CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Personne ne nie plus l’utilité d’Internet et du téléphone en Afrique, même si les problèmes de base – approvisionnement en eau, énergie et alimentation – ne sont toujours pas résolus. Au contraire, 15 ans après les débuts de l’expansion des TIC, on est tombé dans l’excès inverse : les médias se sont emparés du sujet et en 2010 on n’entend plus parler que du téléphone mobile et de ses extraordinaires possibilités pour le « développement ». Au-delà de la rumeur, où en est-on aujourd’hui ? Quel bilan peut-on dresser de l’insertion et de l’usage de ces outils ? Quelles grandes tendances se dégagent et surtout dans quels contextes ?

2Il faut d’emblée souligner la diversité des situations entre les pays et à l’intérieur entre les villes et les campagnes. Si l’Afrique se situe aux marges du « système monde », en dernière position dans tous les domaines comptables, cela traduit une hétérogénéité extrême des territoires et des sociétés où prolifèrent et dominent des activités non enregistrées. La Banque mondiale, qui incitait au désengagement des États dans les années 1980, pensait que le secteur informel recélait des gisements de solvabilité et que les nouvelles technologies de l’information et de la communication allaient permettre « d’offrir à l’Afrique une opportunité extraordinaire de bondir dans le futur, de rompre des décades de stagnation et de déclin ». La possibilité d’un véritable « bond en avant » était désormais à portée de main des Africains. C’était le mythe récurrent néoclassique du progrès technique vecteur du progrès social, avec les mêmes arguments et discours que dans les années 1970 pour promouvoir la télévision éducative mais avec des moyens différents. Il ne s’agissait plus de solliciter l’aide internationale mais d’ouvrir le secteur des télécommunications au marché, sésame pour entrer dans la bienheureuse « société de l’information ». Une « pensée business » se développait et Kofi Annan incitait les opérateurs privés à « faire le bien pour se faire du bien » (Thorndahl, 2003). En 2010, des réseaux aux usages, de l’échelle mondiale à l’échelle locale, l’accès aux moyens de communication à distance (téléphone et Internet) reste un problème essentiel en Afrique, beaucoup moins bien équipée que les autres parties du monde.

3L’Afrique est actuellement à une période charnière entre l’ancien Internet à faible débit, où l’usage de courriel était prédominant, et l’installation de systèmes à plus fort débit qui permettent de bénéficier de la convergence de toutes les informations (voix, son, images, données) vers le Web devenu la plate-forme universelle [1]. Or, pour en bénéficier il faut rapprocher les réseaux des utilisateurs, ce qui demande un aménagement numérique des territoires, des grandes dorsales internationales jusqu’au dernier kilomètre, jusqu’au client.

4Cependant, la couverture est un potentiel et c’est l’usage et donc la solvabilité des populations qui détermine l’accès. Pour répondre aux besoins d’usagers à faibles revenus et réduire les coûts, s’est créé un nouveau secteur économique du numérique largement informel auquel les opérateurs, notamment de la téléphonie mobile, ont su s’adapter et qu’ils contribuent à développer. Ainsi paradoxalement, l’Afrique, qui apparaissait il y a dix ans comme un marché marginal, est devenue « un espace d’innovation pour faire du business », celui où « les marchés offrent un énorme potentiel pour les investisseurs » (Connect Africa Summit, 2007). Aujourd’hui, l’accent est mis sur le « miracle » de la « révolution » du mobile. Mais n’est-ce pas au détriment d’un service universel dans ses différentes acceptions, pas seulement celle de l’extension géographique de la couverture des territoires, mais aussi celle des populations à faibles revenus et la création et l’échange de contenus adaptés aux activités locales, comme le voudrait une autre conception qui ferait des TIC des services de base comme l’eau ou l’électricité ?

Une amélioration de la couverture des territoires mais des prix élevés

5Progrès de la connectivité internationale. La situation de la couverture des territoires s’améliore ces dernières années, avec l’installation de nouveaux réseaux à fibre optique ou satellitaires et avec les systèmes sans fil qui peuvent leur être associés. La couverture en signal mobile atteindrait 90 % de la population urbaine en 2010 mais beaucoup moins dans le monde rural. Le développement d’Internet est comparativement lent, la téléphonie fixe est en régression, et les inégalités géographiques sont immenses.

6L’accès universel a été au cœur des débats lors des sommets mondiaux de 2003 et 2005 sur la société de l’information (SMSI). Atteindre « un accès ubiquitaire pour tous aux TIC à des prix abordables » est l’un des objectifs du millénaire pour 2015. La solution préconisée pour y parvenir était le partenariat public-privé et la prise en compte d’une obligation de service public dans les zones non rentables.

7En 2007, le nouveau directeur africain de l’Union internationale des télécommunications, Hamadoun Touré, organisait à Kigali « Connect Africa », une rencontre réservée aux partenaires stratégiques, grands opérateurs, banques, pour les inciter à mobiliser des ressources pour connecter l’Afrique. Il posait le problème de la compatibilité entre objectifs sociaux et objectifs de rentabilité : « Comment les motivations orientées sur le profit des opérateurs et des investisseurs peuvent-elles être réconciliées avec les priorités socio-économiques des gouvernements pour le bien être de tous les habitants d’Afrique ? » (Connect Africa Summit, 2007). Depuis, c’est la concurrence qui prime entre les opérateurs de nouveaux réseaux d’infrastructure, et la coopération est beaucoup plus limitée. Depuis 2009, le paysage de la connexion du continent au reste du monde est en train de changer radicalement, à tel point que l’on se demande si on ne passe pas d’un extrême à l’autre, d’une situation de pénurie à une situation de surcapacité en ce qui concerne les câbles à fibre optique (voir le repère « Connexion de l’Afrique au reste du monde : de la pénurie à la surcapacité », p. 168-169). « La pléthore de stations et de bande passante internationale qui seront bientôt disponibles resteront sous-utilisées si elles se limitent à desservir les zones littorales (incluant les capitales dans la majorité des pays de l’Afrique de l’Ouest) » indique Russel Southwood [2]. Le fait que désormais la Banque mondiale accepte de financer des infrastructures de télécommunication et en particulier les segments terrestres les plus coûteux et les plus difficiles à installer peut être considéré comme l’un des effets du sommet et du lobbying des ONG [3].

8Les infrastructures de fibres optiques internationales fournissent des volumes suffisants de bande passante à coût plus faible que les satellites et sont bien adaptées aux zones côtières. Mais ces derniers offrent une meilleure couverture pour l’intérieur du continent et leur installation et leur gestion sont beaucoup moins complexes à concevoir, il suffit d’un accord entre deux partenaires. En 2010 ce sont encore les satellites qui assurent l’essentiel des connexions africaines. L’Organisation régionale africaine de communication par satellite (RASCOM), créée en 1992, est l’aboutissement des efforts conjugués de 44 pays africains pour connecter en particulier les zones rurales et témoigne de la volonté d’indépendance de l’Afrique vis-à-vis de son équipement. Le satellite d’un coût de 150 millions de dollars a été lancé en 2007, mais il a eu des problèmes techniques et aucune information ne circule sur son devenir.

9Ainsi, l’infrastructure primaire internationale va être bientôt largement disponible dans toutes les régions d’Afrique, mais reste la nécessité d’étendre le réseau terrestre et d’amener le débit jusqu’au client [4].

10Boucle locale et points d’échange nationaux. Malgré l’amélioration des connexions matérielles, les prix de l’accès à la bande passante restent beaucoup plus élevés que dans les autres parties du monde en Afrique. Le tableau 1 montre les écarts considérables entre marchés développés et marchés émergents, et souligne la part prépondérante du coût de la connectivité internationale pour les marchés émergents.

Tableau 1

Coûts élevés des accès à Internet en 2007

Tableau 1
Marché Internet développé Marché Internet émergent Prix moyen pour 512 kbps/mois 20 à 30 dollars 40 à 100 dollars La chaîne de coûts d’Internet : commercial et opérationnel 80 % 25 % connectivité nationale 10 % 50 % connectivité internationale 10 % 25 % coût pour 1 Mbps/connectivité internationale 50 dollars 600 dollars/câble 3 500 dollars/satellite Source : Kla (2009).

Coûts élevés des accès à Internet en 2007

11Cette différence existe car le trafic est beaucoup plus important entre les grandes artères du Nord : les opérateurs de dorsales l’échangent sur la base d’accords de partenariat entre homologues (peering), alors que pour les pays éloignés comme en Afrique où le trafic est bien moindre, les échanges commerciaux se font à la discrétion de l’opérateur qui fixe les prix selon des accords dits de transit. Pour faire baisser les prix, l’amélioration des infrastructures de télécommunications au niveau régional et national est une première condition. Mais il faut aussi que le trafic augmente. Or il est très faible et essentiellement orienté vers l’extérieur à 70 %, alors que c’est l’inverse dans les pays développés où 60 % du trafic est national.

12Augmenter et garder le trafic local implique une politique d’hébergement et de création de points d’échange locaux qui est initiée par les fournisseurs d’accès africain. L’association Afrispa a réussi avec l’appui de l’UIT à créer une vingtaine de ces points depuis 2003, non sans difficulté. Quand la bande passante internationale est monopolisée par l’opérateur historique, ce dernier peut y voir une menace et craindre de perdre le trafic international qui deviendra local. Ce monopole empêche, d’une part, l’émergence réelle de fournisseurs d’accès et, d’autre part, ne favorise pas la mise en place des outils de réglementation et d’organisation du secteur. Au Kenya, la compagnie nationale s’est opposée à la création du point IXP pendant deux ans, en évoquant en particulier un danger pour la sécurité nationale. Puis, le gouvernement a encouragé la poursuite du projet. En République démocratique du Congo, le point d’échange ne fonctionnerait pas bien : sur plus de 10 ISP, il n’y en a eu que trois en 2004 qui ont participé réellement au point d’échange en raison d’un manque de confiance entre eux. Au Sénégal et au Mali, France Telecom, via la Sonatel, utilise sa position dominante pour contrer la concurrence locale.

13Là encore, le rôle des acteurs locaux est essentiel mais aussi celui de l’État. Or, avec la vague de libéralisation, les États africains sont-ils à même de jouer leur rôle dans le nécessaire aménagement numérique des territoires ? C’est en effet, reconnaît l’UIT, le facteur politique, l’obligation faite par le régulateur à l’opérateur dans le cahier des charges, qui permet vraiment d’élargir l’assise territoriale avec des réseaux de qualité à des prix raisonnables. Mais avant de revenir sur les politiques pratiquées, il faut faire un état des lieux. De quoi parle-t-on quand on évoque les TIC en Afrique ?

Le téléphone mobile aux dépens du fixe et d’Internet

14La téléphonie fixe et le haut débit ont partout eu moins de succès que la téléphonie mobile (voir graphique p. 100).

Évolution des TIC en Afrique, 1998-2008

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Évolution des TIC en Afrique, 1998-2008

Taux de pénétration pour 100 habitants

15La régression de la téléphonie fixe. Jusqu’à aujourd’hui, les réseaux téléphoniques classiques sont nécessaires en Afrique pour se brancher à un Internet à haut débit et c’est en Afrique que le taux de branchement au Web est le plus fort au monde par rapport au nombre de lignes. Or, les réseaux filaires comme les autres réseaux matériels sont peu développés, mal répartis, discontinus, avec un service de qualité médiocre et des coûts élevés [5]. Selon les statistiques de l’UIT, avec 13 % de la population mondiale, l’Afrique ne compte toujours que 2 % du réseau planétaire avec une densité globale très faible : 3,2 lignes pour 100 habitants en moyenne. L’état des lieux en 2007 [6] montre un développement très contrasté avec des inégalités qui ne s’atténuent pas. L’Afrique compte 35,41 millions de lignes fixes en 2007. Entre 1998 et 2007, la télédensité a plus que doublé, passant de 1,7 à 3,2 lignes pour 100 habitants. Entre 2002 et 2007, la croissance globale a été de 7,8 % par an. Mais ces chiffres globaux masquent de très profondes disparités.

16Si la situation s’est globalement améliorée depuis 2002, c’est en majeure partie grâce au Nigeria qui a connu la plus forte croissance (56,4 %), passant de 700 000 à 6,6 millions de lignes en cinq ans, ce qui représente plus de la moitié des lignes de l’Afrique subsaharienne. Mais ce qui frappe surtout, c’est la très faible augmentation, voire la régression, du nombre de lignes dans une majorité de pays. Seize pays régressent depuis 2002 (contre 10 de 2000 à 2004), ce qui s’explique par la substitution par la téléphonie mobile. L’Afrique du Sud a perdu 200 000 lignes fixes.

17La lente progression d’Internet. Internet est présent dans tous les pays et progresse régulièrement (voir carte « Fracture numérique à l’échelle d’un continent », p. 104) : 6,78 % en 2001, 7,94 % en 2002, 12,36 % en 2003, 22,10 % en 2004, 43,32 % en 2006, 50,41 % en 2007, dont 24 % en Afrique du Sud, 36 % en Afrique du Nord et 41 % au sud du Sahara. Mais à peine plus de 4 % des Africains ont un accès à Internet contre 23 % dans le monde pour l’année 2008. La pénétration du haut débit reste au-dessous de 1 % contre 2,9 % pour les PVD. Une forte demande se heurte au manque d’infrastructures téléphoniques nécessaires pour avoir un accès commuté ou un accès à la large bande fixe ADSL (abonné numérique asymétrique).

18La carte montre des écarts considérables d’un pays à l’autre. Le taux de pénétration d’Internet va de 38 % pour les Seychelles, 30 % pour Maurice, 23 % pour le Maroc à moins de 0,5 % pour la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, la République centrafricaine et la Sierra Leone. Les petits pays, peu peuplés, sont plus faciles à équiper. Les autres pays d’Afrique ont des taux de pénétration du même ordre ou inférieurs à 11 %, loin derrière la moyenne mondiale (23 %). Quant à l’usage du haut débit, dix pays seulement en Afrique subsaharienne y ont un accès notable. L’île Maurice arrive en première position avec 5,7 abonnés pour 100 habitants, puis les Seychelles (4) et le Cap-Vert (1,4). L’Afrique du Sud n’atteint pas 1 % (0,8), et il en est de même pour le Sénégal (0,4). Puis viennent Sao Tomé, le Botswana, l’Angola, le Ghana et le Zimbabwe avec 0,1. Pourtant, dans beaucoup de pays, au moins dans leur capitale, l’ADSL est aujourd’hui accessible et les cybercafés en sont équipés mais avec des débits le plus souvent au dessous de la norme fixée par l’UIT (254 kbps). C’est le cas du Sénégal où l’ADSL est accessible dans toutes les régions et où 97 % des internautes y ont accès. Selon l’UIT, en 2009, au Ghana, 69 % des abonnés à Internet sont des abonnés large bande (60 % aux Seychelles).

19Mais pour avoir une vue exacte de l’usage d’Internet en Afrique, il faut désormais inclure le cellulaire mobile. Le rapport 2009 de l’UIT indique que fin 2008, douze pays (hors Maghreb) exploitaient des réseaux 3G et on comptait sept millions d’abonnements à la large bande mobile, avec une croissance beaucoup plus forte que celle de la large bande fixe. Il semble donc qu’en Afrique se dessine un nouveau modèle d’accès et d’usage des TIC qui donne la priorité à la téléphonie mobile, non seulement pour la voix mais aussi pour l’échange de données de différentes sortes.

20L’explosion du mobile. La croissance de la téléphonie mobile a surpassé les prévisions les plus optimistes des opérateurs. C’est le « miracle », indéniablement la grande réussite en Afrique et la preuve de la validité d’une économie de concurrence qu’il faut encore conforter selon l’UIT. De 51,4 millions en 2003, le nombre d’abonnés a atteint 264,5 millions en 2007, et 375 millions fin 2008 (Zibi, 2009) soit sept fois plus que pour le téléphone fixe. Le mobile comble les carences du fixe en permettant des accès dans des zones dépourvues de lignes, du fait de sa couverture cellulaire.

21Il y a certaines similitudes avec la téléphonie fixe. On retrouve le Maghreb et l’Afrique australe pour les régions les mieux équipées. Les pays les moins bien équipés sont les mêmes : le Tchad, l’Éthiopie, la Guinée qui sont parmi les plus pauvres, ceux aussi où l’État est le plus faible et le régulateur peu efficace. C’est le cas de la RDC, archétype du pays mal structuré et mal contrôlé par l’État, avec des installations classiques hors d’usage depuis plusieurs années, qui a été pionnier en ce domaine. Dès 1986, l’opérateur privé africain Telecel installait à Kinshasa les premiers téléphones cellulaires, puis le réseau s’est étendu à Lulumbashi en 1992, Goma en 1993, et Bukavu en 1996. Aujourd’hui, une dizaine d’opérateurs se disputent un marché qui a connu 63 % de croissance de 2002 à 2007, mais ne couvre que 50 % du territoire et compte 10 % seulement de souscripteurs. Le tarif moyen pour 100 minutes de communication par mois représente 65 % du PNB annuel, les problèmes de qualité du service sont légion et l’interconnexion entre les réseaux n’existe quasiment pas.

Téléphonie fixe, une croissance très différenciée

À l’échelle du continent, se dessinent trois ensembles différents :
  • les pays du Maghreb, l’Afrique australe et les îles (Cap-Vert, Seychelles, Maurice) comptent plus de 5 lignes*, et cinq pays seulement comptent plus de 10 lignes pour 100 habitants : l’Égypte (14,33) avec le tiers du total des lignes du continent (11,22 millions), la Libye (14,56), la Tunisie (12,42) et les îles (Maurice, 28,45 ; les Seychelles, 25,44, le Cap-Vert 13,80) ;
  • l’arc du vide : les pays enclavés du Sahel et du bassin du Congo sont très faiblement équipés avec moins de 0,25 ligne (Niger, Tchad, Centrafrique, les deux Congo) ;
  • les pays côtiers à l’ouest et à l’est avec des taux intermédiaires plus contrastés : à l’est de l’Érythrée, au Mozambique et à Madagascar, le taux de pénétration se situe entre 0,5 et 0,9 %, à l’exception de la Somalie avec 1,33 ligne et de la Tanzanie avec 0,4 ; à l’ouest, les taux sont plus différenciés : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone sont les plus mal équipés (respectivement, 0,33 %, 0,49 % et 0,21 %) ; le Nigeria, le Gabon, le Soudan, le Zimbabwe ont les taux les plus élevés (entre 3 et 4,9 lignes), tandis que les autres pays (Mauritanie, Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, Ghana, Guinée équatoriale) sont dans une situation intermédiaire (5 à 9,9 lignes). La faiblesse de l’équipement se conjugue avec une répartition très inégale, la plupart des lignes étant concentrée dans les capitales et les grandes villes (75 à 80 %). [7]

22À l’inverse, au Sénégal, le réseau mobile s’est développé dans un environnement où le système filaire était efficace avec un réseau de télécentres bien développé jusque dans les toutes petites villes, ce grâce à un opérateur, la Sonatel, qui avait su se tenir à la pointe des évolutions technologiques bien avant la libéralisation [8]. En 1997, le pays disposait déjà d’un réseau majoritairement en fibres optiques. Il comptait le plus grand nombre de lignes publiques en Afrique, 6,17 % du total des lignes contre 2,6 % en Afrique du Sud et 2,9 % au Swaziland. 65 % des habitants étaient accessibles par téléphone grâce à la prolifération des télécentres, plus 22,4 % en deux ans, sous la forme de concessions accordées à des personnes privées par l’opérateur national. Les télécentres sont la réussite d’une véritable innovation qui a servi de point d’ancrage pour l’arrivée d’Internet.

Pénétration de TIC en Afrique

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Pénétration de TIC en Afrique

23Si l’on fait une synthèse de la pénétration des trois différentes technologies dans les territoires, on constate qu’il y a des exceptions à la corrélation positive entre l’importance du PIB par habitant et l’équipement. En effet, le pays qui vient en première position pour le PIB, la Guinée équatoriale, avec un PIB de plus de 12 000 dollars par habitant, a des taux d’équipement très faibles. La population profite très peu de la manne pétrolière. De même pour le Gabon, faiblement équipé en lignes fixes et connexions Internet alors qu’il a le plus fort taux pour le mobile. La Libye et le Botswana ont relativement peu d’utilisateurs d’Internet. L’Afrique du Sud a beaucoup moins d’usagers d’Internet et du fixe que l’île Maurice à niveau de revenu égal.

Télédensité : une croissance très différenciée, 2002-2007

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Télédensité : une croissance très différenciée, 2002-2007

24Parmi les pays à revenus intermédiaires, de 350 à 850 dollars/habitant, les situations sont très diverses : le Kenya a le plus d’utilisateurs d’Internet mais très peu de lignes fixes, tandis que le Sénégal et le Nigeria sont semblables pour Internet : 7 %. La Mauritanie compte le plus d’utilisateurs du mobile mais utilise peu les autres technologies. Parmi les pays les plus pauvres, la Gambie se distingue par des taux beaucoup plus élevés que les pays de même niveau de revenu et se situe au-dessus du Sénégal, qui est beaucoup plus « riche », 770 dollars contre 168 dollars, pour les trois critères (voir le graphique « Pénétration des TIC en Afrique », p. 103).

25Selon l’UIT, un facteur clé pour augmenter les taux de pénétration du mobile est l’intensité de la concurrence : plus il y a d’opérateurs, plus le marché se développe. Le véritable lobbying actuel sur les « merveilles du mobile [9] », orchestré par les organisations internationales [10], dissimule des marchés mal régulés dominés par des opérateurs qui sont typiquement non compétitifs et trop chers.

Tableau 2

Investisseurs mobiles stratégiques en Afrique (mars 2008)

Tableau 2
Investisseurs stratégiques Abonnements (en milliers) Nombre de pays Recettes (millions de dollars) Dépenses d’équipement (millions de dollars) MTN (Afrique du Sud) 64 306 15 12 088 3 176 Zain (Celltell) (Koweït) 41 018 15 4 169 1 957 Vodacom (Afrique du Sud) 33 395 5 6 841 603 Vodafone (Royaume-Uni)* 21 090 2 1 609 204 France Telecom 16 962 14 2 330 - Milicom (Luxembourg) 9 039 7 711 601 Portugal Telecom 6 032 4 1 661 358 Moov (Émirats arabes unis)** 1 500 7 - - Vivendi/Maroc Telecom 1 011 2 202 - * uniquement les opérations en Afrique du Sud ** Se réfère à 2007. Source : UIT (2009), adapté des rapports des sociétés.

Investisseurs mobiles stratégiques en Afrique (mars 2008)

26Des marchés non compétitifs, trop chers et mal régulés. En Afrique, dix ans après la libéralisation du secteur des télécommunications (séparation de la poste et des télécommunications, ouverture du capital de l’opérateur historique, privatisation des nouveaux services, téléphone mobile et Internet, création d’une instance de régulation), 26 États sur 54 détiennent encore le monopole des opérateurs historiques de télécommunications. C’est le continent avec le plus faible taux d’opérateurs privés. La plupart des États ont été réticents à suivre les injonctions de la Banque mondiale et de l’OMC [11]. Il s’agissait pour eux d’une véritable révolution culturelle [12].

27L’ingérence politique dans le processus de régulation constitue un point de préoccupation particulier pour les opérateurs : 88 % des opérateurs interviewés dans une enquête du cabinet Ernst and Young ont le sentiment que les organes de régulation en Afrique ne sont pas suffisamment forts et donc indépendants [13]. C’est le cas au Sénégal où la Sonatel, l’ancien opérateur national, a remplacé un monopole public par un quasi-monopole privé au profit de France Telecom. Sur le segment mobile, « l’opérateur historique reste ultra-dominant avec 64,3 % des parts de marché, profitant de sa position de premier entrant et quelque peu aidé par l’État qui, à deux reprises, a annoncé le retrait de la licence accordée à l’autre opérateur Sentel » (Sagna, 2009). Le Sénégal est emblématique du processus de libéralisation en Afrique et du profit qu’en tire la téléphonie mobile. Dans l’article suivant, Olivier Sagna analyse le processus de privatisation de l’opérateur historique à partir de 1997, avec le passage d’un monopole public à un monopole privé au profit de France Telecom, une société encore publique qui réalise au Sénégal des bénéfices particulièrement élevés.

28Mais le bon équipement du Sénégal avant la libéralisation est plutôt une exception. Les sociétés d’État avec des réseaux filaires souvent vieillissants et obsolètes, dans des marchés jugés trop étroits, n’attiraient pas les opérateurs privés qui préféraient se cantonner au créneau beaucoup plus profitable de la téléphonie mobile. La plupart des ventes ont été faites à des « investisseurs stratégiques » avec dans certains cas une part attribuée au secteur public comme au Nigeria, au Sénégal, en Afrique du Sud et au Soudan. La société Cable and Wireless des Seychelles est le seul cas d’un opérateur historique entièrement privé (UIT, 2008). Plus d’une dizaine de privatisations potentielles ont tourné court. Il y a eu des défections comme en Algérie en 2008 où la société Lacom (Orascom Télécom et Télécom Egypt) a cessé ses activités.

29Les sociétés des pays les plus pauvres ne trouvent pas facilement de repreneurs. Ce n’est qu’en 2006 et en 2009 que l’Onatel (Burkina) et Malitel (Mali) ont été achetés par Maroc Telecom. La compagnie marocaine avait déjà acquis 51 % du capital de Mauritel (Mauritanie) et de Gabon Telecom en 2007. En 2008, le parc mobile de ses filiales atteint près de trois millions de clients, en hausse de près de 35 %. Quant à France Telecom Orange, elle est très impliquée en Afrique. En 2009, elle est présente dans le fixe et le mobile dans cinq pays d’Afrique francophone : la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, Madagascar et Djibouti. Elle a acquis des licences mobiles et Internet au Mali en 2003, et en 2007 en Guinée-Bissau et en Guinée, puis a étendu sa présence en Afrique centrale avec l’achat d’une licence mobile et Internet en République centrafricaine, à laquelle s’est ajoutée Orange Ouganda à la fin de l’année 2008. Orange est implantée aussi au Botswana et en Guinée équatoriale. Elle sert près de dix millions de clients sur cette partie du monde qui compte pour 2,5 milliards d’euros dans son chiffre d’affaires. Orange fait partie des investisseurs mobile stratégiques en Afrique. Les neuf premiers représentaient plus de 80 % du total des abonnements en 2008 (UIT, 2009).

Fracture numérique à l’échelle d’un continent

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Fracture numérique à l’échelle d’un continent

Une Afrique du mobile contrastée

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Une Afrique du mobile contrastée

30Selon Steve Song (2009), Vodafone et MTN représentent une moyenne de plus de 50 % du marché dans près de 20 pays africains. Safaricom, le plus gros opérateur en Afrique de l’Est, détient plus de 80 % du marché des mobiles au Kenya. On peut en dire autant de la Sonatel-Orange au Sénégal. Ces sociétés font des profits considérables (900 millions de dollars l’année dernière pour Safaricom) tout en ayant su changer de modèle économique. En voyant l’engouement pour le téléphone mobile, les opérateurs ont adapté leur stratégie à la société telle qu’elle est à une économie de pénurie, quitte à favoriser des pratiques informelles [14] (Chéneau-Loquay, 2008). Ils ont compris tout le profit qu’ils pouvaient tirer en réalisant une faible marge sur un grand nombre de clients pauvres plutôt que de développer un produit de luxe pour une clientèle aisée. Cette politique a provoqué une explosion du nombre d’abonnés dont l’ampleur a surpris tout le monde. Malgré des prix élevés, le mobile serait devenu un objet de consommation courante, du moins dans les villes [15].

31Le réseau de recherche RIA (Research ICT Africa, 2008) a mis en évidence l’importance des budgets consacrés au téléphone. Pour 75 % de la population à bas revenus dans dix-sept pays étudiés, l’Africain moyen dépense 26,6 % de son revenu individuel au Kenya, 23 % en Éthiopie, 9,4 % au Sénégal. Ce qui signifie que les prix sont encore trop élevés. Et pourtant, le téléphone est devenu indispensable : « Les gens ne se rendent même pas compte que le téléphone coûte plus cher que les besoins familiaux », rapporte un économiste sénégalais.

Des formes d’appropriation particulières

32L’engouement actuel pour la téléphonie mobile masque la complexité et les inégalités dans les formes d’appropriation. L’usage des technologies s’inscrit dans la vie sociale des personnes et il est réducteur de considérer l’impact des TIC comme une simple affaire de coût, de fonctionnalités ou de simplicité des interfaces (Cardon, 2005).

33Une nouvelle économie informelle. L’usage du téléphone mobile en Afrique est particulier, dans la mesure où l’accès s’est démocratisé et concerne désormais des populations à faibles revenus qui cherchent à minimiser leurs dépenses, mais aussi des utilisateurs qui voient dans le mobile un objet de distinction. En effet, paradoxalement, ces populations pauvres vivent dans des sociétés où le paraître et l’ostentation sont importants, étant donné la proximité constante de l’autre. À travers le téléphone portable, on trouve un moyen moderne et subtil pour se distinguer. Moustafa Ndiaye écrit à propos des usagers de Thies au Sénégal : « D’une symbolique de distinction jadis basée sur ses têtes de troupeaux ou la longueur de son champ dans la société traditionnelle, la société sénégalaise est passée à celle des types d’équipements dont l’individu dispose » (Ndiaye, 2008).

34Toutes sortes de stratégies sont utilisées pour payer le moins possible. Dans des villages du Burkina, des paysans analphabètes utilisent des jeunes intermédiaires pour envoyer des SMS gratuits plutôt que d’appeler (Kibora, 2009). On « bipe », on cherche à se faire appeler, on préfère recharger plusieurs fois de petits crédits. On est dans des économies du détail et de l’occasion. On assiste ainsi à l’avènement de nouveaux métiers informels comme celui de spécialiste en décodage ou autres réparateurs d’appareils téléphoniques. Ce ne sont pas toujours des gens ayant fait des études dans le domaine de l’ingénierie en télécommunications, mais souvent des vendeurs reconvertis qui s’appuient sur leur expérience acquise dans le domaine de la vente et de la manipulation de téléphones. La plupart des 60 boutiques du quartier du port de Dakar, toutes dédiées au mobile, proposent, en plus des téléphones de toutes marques et de leurs accessoires, une grande variété d’habillages plus ou moins clinquants dont les jeunes sont friands. Des services de banque électronique se développent avec ou sans les opérateurs, en particulier pour récupérer l’argent des immigrés.

35Les TIC sont ainsi un secteur majeur de la croissance récente d’une nouvelle économie informelle dans les villes africaines (Chéneau-Loquay, 2008). En 2007, le secteur de la téléphonie mobile employait directement ou indirectement plus de 3,5 millions de Subsahariens, mais la plupart de ces emplois ne sont pas répertoriés. De l’importation des produits au commerce ambulant, c’est toute une série de nouvelles activités de service qui se créent pour répondre aux besoins d’une population qui cherche à minimiser ses dépenses [16]. Les nouvelles sociétés de téléphonie ont sous-traité la distribution des cartes prépayées à des grossistes et semi-grossistes qui ont leurs réseaux de revendeurs. Ils envoient dans les rues des grandes villes des bataillons de jeunes garçons qui ne sont recensés nulle part et sont très mal payés. À Bamako, 98 % des cartes sont vendues par l’économie informelle. Ces activités engendrent toutes sortes de trafics de produits d’occasion ou neufs dont les circuits d’approvisionnement sont pour le moins opaques. Les grands commerçants ibos ou mourides parcourent la planète entre l’Asie, le centre de redistribution de Dubaï, Lagos où se recyclent les produits, et les capitales. Des centaines de jeunes trouvent un petit emploi dans la vente et la réparation de téléphones portables, leur décodage, la vente des cartes de recharge ou les services de recharge électrique. Face à cette contrainte de réduction des prix, les possibilités de développement du marché en Afrique sont difficiles à cerner : 94 % des communications mobiles se font grâce au système de cartes prépayées, bien adapté à la faiblesse des revenus. Les appareils de seconde ou troisième génération risquent d’être d’un coût prohibitif pour cette clientèle peu solvable, même si les prix devraient continuer à baisser. Les opérateurs constatent actuellement que leur revenu par unité (ARPU) diminue en raison de la concurrence et aussi du fait de l’extension de la couverture vers des utilisateurs plus pauvres qui dépensent moins. La solution pour réaugmenter l’ARPU serait le développement des services Internet qui risque de se faire au détriment du service universel : « Les opérateurs mobiles africains sont en train d’ajuster leurs objectifs et se concentrent sur l’amélioration de leur ARPU plutôt que la croissance du nombre des abonnés » (Balancing Act, 2009). À Abidjan, à Libreville ou à Yaoundé, les télécentres à ligne fixe sont rares, la téléphonie mobile occupe l’espace public de façon anarchique : les espaces de circulation – les rues, trottoirs, places, carrefours, parcs et jardins, marchés, gares routières – sont encombrés de kiosques où l’on vous loue un téléphone à un tarif de communication inférieur au vôtre. Une offre possible à Abidjan du fait des prix de gros pratiqués à l’égard de certaines entreprises par Celtel et Orange (Gnamien, 2002). Les TIC sont ainsi aujourd’hui des marqueurs du paysage urbain.

36Une menace pour l’accès partagé[17] ? Le cybercafé reste le lieu privilégié d’accès à Internet étant donné le faible niveau de vie moyen de la population. Toutes les enquêtes effectuées en Afrique [18] montrent que l’ordinateur personnel est rare et l’abonnement à domicile négligeable. Pour le Sénégal, par exemple, 7,8 % des ménages ont un ordinateur mais 1 % seulement sont connectés à Internet. Le plus fort taux est celui de l’île Maurice avec 19 %, du Cap-Vert avec 11,4 %, puis viennent le Swaziland avec 6 % et l’Afrique du Sud avec seulement 4,8 %. Nos enquêtes au Sénégal, à Dakar et à Ziguinchor, au Mali à Bamako, au Burkina Faso à Ouagadougou et dans des villes secondaires, en Guinée, en RDC montrent que le modèle d’accès mutualisé au téléphone et à Internet a permis d’élargir l’usage en dehors de l’élite et de créer tout un tissu de petites entreprises qui sont les nouveaux marqueurs du paysage urbain (Chéneau-Loquay, 2004 et 2008).

37La création de points d’accès public reste indispensable pour nombre de fonctions (bureautique, recherche Internet, téléchargement de musique si prisée par les jeunes, email, etc.). La régression du nombre de lignes fixes depuis 2002 s’accompagne d’un effondrement du nombre de télécentres, les boutiques d’accès public au téléphone. C’est le cas du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal où leur nombre est passé de 24 000 en 2006 à moins de 5 000 en 2009 (Sagna, 2009). Une étude sur Dakar (Sary, 2009) montre une grande variété des situations selon les quartiers. La disparition des accès au téléphone fixe touche tous les quartiers (populaire, d’affaires ou résidentiel), mais on observe aussi un maintien, voire de nouvelles créations, de cybercentres depuis l’arrivée de l’ADSL et une forte progression des accès domestiques dans les quartiers résidentiels malgré des prix beaucoup plus élevés qu’en France. À Dakar, en 2008, pour l’ADSL 2 mégas, le prix de l’abonnement mensuel, avec accès illimité, est de 72 000 FCFA et 39 200 FCFA pour l’ADSL 1 méga, ce qui reste onéreux pour le budget de la majorité des ménages dakarois.

38Mais à côté de ce développement des réseaux et des usages par le système cellulaire, la demande pour des usages professionnels se développe aussi. Au Sénégal, les entreprises du secteur formel sont équipées en informatique et connectées. Mais, « souvent les chefs d’entreprises n’ont aucun problème pour les investissements matériels dédiés à la production mais hésitent sur les applications de modernisation car ils ne voient pas la portée d’investir sur de l’immatériel. Même pour des besoins importants, certaines entreprises, même de grande taille, s’installent avec des copies de logiciels piratés vendues par les entreprises informelles » (Laborde, 2009).

Que retenir du dossier ?

39Les développements des TIC conduisent à cette « modernisation paradoxale » d’un village branché à Internet, avec une parabole et où les femmes continuent à piler le riz à la main et à porter des sceaux sur la tête sur de trop longues distances. Une telle « mixture » entre outils modernes et traditionnels fait partie du quotidien africain. Faut-il en conclure que l’Afrique est « noyée » sous le poids de la technologie occidentale ou bien, dans une vision plus optimiste, considérer les potentialités d’une économie populaire qui au quotidien développe des stratégies d’adaptation où les TIC auraient leur place ?

40Ce dossier montre in fine que si les TIC sont autant d’outils et de ressources porteurs d’enjeux, de modalités d’organisation, de représentations, de modèles culturels et de savoirs produits au Nord, il ne s’agit pas d’un simple transfert de technologies. Ces outils contribuent en effet à redéfinir les enjeux sociaux en offrant de nouvelles possibilités de « recentrage » aux acteurs qui s’approprient ainsi la mondialisation en en faisant un enjeu local. On peut « circuler tout en gardant le contact » avec le pays d’origine, les liens se resserrent avec les migrants, pour un soutien moral et aussi une pression financière. Les références de l’ici et de l’ailleurs, du proche et du lointain se brouillent.

41Pour Ruth Mireille Manga Edimo, l’État camerounais apprend à réagir face à la contestation que permet l’usage d’Internet par les immigrés. Une nouvelle citoyenneté s’élabore dont les conséquences sur la vie politique du pays sont encore difficiles à cerner.

42L’article d’Olivier Sagna illustre le rôle majeur de l’État et montre comment il est partie prenante au processus de libéralisation du secteur des télécommunications dont les progrès ont davantage profité à une élite qu’à la majorité de la population.

43En Côte d’Ivoire, l’État est confronté au problème de la cybercriminalité qui discrédite le pays. Jean-Jacques Maomra Bogui se demande si Internet ne devient pas plutôt un obstacle qu’un atout au développement tant les pirates du Net sont habiles. Ces pratiques traduisent un malaise social de la jeunesse ivoirienne qui semble manquer de références et modèles de qualité dans une société ou l’appât du gain facile semble devenir une norme.

44En revanche, les bases de l’organisation de la société « traditionnelle » semblent encore solides et peu perturbées au Mali par l’utilisation d’Internet. Dans les cybercafés, les jeunes internautes détournent le média de son usage prescrit pour l’adapter aux exigences de leur société. « Le courriel ne circule pas directement d’une personne à l’autre, comme le recommandent des auteurs des “discours d’accompagnement”, mais est enchâssé dans un système compliqué d’intermédiaires où les cousins, les amis intimes et les cadets interviennent tour à tour. »

Notes

  • [1]
    L’UIT considère comme haut débit un débit égal ou supérieur à 256 kbit/s.
  • [2]
    L’un des meilleurs spécialiste de ces questions dans son bulletin Balancing Act de novembre 2009.
  • [3]
    La mise en exploitation récente de gisements pétroliers au Tchad et celle de l’oléoduc connectant Kome au terminal maritime de Kribi au Cameroun, ont été accompagnés d’un câble de 18 fibres optiques, 12 pour le Cameroun, et 6 pour le Tchad, et d’une dorsale de plus de 1 000 kilomètres desservant 14 villes intermédiaires.
  • [4]
    Selon l’UIT (2009), en 2007, l’ensemble de l’Afrique subsaharienne disposait d’une largeur de bande Internet internationale inférieure à celle de la République dominicaine, 70 fois moins peuplée.
  • [5]
    Selon les statistiques de l’UIT, avec 13 % de la population mondiale, l’Afrique ne compte toujours que 2 % du réseau planétaire avec une densité globale très faible ; 3,2 lignes pour 100 habitants en moyenne.
  • [6]
    Tous les chiffres pour 2007 sont issus du rapport sur les indicateurs pour l’Afrique de 2008 de l’UIT.
  • [7]
    Pour l’UIT, cela désigne une ligne téléphonique qui relie l’équipement de l’abonné au réseau public commuté. Synonyme de poste principal ou de ligne directe de central (50 lignes commutées peuvent desservir 500 postes supplémentaires).
  • [8]
    La Sonatel était en 1996 une entreprise bien gérée, avec des cadres et techniciens compétents où les salaires étaient beaucoup plus élevés qu’ailleurs. Ce qui lui donnait une réelle efficacité, surtout par rapport à ce qui se passait dans une majorité d’autres pays de la région.
  • [9]
    “Mobile Marvels. A Special Report on Telecoms in Emerging Markets”, The Economist, 24 septembre 2009. Couplet qui a remplacé celui sur l’Internet.
  • [10]
    Au premier rang desquelles l’Union internationale des télécommunications (UIT), qui proclamait dans son rapport 2004 sur l’Afrique : « L’avenir est radieux, il est fait de mobiles. »
  • [11]
    Passage à une gouvernance internationale via le quatrième protocole de l’accord général sur le commerce et les services de l’OMC signé en 1997 et des accords liant la libéralisation à l’octroi de prêts.
  • [12]
    « L’OMC n’impose pas aux États un modèle statutaire universel. Diverses options s’offrent donc aux États : celle d’un organe de régulation indépendant, autonome, ou sous tutelle du gouvernement » (Do Nascimento, 2005).
  • [13]
    « L’Afrique en ligne. Enquête sur le développement des télécommunications », juin 2009, travaux du Global Télécommunications Center du Cabinet d’Ernst and Young.
  • [14]
    Des activités qui échappent en totalité ou en partie à l’enregistrement, et donc à la fiscalité.
  • [15]
    Pour 2009, l’UIT indique que le prix moyen de la téléphonie mobile sur un mois varie de 8 dollars en parité de pouvoir d’achat à l’île Maurice à 37 dollars au Burkina Faso. Mais le calcul par rapport au revenu national par habitant est plus parlant. Ainsi, la Guinée a les prix parmi les plus bas, moins de 2 dollars, mais le coût relativement le plus élevé avec 11 % du RNB, tandis que l’île Maurice se situe autour de 0,5 dollar.
  • [16]
    Selon une enquête réalisée au Burkina Faso en 2009, 85 % des activités informelles du secteur des TIC relèvent des télécommunications (programme TICINFOR du CRDI).
  • [17]
    Dans son indice de développement des TIC, l’UIT ajoute, aux trois types de technologies (téléphone, mobile et Internet), le pourcentage de ménages disposant d’un ordinateur et ceux ayant un accès Internet à domicile. Mais ces indicateurs ne sont valables que pour les pays les plus riches.
  • [18]
    Les nôtres et celle du Research ICT Africa (RIA).
Français

Résumé

L’Afrique est à une période charnière entre l’ancien Internet à faible débit et l’installation de systèmes à plus fort débit qui permettent de bénéficier de la convergence de toutes les informations. La couverture des territoires s’est améliorée mais les inégalités entre et à l’intérieur des pays sont considérables. La téléphonie mobile a explosé au détriment de la téléphonie fixe et Internet progresse lentement. Une nouvelle économie informelle s’est installée dans des marchés non compétitifs, trop chers et encore mal régulés.

Mots-clés

  • Afrique
  • connexion internationale
  • libéralisation des télécommunications
  • téléphonie mobile
  • internet

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Annie Chéneau-Loquay
Est géographe et directrice de recherche au CNRS au Centre d’études d’Afrique noire de l’IEP de Bordeaux. Elle travaille depuis plus de dix ans sur les modes d’insertion et d’appropriation des TIC en Afrique. Elle a créé l’observatoire Africa’nti (www.africanti.org), coordonné le groupe de recherche Netsuds du CNRS (www.gdri-netsuds.org) et publié plusieurs ouvrages et articles sur le sujet.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/09/2010
https://doi.org/10.3917/afco.234.0093
Pour citer cet article
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