CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’année 2020 marque les soixante ans de l’accès à l’indépendance des territoires de l’Afrique occidentale française et de l’Afrique équatoriale française. Les nouveaux États indépendants ont immédiatement accédé – au moins formellement – aux libertés politiques, dans le contexte des rapports Nord/Sud (avec l’ancienne puissance coloniale), puis Est/Ouest (la Guinée ayant donné l’exemple dès 1958 par son ouverture vers l’Union soviétique). L’indépendance économique reste quant à elle en débat, en particulier du fait de la dépendance financière de l’Afrique francophone (par le franc CFA) à l’égard de l’ancienne métropole. La création d’institutions continentales et de communautés économiques régionales telles que la CEDEAO a certes permis certains progrès à l’échelle de l’intégration des marchés, mais dans chaque État demeurent des forces économiques et financières exogènes ou étrangères qui se partagent les différents marchés locaux, nationaux, voire pluri-étatiques. Ce qui est cependant beaucoup mieux réussi, c’est l’indépendance artistique et culturelle et, plus généralement, celle de toutes ces productions intellectuelles qui font honneur aux écrivains, cinéastes et autres artistes. Ce qui en outre est important, c’est, à l’échelle de la base, l’émergence, dans les marchés et les taxis-brousse, d’une néomodernité africaine faite de métissages des différentes cultures présentes sur ces territoires, qu’elles soient « natives », « communes », « nationales » ou « internationales » (Le Roy, 1999).

2Reste enfin (mais sans doute pas « à la fin ») la décolonisation juridique et, sur ce plan, le silence est assourdissant. Par un artefact propre aux procédures de transfert des compétences vers les nouveaux États francophones, ces derniers ont hérité en 1960 de l’ordre juridique complet, soit de tous les instruments de droit privé et de droit public du colonisateur et, depuis, ils n’en sont pas sortis, ou superficiellement. Cette remarque s’applique moins aux normes législatives particulières qu’à l’idée du droit comme monopole de l’État, donc en raison de cette conception unitariste et monologique qui contredit le pluralisme des expériences juridiques endogènes au quotidien. L’enjeu de la colonisation a été, en ignorant ou récusant ces représentations juridiques endogènes, d’imposer sa civilisation juridique supposée naturellement supérieure, ce qui a, au mieux, caricaturé les pratiques immémoriales des Africains, sous le titre du droit coutumier, cela alors que la résilience des anciennes pratiques communautaires s’avère patente (Le Roy, 2019).

3Le problème qui va nous préoccuper ici est de comprendre pourquoi les élites africaines des nouveaux États ont « persévéré dans l’être » colonial et adopté en les nationalisant les instruments de leur ancienne dépendance ? Pourquoi ne pas avoir réhabilité leur patrimoine juridique non point en revenant aux âges anciens, mais pour inventer une production normative propre, en redécouvrant les valeurs communautaires qui restent non seulement présentes mais aussi vivantes et qui auraient pu renforcer et légitimer ces nouvelles productions normatives ? Pour la plupart des juristes, ils n’en ont simplement pas eu l’idée, car le monde du droit est ainsi fait qu’il occulte toute autre production normative. Il ne s’agit donc pas, pour nous, de juger leur option pour un droit exogène, mais de contribuer à leur donner l’envie ou l’intérêt d’aborder cet océan de questionnements nouveaux qui interrogent tant les limites de la conception moderne du droit importé que le sens des pratiques normatives endogènes qui sont restées ainsi ignorées depuis soixante ans et qui constituent, pour les Africains, un trésor à redécouvrir. Pour éviter cependant que cet exercice ne se transforme en une autre forme de colonisation juridique, en imposant insidieusement des valeurs et des solutions qui sont celles du chercheur étranger et non du citoyen africain, nous consacrerons une première partie à un positionnement ontologique autour d’une éthique de la responsabilité. Nous entrerons ensuite dans les contradictions de l’actuelle néocolonisation juridique en prenant trois exemples emblématiques. Enfin, sur la base des travaux de ces trente dernières années, nous proposerons d’amorcer la démarche d’une décolonisation juridique attendue – un discours de la méthode à partir des pratiques citoyennes contemporaines.

Fonder une pratique de décolonisation juridique sur une éthique de la responsabilité

4La démarche de l’anthropologue se distingue fortement de celle du juriste en ce qu’elle est science de l’autre dans sa différence, donc de la pluralité, alors que la science du droit est dominée par un monologisme qui réduit toutes les différences à l’unité imposée du concept (« la personne », « le bien », « l’État ») ou du cadre théorique de l’ordre juridique. L’« autre » que poursuit l’anthropologue peut être entendu comme l’alius latin, celui qui nous est proche, au risque de l’assimilation, ou l’alter, celui dont la différence est si marquée qu’il peut devenir concurrent ou ennemi à abattre. Notre démarche va donc osciller entre ces deux extrêmes et trouver selon chaque situation ou chaque type de personnalité une réponse adaptée. On regrette que le manque de place ne permette pas de justifier ces affirmations bien détaillées par ailleurs (Le Roy, 1999, 2017), mais l’anthropologue travaillant sur le droit ne doit pas être pris au piège de son monologisme jamais discuté, voire naïvement ignoré.

5J’avais ainsi, précédant mon premier terrain en 1969, adopté une position épistémologique qui, en l’absence de travaux sur le domaine, et donc de « bonnes pratiques professionnelles » ou de « codes déontologiques », repose finalement sur le libre choix et la décision informée du chercheur confronté à son propre « tribunal de la conscience » – ce qu’on dénomme aussi l’éthique.

Dans le labyrinthe de l’entre-deux

6Je ne suis revenu sur ces questions que récemment, lorsque j’ai partagé, fin 2008, les questionnements de mes collègues anthropologues maghrébins confrontés dans leurs trois pays à des pouvoirs plus ou moins autoritaires et où, à Sidi Bou Saïd, en Tunisie, l’éthique nous était apparue comme le dernier rempart pour justifier cette prise de distance à l’égard des injonctions des pouvoirs et le fondement de cette liberté académique que nous entendions proroger (Le Roy, 2011).

7Or, j’avais choisi en 1969 ma propre position éthique dont j’avais fait le point central de la thèse que je défendais, dans la conclusion générale de ma dissertation doctorale [1]. Ce qui me paraît rétroactivement significatif n’est pas seulement le contenu au moins atypique de cette formulation que le fait que je m’y sois tenu, sans avoir à l’invoquer explicitement tant elle a « collé » à ma pratique anthropologique. Dans la conclusion générale de cette thèse (Le Roy, 1970, p. 246), je la formulais donc ainsi :

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« Si nous pouvons admettre que les catégories du droit traditionnel ne sauraient répondre aux données techniques du développement, on ne peut présupposer que le recours intégral aux concepts civilistes français puisse mieux y répondre. C’est donc un droit authentiquement nouveau qui doit se créer pour répondre à la fois aux réalités africaines et à la technicité moderne. Le législateur sénégalais s’y est efforcé dans la loi sur le domaine national. Nous allons tirer les leçons de son action… »

9Leçons qui me vaudront une interdiction de séjour de plusieurs années au Sénégal quelques semaines après la soutenance. La formulation était pourtant prudente, mais des enjeux politiques dont je parle ailleurs (Le Roy, 2019) sont eux bien présents. J’y considère que les deux systèmes constituant l’ordre juridique post-colonial sont, en soi, insuffisants pour répondre aux nouveaux enjeux du développement qui exigent imagination et invention. Je regrette en fait que faute d’avoir été analysé en profondeur et sous l’effet de l’idéologie coloniale, ce « droit traditionnel » ait été ignoré, méprisé, en fait rejeté. Je venais d’en démontrer au long de ma thèse les virtualités positives et les concordances logiques, mais j’admets que les esprits n’étaient pas préparés à le reconnaître comme le cadre paradigmatique du nouveau droit en train de naître, la « Loi sur le domaine national » ne donnant pas les clés d’interprétation nécessaires pour la tenir comme un précédent utile. Par ailleurs, j’avais relevé les incidences négatives, souvent destructrices, du droit colonial dans le contexte du régime de la propriété foncière où le régime domanial (infra) n’a profité qu’aux élites locales, en particulier aux chefs de canton, et aux colons étrangers.

10Ainsi en suis-je venu à tenir ces deux systèmes pour des références extérieures d’un droit du développement original. Ils peuvent être des points d’entrée et de sortie de la connaissance puis de la mise en forme normative des pratiques juridiques, mais l’essentiel de la production d’un nouveau droit du développement doit être recherché dans leur entre-deux, dans cet immense espace que je désignerai plus tard comme un « droit de la pratique » (Le Roy, Hesseling, 1990) et dont je proposerai quelques éléments constitutifs en troisième partie. L’objectif est bien d’y réaliser une double compatibilité, d’une part avec les idées et besoins des autochtones, d’autre part avec le vocabulaire et les catégories sémantiques de la langue française, langue officielle du Sénégal, sans succomber aux présupposés coloniaux et à son langage technique trop marqué.

11Il serait déplacé de justifier l’usage que j’ai fait de cette position épistémique depuis mon premier article de doctrine (Le Roy, 1971) jusqu’aux contributions les plus contemporaines, sur cinquante ans de recherches scientifiques (Le Roy, 2016, 2018). Or, c’est bien durant cette très longue période que le recours à une conception « implicite et inférentielle » (Le Roy, 2020) de l’éthique s’est imposée.

12La position que je viens de décrire, représentative d’une anthropologie politique du droit, a été parfois brocardée, le plus souvent ignorée, ce refus d’entrer en discussion critique de la part des élites universitaires africaines m’apparaissant comme un oubli de leur héritage culturel chez beaucoup, comme un reniement chez quelques-uns. Quant à moi, ce bagage épistémique m’a permis de me construire une éthique de la responsabilité dans la non-intervention dont je dois dire quelques mots.

Une éthique de la responsabilité tant à l’égard du respect des différences entre cultures que de l’affirmation de notre commune humanité

13La démarche anthropologique que nous avons entrevue ci-dessus n’est pas seulement caractérisée par le questionnement du rapport entre le « moi » de l’observateur et « l’autre » dont nous avons deviné le caractère plural, entre une tendance à la ressemblance puis à l’assimilation (interprétation coloniale de l’altérité) et l’ethnocentrisme qui peut prêter aux divers communautarismes et au racisme. Pour mieux qualifier et stabiliser ces rapports, l’anthropologue – depuis Claude Lévi-Strauss (1958) mais surtout avec les analyses critiques de Robert Jaulin (Le Roy, 2003) – a travaillé le « soi » distinct du « moi » et de l’ipséité que travaille par exemple la philosophie de Paul Ricœur (1990). Pour nous, anthropologues, le « soi » représente cet ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-penser qu’on peut dénommer une culture, dans laquelle nous avons été formés (parfois déformés) et à laquelle nous nous adressons dans nos travaux scientifiques comme un réservoir d’intelligibilité, et un possible lieu d’arbitrage entre positionnements opposés.

14Mais nos expériences des « ailleurs » et des « au-delà » nous ont appris que ce référent culturel n’est ni monochrome ni unitaire comme le suppose notre expérience occidentale moderne, héritage du judéo-christianisme. D’autres civilisations ont pensé le monde à partir d’une vision bipolaire, comme dans le Li et le Fa confucéen ou dans une perspective de pluralisme, lequel commence à trois éléments ou facteurs dans le communautarisme traditionnel africain (Le Roy, 2016).

15Ainsi, de même qu’il faut distinguer entre un « autre-le même », un « autre-l’opposé » et un « autre différencié mais complémentaire », on distinguera entre un « soi unitaire », un « soi bipolaire » et un « soi plural ». Le « moi » observateur aura-t-il la capacité de choisir, entre trois positions, celle qui semble le mieux convenir à ses intentions et propos. Entre un « moi-je » égocentrique à la Lévi-Strauss et un « moi-nous » plus rassembleur mais prêtant à l’assimilation, une thématique de l’éthique devrait privilégier, quand on aborde la question de la décolonisation juridique, le « moi-ils ». « Ils » doit être constamment distingué du « Nous » car, selon une formule dont j’usais avec mes étudiants, « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ».

16Comme on l’a suggéré ci-dessus, cette éthique de la responsabilité s’appliquera non seulement au respect des différences entre cultures mais aussi à la réaffirmation de notre commune humanité, ce qui suppose de mobiliser la théologie des droits de l’homme. Question immense, surtout dans le contexte africain (Le Roy, 2015b). Dans un cadre libanais, j’avais formulé les observations suivantes, qui peuvent servir de transition vers la deuxième partie de notre propos.

« La théorie “moderne” des droits de l’homme reste notre horizon mais son axiologie doit être enrichie pour tenir compte des obstacles et enjeux de leur appropriation en ce début du xxie siècle quand la différence culturelle devient incontournable et qu’à une multiculturalité doit être associé un multisensus des droits de l’homme. Car, alors, on ne se convertit plus aux droits de l’homme comme s’ils étaient quelque nouvelle religion. On travaille, parfois au corps à corps, les différences et les ressemblances culturelles et idéologiques pour découvrir, ensemble, des modes de vie et des voies pacifiées dans des relations qui peuvent être centenaires ou millénaires mais qui ouvrent à des droits et obligations renouvelés.
Il nous faut donc revitaliser la structure relationnelle qui “fait société” en la reformalisant selon un principe de structure qui assiste ce mouvement sans assigner des solutions qui n’auraient pas été choisies si elles ne sont pas endogènes ou endogénéïsées et qui ne peuvent dès lors être assumées.
L’explication superpose ici deux cadres théoriques qui se recoupent sans que leurs auteurs en aient conscience. Le premier est la théorie des communs (commons) en pleine renaissance (Bollier, 2014 ; Dardot, Laval, 2014 ; Le Roy, 2015), et le second cadre théorique est la durabilité et le développement durable que la crise climatique actuelle rend si prégnants (Bouard et al., 2015).
Ces deux cadres théoriques nous informent que les références de la modernité sont dépassables et même en voie d’être dépassées. Ils nous disent aussi qu’au-delà de “faire société” (gérer paisiblement nos relations), il faut “faire commun”, en anglais commoning, c’est-à-dire prendre en charge à l’échelle opportune la gestion des ressources par des modalités débattues entre soi (bénéficiaires ou usagers) et sans attendre des solutions étatiques ou l’avis des marchés financiers. À une société fondée sur l’échange généralisé, donc sur le capitalisme plus ou moins exacerbé, il faut préférer une société de partage, une notion bisémique qui désigne à la fois la séparation et la réunion ».
(extrait de Le Roy, 2015b)

17Voilà du matériel pour la poursuite d’une reconsidération de ce qui fait « droit » dans une société et, ainsi, une petite lampe pour nous indiquer un long chemin.

Trois héritages coloniaux, radicalement étrangers au corpus notionnel et institutionnel communautaire endogène

18La vie juridique officielle en Afrique francophone offre une large palette d’exemples de concepts juridiques mobilisés en se substituant à des catégories rectrices de la vie communautaire, lesquelles sont le plus souvent ignorées faute d’un simple intérêt intellectuel et politique pour ces sujets. Les choix suivants relèvent d’abord de convenances personnelles. Ils ont été au centre de mes recherches fondamentales et appliquées. Ils devront être lus en comparaison/confrontation des réponses endogènes que j’ai travaillées et dont je donne les références pour l’information du lecteur.

19Une théorie de la souveraineté de l’État fondée sur un monologisme d’héritage judéo-chrétien, à l’opposé de la conception polycratique communautaire.

20À travers des mythes et pratiques politiques endogènes, les Africains ont illustré une théorie de pouvoirs multiples, spécialisés et interdépendants, que j’ai qualifiée de polycratie et dont je donne une référence récente (Le Roy, 2017b) pour concentrer mon analyse épistémique sur son antonyme, une théorie monologique de l’État.

21Même si beaucoup d’auteurs ont pris des distances à l’égard de la théorie de l’État selon Olivier Beaud, qui s’en désole (2003, p. 263), ou que le modèle de l’État unitaire est loin d’absorber toutes les expériences contemporaines, l’objet « souveraineté » me paraît de portée cruciale, en tant que concept-recteur de la théorie du pouvoir suprême telle qu’elle s’est façonnée depuis trois millénaires dans l’espace euro-méditerranéen, puis de part et d’autre de l’Atlantique.

22Le lien entre la souveraineté et l’État est affiché très tôt dans la théorie moderne de l’État naissant. Loyseau, par exemple, dans son Traité des seigneuries, affirme que « la souveraineté est du tout inséparable de l’État. La souveraineté est la forme qui donne l’être à l’État » (cité par Maulin, 2003, p. 1438). Reformulant la pétition, on dirait maintenant que la forme de l’État est donc déterminée par ce qu’on entend par souveraineté (« pas d’État sans souveraineté », dit par ailleurs Olivier Beaud), même si Éric Maulin a la sagesse de conclure que « la forme de l’État souverain n’est, dans l’histoire, qu’un moment de l’organisation politique » (ibid.), ce que nombre d’auteurs semblent oublier. Peut-être sont-ils influencés par cette maxime de Jean-Jacques Rousseau qui affirmait en son temps que « la souveraineté est une ou elle n’est pas ». C’est une forme si dominante actuellement qu’il n’est possible ni de sous-estimer le rapport entre souveraineté et État ni ce qu’induit encore maintenant la très ancienne théorie de la souveraineté.

23Le rapport entre souveraineté et État est systématisé ainsi par Éric Maulin :

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« La souveraineté sert à qualifier la volonté supposée du titulaire légitime de la puissance en signifiant, premièrement, que cette volonté n’en connaît pas de plus haute et, deuxièmement, qu’elle s’impose avec une force supérieure à toutes les autres volontés. En ce sens, le souverain est la source de la force obligatoire de tout le droit positif, même s’il n’en détermine pas le contenu […]. La souveraineté signifie donc le pouvoir exclusif de son titulaire de composer ou de modifier l’ordre juridique […]. La souveraineté du monarque, du peuple, de la nation se présente ainsi à la fois comme un droit naturel et comme la source du droit positif ».
(2003, p. 1435) [2]

25Il en découle trois attributs : l’unité, l’indivisibilité et l’inaliénabilité, et particulièrement cette unité qui est en fait première non seulement dans l’ordre des attributs de la souveraineté, mais dans la cohérence logique et téléologique de la souveraineté, comme le révèlent ses origines religieuses hébraïques.

26Mathieu Altbuch, interrogeant ces origines et l’influence actuelle du divin sur l’État et la vie internationale, note, entre autres : « [A]u fondement des idées de souveraineté et d’État telles qu’entendues aujourd’hui, les théoriciens majeurs de ces deux notions se sont abondamment nourris de l’idée de Dieu […] considérée au sens le plus large de telle sorte que c’est plus précisément l’idée du divin monothéiste qui est ici envisagée et ont appuyé leur pensée sur le corpus biblique » (2013, p. 47). « Dans la tradition biblique et rabbinique, la royauté (malkhout) caractérise Dieu, faisant du divin le souverain unique, les souverainetés terrestres n’étant donc que temporaires et limitées. […] (L)’affirmation de la souveraineté divine est à la fois un des principes les plus essentiels de cette pensée et un instrument essentiel de compréhension de la pensée biblique, tout en n’étant pas la seule » (idem). La pensée chrétienne introduira ensuite une certaine dualité apparente et donc une concurrence entre ce qu’on doit rendre à César et ce qu’on doit rendre à Dieu, corrigée par l’affirmation de la supériorité divine, car « l’unité est l’essence de la toute-puissance divine, [donc] n’est pas de la même nature que l’unité du pouvoir politique des hommes » (Altbuch, 2013, p. 48). Depuis le décret de Gratien (vers 1148 ap. J.-C.) est posé le principe que « rien n’est juste ni légitime dans la loi temporelle que les hommes n’ont tiré de la loi éternelle » (2013, p. 49). Et lorsqu’on remplacera loi éternelle par loi naturelle, on aura trouvé ce principe unitaire de clôture sommital du système pyramidal qui fondera tant le droit positif en général chez Kelsen que le droit constitutionnel en particulier. Or, c’est bien cela qui interdit, au Mali en particulier, de sortir du modèle unitaire type Ve République française pour construire une véritable « Union du Mali » basée sur la complémentarité des différences et non plus sur leur effacement (Boilley et al., 2015).

La généralisation de la propriété foncière à partir de l’exemple malien

« La modernité qu’expérimentent les Africains ne devrait pas recopier des précédents exogènes quelle que soit l’efficacité des dispositifs politiques et économiques mobilisés, sans de bonnes raisons, oubliées. En effet, globalement, les stratégies foncières initiées depuis le début du xxe siècle par la France au Soudan devenu Mali ont échoué et la propriété privée de la terre n’est toujours pas le mode majoritaire d’organisation des relations des Maliens à la ressource. Cependant, la tendance, sans doute anarchique, est nettement à l’exercice de droits de plus en plus exclusifs et à des pratiques déguisées de locations à long terme et de ventes qui indiquent très clairement que des évolutions sont en cours vers une extension des échanges marchands et capitalistes (Le Roy, 2020). Mais ces évolutions s’inscrivent dans un pluralisme normatif toujours revendiqué […].
Est en cause la conception de la domanialité qui a présidé aux choix de politique foncière depuis le début de la colonisation française du Soudan. Le Code civil des Français de 1804, introduit officiellement au Sénégal et dépendances (donc au Soudan) en 1830 mais pratiquement à Saint-Louis dès 1805, ne reconnaît que le seul droit de propriété privée dans le contexte d’une société à État centralisé, inventant le capitalisme et de plus en plus bourgeoise et individualiste. Durant tout le xixe siècle et en particulier durant le dernier quart de siècle après la période de conquête militaire et dans le cadre de l’organisation de la domination coloniale, la question de l’existence ou non d’un droit de propriété au profit des “Indigènes” partage la doctrine juridique et le monde politique métropolitain. Au tournant du siècle, cette doctrine, sous la plume de P. Darreste (1908), se prononce clairement en relevant que non seulement le droit de propriété n’était pas concevable traditionnellement mais aussi que les modes endogènes de sécurisation suffisaient largement à répondre aux besoins des “Autochtones”, même en situation de diffusion des rapports marchands. Cette seconde conclusion sera cependant oubliée et l’idée s’impose que les exigences de la “civilisation”, celle du colonisateur en fait, nécessitent d’introduire la propriété privée de la terre là où il n’existe que des droits jugés vagues et incertains, contraires aux besoins du commerce et de l’industrie naissante. Et pour répondre à cet objectif, on va utiliser deux inventions récentes, l’immatriculation des droits au livre foncier et la théorie de la domanialité de l’État.
L’immatriculation des droits au livre foncier est aussi connue sous le nom de système Torrens, du nom du fonctionnaire britannique d’Australie méridionale qui inventa en 1850 l’inscription des coordonnées et des superficies puis des droits exercés spatialement sur des registres tenus par l’administration coloniale. Elle assure une sécurité réputée absolue à toutes les transactions affectant les droits sur le sol et ses ressources. Ignorant les sociétés aborigènes et leurs représentations odologiques de l’espace (représentations qu’on retrouve chez les pasteurs peuls ou tamatchek au Mali), le sol de l’outback, l’immensité désertique de l’intérieur de ce continent était réputée res nullius, la chose de personne, et ainsi appropriable par le premier venu selon la doctrine juridique européenne des xviie et xviiie siècles. Or, tant pour ces Aborigènes que pour les Soudano-Maliens, le sol n’est ni une chose librement appropriable ni un bien librement négociable et aliénable. C’est un patrimoine communautaire inscrit dans des représentations sociales, politiques et religieuses qui le rendent exo-intransmissible, c’est-à-dire impossible à transmettre discrétionnairement à l’extérieur du groupe.
Mais c’est cela qui, selon le colonisateur, est et doit être ignoré par les politiques juridiques et par les opinions publiques de la métropole si on veut facilement mobiliser la terre dans des “procès de production” dominés par la loi de la valeur d’échange, donc selon les exigences du capitalisme et du marché généralisé. Bref, en faire un bien. Pour cela, on réinterprète la théorie médiévale européenne du domaine, caractéristique du système féodal, distinguant le domaine éminent, celui du seigneur, et le domaine utile, celui des manants.
Certes, la transposition des concepts du féodalisme européen sur le continent africain est hasardeuse d’un point de vue historique et ethnographique, mais le couple droits éminents/droits utiles est commode pour asseoir la prétention de l’État colonial, naturellement éminent, à contrôler l’affectation des terres pour réaliser au moindre coût les infrastructures territoriales nécessaires et mettre à la disposition des coloniaux les surfaces qu’exigent leurs conceptions de la “mise en valeur”. En reconnaissant des droits dits utiles aux occupants immémoriaux, la politique coloniale ne modifie pas directement le partage des espaces et les modes “traditionnels” de gestion, mais elle se réserve la possibilité de le faire au titre des exigences, faussement vertueuses, de la “civilisation”, exigences dont on a déjà dit qu’elles sont associées à un progrès “qu’on ne saurait refuser” ».
(extrait de Le Roy, 2020)

27Un modèle judiciaire qui a oublié au moins la moitié de la société malienne. Poursuivant notre état des lieux, nous découvrons une autre institution régalienne tout aussi discutée, voire contestée, que l’administration domaniale, et dont tant la place dans la société malienne que son rôle dans l’apaisement, voire l’apurement, des différends sont essentiels. Pourtant, avant d’approfondir la crise de l’institution moderne de la justice, nous allons privilégier ce qui est usuellement oublié au nom d’autres bonnes ou mauvaises raisons qu’on dénommait « principes de civilisation », puis « exigences du développement » et qui ne sont que des arguments rapiécés pour couvrir l’indigence des politiques menées depuis plus d’une centaine d’années. D’où notre démarche qui se concentre sur un modèle colonial qui perdure avant d’en apprécier les effets délétères face aux enjeux d’une réforme judiciaire, puis les réponses de la société civile dans les interstices locaux.

28Une matrice coloniale qui perdure, avec la résilience des réponses des sociétés locales. On ne saurait oublier, comme je l’avais développé dans mon ouvrage Les Africains et l’institution de la justice (Le Roy, 2004, p. 155 et ss.), que la matrice coloniale était dérogatoire des principes généraux du droit propres à toute démocratie digne de ce nom et que l’organisation judiciaire était amenée à servir un régime qui ne pouvait, vu les circonstances de temps, de lieux et de personnels, être qu’autoritaire. Les magistrats formés à l’École coloniale étaient au service de l’autorité territoriale représentée par le gouverneur et sans les garanties de carrière propres à la métropole depuis les débuts de la colonisation directe de l’Afrique de l’Ouest. On peut ajouter que le deuxième caractère de cette justice coloniale est qu’elle est discriminatoire (entre les citoyens et les sujets) et parfois raciste et que la condition pour bénéficier de la « justice du blanc » était d’adhérer à ses comportements, ses modes de vie et de consommation et ses valeurs dites civilisatrices. Cette exigence d’indispensable adhésion aux valeurs des élites n’a cessé de se reproduire depuis. Enfin, la fonction judiciaire est détournée par et vers l’administration et la permanence de l’ordre public, en particulier pour ce qui concerne la justice dite indigène où l’intervention de l’administrateur faisant fonction de magistrat est discrétionnaire dans le contexte du code de l’indigénat (Le Roy, 2004).

29Nous allons successivement suivre Claude Fay au Maasina (Macina), donc en pays peul, et Moussa Djiré en pays bambara, qui nous présentent des exemples de pérennisation de réponses locales dans un contexte post-colonial, jusqu’à la période contemporaine.

30Au Maasina. Claude Fay résume ainsi sa problématique : « Au Maasina, l’administration coloniale a été rapidement confrontée à la complexité des mondes locaux fortement stratifiés. Tout en reconduisant partiellement le pouvoir des aristocraties précoloniales, elle a tenté de penser cette complexité et énoncé un certain nombre de paradigmes sur les rapports entre la tradition et la loi. Elle a défini des rôles entre ces deux pôles, désigné des acteurs sociaux qui les incarnaient, mis en place des conceptions orientées de la communauté, des solidarités, de l’histoire et des pouvoirs. […] [C]es paradigmes et conceptions […] ne dessinent-ils pas une matrice symbolique particulière qui est restée active dans la gestion post-indépendance des mondes locaux par l’État […] » ? (Fay, 2005, p. 143).

31Au terme d’une remarquable présentation de la théorie peule des pouvoirs multiples, spécialisés et interdépendants dans le delta intérieur du Niger, qui intéresse cependant plus une analyse des structures foncières que la justice, ce chercheur décrit les pratiques de conciliation découlant des modes de règlement des conflits dans le contexte de la réforme de la décentralisation depuis 1996. Claude Fay ne parle que des expériences issues du premier cercle d’exercice, celui de la commune, où « la logique factionnelle s’est maintenue » (p. 155). « Cette logique a eu ses effets principalement dans l’ordre de la hiérarchisation des pouvoirs. Les mairies ayant initié (en vertu du statut d’officier de police judiciaire du maire) des séances de conciliation ont reconduit ce jeu en rejetant la coutume dans le symbolique mais en en conviant sur le terrain et en son nom les pouvoirs “déstratifiés”, dans une redistribution paradoxale des rôles. La décentralisation ne le reformule-t-elle pas largement, sur fond d’un idéal à la fois impérial et démocratique, en voulant reproduire “de la coutume démocratique” à partir d’une histoire impériale […] ? » (p. 157-158). Dans ce contexte, « les protagonistes se dirigeaient généralement d’abord à la mairie s’ils appartenaient à la faction du maire, plutôt chez le DG (délégué du gouvernement, devenu ensuite sous-préfet) s’ils n’y appartenaient pas » (p. 156). Puis le processus s’est compliqué et les affaires ont rebondi de la mairie au DG pour remonter vers les instances judiciaires du cercle puis de la région en cas d’appel : « Dans presque tous les cas, les trois instances prononçaient le même verdict (ou avis puis verdict) mais les conflits semblent durer encore plus longtemps qu’avant » (ibid.). La particularité des conflits étudiés par Boubacar Ba et l’urgente nécessité, selon Catherine et Olivier Barrière, de privilégier un ordre foncier fondé sur un paradigme patrimonial endogène [3] induisent de privilégier une démarche de prévention et un ordonnancement négocié.

32À Sanankoroba, une zone périurbaine de Bamako, en pays bambara. Moussa Djiré remarque, au terme d’une belle recherche de terrain, que « l’espace villageois est le théâtre de conflits de tous genres. Mais sa spécificité par rapport à l’État, c’est d’y trouver des solutions durables fondées sur la négociation et la reconnaissance de la légitimité des institutions locales […] » (Djiré, 2005, p. 58).

33La clé d’une telle efficacité est à rechercher dans le blon ou vestibule. « Le conseil des anciens, également appelé Vestibule des anciens ou tout simplement Vestibule, est la véritable instance de prise de décision au niveau villageois. Il n’est pourtant nulle part évoqué dans les codes des collectivités, qui font plutôt référence aux conseillers de villages élus. Le Vestibule jouit d’une grande légitimité, liée pour une part à sa composition et, pour une autre, aux modalités de prise de décision. En principe composé du chef de village et des patriarches des différents clans, il siège chaque fois que des problèmes d’intérêt villageois le nécessitent. La composition du Vestibule n’est cependant pas figée […]. Dans l’exercice de son pouvoir, le Vestibule s’appuie sur les groupes d’âge ou séré. Un groupe d’âge regroupe les hommes ou les garçons de la même génération circoncis à la même date. […] À la tête de chaque groupe d’âge se trouve un chef qui est obligatoirement ressortissant d’une famille autochtone. Tous les groupes d’âge sont placés sous l’autorité du groupe de “jeunes” le plus âgé, appelé groupe d’âge ou génération au pouvoir. Il a la charge, jusqu’à ce qu’il soit relevé par le Vestibule, non seulement de mobiliser les jeunes lorsque des travaux collectifs doivent être réalisés mais également de veiller au maintien de l’ordre social, sous la conduite de son chef, le tontigi » (Djiré, 2005, p. 39-40).

34Sans pouvoir ici rendre compte des modes de règlement des divers conflits détaillé sur une vingtaine de pages, nous considérerons directement les conclusions. Dans le contexte d’une « société pluraliste [où] le droit est pluriel […] le caractère exogène du droit et de l’organisation judiciaire officielle des pays africains, tant souligné par de nombreux auteurs, est une réalité qui affecte sérieusement son effectivité. […] Il n’est pas question de vivre sans État, mais de réussir une adéquation entre le niveau national et le niveau local, de réconcilier le citoyen avec l’État […] sur le terrain de l’adaptation et de la réforme » (2005, p. 60). Ces sages préconisations que nous retrouvons en conclusion générale ne sont cependant toujours pas concrétisées.

35Le report délétère d’une réforme judiciaire qui doit affronter une réalité plurielle. En novembre 1997, le Mali inaugurait des concertations régionales devant déboucher sur un « forum de la justice » et dont rendait compte le journal Cauris hebdo parlant de « l’incompréhension par le justiciable des décisions rendues (dont il conteste très souvent les exécutions et qui a recours à la justice privée comme mode d’expression) en passant par les problèmes rencontrés par les opérateurs économiques du fait de décisions contradictoires émanant souvent de la même juridiction » (Le Roy, 1997). Les lenteurs de la procédure, le délabrement des locaux ou le caractère obsolète du matériel sont des dimensions bien connues d’une critique des conditions de travail des magistrats dont on déplore la corruption et la concussion, avec pour réponse à ces deux critiques des justiciables nationaux et des entrepreneurs internationaux toujours plus de mimétisme dans le recopiage des modèles étrangers, en particulier le droit dit OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) : « Ce sont les impératifs de la mondialisation qui doivent justifier la permanence du processus d’occidentalisation » (Le Roy, 1997, p. 315). Cependant, si l’origine des textes et des principes judiciaires pose problème, l’intervention imprévisible des magistrats en pose un autre, non moins redoutable car il y est question de la perte du sens de l’honneur et des responsabilités des piliers de l’État de droit.

36Me Boubacar Sow écrit à propos du rapport à la terre que les conflits fonciers (encore eux !) « et la crise ainsi engendrée ont créé une soif et un besoin urgent de justice foncière. Un journal exprimant l’impatience et le mécontentement des Maliens affirmait “que nos compatriotes ont soif de justice et le font savoir à chaque occasion. Et pour se faire entendre, ils peuvent choisir la manière forte”. […] Aujourd’hui, n’ayant plus foi en la justice étatique formelle jugée décevante et corrompue, les populations urbaines en sont arrivées à prendre en main leur destin foncier […]. Ce fut le début de la résistance citoyenne » (2016, p. 264-266).

37La gestion des conflits dans les interstices de la société. Si la justice est marquée par le mimétisme à l’égard du modèle colonial au niveau des textes et des principes de structures, elle est l’objet de métissages habiles mais discrets dans les pratiques au quotidien. La grande difficulté tient à l’informalité (au sens du caractère non officiel) des dispositifs fondés sur un droit de la pratique locale qui interviennent extra legem, hors la loi, produisant ainsi un effet analogue à celui d’un désert judiciaire sous la forme d’une sahélisation anarchique du règlement des différends, entre charia et droits coutumiers, et au profit des grands trafiquants et des djihadistes.

38On voit apparaître puis se populariser en Afrique de l’Ouest des associations de la société civile comprenant des professionnels du droit, souvent jeunes et en situation de probation avant d’intégrer les études et cabinets des centres urbains, avec des engagements idéologiques au service des populations locales plus ou moins démunies. Leandro Varison, anthropo-juriste brésilien, a conduit une enquête auprès de la concertation nationale qui au Mali encadre les parajuristes. Il s’agit de villageois qui sont choisis par leurs communautés pour être initiés au vocabulaire et aux procédures du droit au quotidien et qui pourront ainsi apporter des explications de base sur le sens des mots et les enjeux des procédures. « Il s’agit d’une conception du droit qui, sans refuser ni l’ordre juridique étatique ni les coutumes locales, les intègre de façon critique pour essayer de rendre une citoyenneté active et consciente aux personnes concernées par son action » (Varison, 2010, p. 89). Il s’agit aussi d’une approche pédagogique fondée sur une volonté d’émancipation par l’appropriation du droit.

39Selon Varison, « la pratique montre que l’opposition du droit de l’État aux règles coutumières s’est révélée non seulement inefficace, mais aussi délétère. L’imposition des valeurs occidentales méprise la culture locale et engendre des résistances violentes, des refus au dialogue et des fermetures à tout ce qui vient de l’extérieur. La radicalisation de certains mouvements islamistes illustre bien cet effet […] » (p. 97). Il s’agit donc d’une « domestication » au sens quasi originel des idées du droit positif malien à partir et en fonction des standards de la coutume, de ses mots mais aussi de ses représentations. Il s’agit à la fois de requalifier cette pensée coutumière à l’aune des pratiques de maintenant et de transposer le droit de l’État aux besoins locaux sans reproduire son impact ethnocidaire. C’est faire prévaloir « des pratiques reconnues et lisibles par les Maliens (et, en ce sens, officielles), mais qui sont rejetées par la raison juridique de l’État malien. […] Dans le parajuridisme, la conception stato-centrée du droit est remplacée par une autre qui est d’abord thérapeutique : le droit permet de guérir. Dans cette optique, le droit permet de soigner tantôt l’individu lui-même, tantôt les liens qu’il entretient avec autrui et avec la société » (p. 99). Et pour cela, le parajuriste recourt à la médiation, privilégie le dialogue et cherche la solution avec les parties et non à leur place (p. 103).

40Sans doute les relations avec les institutions officielles ne sont-elles pas toujours simples et faciles mais les complémentarités sont nombreuses et les parajuristes peuvent faire donner force exécutoire des médiations par des juges de proximité. Cependant, la professionnalisation et la bureaucratisation sont, comme en France pour les médiateurs indépendants, des risques de dévoiements qu’il faudra surveiller.

41Sans être la panacée de tous les problèmes, cette expérience rapportée par Leandro Varison illustre non seulement la possibilité de décoloniser le droit au Mali mais aussi le fait que des Maliens se sont déjà mis au travail dans ces grandes manœuvres de la refondation de la justice.

Quelques pistes pour initier la décolonisation juridique

42Je reprendrai d’abord quelques observations que j’ai présentées sur ce sujet aux États généraux de la culture de Bamako de 2017, puis des tableaux tirés des Africains et l’institution de la justice donnant des formes à ce nouveau droit africain naissant.

43Préconisations présentées aux états généraux de la culture de Bamako, en avril 2017. Le droit n’est pas un simple outil de mise en forme certaine des accords de volonté individuels ou collectifs. Il traduit une vision du monde et le droit colonial, reconduit en 1960, exprimait la vision de sociétés individualistes, étatistes et capitalistes, ce que ne sont toujours pas devenues les sociétés africaines, même si des transformations profondes sont en cours, qui sont irrécusables et doivent être accompagnées pour contribuer à la reconnaissance d’une modernité authentiquement africaine qui s’invente au fil des jours, entre cris et chuchotements, sur les stades et les marchés, dans les taxis-brousse ou les délibérations des organes municipaux. Mais comment ?

44L’Afrique est donc malade de ses institutions et c’est la manière « monologique » de les penser, la réduction de la diversité à l’unité imposée d’une instance ou d’une institution, qu’il faut d’abord changer, pas simplement leur contenu. L’affaire est grave, la chirurgie délicate, mais l’espoir de guérison doit stimuler nos audaces. Le remède est apparemment simple et en plus opportun car le reste du monde commence à redécouvrir, mondialisations obligent, la gestion plurielle de la complexité, par exemple à travers la renaissance planétaire des communs (Le Roy, 2019). L’Afrique doit renouer, de manière originale et créative, avec son propre génie juridique, lequel était fondé, comme dans tout communautarisme, sur le pluralisme normatif. En outre, des précédents existent, à exploiter ou à discuter, ainsi dans des pays musulmans francophones, comme le Niger qui a su maîtriser sa gouvernance foncière sur des bases endogènes ou les Comores qui ont aménagé une « Union », plutôt qu’un État unitaire.

45La démarche qui sera à mettre en œuvre pour contribuer à l’enrichissement des connaissances sur les processus de décolonisation pourra reposer sur les principes suivants :

46A – Préférer la complémentarité des différences, donc une acculturation positive au principe du contraire que la philosophie aristotélicienne avait privilégié. Par son appartenance à de multiples groupes qui peuvent relever de mondes diversifiés, l’individu profite d’identités plurielles qui sont une condition de sa sécurité en société. L’homme malien est riche de ses parentés, des alliances et des réseaux auxquels il participe. La pluralité des mondes est pour lui une expérience quotidienne à la base du « vivre-ensemble ».

47B – Rechercher dans les contextes agonistiques de luttes et de conflits des solutions relevant du multisensus plutôt que du consensus où une partie peut renoncer de manière excessive à des attentes formulées légitimement. Par multisensus on entend construire une décision dans laquelle les intérêts des uns et des autres soient pris en compte, avec leurs logiques et leurs représentations. C’est ici l’esprit des palabres qu’il s’agit de retrouver pour renouer, dans un vrai contexte de pluralisme judiciaire, avec la manière communautaire de « faire société ». Cela suppose également d’adopter les modes négociés de règlement des différends, médiation et intermédiation.

48C – Pratiquer la subsidiarité des solutions étatiques selon une démarche dite dans l’anglais du développement bottom up, privilégiant la décentralisation effective, la base locale et la démocratie participative à chaque fois que la décision permettra le multisensus et l’adhésion large des populations aux choix de politiques publiques.

49D – Reconnaître la place et la part du paradigme du partage (plutôt que celui de l’échange à la base du fonctionnement du marché) à chaque fois qu’il sera nécessaire de gérer des communs, en particulier pour « faire commun » (ou commoning).

50E – En conséquence, il faudra apporter une attention soutenue aux logiques fonctionnelles selon le critère des services rendus, sans mésestimer les logiques institutionnelles propres à la sphère étatique. Il conviendra donc d’accepter une conception ample de la juridicité qui se méfie d’une approche étriquée du droit positif (Le Roy, 2019b).

Des ressources normatives à mobiliser

Le tableau ci-dessous est la synthèse des avancées des Africains et l’institution de la justice (Le Roy, 2004). Il est ensuite commenté sur la base du modèle du jeu des lois (JdL) (Le Roy, 1999).
Tableau 1

Comparaison des modes infra-étatiques de règlement des conflits

Tableau 1
Régulations juridiques Critères JdL Coutume endogène A Droit coutumier B Non-droit populaire C Droit local D Droit de la pratique E Statut des acteurs 1 Membres de la communauté Sujets coloniaux divisés en en ethnies/tribus Habitants du voisinage Membres d’une collectivité locale Clients et bénéficiaires Ressources M H I 2 Insignifiantes, tout le groupe, initiations Amendes pénales, corvées, indigénat Armes, leadership du meneur/tribun Impôts, salariat, législation Courtage juridique Conduites 3 Stratégies de mobilisation/reproduction du groupe Stratégies de subordination/domestication Tactiques cathartiques de réactions violentes Tactique participative, stratégie intégrative Stratégies de recrutement Logiques 4 Fonctionnelle, holisme Institutionnelle, modernisation, autoritarisme Fonctionnelle, élimination des déviants Institutionnelle centralisation/décentralisation Fidélisation Échelles d’espaces 5 Espace topocentrique de la communauté Topocentrisme fort du tribunal coutumier Espace odologique, aire partagée Espace géométrique, circonscription administrative Espaces topocentrique, odologique Échelles temporelle (processus) 6 Très long terme (mégaprocessus) moyen terme (micro ou mésoprocessus) Très court terme (microprocessus) Long terme (macroprocessus) Moyen à long terme Forums ou arènes de règlement 7 Lieu usuel de réunion Maison de justice/résidence de l’administrateur Lieux publics (spécialement les marchés) Maison commune et juridictions nationales Résidence du courtier au siège association Ordonnancements sociaux 8 Négocié/accepté Imposé, parfois négocié en f Contesté/accepté Imposé/négocié Accepté/négocié Enjeux globaux 9 Reproduction par différenciation Domestication de l’autorité, indigène Survie face à l’informel Citoyenneté et État de droit Gérer les espaces étatiques Règles du jeu pour des Africains 10a Invisibilité à l’égard de l’État Contournements/détournements Mobilisation/dispersion/dissolution Démocratie représentative (élections) Substitution à un État défaillant Institutions, règles du jeu du colonisateur 10b Instances dites indigènes ou traditionnelles Tribunaux coutumiers Juridictions parallèles des meneurs Organes délibératifs Politique de l’autruche

Comparaison des modes infra-étatiques de règlement des conflits

Légende et commentaires
Les cinq systèmes juridiques A, B, C, D, E, respectivement coutume, droit coutumier, droit populaire, droit local et droit de la pratique, ont été définis dans Le Roy (2004). Les données en colonnes en proposent les principales caractéristiques pour expliquer leurs modes de mobilisation dans les différentes juridictions de la dernière ligne du tableau.
Les catégories des lignes 1 à 10 sont donc empruntées au jeu des lois (Le Roy, 1999) qui, dans sa première partie, chapitre par chapitre, en fait une présentation détaillée. On y renvoie donc le lecteur soucieux d’un approfondissement du modèle. Les quelques indications suivantes sont destinées à lever les principales ambiguïtés.
1. Statuts des acteurs. Il s’agit des positions juridiques des intervenants dans les processus de règlement des conflits résultant de leurs rôles sociaux. On pose ici la multiplicité des appartenances à des groupes différenciés, donc la pluralité des statuts et « des mondes » dans lesquels ils s’inscrivent.
2. Ressources. On entend par là les moyens utilisés et les supports de l’action pour y parvenir. Les ressources peuvent être matérielles (M), humaines (H) ou intellectuelles (I) comme les connaissances, les compétences, etc.
3. Conduites. Les actions peuvent être anticipatives, se projeter selon des enjeux (case 9) dont on espère un gain (stratégies), ou réactives ou adaptatives (tactiques).
4. Logiques. Elles sont abordées ici comme des rationalisations de l’action et pour la conduire ou la justifier. Depuis les travaux de M. Alliot, on distingue, au plus simple, entre logiques institutionnelles (que nous retrouverons principalement en étudiant l’institution de la justice) et logiques fonctionnelles, fondant le droit « réaliste » endogène puis toutes les formes du « droit de la pratique ».
5. Les échelles spatiales. On parle le plus souvent d’échelles spatio-temporelles, la relation entre l’organisation de l’espace et celle du temps étant très générale. On distingue d’abord une représentation moderne (case D5 « R. ») de nature géométrique en ce sens qu’elle est basée sur la capacité de mesurer (metros) le globe terrestre (gé/geos) et qu’elle est à la base de la propriété privée et de la souveraineté politique. Les autres sont des relations prémodernes et postmodernes, fondées sur des conceptions topocentrique et odologique, où ce sont un point (topos) ou un cheminement (odos) qui déterminent les formules d’organisation de l’espace.
6. Les échelles de temps et processus. Les processus sont des ajustements de conduites selon une durée et pour produire un résultat. Ils peuvent être approximativement de court terme (moins d’un an), moyen terme (cinq ans), long terme (trente ans), très long terme (cent ans et plus). De ce fait, on parlera respectivement de microprocessus, mésoprocessus, macroprocessus et mégaprocessus.
7. Les forums. Ce sont les lieux d’échange, de confrontation, de décision et de règlement des conflits. Le forum romain en est l’archétype en répondant aux trois fonctions : économiques (marchés), politiques et judiciaires (tribunal de la plèbe), sociales (places de rencontre).
8. Ordonnancements sociaux. « Mettre en forme et mettre des formes » (Bourdieu) est une exigence que partagent toutes les sociétés qui doivent produire des ordonnancements particuliers. On particularise ici les ordres sociaux imposés, négocié, accepté et contesté, les sociétés en privilégiant un mais en combinant plusieurs selon la complexité de leurs montages sociaux. L’ordre imposé est évidemment l’essence du modèle colonial.
9. Enjeux. « En » « jeux », ce qui est mis dans le jeu, à la manière d’un pari, donc peut être gagné ou perdu. Les enjeux impliquent des règles (the game anglais), mais aussi une connaissance et un art de la pratique (the play). On « joue » ici sur les distinctions entre l’immédiat et le différé, le matériel et le symbolique, l’organisationnel et le pragmatisme, en les combinant à nouveau. Nous cherchons à déboucher sur « ces enjeux que la société tient pour vitaux et, qu’à ce titre, elle juridicise » (JDL, 1999, p. 161) en les sanctionnant.
10. Règles du jeu. La connaissance des enjeux et leur « mise en musique » permet d’analyser dynamiquement les contraintes et les potentialités du fonctionnement des sociétés. On a pris en compte parallèlement ici deux points de vue et qui avaient peu de chance de se rencontrer durant la colonisation, celui des Africains (10a) et celui du colonisateur (10b).
Ces « positions » supposent des statuts, puis des ressources et des conduites, et par l’enchaînement des facteurs (le modèle formel du jeu des lois étant une spirale identifiant à partir de la case 10 les règles du jeu), nous revenons à une lecture de nos paramètres, en sachant que toute modification de l’un d’entre eux entraîne l’ajustement réciproque de tous les autres.
C’est le sens du « jeu des lois ». Mais c’est aussi la loi du jeu que de voir contredites les plus belles stratégies par des facteurs irrationnels, la poisse, l’angoisse ou la foi, ou par plus fort que soi. C’est l’aventure que va connaître l’institution judiciaire lors de ce que nous avons appelé « l’odyssée de l’État », tentative non achevée, peut-être inachevable, de transfert du modèle (occidental) de société et de ses institutions.

Conclusion : vers un grand « magasinage » juridique ?

51Le terme « magasinage » est québécois et désigne une pratique de chalandisation dans des centres commerciaux où toutes les attentes des usagers sont réunies en un même lieu : à eux la liberté de remplir leurs paniers selon leurs besoins sur le moyen terme car les hivers sont rudes et les sorties limitées. Les juristes africains, au terme de cette présentation, peuvent se sentir en situation de magasiner tant aux rayons du droit positif que pour ce qui relève des pratiques normatives décrites précédemment et qu’on tiendra ici pour des habitus ou systèmes de dispositions durables relevant de la résilience communautaire.

52Il s’agit de contribuer à l’émergence d’une néomodernité africaine par un forum shopping, selon une expression consacrée chez les anthropologues du droit, où deux lectures de l’avenir des processus juridiques à l’œuvre peuvent être empruntées avec, naturellement, des effets et des bénéfices différents.

53La première démarche est celle qu’adoptent classiquement et spontanément les juristes quand ils tentent d’introduire le pluralisme dans leurs explications. Il s’agit d’un pluralisme classique que l’on peut aussi qualifier de « doux ». Il respecte le primat de l’État et ainsi devra tenter d’intégrer dans leurs cadres normatifs et légaux les habitus communautaires. C’est sa force apparente mais sa faiblesse congénitale en reproduisant, avec un État fantôme (Le Roy, 2017), les conditions de l’aliénation passée.

54La seconde démarche est caractéristique d’un pluralisme radical en revenant à la racine (radix en latin) des phénomènes normatifs. Il privilégie une lecture du processus juridique partant des pratiques des acteurs avant d’en qualifier l’introduction dans la vie juridique formelle. Son matériel de base est constitué, de manière réaliste, des actes et gestes posés par les sujets de droits et interprétés dans la communauté (au sens large) selon les circonstances de temps et de lieux. Il n’aborde le droit positif et son formalisme qu’au terme d’une démarche qui passe du « faire » au « dire », pour enfin ne retenir les apports de « l’écrit » juridique et du cadre légal qu’en compatibilité avec les attentes et pratiques de tous les citoyens, donc sans oublier la part invisible de la société.

Une approche pluraliste classique où les juristes de l’État sélectionnent les régulations qu’ils introduiront dans l’ordre juridique « positif »

Tableau 2

Intervention du juriste hors de la sphère juridique propre de l’État

Formation/sanction des droitsFormation +Formation –
Sanction +Droit localDroit coutumier
Sanction –Justice parallèle, non-droit populaire et droit de la pratiqueDroit traditionnel ou endogène

Intervention du juriste hors de la sphère juridique propre de l’État

Une approche réaliste de pluralisme radical, basée sur la prévalence des gestes, actes posés et du « faire »

Tableau 3

Faire, dire, rédiger la norme juridique

Tableau 3
Mode d’expression normatif Forme privilégiée Support Ordonnan-cement Autorités Actualité Faire Geste posé SDD Accepté Sachants Experts Dire Dialogisme MCC Négocié Coutumiers Médiateurs Écrire/rédiger Légistique NGI Imposé Hommes de loi Rédacteur parlementaire

Faire, dire, rédiger la norme juridique

SDD : systèmes de dispositions durables.
MCC : Modèles de conduites et de comportements.
NGI : Normes générales et impersonnelles.
Les explications complémentaires seront trouvées dans Le Roy (2020). Ces deux tableaux illustrent deux manières d’aborder et de pratiquer la vie juridique. Depuis soixante ans, les juristes africains ont mobilisé la première approche. La situation actuelle sur le terrain au Sahel illustre bien qu’elle n’a apporté aucune solution substantielle aux problèmes de développement des sociétés et qu’il conviendrait d’explorer la deuxième approche, dont on pourra découvrir les potentialités nouvelles dans Le Roy (2019b et 2020).

Notes

  • [1]
    Soutenue à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris en juin 1970.
  • [2]
    Pour mesurer la distance entre ces conceptions positivistes fondées sur la souveraineté et le pluralisme juridique, il suffit de rappeler que ce dernier, dans la version radicale de Rod McDonald et Jacques Vanderlinden, est fondé sur la libre appréciation par l’individu de ses adhésions normatives, selon un renversement effectivement radical de point de vue.
  • [3]
    Nous faisons ici référence aux contributions de Boubacar Ba, « Le conflit meurtrier entre Soosoobe et Salsalbe (cercle de Tenenkou, Mali) », et de Catherine et Olivier Barrière, « Systèmes fonciers dans le delta intérieur du Niger : de l’implosion du droit traditionnel à la recherche d’un droit propice à la sécurisation foncière », in Le Roy, Karsenty, Bertrand (2016), respectivement p. 280-286 et p. 127-170.
Français

Étienne Le Roy nous a quittés le 28 février 2020, dans sa 80e année. En décembre 2019, au détour de l’un de nos échanges réguliers, je lui avais proposé de participer à la préparation de ce numéro sur les (in)dépendances africaines, dont il avait apprécié « l’insolence de l’intitulé ». Il m’a fait l’amitié d’accepter cette proposition, et nous avions convenu de l’intérêt de centrer ce texte sur le besoin de décolonisation juridique des États africains francophones. Fidèle à sa volonté de transmission et de partage, Étienne a poursuivi ses travaux d’écriture dans les derniers mois de sa vie avec plusieurs ouvrages complémentaires. Il a notamment confié en héritage au comité technique « Foncier et développement » un texte sur son cheminement intellectuel sur les questions foncières (Le Roy, 2019b). À la suite de ce témoignage sur six décennies de recherche et d’engagement, il a souhaité ici livrer une autre contribution, sous forme de discours de la méthode, appelant à la production d’un droit authentiquement nouveau, fondé sur la reconnaissance des pluralismes juridiques et institutionnels.
Comme le disait Étienne, « derrière le prétendu droit coutumier, il y a un univers juridique qui émerge avec “le faire, les actes posés et les comportements ritualisés”, une juridicité relevant d’une logique à l’état pratique totalement ignorée des juristes ». C’est sur la base de l’observation de ces pratiques qu’il propose une démarche de médiation pour accompagner de nouvelles formes de production normative. Ce texte constitue l’un des derniers témoignages académiques d’Étienne Le Roy. Il raisonne comme une invitation à l’introspection et au questionnement pour amorcer une démarche de décolonisation juridique fondée sur les pratiques normatives endogènes. Telle une boussole, ces principes pourront aider celles et ceux qui souhaitent se lancer dans ce voyage fondateur. Merci à Étienne et à sa famille de nous avoir fait l’honneur et l’amitié de nous confier cette part d’héritage et d’avoir accepté la publication de ce texte dans ce numéro d’Afrique contemporaine.

  • décolonisation
  • droit
  • Sahel

Bibliographie

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Étienne Le Roy
Étienne Le Roy a été professeur émérite d’anthropologie du droit, directeur honoraire du Laboratoire d’anthropologie juridique et ancien responsable du programme doctoral d’études africaines de l’université Paris-1/Panthéon-Sorbonne.
Présenté par
Mathieu Boche
Mathieu Boche est agro-économiste, Ingénieur en Chef des Ponts, des Eaux et Forêts, docteur en économie du développement. Il est actuellement expert des questions foncières à l’Agence française de développement et membre du comité de rédaction de la revue Afrique Contemporaine.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 04/10/2021
https://doi.org/10.3917/afco.271.0041
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