CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction : ville espagnole et quartier indigène

1 En s’établissant dans le Nouveau Monde, les conquérants espagnols ont essayé d’établir des frontières physiques, politiques ou symboliques entre les populations indigènes et les populations d’origine européenne afin de garantir la stabilité d’un ordre public fondé sur l’expression territoriale des inégalités ethniques. Cependant, la distance sociale ou raciale qui s’est imposée entre les vainqueurs et les vaincus n’excluait pas une très grande proximité spatiale qui s’exprimait à des échelles différentes (la maison, le quartier, la ville) comme l’a parfaitement démontré Serge Gruzinski en parlant pour la ville de Mexico d’un « impossible apartheid » (Gruzinski, 1996, p. 223). En cela, la société coloniale ne faisait que reproduire des schémas que l’on retrouvait à la même époque en Europe pour distinguer les nobles et les gens du peuple. Dans La société de cour, Norbert Elias rappelle que les maîtres et les serviteurs de la France d’ancien régime pouvaient se côtoyer quotidiennement mais que les premiers considéraient les seconds comme une race étrangère : « La disposition des locaux, qui prévoit pour chaque chambre une ou plusieurs antichambres [espace réservé aux domestiques], est donc l’expression de ce voisinage spatial doublé d’une grande distance sociale, de ce contact intime allant de pair avec une séparation rigoureuse de deux couches sociales »  [1].

2 Dans ce contexte, le cas de León est particulier car le couple formé par la ville espagnole et la communauté indienne de Sutiaba remonte à 1610, quand la capitale provinciale du Nicaragua, détruite par une éruption du Momotombo, a été déplacée vers des terres jugées moins exposées au risque sismique et volcanique. Depuis cette date, les relations interethniques sont restées tendues et l’annexion des terres de San Juan Bautista Subtiava par la municipalité « espagnole », en 1902, n’a pas contribué à réduire les différences entre les deux communautés, bien au contraire. La fracture sociale et ethnique qui oppose l’ancienne cité coloniale (à l’est) et le quartier indigène (à l’ouest) reste profondément marquée dans les paysages urbains et dans les pratiques sociales des habitants. Elle est une source inépuisable de rancœurs et de conflits car les habitants de la partie pauvre de la ville s’estiment injustement traités par les autorités locales qu’ils accusent de ne s’occuper que des plus riches. Ces rivalités s’expriment jusque dans le nom même du quartier, initialement transcrit Subtiava par les Espagnols. Considérant que ce « sub » ( « dessous ») les plaçait en situation d’infériorité, les indigènes ont imposé une nouvelle graphie, « Sutiava » ou « Sutiaba », considérée plus politiquement correcte dans le contexte de renaissance ethnique qui caractérise aujourd’hui l’ensemble de l’Amérique latine [2].

3 La prise en compte de ce sentiment d’injustice par l’État nicaraguayen a conduit à une réforme constitutionnelle qui a accordé plus de droits et surtout plus de représentativité aux communautés indigènes. Cependant, les mesures promulguées à cette occasion a été la source de nouvelles injustices car la question s’est posée de savoir comment on pouvait caractériser l’indianité d’un individu dans une société largement métisse : la dialectique du sang et du sol, de la race et du territoire, a indirectement relancé la controverse sur l’identité collective des groupes qui se considèrent opprimés non seulement par la société dominante mais aussi par les institutions que celle-ci a créées pour maintenir le statu quo hérité de l’époque coloniale.

1 Uneville, deuxmondes

4 La meilleure façon d’appréhender la fracture ethnique qui oppose les deux parties de León est de passer par l’observation anthropologique des territoires urbains car l’espace des inégalités est avant tout un espace vécu et perçu comme tel par ses habitants. Cependant, les paysages ne créent pas l’injustice : ils n’en sont que l’illustration ou le symptôme. Ils mettent en scène les disparités sociales et alimentent les discours identitaires. C’est pourquoi il est indispensable, dans la mesure du possible, de vérifier si le sentiment d’injustice ressenti par les habitants de la partie en apparence défavorisée de la ville correspond à de vrais clivages économiques et à une distribution inéquitable des services urbains

1.1 La cathédrale et le cacique

5 Selon un principe commun à beaucoup de cités hispano-américaines, le plan en damier de León est structuré par des calles orientées Est-Ouest alors que les avenidas s’étirent du Nord au Sud (fig.1). Au centre de l’échiquier, à la hauteur du parvis de la cathédrale, se croisent les deux axes majeurs à partir desquels on compte le numéro des rues et des avenues : l’avenida central et la calle central (ici, la calle Ruben Darío). Si on part de la Cathédrale pour se rendre à l’église de San Juan Bautista de Sutiaba en passant par la rue Ruben Darío, on se rend compte que les disparités économiques sont très fortes de part et d’autre de la rue de la Ronda (en fait la 8e avenue) qui coupe du nord au sud le tissu urbain. À l’est de cette frontière qui n’avoue pas ouvertement son nom, les paysages de l’ancienne ville espagnole sont marqués par la présence de monuments prestigieux (cathédrale, palais épiscopal, Colegio de la Asunción, mairie, université) qui sont autant de symboles du pouvoir local et de la culture dominante (fig. 2). Malgré les injures du temps et de nombreux tremblements de terre, les belles demeures des grandes familles de l’époque coloniale dressent toujours leurs façades aristocratiques sur des rues larges et bien pavées. Au centre de ce dispositif, le Parque central reste le cœur de l’urbanité leonense et accueille toutes les manifestations politiques ou culturelles qui contribuent à renforcer le poids de la partie Est de la ville au détriment de sa périphérie occidentale.

6 À l’ouest de la calle de la Ronda, le décor change rapidement. Des parcelles envahies par une végétation touffue abritent les ruines de bâtiments civils et religieux, victimes de guerres récentes ou d’anciens séismes, qui n’ont jamais été reconstruits faute de moyens financiers ou de volonté politique. Dès que l’on quitte les deux principaux axes de circulation Est-Oest (la calle Ruben Darío et la calle 1 Norte-Poniente), les habitations donnent directement sur des chemins de terre transformés en marécage à la saison des pluies (photo 2). Ici, les maisons sont plus petites et plus basses. Les murs de planches se font plus nombreux. Même les habitants les plus aisés se contentent d’un logis très rustique. La maison de don Pablo Medrano, pourtant secrétaire de l’Association Conseil des Anciens de Sutiaba [3] et ancien membre du Conseil municipal de León, ne comporte que deux pièces principales taillées dans un long couloir qui relie la rue à une étroite cour intérieure. La première salle sert de réception et de parloir, la deuxième de chambre à coucher. La cuisine est à ciel ouvert. On cuit les aliments sur un foyer posé à même le sol et délimité par quatre grosses pierres. Les latrines donnent directement sur le jardin intérieur où se promènent en liberté deux ou trois poulets déplumés.

Fig. 1

León, une ville coupée en deux. León, a city split in half.

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León, une ville coupée en deux. León, a city split in half.

Photo 1

Commencée en 1746, la cathédrale de León n’a été achevée qu’au début du XIXe siècle (A. Musset, 2005). Begun in 1746, the cathedral was only finished at the beginning of the 19th century (A. Musset, 2005).

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Commencée en 1746, la cathédrale de León n’a été achevée qu’au début du XIXe siècle (A. Musset, 2005). Begun in 1746, the cathedral was only finished at the beginning of the 19th century (A. Musset, 2005).


7 L’édifice le plus important du quartier est l’église de San Juan Bautista (1700- 1710), véritable chef-d’œuvre de l’architecture coloniale dont le plafond est orné d’un immense soleil d’inspiration typiquement indigène. Quand il n’y a pas de fête prévue au programme, l’immense esplanade qui s’étend au pied de l’église sert de terrain de base-ball à quelques adolescents désœuvrés, sous l’œil indifférent des vieux qui fréquent la paroisse. Comme dans toutes les petites villes nicaraguayennes, le terrain de base-ball est un lieu de sociabilité très important non seulement pour les jeunes sportifs qui rêvent de jouer un jour chez les Red Socks de Boston, les Dodgers de Los Angeles ou les Mets de New York, mais aussi pour leurs admiratrices... Un projet de réhabilitation de cette grande place, parsemée de trous et tapissée d’une herbe rare, a été présenté en 1999 mais il est toujours en attente de financement — ce dont se plaint amèrement don Pablo Medrano quand on lui pose la question.

8 Le deuxième point de référence pour les habitants de Sutiaba est la Casa de la comunidad indígena, qui sert à la fois de lieu de réunion, d’école et de musée où l’on présente aux visiteurs d’intéressantes pièces archéologiques. L’un des clous de l’exposition est la petite cloche qui, selon la légende, aurait été laissée dans le village par Bartolomé de Las Casas lors de son passage au Nicaragua [4].

Photo 2

À Sutiava, les marges de la ville sont proches du centre. À un pâté de maison au nord de la calle 1 Norte-Poniente, l’avenida 12 Noroeste se transforme en chemin rural bordé de cahutes (A. Musset, 2005). In Sutiava, the borders of the town are close to the centre. One block to the north of calle 1 Norte-Poniente, the avenida 12 Noroeste becomes a rural path lined with shacks (A. Musset, 2005).

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À Sutiava, les marges de la ville sont proches du centre. À un pâté de maison au nord de la calle 1 Norte-Poniente, l’avenida 12 Noroeste se transforme en chemin rural bordé de cahutes (A. Musset, 2005). In Sutiava, the borders of the town are close to the centre. One block to the north of calle 1 Norte-Poniente, the avenida 12 Noroeste becomes a rural path lined with shacks (A. Musset, 2005).


9 Entre les deux parties de la ville, la calle de la Ronda prend l’allure d’une véritable frontière qui sépare deux mondes antagonistes même s’ils sont complémentaires. Au nord de la calle Ruben Dario, la chaussée est asphaltée jusqu’à la hauteur de la calle 2 Norte-Poniente. Au sud, ce sont des pavés en ciment (adoquines) qui recouvrent le sol. De part et d’autre de cette ligne, les maisons n’ont pas le même aspect même si elles obéissent plus ou moins au même modèle architectural (construction en adobe[5] d’un seul niveau ; toit en tuiles ; une porte et une fenêtre en façade pour les logis les plus spacieux). Alors que les demeures situées à l’est sont en général bien entretenues et repeintes depuis peu, celles qui bordent le côté ouest montrent souvent des murs lépreux et mal consolidés — quand ils ne sont pas réparés avec de simples planches de bois (photo 3). De manière hautement symbolique, la limite est marquée par la présence du Parque Adiac, aménagé sur la calle de la Ronda à la hauteur de la calle 1 Sur-Poniente. Ce petit square est chargé de rendre hommage à l’un des martyrs de la cause indigène, le cacique Adiac, pendu par les Espagnols en 1614 parce qu’il voulait reprendre les terres perdues par sa communauté [6]. Une statue en béton armé de cet opposant légendaire à l’envahisseur semble défier la partie orientale de la cité, là où résident les descendants de ses bourreaux.

Photo 3

Calle de la Ronda, côté Sutiaba (A. Musset, 2005). Calle de la Ronda, towards Sutiaba (A. Musset, 2005).

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Calle de la Ronda, côté Sutiaba (A. Musset, 2005). Calle de la Ronda, towards Sutiaba (A. Musset, 2005).


1.2 L’empreinte territoriale des disparités socio-économiques

10 Un recensement des activités situées de part et d’autre de la calle de la Ronda, le long de la calle Ruben Dario et de la Calle 1 Norte-Poniente confirme la première impression laissée par la lecture des paysages urbains. En arpentant de manière méthodique les deux principales artères de la ville, on se rend compte que la densité des commerces et des activités économiques ou culturelles est très déséquilibrée entre l’est et l’ouest de la ligne frontière (fig. 2). Au cours de ma première enquête, réalisée en juillet 2005, j’ai en effet comptabilisé 136 locaux d’activité entre la cathédrale et la calle de la Ronda (huit manzanas ou îlots) contre seulement 75 entre la calle de la Ronda et l’Église de San Juan Bautista (six manzanas). La calle de la Ronda elle-même n’est pas une rue très attractiveavec seulement dix établissements du côté de León et sept du côté opposé. En ce sens, elle ne se distingue pas des autres avenidas qui traversent la ville du nord au sud et ne semble tirer aucun avantage particulier de son statut d’espace de contact potentiel entre les deux communautés.

Fig. 2

Activités économiques dans les rues Ruben Dario et 1 Norte-Poniente. Activités économiques dans les rues Ruben Dario et 1 Norte-Poniente.

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Activités économiques dans les rues Ruben Dario et 1 Norte-Poniente. Activités économiques dans les rues Ruben Dario et 1 Norte-Poniente.


11 Cette approche purement comptable masque une autre réalité, tout aussi révélatrice du fossé qui sépare l’ancienne ville espagnole de son quartier indigène. Quel que soit le secteur d’activité concerné, les établissements les plus prestigieux ou les plus modernes sont situés dans la partie orientale de la ville. C’est en particulier le cas des infrastructures de tourisme ou de loisir du type bar, hôtel ou restaurant — même s’il ne faut pas s’attendre à trouver une annexe du Ritz près du Parque central (c’est le bon vieux café El Sesteo qui occupe la place). En 2005, alors que vingt enseignes étaient recensées du côté de León, Sutiaba ne proposait que quatre lieux de loisir destinés à une clientèle purement locale : deux petits bars, un comedor (restaurant familial) et surtout le salon de billard « Lacayo » dont les murs étaient couverts de peintures publicitaires à la gloire de Pepsi Cola.

12 La calle de la Ronda marque aussi la frontière entre un secteur commercial « moderne » et des activités beaucoup plus traditionnelles. C’est dans la partie est de la ville que l’on trouve le plus de commerces non-alimentaires caractéristiques d’un certain degré de spécialisation (merceries, bazars, librairies, boutiques de vêtements...), alors que du côté de Sutiaba ces activités sont plutôt rares (deux papeteries minuscules qui font office de librairie et deux marchands de vêtements que l’on pourrait qualifier de fripiers). Installé depuis 1990 au carrefour entre la calle 1 Norte-Poniente et l’avenue 4 Noroeste, le Supermercado Salman apparaît comme l’expression suprême de la modernité dans le tissu commercial de León, même s’il ne s’agit que d’un grand magasin à rayons multiples installé dans une ancienne maison patricienne [7].

13 Dans ce domaine, les pulperías (petites épiceries) représentent la plus grande partie des commerces de proximité mais leur existence dépend de pratiques sociales jugées archaïques par les élites locales. Ces boutiques occupent généralement l’entrée d’une maison particulière et n’offrent qu’une gamme très limitée de produits (cigarettes, médicaments et aliments de base, bouteilles de bière, boissons gazeuses, babioles et broutilles...). On y entre pour acheter au compte-gouttes les choses dont on a un besoin immédiat ou pour assouvir une gourmandise peu coûteuse. Comme ce sont les couches populaires qui se fournissent dans les pulperías, leur présence peut servir d’indicateur pour mesurer le degré de pauvreté de la population. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’elles se multiplient au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre-ville et des quartiers riches pour se rapprocher de Sutiaba. Sur les deux axes considérés dans cette étude, on ne compte qu’un seul magasin de ce type entre la cathédrale et la 6e avenue Noroeste. En revanche, dans les deux îlots qui précèdent la calle de la Ronda, on en trouve déjà quatorze (dont dix pour la seule calle 1 Norte-Poniente). À Sutiaba, j’ai pu en recenser vingt-trois, mais de taille bien inférieure à celles que l’on trouve du côté de León. Il s’agit en général de petits postes de vente installés dans le salon familial afin d’offrir au propriétaire un faible revenu d’appoint. À ces micro-commerces plus ou moins enregistrés par les autorités municipales et qui se pressent parfois les uns contre les autres, il faut aussi ajouter les ventes informelles de pains et de gâteaux proposés aux passants par la fenêtre, ainsi que les étalages de fruits et de légumes que les habitants disposent devant leur porte quand la nuit commence à tomber.

14 Pour comprendre comment s’expriment sur le territoire de León-Sutiaba les inégalités de traitement entre communautés ethniques, il suffit de s’intéresser aux télécommunications et aux services financiers. En juillet 2005, alors que dans la partie orientale de la ville on comptait plusieurs centres de téléphonie et de communication par internet, comme la boutique Ciber Cristonet tenue par une église protestante d’origine nord-américaine, Sutiaba ne disposait que d’un point d’accueil de ce type, à un demi pâté de maison à l’ouest de la station service, sur la calle Ruben Darío. De la même manière, toutes les banques étaient installées à l’est de la calle de la Ronda. Sitôt franchie cette limite, on ne trouvait plus que des prêteurs sur gage (casa de empeño) : même s’il s’agit en fin de compte de la même activité, on ne se situe pas au même niveau économique et social.

15 Dans le domaine des services éducatifs, la différence entre les deux parties de la ville est tout aussi criante quand on parcourt les deux rues principales de la zone étudiée. Du côté de Sutiaba, on ne trouve qu’une école maternelle (calle Ruben Darío, à la hauteur de l’avenue 9 Noroeste), alors que León héberge plusieurs écoles publiques et privées, le grand collège La Salle et divers bâtiments qui dépendent de l’université — sans compter les musées, les centres culturels et les galeries d’art. Plusieurs de mes interlocuteurs se sont plaint du fait que, dans ce contexte, leurs enfants avaient moins de chance de réussir à l’école et que les plus méritants (ou les plus fortunés) étaient obligés d’aller du côté de León pour faire des études supérieures (c’est-à-dire pour aller au collège). [8] Cette difficulté d’accès au système éducatif est présentée par les Sutiabas comme une forme particulièrement aiguë d’injustice spatiale alors que les autres disparités socio-économiques semblent plus facilement acceptées parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre de la coutume (costumbre) et de la tradition. C’est en particulier le cas des officines de prêteurs sur gage, considérées comme plus adaptées que les banques aux besoins d’une population indigène qui manque cruellement d’argent liquide, même si les taux d’intérêt imposés sont souvent usuraires. Le caractère relatif des perceptions individuelles et collectives dans des contextes culturels distincts pose la question de l’universalité des critères socio-économiques sur lesquels peut ou doit se fonder la notion même de justice sociale.

16 Malgré le caractère partiel et parfois aléatoire des enquêtes statistiques réalisées par le gouvernement nicaraguayen et par la municipalité de León pour connaître les besoins de la population locale, certaines données socio-économiques peuvent être utilisées pour comprendre l’organisation des territoires urbains à l’échelle de la commune et du quartier. À défaut de pouvoir disposer des résultats du dernier recensement de la population [9], j’ai pu obtenir les résultats de l’enquête réalisée en 2005 par le Sistema de Vigilancia en Demografía y Salud qui porte sur 55 000 personnes (11 000 foyers) soit 24 % des 182 000 habitants du municipe de León (zones rurales et zones urbaines confondues)  [10]. On y apprend sans s’étonner que le taux d’analphabétisme [11] de Sutiaba est très largement supérieur aux autres territoires urbains : 8,9 % contre seulement 3,7 % à Mantica (qui se partage la partie centrale de León avec la zone de Perla María [12]), même si les différences s’atténuent pour les jeunes générations puisque 40,4 % des Sutiabas ont atteint le niveau secondaire (44,7 % pour les habitants de Mantica). Le taux de chômage des hommes en âge de travailler atteint 21,8% (19,6% à La Perla) mais cet indice masque mal le degré de précarité et la faible qualification des emplois réservés aux habitants de la partie occidentale de l’agglomération. Les données concernant le type d’habitat sont à cet égard plus révélatrices : c’est à Sutiaba que l’on rencontre le plus de logements aux parois de carton ou de plastique (11,6% dans l’espace urbanisé et jusqu’à 23,5% dans les zones rurales). Plus du tiers des maisons recensées (34 %) ne disposent que d’un sol en terre battue (contre 16,3 % à La Perla). Près de 4 % des logements n’ont pas de WC et 68 % se contentent de simples latrines (27,3 % pour La Perla). Le taux de connexion au réseau d’eau potable est important (93,6 %) mais il reste inférieur de 6 points à celui de Mantica. Et dans les zones rurales qui entourent le noyau urbain, on tombe à 1,8 % ! C’est donc en toute logique que, selon les critères utilisés par l’enquête du CIDS, l’indice de pauvreté apparaît nettement plus élevé à Sutiaba que dans les autres quartiers de la ville : 47,4 % des habitants sont qualifiés de pauvres et 7,8 % sont en situation d’extrême pauvreté.

17 Ces informations sont certes incomplètes, mais elles confirment l’ampleur des disparités socio-économiques enregistrées entre les deux parties de la ville et justifient le discours des Sutiabas qui se plaignent d’être les laissés pour compte d’un système hérité, d’après eux, de l’époque coloniale mais qui s’est en réalité très bien adapté à des formes plus modernes d’oppression. En ce sens, la situation de Sutiaba illustre parfaitement le propos d’Iris Marion Young quand elle met en parallèle le caractère institutionnel d’une tyrannie « classique » (l’Afrique du Sud) et les pratiques quotidiennes d’une société libérale : « La tyrannie d’un groupe dominant sur un autre, comme en Afrique du Sud, peut incontestablement être qualifiée d’oppression. Mais l’oppression se réfère aussi à des contraintes systématiques sur les groupes [...]. En ce sens l’oppression est structurelle au lieu d’être le résultat d’un choix ou de politiques décidées par un petit nombre de personnes. Ses justifications sont inclues dans un ensemble incontesté de normes, de pratiques et de symboles, dans les présupposés qui sous-tendent à la fois les règles institutionnelles et les conséquences que le fait de suivre ces règles ont sur la vie collective [...], dans les pratiques quotidiennes d’une société libérale bien intentionnée » (Young, 1990, p. 41)  [13].

2 Chronique d’un mariage forcé

18 Pour comprendre l’origine de cette séparation entre les deux parties de ce qui est aujourd’hui une seule agglomération, il est nécessaire remonter le temps jusqu’au déplacement de la ville espagnole de León vers la puissante communauté indigène de Sutiaba. En effet, en 1610, l’éruption du volcan Momotombo a conduit les autorités municipales à ordonner le transfert des habitants vers des parages jugés moins vulnérables, selon une tradition solidement établie dans l’empire des Habsbourgs (Musset, 2002). En s’installant sur les terres occupées par les Indiens, les Espagnols ont certes profité d’une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci, mais ils ont aussi multiplié les risques d’affrontement avec une population qui s’est vite estimée lésée parce qu’elle entrait dans un système économique et politique conçu pour servir les intérêts des nouveaux arrivants.

2.1 Des voisins éloignés (1610-1902)

19 Réunis à l’occasion d’un solennel cabildo abierto (conseil municipal ouvert à tous les habitants) les échevins ont insisté auprès du capitaine général du Guatemala de l’époque pour lui faire reconnaître que la ville fondée près de Sutiaba était bien la même que celle qui avait été détruite par l’éruption du Momotombo : « On a tracé et fondé ladite ville en cet endroit, au nom de sa Majesté, ladite ville étant celle qui était habitée à six lieues d’ici, près du lac et du volcan »  [14]. La volonté des échevins d’assurer la continuité historique entre l’ancienne et la nouvelle ville s’explique avant tout parce qu’ils entendaient préserver son statut de capitale face aux prétentions de Grenade, la grande cité rivale installée sur les bords du lac Nicaragua. Le capitaine général n’était sûrement pas dupe de ce raisonnement, mais il accepta la requête du conseil municipal et confirma le titre et le statut du nouveau León afin d’éviter d’attiser les querelles de clocher et de créer des troubles dans la province. L’histoire du Nicaragua a montré par la suite que ce scénario allait se vérifier puisque la tension permanente entre les deux cités provoqua une série de guerres fratricides et favorisa en 1858 l’émergence d’une capitale nationale, Managua, choisie pour sa modestie et sa neutralité.

20 À l’origine, les deux communautés étaient nettement séparées l’une de l’autre et la frontière était marquée par un no man’s land appelé Anillo de la Ronda — matrice de la future calle de la Ronda. La Couronne espagnole tenait en effet à garantir aux populations indigènes un minimum de droits que les conquérants devaient respecter. Ces préoccupations étaient clairement exprimées dans les Nouvelles Ordonnances de découverte et de peuplement de 1573 dont Le paragraphe 111 précisait que le choix du nouveau site par les fondateurs devait se faire « sans aucun préjudice pour les Indiens et les naturels, ou avec leur libre consentement »  [15].

21 Les habitants de León durent se soumettre, au moins formellement, aux directives de la Couronne : il s’agissait pour eux de ne pas heurter de front les indigènes dont ils allaient occuper une partie des terres, ni de dresser contre la ville renaissante les populations chargées d’assurer son approvisionnement. C’est pourquoi, après avoir officialisé l’installation de la capitale provinciale sur le site choisi, le conseil municipal demanda au notaire chargé d’enregistrer les actes du transfert de bien spécifier que personne ne s’était opposé à la prise de possession des terrains destinés à la construction de la ville. Même les autochtones, s’il faut en croire les documents officiels, furent ravis d’accueillir les glorieux réfugiés. Accompagnés par une foule en liesse qui poussait des cris de joie, le curé et les caciques de la province s’étaient volontairement portés à la rencontre des nouveaux arrivants. Au son des tambours, des flûtes et des trompettes, toute la population entonna alors des chants de bienvenue, preuve que la présence des Espagnols était non seulement acceptée, mais aussi désirée par les habitants de Sutiaba [16].

22 L’avenir a cependant montré que, loin de correspondre à cette vision pour le moins idyllique, les relations entre les deux communautés allaient demeurer tendues tout au long de l’époque coloniale, et même au-delà. En effet, reconnus par la Couronne comme membres d’une municipalité indigène autonome, les Indiens de Sutiaba refusèrent de se laisser dépouiller de leurs terres par les nouveaux arrivants. En 1727, suite aux tentatives de la municipalité de León de s’emparer de terrains qui leur appartenaient, ils furent obligés de verser cent pesos d’or au trésor royal pour obtenir des titres de propriété en bonne et due forme (Rizo, 1999, p. 24). La question portait principalement sur la possession et l’usage des terres ejidales, c’est-à-dire des communaux dont pouvait disposer en nom collectif l’ensemble des habitants de Sutiaba. Comme souvent dans le monde hispanique, c’est donc le problème de la terre et des biens communs qui a cristallisé le sentiment d’injustice de la population indigène.

23 Cette bataille juridique permanente s’inscrit dans un contexte qui dépasse largement le cadre des relations conflictuelles entre León et Sutiaba car l’existence de biens communs (en anglais commons) et les droits d’accès à ces biens ont toujours constitué un enjeu majeur de la justice sociale et spatiale — particulièrement en situation de crise. En effet, selon un article désormais classique de Garrett Hardin (The tragedy of the Commons), un tel système ne peut fonctionner que dans un contexte où la population est régulée par les guerres et la maladie. Si la société atteint un certain équilibre biologique, l’individualisme reprend le dessus et conduit le groupe au désastre : « Là est la tragédie. Chaque individu est prisonnier d’un système qui le pousse à accroître son troupeau sans limite — dans un monde qui est limité. Chacun court vers sa propre ruine en poursuivant son intérêt personnel dans une société qui croit à la liberté et aux communaux. Mais la liberté dans les communaux conduit les deux à la ruine » (Hardin, 1968, p. 1244)  [17].

24 Cependant, en prenant comme exemple le paysan anglais élevant son bétail dans les commons, la critique de Hardin sur la gestion des biens communs ne tient pas compte d’une dimension qui apparaît essentielle dans d’autres aires culturelles : le caractère ethnique des modes d’occupation du sol et du partage des ressources naturelles. Or, au Nicaragua comme au Mexique ou en Bolivie, la pression libérale qui s’est exercée et qui s’exerce encore en faveur de l’appropriation des biens communs ne fait qu’augmenter leur poids politique dans une société duale : pour les communautés indigènes qui se considèrent opprimées, cette « autre manière » de concevoir les relations économiques devient l’expression d’une véritable identité collective.

2.2 L’annexion ou le triomphe de la Modernité (1902)

25 C’est à la fin du XIXe siècle, au moment où se développait en Amérique latine une idéologie libérale portée par des élites créoles en quête de modernité, que les premières mesures ont été prises pour démanteler les propriétés collectives des communautés indiennes afin de favoriser l’initiative individuelle et le développement économique [18]. En 1902, après plusieurs tentatives d’union rapidement avortées, Sutiaba a définitivement perdu son autonomie administrative pour être intégrée à la commune de León par décret de l’Assemblée nationale. Cette décision politique marquait la fin d’une longue période de conflits qui a atteint son paroxysme en 1872, quand l’armée noya dans le sang une rébellion provoquée par la tentative des autorités de León de s’emparer une nouvelle fois des terres de leurs voisins (Rizo, 1999, p. 31).

26 Pour tenter d’apaiser la frustration des Sutiabas, le gouvernement nicaraguayen a essayé d’introduire dans son décret des mesures de justice sociale destinées à réduire des inégalités territoriales anciennes (pour ne pas dire traditionnelles) qui ne pouvaient plus se justifier au sein d’une même agglomération. En effet, en proclamant l’union des deux communes au nom de la Nation, l’État modernisateur avait transformé une frontière ethnique en barrière sociale. Dans cette perspective, l’article premier du décret d’annexion publié dans le Journal officiel du 22 janvier 1903 proclame que « les revenus du nouveau quartier de Sutiaba serviront de préférence à améliorer l’enseignement primaire » (Lainez Vega, 1974, p. 20). De la même manière, le règlement qui accompagne le décret de 1902 stipule que 75 % des revenus tirés de la location ou de la vente des terres municipales de Sutiaba sera destiné à l’instruction publique des habitants et à l’aménagement du quartier annexé. Le troisième chapitre de ce texte impose aux édiles de León une clause qui en dit long sur les inégalités caractérisant les deux parties de la ville : « La municipalité de León nommera un habitant de Sutiava au conseil d’urbanisme (junta de ornato) ; de même, elle installera à titre gracieux l’éclairage public dans les rues principales et assurera l’alimentation en eau potable des zones les plus centrales dudit quartier » (Lainez Vega, 1974, p. 21). Plus d’un siècle après la publication de ces mesures justifiées par un besoin évident de justice spatiale, la fracture sociale est loin d’être effacée...

27 En outre, contrairement au souhait des élites libérales du début du XXe siècle, l’annexion de 1902 n’a pas mis un terme au processus engagé en 1610 avec la fondation du nouveau León sur les terres de Sutiaba. Quand il parle de cet épisode tragique, don Pablo Medrano insiste toujours sur un point essentiel : en retirant à la municipalité indigène son autonomie politique, l’État nicaraguayen lui a aussi enlevé les terres collectives (ejidos) qui faisaient partie de son identité. En vain, les avocats de la municipalité dissoute ont argué du fait qu’on ne pouvait pas appliquer aux terrains appartenant à la communauté indienne (la casta), constituée en tant que personne juridique, les mêmes règles que pour le territoire communal rattaché automatiquement à celui de León. Peu à peu, les derniers pans du domaine collectif des Sutiabas sont donc passés entre les mains de propriétaires privés avec l’accord tacite ou déclaré des autorités municipales et de l’État central.

28 Après la deuxième guerre mondiale, la croissance démographique de la capitale régionale a entraîné une expansion des espaces bâtis sur les terrains de l’ancienne communauté indigène, déjà en partie accaparés par les cultivateurs de coton. Dans les années 1950, au moment où le Nicaragua tentait de développer ses activités agro-exportatrices, génératrices de devises fortes, les usages traditionnels du sol ont été remis en cause par quelques latifundistes alliés au clan Somoza [19] dont les droits sur la terre étaient rarement fondés. C’est ainsi que l’accès des femmes indiennes au Rio de los Aposentos, où elles avaient l’habitude de laver leur linge, est devenu de plus en plus difficile car les eaux étaient réservées à l’irrigation et à l’alimentation du bétail. Le problème de la gestion des biens communs qui avaient empoisonné les relations entre León et Sutiaba durant toute la période coloniale était redevenu un thème d’actualité. C’est cette question brûlante qui a entraîné la réorganisation et le retour sur la scène publique d’une communauté indigène à nouveau consciente de son identité.

3 La Casta indígena et son territoire

29 Mais si la reconnaissance du territoire de la communauté indigène est au cœur du problème, encore faut-il savoir de quelle communauté il s’agit et quels sont les individus qui peuvent s’en réclamer. Or, malgré les efforts réalisés par le gouvernement nicaraguayen pour mener à bien des recensements de population fiables, les résultats obtenus restent souvent sujets à caution par manque de clarté dans les procédures d’enquête et dans le traitement final de l’information. Il n’est donc pas facile de savoir combien de résidents compte réellement Sutiaba et combien d’entre eux peuvent être considérés comme indigènes. Selon les estimations les plus probables, la population totale atteindrait 36 000 habitants (20% du municipe) dont au moins 10000 seraient installés dans le secteur urbain. Cependant, selon don Pablo Medrano, 15 000 personnes installées du côté occidental de la calle de la Ronda ne feraient pas partie de la communauté ou de la casta, pour reprendre la terminologie officielle. Comme ils ne sont pas de « sang sutiaba », ils ne disposent pas des mêmes droits que leurs voisins. À l’inverse, il existe plusieurs poches de population indigène dans la partie orientale de la ville, ce qui complique le jeu des appartenances ethniques. La question est d’autant plus sensible que la population du municipe de León est dans son ensemble très métissée, même si des études d’anthropologie physique réalisées dans les années 1960 tendaient à démontrer la persistance de traits typiquement indigènes parmi les Sutiabas de souche (Jenkins Molieri, 1970).

30 C’est pourquoi l’affirmation d’une nouvelle forme de communautarisme, liée à un contexte international favorable à l’expression politique et culturelle des populations amérindiennes, peut apparaître comme la source de nouvelles injustices qui s’expriment à la fois dans les pratiques quotidiennes de la population et dans la réorganisation des territoires municipaux.

3.1 L’affirmation d’une identité indigène

31 La politique anti-indigène menée par les libéraux dans la deuxième moitié du XIXe siècle au nom de la Nation et de la Modernité s’est rapidement heurté aux réalités sociologiques d’un État multiculturel. En effet, la volonté d’intégration et d’assimilation des minorités ethniques manifestée par les élites progressistes du Nicaragua poursuivait un idéal de justice sociale mais, comme le rappelle Iris Marion Young dans une logique clairement anglo-saxonne : « L’idéal d’une société juste passant par l’élimination des différences entre les groupes est à la fois irréalisable et indésirable. En revanche, la justice dans une société où les groupes sont bien différenciés requiert la reconnaissance et l’affirmation mutuelle des différences » (Young, 1990, p. 191). Moins de dix ans après l’annexion de Sutiaba par la municipalité de León, les membres de la communauté indigène ont su profiter des dissensions entre libéraux (partisans de « l’élimination des différences ») et conservateurs (garants du statu quo politique et culturel) pour obtenir la reconnaissance officielle de leur existence [20].

32 Dès 1918, le gouvernement nicaraguayen accordait aux habitants du quartier est de León le statut de « Casta Indigena », en précisant qu’ils conservaient leurs droits sur les terres collectives que leurs ancêtres avaient achetés au roi d’Espagne : « La communauté de Subtiava, est l’ancienne population de San Juan Bautista, chef-lieu de district électoral depuis 1858 et dont la casta possède de plein droit la mesure ancienne de soixante-cinq caballerías de terre [environ 2 800 hectares], surface achetée à Sa Majesté le roi d’Espagne don Fernando VII »  [21]. C’est finalement la loi du 6 août 1918 qui a fixé le statut de toutes les communautés indiennes du pays, dont celle de Sutiaba. Cette loi est importante pour comprendre l’évolution des relations entre les deux parties de la ville car elle a attribué une réalité juridique aux habitants du quartier indigène en les distinguant du reste de la population : « La communauté indigène se compose de tous les habitants du village descendants des résidents et habitants de la ville ancienne des origines, selon le recensement accompli par un commissaire de la préfecture du département, en présence d’un représentant de la communauté indigène dudit village »  [22].

33 Par cette mesure, l’État nicaraguayen ne se contentait pas de reconnaître l’identité culturelle des communautés indiennes : elle leur accordait la possibilité d’avoir une représentation officielle par l’intermédiaire d’une Junta directiva (Conseil de direction) chargée de veiller aux intérêts collectifs de ses membres, selon les critères définis par l’article n? 2 de la loi du 3 juin 1914 : « L’administration des biens appartenant aux communautés indigènes sera à la charge d’un conseil élu par les membres de la même communauté ». Selon Apolinario Chile Pixtún, ce conseil doté de fonctions « quasi municipales » (ou para-municipales) doit non seulement garantir le respect des droits historiques de la communauté, mais aussi assurer son bien-être social, économique et culturel (Chile Pixtún, 1998, p. 88).

34 À Sutiaba, le rôle des instances représentatives indigènes s’est accru dans les années 1950 quand la communauté a dû faire face aux tentatives des élites métisses de s’emparer des terres collectives pour accroître la production agricole. Le 9 décembre 1954, les discussions ont abouti à la création d’une Junta Pro-Defensa de los Intereses del Pueblo, rebaptisée dès le lendemain Comunidad Indígena de Sutiaba afin de mieux affirmer le caractère ethnique de la nouvelle association. [23] Un pas essentiel dans la reconnaissance culturelle de la communauté indienne a été franchi en février 2000, avec l’édition par l’Institut d’histoire du Nicaragua (IHNCA) des anciens titres royaux de Sutiaba. Si la valeur juridique de ces manuscrits pouvait difficilement être reconnue, leur publication a néanmoins permis de ressouder les liens entre les habitants en leur donnant l’occasion d’affirmer l’identité de leur quartier par rapport au reste de l’agglomération. En outre, cette démarche éditoriale n’est pas restée sans effet puisque la proposition de loi sur les peuples indigènes présentée au parlement nicaraguayen en 2004 considérait que de tels documents pouvaient être pris en considération pour établir les droits fonciers des communautés : « les Titres royaux accordés par le Roi d’Espagne, ainsi que les titres de bornage et de délimitation des terres indigènes approuvés par le gouvernement national constituent des titres de possession suffisants pour affirmer le droit de propriété des communautés indigènes »  [24].

3.2 Les paradoxes d’une renaissance

35 Au Nicaragua comme en Colombie ou au Pérou, l’amélioration du statut des peuples indigènes et la reconnaissance de leurs droits fondamentaux sur la terre ont considérablement changé la donne politique, même si les mentalités et les comportements ont peu évolué — l’Indien restant souvent pour le Métis un être de catégorie inférieure. La Loi Générale sur les Peuples Indigènes reconnaît en effet le statut officiel de propriété collective non seulement aux terres, eaux, forêts et autres ressources naturelles qui ont appartenu de manière traditionnelle aux différents groupes ethniques, mais aussi aux connaissances ancestrales dont ils ont la propriété intellectuelle et culturelle, ainsi qu’aux « ressources de la biodiversité »  [25] — formule vague qui a pour principal mérite de s’adapter au fourre-tout idéologique de l’Agenda 21. Alors que depuis 1990 (chute du gouvernement sandiniste) les recettes néo-libérales imposées au Nicaragua par le FMI et la Banque interaméricaine de développement ont entraîné la privatisation systématique des entreprises publiques, on assiste au grand retour des commons sur la scène nationale et locale.

36 De telles dispositions ont rendu plus attractif le statut des communautés indigènes qui ont désormais le droit imprescriptible de gérer leurs ressources comme elles l’entendent — dans les limites autorisées par la Constitution. Cependant, elles favorisent surtout les populations rurales, dans des régions où les mots eau, terre et forêt ont encore un sens et où les densités de peuplement sont faibles [26]. Ce n’est bien évidemment pas le cas à Sutiaba. La définition même de « territoire indigène » telle qu’elle apparaît dans la loi n’est pas adaptée à la situation d’un espace fortement urbanisé, peuplé de manière hétérogène et où le caractère « traditionnel » des modes de vie n’est pas facile à identifier : « c’est l’espace géographique qui couvre la totalité de l’habitat d’un groupe de communautés indigènes ou ethniques formant une unité territoriale où elles se développent selon leurs coutumes et traditions »  [27].

37 La proximité de León (avec ses vidéo-clubs et ses cybercafés) complique encore les choses aux yeux des secteurs traditionnalistes de la société sutiaba. Pour expliquer la lente agonie des traditions qui forgeaient l’identité du groupe vis-à-vis du monde extérieur, les plus radicaux accusent pêle-mêle les nouveaux modes de consommation qui se développent dans la jeunesse (pizzas, hamburgers...), la croissance incontrôlée du trafic de drogue et la politique intégrationniste de la municipalité. Consciente du danger, l’Association Conseil des Anciens s’est érigée en gardienne des coutumes locales et tente de conserver la culture indigène en rappelant à la population non seulement son histoire et ses droits mais aussi la forme et la raison de son existence — au sens où Iris Marion Young définit ce qu’on appelle un groupe social : « un groupe de personnes qui se différencie d’au moins un autre groupe par des traits culturels, des pratiques ou une certaine manière de vivre. Les membres d’un groupe ont entre eux des affinités spécifiques fondée sur une expérience identique ou sur des manières de vivre qui les poussent à s’associer plus étroitement qu’avec ceux qui ne sont pas identifiés au groupe » (Young, 1990, p. 45).

38 Dans cette perspective, l’Association Conseil des Anciens organise des cours de langue indigène et multiplie les activités culturelles — en particulier des cours de cuisine traditionnelle. Lors d’une séance à laquelle j’ai été convié, Doña Aurela nous a présenté l’une des légendes les plus fortement enracinées dans la communauté, celle du Cacique Adiac et du crabe d’or (el punche de oro). Selon ce récit, l’esprit du cacique assassiné par les Espagnols prend la forme d’un crabe d’or et traverse le quartier indigène en suivant toujours le même chemin pour aller veiller sur le trésor perdu des Sutiabas. La discussion a ensuite porté sur la magie ( « el arte de la naturaleza », selon don Pablo Medrano) qui continue à jouer un rôle important dans la région de León. Ainsi, en 2002, une dénommée Sandra a été accusée par ses voisins de se métamorphoser en singe pour aller commettre des larcins sans être reconnue. C’est l’Association Conseil des Anciens qui a dû intervenir pour empêcher les personnes qui s’estimaient victimes de ses agissements de lui faire un mauvais parti. Tous les participants m’ont confirmé qu’il n’était pas rare de voir des sorciers (et surtout des sorcières) se transformer en animal malveillant (singe ou cochon) pour nuire à leurs ennemis. La seule manière d’en venir à bout est de brûler la peau de bête dont ils se servent au moment de la métamorphose.

39 Cette entreprise de sauvetage culturel montre la vitalité de la communauté indigène de Sutiaba mais elle peut aussi ressembler à un combat d’arrière-garde dans une ville où la langue indigène (le chorotega) n’est plus parlée que par une minorité de personnes âgées et où les jeunes préfèrent apprendre l’anglais en espérant qu’ils pourront un jour émigrer aux États-Unis [28].

3.3 Le sang, le sol et les limites de la justice électorale

40 Le problème de l’identité des Sutiabas prend tout son sens au moment des élections pour la Junta Directiva dont les sept membres sont chargés de veiller aux biens de la communauté pour une période de deux ans. Selon la loi du 11 mars 1952, les conditions pour être candidat sont simples : il faut avoir la majorité, être originaire de Sutiaba et y posséder un domicile permanent. Les élections se font sur la base de listes concurrentes (ternas) dont les dirigeants font partie des familles les plus éminentes du quartier. Les électeurs, quant à eux, sont tous les membres de la communauté indigène. Cependant, malgré tout les discours convenus qui fondent l’identité des autochtones sur la race (la raza) et le sang (la sangre), les réalités du métissage biologique troublent l’ordre naturel des choses. Même si les membres de l’Association Conseil des Anciens aiment affirmer que les gens de Sutiaba ne vont pas chercher leurs partenaires dans la partie orientale de la ville [29], ils reconnaissent volontiers que les mariages mixtes sont fréquents — ce qui ne pose d’ailleurs pas de problème à leurs yeux. En effet, pour être reconnu membre de la communauté, il suffit de vivre à temps plein avec une personne qui en fait partie. Interrogé par mes soins sur les modalités de cette union, don Pablo Medrano m’a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de se marier parce que, pour les Sutiabas, « el amor es libre »  [30].

41 Jusqu’en 1990, les élections pour la Junta Directiva du quartier indigène avaient lieu chaque année, contrairement aux règles couramment admises. Un accord a depuis été obtenu avec la municipalité pour organiser un scrutin conforme à la loi (tous les deux ans). Comme il fallait définir le périmètre du corps électoral, ce n’est pas l’indianité réelle ou supposée des individus qui a servi de critère de sélection mais le lieu de résidence. De manière logique, les autorités ont choisi la calle de la Ronda, frontière symbolique entre les deux parties de la ville, pour marquer la limite entre les populations pouvant élire les membres de la Junta Directiva (à l’ouest) et les autres (à l’est). C’est donc le territoire (droit du sol) et non l’ethnie (droit du sang) qui est devenu le marqueur officiel de l’identité sutiaba — même si des mesures ont été prises pour limiter le vote des habitants non-indigènes (en ce cas, au moins sept ans de résidence dans le district électoral sont requis).

42 Cette reconnaissance politique de la casta n’a pas résolu le problème des personnes qui se sentent et se déclarent sutiaba mais qui ont le tort de vivre dans d’autres parties de la cité, notamment dans les quartiers de Laborio et de San Sebastian, au Sud-Ouest du Parque central. Don Pablo Medrano parle ainsi des repartos indígenas qui ont été exclus du jeu électoral parce qu’ils sont situés hors de la zone de compétence des ternas — ce qui est perçu comme une nouvelle forme d’injustice. J’ai ainsi pu rencontrer Alejandro Cabrera, chef de file de l’école de peinture naïve de Sutiaba, qui a déjà été invité plusieurs fois à présenter ses œuvres en Espagne et aux États-Unis. Interrogé sur cette question, il s’est plaint de ne pas pouvoir voter aux élections indigènes car il habite du mauvais côté de la frontière, à vingt varas (moins de vingt mètres) de la rue de la Ronda, mais du côté de León. Même s’il est né et a toujours vécu dans cette petite maison qui lui sert aussi d’atelier et de galerie de peinture, il se proclame à 80 % de « sangre sutiaba ». D’après lui, le système choisi par la municipalité et les autorités traditionnelles est particulièrement injuste parce qu’il exclut tous les membres de la communauté indigène qui n’habitent pas dans le territoire qu’on leur a assigné — alors que des étrangers peuvent y participer. Selon ses propres mots, c’est une coutume « rarita » ( « un peu étrange ») qui pose le problème du sens politique, économique et culturel que l’on veut donner à la casta dans une ville toujours dominée par les descendants des conquérants espagnols.

Conclusion : « Salauds de pauvres ! » [31]

43 Les relations conflictuelles qu’entretiennent León et Sutiava sont l’illustration des problèmes posés par la cohabitation de deux communautés (ethniques ou sociales) sur un même territoire. L’approche des commémorations liées au quatrième centenaire du déplacement de León vers Sutiaba risque d’exacerber les tensions entre les deux groupes car il faudra que la municipalité choisisse le ton qui sera donné à cet événement. On se souvient des polémiques suscités en 1992 pour l’anniversaire de la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb. C’est finalement sous le signe volontairement neutre de la « rencontre entre deux mondes » que l’Espagne et ses anciennes colonies ont évoqué l’épopée sanglante des conquistadors et la disparition brutale des civilisations amérindiennes. On peut s’attendre aux mêmes discussions passionnées de part et d’autre de la calle de la Ronda. Les associations indigènes (au premier rang desquelles le Conseil des Anciens « traditionnel » et son concurrent, l’Association Conseil des Anciens) voudront profiter de l’occasion pour rappeler le caractère injuste de la conquête et tenter de récupérer ce qu’elles ont perdu en 1611. À l’inverse, la municipalité essaiera sans doute de mettre en valeur le patrimoine architectural exceptionnel qu’elle a hérité de l’époque coloniale et qui alimente son récent (mais encore modeste) développement touristique. Tout le problème est de savoir si l’injustice spatiale est soluble ou non dans l’exaltation des monuments historiques...

Notes

  • [1]
    La thèse de Norbert Elias a été soutenue en 1933.
  • [2]
    L’orthographe du nom varie souvent entre Subtiava, Subtiaba, Sutiava et Sutiaba. J’ai choisi cette dernière graphie en prenant comme référence l’ouvrage de Mario Rizo, Identidad y derecho : los títulos reales de Sutiaba (1999).
  • [3]
    Le Conseil des Anciens (ou Monexico) est une institution chargée d’assurer la représentation et la protection de la communauté indigène. Ses membres sont choisis parmi les personnes les plus éminentes du quartier, à condition d’être de sang sutiaba et d’avoir atteint l’âge de 50 ans. L’Association Conseil des Anciens est le résultat d’une division du Conseil des Anciens dit « traditionnel », suite à des conflits politiques internes à la communauté indigène.
  • [4]
    Fray Bartolomé de las Casas (Séville, 1474-Madrid, 1566), est un dominicain qui a participé à la découverte du Nouveau Monde et défendu la cause des peuples indigènes persécutés par les Espagnols. Auteur d’une Très brève relation de la destruction des Indes, il a obtenu en 1542 la promulgation de lois chargées de limiter les abus des conquérants mais il est surtout connu pour la fameuse « controverse de Valladolid » (1550), débat contradictoire qui l’a opposé à Juan de Sepúlveda, partisan d’une guerre totale contre les Indiens idolâtres.
  • [5]
    Brique d’argile crue mélangée à de la paille.
  • [6]
    Même si rien ne prouve l’authenticité de ce récit, l’arbre où aurait été supplicié le cacique Adiac est désormais protégé et fait partie du patrimoine local. C’est un lieu de mémoire important pour l’ensemble de la communauté sutiava car on y entretient le souvenir de la trahison des conquérants envers un peuple qui leur avait accordé son hospitalité.
  • [7]
    En France, le Supermercado Salman aurait le statut de supérette. Il faut aller au Nord-Est de la cathédrale pour trouver une véritable grande surface, le supermarché La Unión.
  • [8]
    Les membres de l’Association Conseil des Anciens font ici preuve d’une certaine mauvaise foi car Sutiaba dispose d’un grand collège public et héberge deux collèges privés tenus par des religieux (le colegio Calasanz et le Técnico La salle).
  • [9]
    Les résultats du recensement de 2005 étaient considérés comme stratégiques au cours de l’année électorale qui s’est conclue en novembre 2006 par le retour au pouvoir du chef historique du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), Daniel Ortega.
  • [10]
    Enquête réalisée par le Centro de Investigacion en Demografía y Salud (CIDS) de l’Université de León, en collaboration avec les services de la coopération suédoise. Je tiens à remercier Francés Kinloch qui m’a permis d’obtenir les résultats de cette étude afin de mener à bien ma recherche.
  • [11]
    Pour la population âgée de plus de 15 ans.
  • [12]
    Mantica (au Nord) et Perla María (au sud) englobent aussi des quartiers périphériques dont les niveau socio-économiques se rapprochent de ceux enregistrés à Sutiaba, ce qui fausse le résultat moyen de l’enquête.
  • [13]
    Iris Marion Young rejoint ici Thomas Schelling pour qui les petites décisions individuelles, presque inconscientes (ou dont les véritables motifs sont souvent inavoués), jouent un rôle au moins aussi important que les politiques urbaines dans la séparation des groupes ethniques et sociaux (Schelling, 1980).
  • [14]
    Archivo General de Indias (Sevilla), Guatemala, 43, n? 26, f. 26 v.
  • [15]
    Biblioteca Nacional (Madrid), Ms. 3017, f. 294 v.
  • [16]
    Archivo General de Indias (Séville), Guatemala, 43, n? 26.
  • [17]
    La pensée d’Hardin s’inscrit dans une réflexion sur le concept de justice sociale puisqu’il considère que la propriété privée est aussi un système injuste permettant à un parfait idiot d’hériter d’une fortune et de la faire gérer par d’autres que lui. Néanmoins, puisqu’on n’a pas trouvé de meilleur système, sa conclusion est sans appel : « Injustice is preferable to total ruin ».
  • [18]
    Le même mouvement touche l’ensemble des pays du sous-continent. Il a entraîné la formation des grandes haciendas contre lesquelles se sont battus, entre autres, Pancho Villa et Emiliano Zapata.
  • [19]
    Issu de la Garde Nationale fondée par les Américains au cours de leur longue intervention (1912-1933), Anastasio Somoza s’est emparé du pouvoir après avoir fait assassiner la seule personne qui aurait pu s’opposer à ses projets, Augusto César Sandino. Victime d’un attentat en 1956, il a été remplacé par son fils aîné, Luis. En 1967, Anastasio « Tacho » Somoza lui a succédé et a gouverné le pays jusqu’au triomphe de la Révolution et l’arrivée au pouvoir du Front sandiniste de libération nationale (1979).
  • [20]
    Dans la vie politique nicaraguayenne, León a longtemps été le bastion des libéraux (opposé à Grenade, la ville des conservateurs) avant de devenir une place-forte sandiniste. C’est une dimension essentielle pour comprendre les relations conflictuelles entretenues par la municipalité avec la communauté indigène.
  • [21]
    Statuts du 19 mars 1918, chapitre I, article 1.
  • [22]
    Ley de 6 de Agosto de 1918 Sobre Estatutos de las Comunidades Indígenas, Capítulo 1, artículo 1.
  • [23]
    C’est l’origine du Conseil des Anciens « traditionnel ».
  • [24]
    Ley General de Pueblos Indígenas, Capítulo IV, Del Regimen de Propiedad, artículo 35. Cette proposition de loi était encore en discussion en juillet 2008.
  • [25]
    Ley General de Pueblos Indígenas, Capítulo I, Disposiciones Generales, artículo 3.
  • [26]
    C’est ce qui explique pourquoi le chapitre 3 de la loi est exclusivement consacré aux communautés indigènes de la côte Atlantique.
  • [27]
    Ley General de Pueblos Indígenas, Capítulo I, Disposiciones Generales, artículo 3.
  • [28]
    En fait, les plus jeunes invoquent rarement leurs lointaines racines indigènes, même s’ils revendiquent fortement leur appartenance au quartier.
  • [29]
    Une prochaine mission sur le terrain me permettra de consulter les archives paroissiales de León et celles de l’État Civil municipal afin de vérifier la porosité des frontières matrimoniales.
  • [30]
    Bien entendu, le partenaire ne devient pas un indien mais il est admis dans un lignage reconnu.
  • [31]
    Jean Gabin dans La traversée de Paris (film de Claude Autant-Lara d’après une nouvelle de Marcel Aymé, 1956).
Français

Le couple formé par la ville espagnole de León et la communauté indigène de Sutiaba est une conséquence du déplacement de la capitale provinciale opéré en 1610 après un tremblement de terre. Depuis cette époque, les relations interethniques sont restées difficiles. L’annexion des terres de San Juan Bautista Subtiava par le municipe « espagnol » en 1902, n’a pas contribué à réduire les tensions, bien au contraire. La fracture sociale et ethnique qui oppose l’ancienne ville coloniale (à l’est) et le quartier indigène (à l’ouest) reste très forte. Elle a un impact à la fois sur les paysages urbains et sur les pratiques sociales des habitants. Notre objectif est ici d’analyser les mécanismes de différentiation sociospatiale qui s’expriment de chaque côté de la ville et qui alimentent les revendications identitaires des populations locales afin de mettre à l’épreuve deux notions clefs des sciences sociales contemporaines : la justice spatiale et la gouvernance urbaine.

Mots-clés

  • Nicaragua
  • León
  • Sutiaba
  • communautés
  • biens communs
  • frontière ethnique
  • justice spatiale

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Alain Musset
École des hautes études en sciences sociales Groupe de géographie sociale et d’études urbaines Programme ANR-SUDS-JUGURTA 105, bd. Raspail 75006 Paris
musset@ehess.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/ag.665.0116
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