CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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1 Le livre de Folashadé A. Soulé-Kohndou sur l’Afrique du Sud tombe à pic?! Ce pays vient juste d’atteindre un de ses objectifs diplomatiques en obtenant un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Cet ouvrage va permettre aux observateurs de l’actualité internationale de comprendre pourquoi et comment l’Afrique du Sud se retrouve la représentante de l’Afrique dans le «?saint des saints onusien?».

2 Comme son titre l’indique, l’Afrique du Sud est, pour Folashadé A. Soulé-Kohndou, un exemple de la rencontre du multilatéralisme et d’une puissance émergente et de la manière dont cette dernière peut utiliser les organisations multilatérales pour s’imposer avec succès sur la scène internationale. Cette rencontre est plus particulièrement décryptée pendant les deux présidences de Thabo Mbeki qui ont correspondu à une période d’hyperactivisme de la diplomatie sud-africaine. L’Afrique du Sud est une puissance moyenne en voie d’affirmation dans la mesure où, pour agir dans le concert des nations, elle est dénuée de hard power (économique et militaire) et mise sur le soft power (diplomatie et image internationale). Ce pays est économiquement et militairement loin des performances des autres puissances émergentes (les BRIC?: Brésil, Russie, Inde et Chine) mais sa démocratisation conduite par un Nelson Mandela transmué depuis lors en icône internationale lui vaut une aura sans précédent sur la scène internationale. Engagée dans une diplomatie des droits de l’Homme et de la légalité constitutionnelle durant la présidence de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud fait figure, dans le concert des nations, de «?bonne citoyenne internationale?».

3 Cette réputation acquise – peut-être de manière un peu excessive – servit d’assise au grand dessein diplomatique de Thabo Mbeki qui, durant ses deux présidences, fut le véritable ministre des Affaires étrangères. En évoquant une «?Renaissance africaine?», en renouvelant une vieille antienne du discours international (le développement de l’Afrique) et en métamorphosant l’OUA en Union africaine (UA), le président-ministre des Affaires étrangères parle de l’Afrique en pensant Afrique du Sud – pour paraphraser une formule célèbre. Le NEPAD, la Renaissance africaine et la création de l’UA sont des initiatives qui font de l’Afrique du Sud à la fois le moteur diplomatique du continent et un acteur multilatéral exemplaire. Ces initiatives sont les lettres de noblesse de la diplomatie sud-africaine qui lui valent d’obtenir un brevet de reconnaissance du Nord. Au début du XXIe siècle, le Nord considère l’Afrique du Sud comme le représentant naturel du continent africain et il l’inclut dans les divers fora internationaux qui fonctionnent selon une logique de club (G8, G20) et nécessitent une voix africaine. Du point de vue de ce qui ressemble beaucoup à la politique de rang du général de Gaulle, l’Afrique du Sud a parfaitement réussi à utiliser le multilatéralisme pour promouvoir et accroître sa stature internationale.

4 Et ce d’autant plus que l’Afrique du Sud ne se limite pas à une politique de puissance dans le cadre africain. Sa diplomatie a des visées globales. Elle se manifeste sur tous les grands dossiers internationaux (elle est active au Moyen-Orient?: conflit israélo-palestinien, guerre en Iraq, etc.) et surtout joint sa voix à ceux qui réclament de nouvelles règles du jeu dans les instances internationales. Elle est ainsi particulièrement en pointe sur le dossier de la réforme des Nations unies et dénonce un système international marginalisant le Sud et déphasé par rapport aux nouvelles dynamiques économiques.

5 Cette stratégie de soft power qui joue beaucoup – certains diraient trop – sur l’image n’est pas exempte de problèmes qu’examine en détail Folashadé A. Soulé-Kohndou. D’une part, si Thabo Mbeki est parvenu à rallier au NEPAD et à la transformation de l’OUA en UA les dirigeants africains «?naturellement?» hostiles, il n’en reste pas moins un sentiment de méfiance en Afrique à l’égard de Pretoria. Pour beaucoup de gouvernements africains, l’Afrique du Sud s’est autoproclamée porte-parole du continent. La différence est de taille et cette différence devient un problème dans le cadre sous-régional. Dans la SADC, l’Afrique du Sud est surpuissante économiquement et militairement mais cette surpuissance lui est amèrement reprochée. Les accusations de diplomatie de «?Grand Frère?» et de prédation sous couvert de partenariat économique (voire carrément de néocolonialisme de ses entreprises à l’égard du Mozambique et de la Namibie) fusent vite et contraignent l’Afrique du Sud à rechercher un équilibre précaire entre une hégémonie naturelle et un jeu coopératif. Le souci des diplomates sud-africains de ne pas bousculer leurs pairs au sein de la SADC et de ne pas sanctionner le Zimbabwe de Robert Mugabe traduit cette recherche.

6 L’autre dilemme de la diplomatie sud-africaine relève de son double positionnement?: elle se proclame le héraut de l’agenda du Sud (par exemple aux Nations unies) tout en voulant jouer un rôle de navette entre le Nord et le Sud (par exemple à l’OMC), voire de porte d’entrée du Nord au Sud pour les grandes sociétés. L’affichage de son identité sudiste n’est pas toujours pleinement compatible avec un rôle de facilitateur et l’a conduite parfois à de délicats exercices de double langage. Là aussi la position sud-africaine sur le Zimbabwe est un exemple parfait de ce dilemme?: au niveau de la SADC, l’Afrique du Sud dénonce les sanctions imposées par les États-Unis, l’Union européenne, l’Australie, etc., mais simultanément, pour ces puissances du Nord, elle demeure chargée de résoudre le problème zimbabwéen. Elle se fait donc tantôt l’avocat de l’un et de l’autre mais sans convaincre quiconque. Par ailleurs, dans un monde où le Sud est divisé et hétérogène, ses visées extracontinentales jouent contre son ancrage africain. Le lancement du dialogue trilatéral (Inde, Afrique du Sud et Brésil) apparaît, pour beaucoup de pays africains, comme le signe que «?l’Afrique du Sud s’éloigne de son agenda africain?». De ce point de vue, l’agenda international de Pretoria joue contre son agenda régional et ses diplomates peinent à concilier l’eau et le feu, c’est-à-dire?: une image tiers-mondiste et des intérêts nationaux, une diplomatie des droits de l’Homme et de bonnes relations avec la puissance émergente par excellence – la Chine – et des voisins autoritaires – le Zimbabwe –, les intérêts des pays en voie de développement et des pays développés à l’OMC, etc.

7 De ce fait, le multilatéralisme peut certes démultiplier et intensifier la puissance mais, pour l’Afrique du Sud, il a un retour sur investissement limité, selon Folashadé A. Soulé-Kohndou. Cette stratégie d’usage du multilatéralisme vaut plusieurs succès d’estime à la diplomatie sud-africaine mais elle se traduit aussi par des orientations contradictoires et une influence politique encore limitée sur le continent africain où Pretoria fait figure de leader économique mais pas encore de leader diplomatique (la Côte d’Ivoire, le Zimbabwe et quelques autres tentatives de médiation avortées ont démontré les limites de la diplomatie sud-africaine). Dans l’un de ses derniers discours sur l’état de la nation, Thabo Mbeki avait souligné les problèmes de capacités de la diplomatie sud-africaine et considéré qu’ils handicapaient sérieusement la mise en œuvre de cet ambitieux agenda international. Folashadé A. Soulé-Kohndou prolonge l’analyse en se demandant lucidement si cet agenda n’est pas trop ambitieux et ne recèle pas trop de contradictions internes. Le problème n’est pas que l’Afrique du Sud tente de «?boxer hors de sa catégorie?» – surtout quand on compare la taille de son économie et celle des BRIC – mais qu’elle joue, en fonction des fora et des dossiers, sur plusieurs identités qui ne sont pas toujours compatibles. Comme Shiva Naipaul l’a suggéré dans un de ses meilleurs livres, il n’est pas facile d’être the North of South[19].

Notes

  • [18]
    L’Harmattan, coll. «?Études africaines?», 2010.
  • [19]
    Naipaul, S. (1978), North of South: An African Journey, Classic, 20th-Century, Penguin.
Thierry Vircoulon
Thierry Vircoulon, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, titulaire d’un DEA de science politique à la Sorbonne, ancien élève de l’ENA, est actuellement directeur du département «?Afrique centrale?» de l’International Crisis Group (tv78@wanadoo.fr).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/03/2011
https://doi.org/10.3917/afco.235.0144
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