (New York), les jardins communautaires de New York, sont autant d’occasions d’examiner les jeux d’acteurs et de pouvoir sur l’espace public, les heurts entre différentes conceptions du public et de ses droits.

35 L’approche des auteurs insiste sur l’intérêt pour l’analyse de la dimension juridique, souvent utilisée comme outil pour argumenter et trancher entre des conceptions opposées. En particulier, ils s’inspirent des travaux de N. Blomley pour montrer en quoi la propriété (property), vue comme système dynamique de relations, influence le fonctionnement des espaces publics. Par exemple, les conflits d’acteurs sur les usages légitimes de la Plaza de Santa Fe font apparaître les contradictions entre les droits de l’État comme propriétaire (landlord) et ses obligations comme souverain (sovereign).

36 Les deux derniers chapitres de l’ouvrage, revisitent et théorisent la notion même de publicité (publicity) à la lumière des cas précédents. En fixer une définition, comme définir qui constitue le public ou contrôler les relations de propriété rendant un espace accessible ou non, tout cela tient de l’exercice d’un pouvoir et donc à la fois fluctuant, contesté et structuré par un régime de publicité (regime of publicity, p. 141). Cette notion-clé selon les auteurs comprend trois aspects principaux, reliés entre eux : 1) les relations de propriété ; 2) les normes sociales et l’appartenance à une communauté ; 3) les pratiques de légitimation politique (p. 142).

37 Cet ouvrage condense l’apport des deux principaux géographes étasuniens travaillant sur l’espace public, tous deux politiquement engagés. Combinant avec bonheur études empiriques, innovations théoriques, réflexivité méthodologique, et interrogations sur la pertinence sociale et politique des sciences sociales, ils nous offrent ici un très bel exemple de ce que la géographie américaine a de meilleur.

38 Myriam Houssay-Holzschuch

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/ag.665.0169
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...