CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Avant même le coup d’État de septembre 2002, la Côte d’Ivoire était passée sous hautes turbulences identitaires : en novembre 1999, à Tabou, un conflit foncier dégénéra, provoquant le départ précipité de 17 000 Burkinabè vers leur pays d’origine [2]. Redouté de longue date, cet événement, qui constitue un traumatisme majeur pour les Burkinabè de Côte d’Ivoire, a de surcroît profondément marqué les esprits au Burkina Faso, contribuant à un sursaut nationaliste. La mise en application de la loi ivoirienne de 1998 sur le domaine foncier rural est une véritable bombe à retardement : les terres non enregistrées par l’État ne peuvent plus être vendues à des ressortissants étrangers. En septembre 2000 de nouveau, un litige foncier opposa à San Pedro des Burkinabè à leurs hôtes kroumen, aboutissant à l’évacuation d’un millier de Burkinabè (Schwartz, 2000). Les incidents violents se sont multipliés au lendemain de l’élection de Laurent Gbagbo à la tête du pays. En 2001, le Burkina Faso eut à faire face à l’afflux de près de 80 000 compatriotes [3]. Les violences politiques se radicalisèrent encore davantage après le soulèvement de militaires rebelles du 19 septembre 2002. La Côte d’Ivoire fut coupée en deux : le Nord étant contrôlé par les Forces Nouvelles, le Sud par les troupes loyalistes. Les exactions à l’encontre des Burkinabè s’intensifièrent [4] alors que les autorités ivoiriennes rendaient le « pays des hommes intègres » responsable de l’organisation et du financement de cette opération de déstabilisation. À nouveau, plusieurs dizaines de milliers de ressortissants quittèrent le territoire ivoirien. La frontière fut fermée entre les deux pays; les relations bilatérales se dégradèrent encore davantage et les bureaux consulaires de Bouaké, de Soubré et d’Abidjan furent détruits en janvier 2003.

2Dans ce climat particulier, comment s’est déroulé pour les Burkinabè le retour au pays de leurs ancêtres ? Jusqu’à quel point cette opération a-t-elle été préparée et contrôlée par les autorités burkinabè ? Comment s’opère la réinsertion en ville de ceux qu’on a trop rapidement désigné comme « rapatriés » alors que bon nombre d’entre eux, nés sur le sol ivoirien, n’avaient pas engagé de démarches pour obtenir la nationalité burkinabè [5] ? Autant de questions auxquelles nous essaierons de répondre à partir d’un travail de terrain conduit à Abidjan et à Ouagadougou [6].

3Les Burkinabè, dont le poids avait augmenté entre les deux derniers recensements ivoiriens de population, représentaient 56,6 % de la population étrangère de Côte d’Ivoire en 1998 soit 15 % de la population totale du pays. Après l’embrasement de la Côte d’Ivoire, les autorités burkinabè appréhendaient l’exode massif de ses ressortissants, redoutant que le retour en catastrophe de plus de deux millions de réfugiés ne perturbe l’économie du pays. Près de la moitié de la population burkinabè vit en dessous du seuil de pauvreté et, depuis plusieurs années déjà, les envois de fonds des émigrés contribuent à la réduction des inégalités et de la pauvreté (Lachaud, 1999). Or, jusqu’au dernier recensement de population burkinabè, près d’un Burkinabè de l’étranger sur deux avait opté pour la Côte d’Ivoire. Mais, contrairement aux scénarii alarmistes, la déstabilisation n’a pas eu lieu et les retours n’ont pas pris l’ampleur tant redoutée [7].

Secours d’urgence et programme de réinsertion socio-économique ou les deux volets d’un rapatriement annoncé

4Le comité interministériel de crise, qui a été créé au lendemain des événements de Tabou en 1999, a été réactivé en octobre 2002 pour faire face à un éventuel retour massif après la destruction des habitations de milliers de Burkinabè. Le Premier ministre déclarait : « Nous avons enclenché tous les mécanismes juridiques en la matière… Nous avons trois millions de nos compatriotes qui vivent dans ce pays… On ne peut pas se comparer à un autre pays qui n’a que quelques milliers de ressortissants… Il n’est pas question d’organiser un rapatriement massif mais de travailler avec la communauté internationale pour trouver une solution à ce problème [8]. » Le mot d’ordre est clair : gérer au cas par cas les urgences en planifiant la réinsertion des ressortissants plutôt qu’encourager les retours. On peut avancer l’hypothèse selon laquelle une perception négative du phénomène du retour des migrants par les cadres de l’administration burkinabè peut influer notablement sur la gestion de ces mouvements massifs et sur la capacité de l’appareil administratif à appliquer rapidement les mesures prises.

5Dans la presse, avant d’être rebaptisés « rapatriés », les migrants qui rentrent au pays pour échapper aux exactions sont nommés « fuyards » ou encore « revenants [9] », termes peu flatteurs et révélateurs de la place qui leur est assignée dans la société burkinabè. Dans un de ses rapports, le CONASUR faisait remarquer : « … En d’autres termes, ces rapatriés, particulièrement ceux de Côte d’Ivoire, ayant élu résidence définitive dans ledit pays et rompu tout contact relationnel avec les parents du pays natal durant plusieurs décennies de vie ont été débarqués pour la majorité des cas sans repère social et avec pour seules sources de survie, l’espoir fondé sur une tradition légendaire de solidarité nationale ou communautaire. » Le ministre burkinabè de la Promotion des droits humains rappelait, quant à lui, devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU en mars 2003 : « Ce sont des hommes, mais surtout des femmes et des enfants, souvent dépouillés de tous leurs biens, et dont beaucoup n’avaient jamais mis les pieds au Burkina Faso. » Plus ou moins explicitement, les autorités burkinabè relayées par la presse nationale reprochent à leurs compatriotes émigrés leur lâcheté. Ils ont préféré fuir plutôt que d’affronter les turbulences politiques et les difficultés économiques dans leur pays et ont bien souvent coupé les liens avec « ce pays qui leur faisait honte dans leur exil ». Considérés comme des déracinés, ils sont qualifiés ainsi de « paweogo » ou de « kosweogo [10] », selon qu’ils ont décidé de mourir en terre d’accueil ou dans leur pays d’origine, en opposition aux natifs, les « tenga ». Conscients de ces préjugés, des migrants burkinabè installés à Abidjan avaient créé un journal Solidarité Paalga à l’attention de la diaspora au lendemain du coup d’État en 1999. Ils avaient pour ambition de travailler à la destruction des clichés bien enracinés aussi bien au Burkina qu’en Côte d’Ivoire [11] et comptaient réapprendre aux enfants nés en Côte d’Ivoire les valeurs qui ont fait la dignité du peuple burkinabè. « Retrouver une nouvelle conscience de ce qui s’impose à l’étranger [12] » et retisser du lien avec les « Burkinabè de l’intérieur », tels étaient leurs principaux objectifs, outre la sécurisation de leurs compatriotes installés en Côte d’Ivoire. Mais les migrants ne disposaient pas nécessairement de tous les moyens pour entreprendre ce travail identitaire. « Nous sommes persécutés des deux côtés. On n’est pas de là et là-bas ce n’est pas facile. Au Burkina, on nous considère comme des Burkinabè de Côte d’Ivoire, on nous prend comme si on était Ivoirien, c’est-à-dire qu’on vit à la légère, on ne fait pas attention aux vieux alors que la mentalité burkinabè, c’est très profond, il y a la courtoisie, une écoute fine, on ne vexe jamais quelqu’un… Qu’on soit là ou pas, on n’est pas informé de ce qui se passe au Burkina. Quand il y a un décès, on est prévenu après, quand les gens ont déjà cotisé. On arrive après les faits… En fait, tu n’es pas compté [13]. »

Opération « Bayiri » ou scénario de la compassion ?

6La gestion de la réinsertion des migrants s’est faite par étapes. Tout d’abord, un plan d’action a été mis en place, destiné à organiser le convoyage par cars, l’accueil dans des sites provisoires aménagés à la frontière puis dans des centres de transit installés dans les grandes villes du Burkina. Il était programmé également de satisfaire les besoins d’urgence (eau, alimentation, soins de santé primaires) et d’accompagner les migrants de retour jusque dans les localités ou villages d’origine. Orchestrés par le CONASUR et ses organes décentralisés (Comités provinciaux et départementaux), ces secours d’urgence évalués à plus de cinq milliards de francs CFA devaient être financés à hauteur de 90 % par des organismes humanitaires internationaux [14]. La même organisation avait été mise en place au milieu des années 1980 par le Ghana qui avait dû accueillir en février 1983 non seulement 1,2 à 1,5 million de ses nationaux expulsés du Nigeria mais aussi, deux ans plus tard, 160 000 autres chassés à la fois du Nigeria et de Côte d’Ivoire. Le pays, qui traversait depuis plusieurs années une grande instabilité politique et économique en lien avec la chute des cours mondiaux de cacao et une sécheresse exceptionnelle ayant provoqué des feux de brousse dévastateurs, avait pu compter à l’occasion de ces multiples expulsions sur le soutien de 24 pays et de plusieurs organisations internationales (CEE, PAM, UNICEF, UNDRO…). Cette aide financière extérieure, qui s’élevait alors à 20 millions de dollars, avait permis en sus des moyens mobilisés au plan national de rapatrier 70 % des migrants (Ricca, 1990).

7L’opération dénommée Bayiri[15], qui entrait dans le cadre de ce vaste plan de « rapatriement », avait pour objectif initial d’organiser le retour volontaire de 7 000 Burkinabè dont les maisons avaient été détruites en Côte d’Ivoire. La désignation en langue moore était supposée donner une connotation fraternelle à l’opération : « Les rapatriés sauront qu’on les attend chez eux [16]. » Pris en charge officiellement par l’État burkinabè, ceux-là seulement sont considérés comme des « rapatriés », qu’ils aient ou non la nationalité burkinabè. Leurs compatriotes rentrés par leurs propres moyens deviennent des « réfugiés ». En médiatisant fortement cette action ponctuelle [17], les autorités Burkinabè entendaient bien reconquérir une certaine légitimité auprès de leurs concitoyens, en cette période pré-électorale, qui stimulerait leur générosité et leur ferveur patriotique. Elles se sont largement appuyées sur les organes de presse pour diffuser l’idée selon laquelle la communauté nationale se serait largement mobilisée pour accueillir ses compatriotes en difficulté sur le territoire ivoirien. « Nous nous sommes dits qu’il faut porter à la connaissance de tous les Burkinabè l’élan de solidarité qu’ils ont manifesté envers leurs compatriotes rapatriés… [18] » Les cérémonies de réception de dons par des écoles, des associations religieuses, des opérateurs privés ont été systématiquement filmées et retransmises par les médias au point de couvrir un temps toute l’actualité. Autrement dit, cette souscription fut pour le gouvernement l’occasion rêvée de proclamer la solidarité de son peuple, en le lavant du péché d’indifférence, et de travailler à la construction de l’unité nationale.

8Avant même le coup de force du 19 septembre 2002, ils étaient quelques-uns à dénoncer l’inertie du gouvernement burkinabè [19]. À partir de la Côte d’Ivoire, le rédacteur en chef du journal Solidarité Paalga demandait la dissolution du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger, estimant cette structure incapable de défendre les intérêts de ces ressortissants en Côte d’Ivoire [20]. De son côté, le président du Tocsin, association œuvrant au rapprochement des « Burkinabè de l’intérieur » et « de l’extérieur » et à la pleine intégration des seconds dans la société burkinabè, soulignait l’indifférence de ses concitoyens : « la souffrance des Burkinabè de l’extérieur est liée au silence de ceux de l’intérieur » [21].

9Pourtant, cette opération n’a touché qu’une infime minorité des ressortissants burkinabè fuyant la Côte d’Ivoire : 8 850 personnes [22] sur plus de 150 000 rentrés au pays au cours de cette période. Elle a concerné essentiellement des femmes et des enfants convoyés jusqu’à Ouagadougou après la traversée du Ghana et jusqu’à Bobo Dioulasso après un passage en territoire guinéen. Les bagages devaient être transportés par des camions-remorques devançant les convois. Dans la réalité, un nombre important de passagers ont regagné le Burkina en laissant leurs bagages à Abidjan.

10Mais le gouvernement s’est employé à semer le trouble dans les esprits et tout retour au Burkina a été abusivement assimilé à l’opération Bayiri, opération patriotique par excellence. En mars 2003, à l’occasion d’un discours sur la situation de la Nation, entretenant l’ambiguïté, le Premier ministre rappelait que 118 000 personnes avaient regagné le Burkina Faso dans le cadre de l’opération Bayiri. Se basant sur ces chiffres, la presse internationale expliquait à son tour : « Depuis septembre, le nombre d’immigrés a dépassé 200 000. La moitié d’entre eux environ ont bénéficié de la campagne officielle de rapatriement menée par le gouvernement du Burkina, l’opération Bayiri [23]. » À partir de ce conditionnement médiatique, il n’est alors pas surprenant que bon nombre de Burkinabè restent persuadés que la grande majorité des retours au pays a été organisée et financée par leur gouvernement. Le collectif burkinabè des victimes d’exactions et de guerre (CBVEG), créé en août 2004, opère lui-même ce glissement, expliquant que « le plus gros contingent des rapatriés avait pu rejoindre sa terre natale grâce à l’opération Bayiri initiée par le gouvernement burkinabè [24 »]. Plus étonnante néanmoins est la confusion qui existe parmi les migrants de retour. Dans le cadre de notre enquête, ces derniers ont été très nombreux à répondre par l’affirmative à la question « Avez-vous été rapatrié dans le cadre de l’opération Bayiri ? », alors qu’ils avaient bénéficié simplement d’un accueil de quelques heures au stade du 4 août et qu’ils avaient pris en charge la totalité de leur transport jusqu’au Burkina.

11Les « rapatriés Bayiri » ont rapidement essaimé dans le pays. Craignant la constitution de ghettos ou de camps de réfugiés, l’État burkinabè n’avait prévu qu’un passage rapide de soixante-douze heures maximum dans les camps de transit et mis en place un dispositif incitant les passagers de cars et les transporteurs à poursuivre leur route jusque dans les provinces d’origine des migrants. Ils ne devaient en aucun cas stationner dans la capitale. Le séjour au stade du 4 août aurait même été écourté pour laisser place à la CAN junior [25]. De la même manière, le gouvernement ghanéen avait mis en place un processus d’acheminement des rapatriés du Nigeria qui permit d’éviter de trop fortes concentrations de population de retour dans la capitale et les centres urbains. Les dizaines de milliers de Burkinabè qui ont quitté la Côte d’Ivoire par leurs propres moyens se sont également dispersés dans le pays sans que le gouvernement ait eu besoin d’intervenir. Certes, des consignes avaient été données incitant les populations fuyant le territoire ivoirien à s’installer dans un premier temps dans leurs zones d’origine de manière à faire jouer les solidarités familiales. Mais surtout, les migrants se sont appuyés sur des intermédiaires faisant office de tuteurs, lesquels ont négocié et préparé leur installation auprès des autorités préfectorales et coutumières dans des régions dont le sol était moins exploité que leurs villages d’origine (Zongo, 2003).

Programme de réinsertion socio-économique : quelles réalités ?

12Une très forte pression foncière existe au Burkina Faso dans certaines régions, notamment sur le plateau central, et les populations agricoles vivent déjà un déficit céréalier. Pour éviter que des tensions ne se développent entre migrants de retour et « autochtones », le gouvernement burkinabè a incité les premiers à s’installer dans des zones encore mal exploitées. Rappelons que les migrants de retour sont en grande majorité des agriculteurs qui ont mis en valeur la forêt ivoirienne et qui ont donc travaillé durement aussi bien à l’est, à l’ouest et au sud du pays pour, en définitive, se retrouver paysans sans terre. L’État burkinabè compte sur leur énergie pour manier la daba ou du matériel plus sophistiqué dans les zones déshéritées. C’est ainsi que, le 19 juin 2003, un vaste programme d’appui à la réinsertion socio-économique des « rapatriés » de Côte d’Ivoire a été lancé officiellement par le ministre de l’Agriculture, qui constituait la deuxième étape du processus de réinsertion des migrants de retour de Côte d’Ivoire. Financé à hauteur de 3 milliards de francs CFA par an par la Banque mondiale, ce programme est centré sur les productions agricoles, halieutiques et forestières. L’idée étant de mettre à profit l’expérience et le savoir-faire des « rapatriés de Côte d’Ivoire », en finançant les micro-projets proposés.

13Afin de pouvoir bénéficier de ces fonds, ces « rapatriés » de Côte d’Ivoire doivent intégrer des organisations paysannes reconnues et implantées dans les villages où ils s’installent. La majeure partie des migrants qui sont rentrés n’ont pas encore obtenu d’aide de l’État burkinabè pour s’insérer dans le tissu économique national. Déjà, nombre d’entre eux ont décidé de repartir en Côte d’Ivoire affronter les dangers plutôt que d’attendre une prise en charge qui tarde à venir. « Entre deux enfers, on choisit toujours le moindre. Si des Burkinabè ont estimé que la Côte d’Ivoire était un enfer et ont été obligés de se replier au Burkina et qu’ils se trouvent contraints de repartir en Côte d’Ivoire c’est qu’ils sont en train de vivre au Burkina un véritable enfer beaucoup plus dangereux que l’enfer qu’ils ont quitté. Et ce n’est pas quelque chose qui nous honore. Il ne faut pas croire que les gens sont inconscients au point de vouloir aller délibérément vers la mort. C’est qu’en réalité rien, presque rien n’a été fait de substantiel pour permettre à ceux qui sont venus de rester. Dites-moi quel est le discours, quelle est l’attitude politique qui a été prise officiellement pour que ceux qui sont venus restent. J’ai attendu ce discours, je ne l’ai pas entendu… Et tant que ce discours ne viendra pas, il n’y a pas de raison que nous jetions la pierre à ceux-là qui sont obligés de repartir parce que, venus dans le dénuement, les parents qui les accueillent, ne sont pas à même de faire face. Et tant qu’il n’y a pas un fonds spécial créé à cet effet, face à cette catastrophe, il n’y a pas de raison qu’ils puissent rester. Ce d’autant plus que c’est un combat quelquefois pour avoir la terre à cultiver tout comme un terrain loti [26]. »

14Trouver un emploi pour les rapatriés constitue la phase la plus délicate d’une opération de réinsertion. Au Ghana, la procédure a été considérée comme un succès dans la mesure où, deux ans après les premières expulsions, 450 000 rapatriés avaient trouvé à s’employer dans les travaux agricoles. Mais rappelons que la situation économique n’avait alors rien de comparable avec celle du Burkina Faso. Ce nouvel apport de main-d’œuvre dans les campagnes ghanéennes correspondait opportunément à la fin de la sécheresse et les planteurs de cacao avaient vu dans l’arrivée de cette population de retour un moyen d’accélérer la remise en culture des terres incendiées. Dit autrement, la réinsertion des migrants a pu renforcer la restructuration générale de l’économie ghanéenne avec notamment un transfert de la population active des secteurs public et tertiaire vers le secteur agricole.

Des réinstallations pourtant problématiques

Retours catastrophes ou retours programmés ?

15En Côte d’Ivoire, la crise a commencé depuis si longtemps que nombre de migrants burkinabè ont eu le temps de négocier leur présence ou de préparer leur retour, redéployant progressivement leurs activités au Burkina tout en conservant une assise sur le territoire ivoirien. Contrairement aux discours souvent tenus au Burkina, ils n’ont pas attendu la précarisation de leurs conditions de vie en Côte-d’Ivoire pour réagir. L’instauration en Côte d’Ivoire, à partir de 1991, d’une carte de séjour obligatoire pour les étrangers, même citoyens de la CEDEAO, a incontestablement eu des effets sur le retour au pays des immigrés : retour en catastrophe de chômeurs installés à Abidjan, réinstallation dans les régions rurales de l’Ouest burkinabè de migrants décidés à rentabiliser des activités agricoles ou à développer un commerce ou un atelier, accueil dans la famille des enfants nés en Côte d’Ivoire qui avaient dans un premier temps accompagné leurs parents en migration. Les coûts de scolarisation en forte augmentation en Côte d’Ivoire, et en particulier à Abidjan, ont contribué à amplifier les pratiques de « confiage ». Placés auprès d’un parent ou d’un ressortissant du même village, les enfants burkinabè poursuivent dorénavant leur scolarité au pays de leurs ancêtres (Guillaume et al., 1997). De la même manière, la forte croissance des frais d’inscription universitaire a conduit nombre d’étudiants burkinabè à se replier sur Ouagadougou. Avec la mise en place de la politique d’« ivoirisation » dans les années 1990, les étudiants étrangers ne pouvaient plus bénéficier des bourses de l’État ivoirien et voyaient leur avenir totalement compromis dans l’administration de ce pays (Batenga, 2003).

16Au milieu des années 1990, les retours en milieu urbain, bien que moins nombreux en proportion qu’en zone rurale, étaient pourtant déjà révélateurs de stratégies migratoires inédites au Burkina Faso (Blion, 1994). Des migrants décidaient de ne pas rapatrier la totalité de leur épargne au village, préférant la réinvestir dans un apprentissage en ville. D’autres encore avaient eu l’opportunité de nouer des contacts avec des compatriotes d’origine citadine pendant leur séjour ivoirien et, une fois de retour, sollicitaient leur soutien pour une meilleure réinsertion résidentielle ou professionnelle.

17L’intensification des retours était alors beaucoup plus marquée chez les femmes que chez les hommes. Un double mouvement s’est développé, difficile à saisir sur la seule base des recensements : retour au pays des femmes ayant accompagné ou rejoint leur mari en migration et départ vers la Côte d’Ivoire de jeunes femmes intégrant des secteurs économiques peu touchés par la crise comme le commerce. Selon les enquêtes menées dans le cadre de REMUAO [27], au tournant des années 1990, le Burkina Faso devient le seul pays du réseau à bénéficier d’un solde migratoire positif qui profite à Ouagadougou mais surtout au milieu rural. Autrement dit, on assiste à une inversion des courants migratoires avec la Côte d’Ivoire, qui ne s’explique pas seulement par la situation économique et politique du pays. En Côte d’Ivoire, l’exode rural est supplanté par une émigration urbaine (Beauchemin, 2001) dans la mesure où les populations parties tenter leur chance à Abidjan se réinstallent à la campagne avec l’espoir de trouver un revenu stable. Quant aux Burkinabè qui rentrent dans leur pays, ils s’orientent aussi préférentiellement vers les zones agricoles.

L’installation à Ouagadougou : une trajectoire occultée par l’État burkinabè

18À l’inverse du Ghana, qui avait sollicité l’aide internationale pour créer des activités non agricoles en milieu rural et urbain, l’État burkinabè a conçu un dispositif d’accueil des migrants fondé exclusivement sur un retour en zone rurale, qu’il s’agisse ou non des villages d’origine. Aussi, ceux qui ont choisi de rester en ville et notamment dans la capitale sont-ils contraints de trouver seuls les voies de leur insertion dans le tissu économique et social existant. Ces populations sont invisibles au sens où elles ne se concentrent ni dans un quartier particulier de la cité ni dans un secteur d’activité précis. À l’inverse, elles se caractérisent par une extrême hétérogénéité. La plupart semble avoir attendu le dernier moment pour gagner le Burkina Faso. Des femmes notamment sont rentrées en catastrophe à Ouagadougou avec leurs enfants après que leurs maris ont été tués ou après avoir été violées par des soldats. Néanmoins, certaines familles ont procédé par étapes, évacuant en priorité les femmes et les enfants. Parmi les hommes qui leur ont emboîté le pas, plusieurs scenarii ont été repérés. Ceux qui étaient installés depuis peu et qui n’avaient pas eu le temps d’accumuler du capital ont préféré limiter les risques et rentrer rapidement au pays. Ceux qui se sont faits piller ou violenter sont revenus en catastrophe et, après ce choc, semblent envisager leur avenir au Burkina : « j’ai tourné le dos à l’aventure ». Ceux qui ont laissé des biens importants en terre ivoirienne ont pris le temps de trouver un parent ou un ami susceptible de veiller sur leur patrimoine avant de se réfugier au Burkina. Si les uns attendent le moment propice pour revendre leurs affaires avant de réinvestir définitivement dans leur pays d’origine ou dans un autre pays de la sous-région, d’autres plus optimistes espèrent une accalmie avant de se réinstaller au moins partiellement en Côte d’Ivoire. Quelques artisans ont pu rapatrier une partie de leur matériel et comptent bien se faire une nouvelle clientèle à Ouagadougou : « Là-bas j’avais 73 machines à coudre. On commençait à sentir venir, j’ai voulu ramener un peu, un peu. J’ai fait 22 voyages entre Yamoussoukro et Ouagadougou. Le 30 août 2002, j’en ai ramené 2. Il y a eu le coup d’État du 22 septembre et je n’ai pas pu repartir. La voiture est là dans la cour, avec l’immatriculation de Côte d’Ivoire, elle n’a plus bougé [28]. »

19Contrairement aux idées reçues, même absents longtemps du Burkina, nombre de migrants installés en Côte d’Ivoire étaient déjà engagés dans une stratégie patrimoniale. Depuis la création du Domaine foncier national, les particuliers, nouvellement propriétaires d’un permis urbain d’habiter (titre de jouissance), se doivent de prendre en charge la mise en valeur de la parcelle dans un délai de trois ans sous peine de se voir confisquer leur terrain. Par ailleurs, les propriétaires des nouveaux lotissements sont recrutés en priorité parmi ceux qui étaient précédemment installés dans des aires loties. Bien que toutes ces mesures aient bien souvent freiné les migrants dans leur acquisition d’un terrain loti, il semble qu’ils soient parvenus à acquérir une parcelle. En dépit du contrôle étatique exercé sur les modalités d’attribution des parcelles loties, des filières parallèles se sont mises en place permettant notamment à des migrants de racheter des parcelles à ceux qui ne disposaient pas de moyens suffisants pour les mettre en valeur dans le temps imparti. Au moment de l’enquête, ils sont aussi nombreux (40 % de l’échantillon) à être propriétaires d’une maison (parfois de tôle) qu’à être hébergés par un parent. En revanche, le nombre de locataires reste très faible. Et parmi les migrants hébergés par leur famille, quelques-uns sont eux-mêmes propriétaires d’une maison dans leur village d’origine. Tous les métiers ne générant pas la même capacité d’épargne, les uns ont dû étaler dans le temps leurs dépenses et leurs investissements alors que d’autres avaient pu devenir rapidement acquéreurs d’une parcelle lotie. Mais, dans notre échantillon, la majorité des propriétaires avaient fait construire leur maison bien avant leur retour au Burkina. Ayant mis en location leurs maisons, quelques-uns ont dû « vider l’occupant » avant de pouvoir emménager. Un planteur d’Alosso dont les terres ont été confisquées par les Ivoiriens a repris la boutique qu’il avait laissée en location du côté de Sissin. Une famille a pu survivre un temps grâce à l’argent de la location d’un kiosque-buvette dans le secteur 30.

20Majoritairement, ces populations ont trouvé appui auprès des membres de leur famille. Qu’il s’agisse d’un hébergement ou bien d’un soutien pour obtenir une embauche, d’une aide pour démarrer une activité économique, les solidarités familiales semblent avoir bien fonctionné. « J’avais une parcelle que mon oncle m’avait donnée ; elle n’était pas construite. Depuis mon retour, mon oncle m’a aidé à construire pour m’installer au secteur 15 de Ouaga et il a contacté un service de gardiennage où on m’a embauché comme vigile [29]. » Un opérateur économique a construit un télé-centre pour que sa sœur cadette puisse en assurer le secrétariat et mettre à profit ses compétences acquises à Abengourou. Un tailleur, qui a laissé son matériel à Adjamé, a racheté à crédit une machine à coudre à un ami d’enfance lui-même couturier, de façon à recommencer son activité à Tampouy. Un père a aidé sa fille à s’installer sur le marché de Pissy de manière à ce qu’elle puisse continuer à vendre les articles de beauté et les vêtements pour enfants qu’elle écoulait déjà sur le marché d’Ono jusqu’en octobre 2002. Un ancien « diaspo » a confié le camion familial à un compatriote chauffeur rentré en octobre 2003 de Daloa, ville où ils s’étaient connus et fréquentés pendant plusieurs années. Grâce à un cousin employé aux Travaux publics, un entrepreneur en bâtiment a pu obtenir sans trop de difficultés des marchés à Ouagadougou et dans sa région. Un grand-frère utérin a financé le permis de conduire de son cadet puis a acheté un taxi dont il lui a confié la conduite. Ce soutien familial dépend aussi de la manière dont le migrant a entretenu son capital social pendant son absence. Ceux qui avaient rompu les liens ou qui n’avaient jamais vécu au Burkina Faso ont, à l’évidence, beaucoup moins de possibilités pour rebondir dans la capitale ouagalaise.

21Quelques-uns mettent un point d’honneur à se débrouiller par eux-mêmes, prévenant toute critique : « Deux mois après mon arrivée (il a quitté Daloa en décembre 2000), j’aidais un commerçant à vendre dans une de ses boutiques puis ne voulant plus dépendre de quelqu’un, je suis devenu blanchisseur et aujourd’hui je me débrouille pas mal avec ce que je gagne. » Trois mois à peine après son retour, un boucher qui avait travaillé près de vingt ans aux abattoirs de Port-Bouët a retrouvé un emploi comparable dans la capitale burkinabè. D’autres moins bien armés se plaignent, en revanche, d’être abandonnés ou de ne pas pouvoir compter sur leur famille déjà trop démunie. Une femme rentrée avec ses enfants en janvier 2003 à la suite de l’assassinat de son mari raconte : « Je suis partie rejoindre mon mari en 1996 à Vavoua. J’étais couturière depuis 1998… Je veux continuer ma couture mais je n’ai pas encore les moyens. Je suis obligée de me prostituer pour avoir de l’argent. Personne ne m’a aidée, je me suis adaptée à la vie d’ici… Je cherche simplement à survivre. »

22Les reconversions professionnelles sont parfois difficiles. Un planteur se met à vendre de l’eau dans les rues de la ville, un autre à écouler du charbon, un troisième des fripes. Un propriétaire d’un kiosque de ventes de cassettes se retrouve manœuvre temporaire sur des chantiers, un employé du Port Autonome d’Abidjan s’improvise commerçant sur le petit marché de Moctedo. Se retrouvant dans l’obligation de travailler une fois installés à Ouagadougou, des élèves deviennent serveurs ou apprentis-coiffeurs.

23Les nouveaux arrivants ont besoin de se familiariser avec les organisations et les fonctionnements d’une société fréquentée seulement de manière ponctuelle. Mais, une fois les nouveaux contextes et règles du jeu décryptés, ils se révèlent entreprenants. Ils sont nombreux à maintenir des relations étroites une fois de retour avec des compatriotes qui avaient émigré dans la même ville de Côte d’Ivoire et qui avaient souvent créé des associations. Ils continuent de s’entraider à Ouagadougou, réactivant plus largement cette solidarité communautaire au moment de la mise en place d’une activité économique par l’un ou l’autre membre. C’est ainsi qu’un responsable d’une société de transport n’hésite pas à confier à un couturier, rentré comme lui de Yamoussoukro, la confection de rideaux dans la perspective d’aménager l’intérieur d’autocars récemment acquis.

24Les Burkinabè réinstallés dans la capitale s’efforcent de valoriser des savoir-faire acquis sur le territoire ivoirien. Le transport de passagers, le gardiennage, la restauration, la couture, la coiffure, la vente d’attiéké mais aussi l’animation de radio et la gestion de télé-centres sont autant de créneaux porteurs qu’ils essaient d’exploiter avec plus ou moins de brio dans leur pays d’origine, économiquement moins développé que la Côte d’Ivoire. La migration a sans aucun doute exacerbé chez ces travailleurs leurs capacités à innover et à diversifier leurs activités. Ils entendent se renouveler dans l’exercice de leur profession, diffusant la mode ivoirienne et imposant une nouvelle manière de paraître en ville. L’insertion en ville de ces migrants n’ayant pas été du tout envisagée par le gouvernement burkinabè, les plus entreprenants prospectent sans grand succès les structures bancaires à la recherche d’un crédit ou encore approchent la Chambre de commerce pour obtenir une aide à la formation. D’autres s’efforcent de mettre en pratique les techniques de marketing et distribuent des prospectus vantant l’ouverture récente de leurs établissements. Certains corps de métiers tentent de se regrouper en association de manière à se constituer en interlocuteurs de poids face aux financeurs potentiels.

25Les étudiants constituent un groupe singulier dans la mesure où ils appartiennent le plus souvent à la deuxième ou troisième génération de migrants. Ils sont nés en Côte d’Ivoire pour la plupart d’entre eux et n’avaient jamais vécu jusqu’à présent dans le pays de leurs ancêtres à l’exception des vacances scolaires pour quelques-uns. Leurs collègues, qui ont suivi la totalité de leur cursus universitaire au Burkina, les accusent d’être à l’initiative des mouvements estudiantins et de diffuser la violence sur le campus (Batenga, 2004). La société civile participe également à cette stigmatisation. Or, ne pouvant plus compter sur leurs parents qui affrontent de plein fouet la crise ivoirienne, nombre d’étudiants sont conduits à explorer de multiples voies pour survivre et poursuivre leurs études. L’association Le Tocsin a pris en charge les frais d’inscription à l’université des étudiants les plus démunis. Ceux qu’on appelle les « diaspos » cherchent à exercer des activités d’appoint pour subvenir à leurs besoins. Réadaptant au goût local les allocodromes abidjanais, ces petits marchés nocturnes, quelques-uns proposent des plats préparés bon marché à proximité de l’université. Au travers de cette initiative, ils contribuent à l’animation nocturne de quartiers et à la diffusion de nouveaux modèles de consommation.

Pour conclure…

26Le retour au pays des Burkinabè installés en Côte d’Ivoire n’a pas pris la forme d’un exode massif. Ils sont plus nombreux à rester ou repartir en terre ivoirienne [30], en dépit du climat qui y règne, qu’à regagner le pays de leurs ancêtres. Et parmi ceux qui sont rentrés, si les uns particulièrement traumatisés comptent résolument se réinstaller au Burkina Faso, d’autres espèrent rejoindre la Côte d’Ivoire quand la situation s’y sera apaisée, ou encore envisagent un nouveau départ vers d’autres contrées, remettant en question les lieux communs associant la migration à une fuite devant les responsabilités. Loin d’inciter leurs ressortissants à rentrer au pays, les autorités burkinabè tablent sur un double discours : d’un côté, elles conservent l’attitude désinvolte qu’elles ont adoptée depuis longtemps vis-à-vis des migrants en n’assurant ni leur protection ni leur valorisation au prétexte qu’elles veulent éviter à tout prix la jalousie entre compatriotes ; de l’autre, elles profitent des derniers événements pour exploiter la veine nationaliste en médiatisant une opération de rapatriement menée au profit de quelques milliers de Burkinabè. Le gouvernement limite son intervention aux zones rurales et ne semble pas disposé à solliciter davantage les bailleurs de fonds internationaux dans cette opération de rapatriement qu’il ne peut prendre en charge seul. Il n’a pas de projet pour soutenir des activités rémunératrices en milieu urbain ou exonérer de taxes ou d’impôts les nouveaux entrepreneurs. Les expulsions de ses ressortissants de Côte d’Ivoire et de Libye ne l’a pas encore conduit à s’interroger sur le statut et le rôle à donner à sa diaspora dans la construction du pays. On peut d’abord s’étonner de la création tardive du Secrétariat d’État des Burkinabè de l’étranger (juillet 1991) dans un pays caractérisé par une émigration ancienne et massive alors que, quelques années plus tôt, le gouvernement sankhariste avait pensé à mobiliser l’épargne des migrants en lançant un programme de réinsertion de ceux qui revenaient. Il leur offrait alors la possibilité d’acquérir pour une somme raisonnable un lopin de terre destiné à la culture ou des logements urbains en location vente. On peut ensuite s’interroger sur le fonctionnement minimaliste du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE), qui a connu de multiples restructurations au cours de la dernière décennie [31]. On peut enfin se demander pour quelles raisons les Burkinabè émigrés sont interdits de vote au Burkina, alors que la participation électorale des émigrés traduit souvent une démarche d’activation du lien avec la nation (Marmorà, 2002).

27Les tensions s’exacerbant dans les zones rurales et après que les aînés aient rétrocédé les terres agricoles aux planteurs « rapatriés », il est fort possible que les cadets optent à leur tour pour l’émigration internationale aux côtés des ex-migrants de retour qui auront échoué dans leur réinsertion. Dans la capitale, la présence diffuse des Burkinabè rentrés de Côte d’Ivoire ne semble pas compromettre dans les faits l’équilibre urbain, bien que certains discours continuent d’associer la montée de la violence et de la criminalité avec le retour des migrants de Côte d’Ivoire. Modestes entrepreneurs ou gros promoteurs, quelques prétendus « déracinés » parviennent, grâce à un capital économique ou social, à trouver une place dans une société qui ne semble toujours pas les considérer comme des acteurs potentiels du développement économique de leur pays.

Notes

  • [1]
    Directrice de recherches à l’IRD (UMR LPED-Marseille) Sylvie. Bredeloup@ up. univ-mrs. fr
  • [2]
    75 à 80 % de femmes et d’enfants, source : CONASUR (Comité National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation).
  • [3]
    Source : CONASUR.
  • [4]
    Un an après le soulèvement de septembre 2002, le Premier ministre burkinabè présentait un bilan provisoire des dommages subis par ses compatriotes : 42 assassinats, 35 disparitions, 219 cas de tortures et de traitements inhumains, 32 cas de violences exercées sur les femmes et les enfants, 20 000 cas de pillage et de destruction d’habitations, 1 370 cas de spoliation de biens.
  • [5]
    En Afrique, c’est le droit du sang qui prévaut : un enfant né de parents burkinabè sur le sol ivoirien ne peut pas obtenir la nationalité ivoirienne. Avant le durcissement politique, ses parents installés durablement en Côte d’Ivoire ne voyaient pas la nécessité d’entreprendre des démarches pour qu’il obtienne la nationalité burkinabè. Or l’action de rapatrier consiste à assurer légalement le retour d’une personne sur le territoire du pays auquel elle appartient par sa nationalité.
  • [6]
    Cette recherche s’inscrit dans le prolongement de travaux que j’ai déjà réalisés sur la construction de l’étrangeté en Côte d’Ivoire et sur le rôle de la Côte d’Ivoire dans les stratégies migratoires des ressortissants burkinabè et sénégalais. Les premiers récits ont été collectés en 1990 à la fois à Abidjan et à Ouagadougou ; les derniers en novembre 2005. 80 entretiens semi-directifs ont également été conduits en 2004 auprès de commerçants et d’artisans ayant essayé de se (ré)installer dans la capitale burkinabè.
  • [7]
    À l’évidence, l’instabilité politique a largement contribué au déclin des envois de fonds en provenance de Côte d’Ivoire et à destination du Burkina Faso ainsi qu’à l’augmentation de la pauvreté nationale au cours de la période 1998-2003. Si, en 1998, plus de la moitié des ménages burkinabè disposant de transferts bénéficiaient d’une redistribution en provenance du territoire ivoirien, cette proportion n’était plus que d’un quart cinq ans plus tard (Lachaud, 2005).
  • [8]
    L’Observateur Paalga, 14 octobre 2002.
  • [9]
    En référence à un article paru dans L’Observateur Paalga, 24 avril 2003.
  • [10]
    Deux termes en moore pour désigner ceux qui sont restés ou ceux qui ont « duré » en brousse.
  • [11]
    En Côte d’Ivoire, le Burkinabè est présenté comme le « gawa », le villageois arriéré, isolé, soumis à l’Ivoirien et à mille lieux de ses frères de Ouagadougou, les hommes « fiers et intègres ».
  • [12]
    Solidarité Paalga, 22-31 janvier 2001.
  • [13]
    Entretien réalisé à Abidjan en 2000 avec un Burkinabè installé en Côte d’Ivoire depuis 1969.
  • [14]
    Il semblerait que le gouvernement n’ait pas obtenu le soutien financier espéré et ait dû réviser ses ambitions et ne retenir qu’un seul site d’accueil et qu’un seul centre de transit (CONASUR, août 2003). Pourtant, dans un entretien accordé à L’Intelligent (9-16 février 2003), le Premier ministre faisait savoir que les financements (qui s’élevaient alors à 8 milliards de francs CFA) étaient disponibles et que les bailleurs de fonds les avaient pris en charge à 90 %. Les moyens semblent totalement décalés au regard des rapatriements effectifs qui auraient coûté 400 millions de francs CFA (selon le secrétaire permanent du CONASUR).
  • [15]
    Termes moore désignant la terre des parents, autrement dit la patrie.
  • [16]
    Propos tenus par le ministre de l’Action sociale et rapportés par « Les archives intégrales de l’Humanité ».
  • [17]
    Engagée à compter du 14 novembre 2002, cette action d’urgence s’est arrêtée dès janvier 2003.
  • [18]
    Sidwaya, 12 mai 2003, entretien avec le ministre de la Solidarité nationale.
  • [19]
    À signaler le rôle du mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP).
  • [20]
    L’Observateur Paalga, 6 août 2002.
  • [21]
    L’Hebdo du Burkina, 2-8 août 2002. Propos tenus par A. Ouedraogo, président du Tocsin.
  • [22]
    Selon un rapport de la CONASUR déjà cité, 95 % des Burkinabè ont regagné le pays par leurs propres moyens alors que, dans l’opération organisée par le Ghana en 1985, seulement 30 % des rapatriés avaient gagné leur localité d’origine par leurs propres moyens et à leurs frais (Ricca, 1990).
  • [23]
    Afrique Relance, juillet 2003.
  • [24]
    Sidwaya, 19 octobre 2002.
  • [25]
    Les Échos du Tocsin, n° 5, janvier-mars 2003.
  • [26]
    Entretien auprès de A. Ouedraogo, président du Tocsin, L’Opinion, n° 361, 1-7 septembre 2004.
  • [27]
    Réseau Migrations et Urbanisation en Afrique de l’Ouest, Bamako, CERPOD. Les analyses portent sur la période 1988-1992 et prennent en compte huit pays (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria et Sénégal).
  • [28]
    Entretien avec S., 11 mars 2004, Ouagadougou.
  • [29]
    Rapatrié dans le cadre de l’opération Bayiri en janvier 2003, installé depuis 1996 comme boy cuisinier à Daoukro.
  • [30]
    Ils sont très nombreux à repartir en Côte d’Ivoire. En juin 2004, dix-huit cars qui avaient embarqué des passagers, tous Burkinabè, pour la Côte d’Ivoire ont été bloqués à Tiébissou par les forces loyalistes et ont été refoulés. Un transporteur expliquait : « Si l’État veut réellement motiver les rapatriés et les refoulés à rester définitivement au pays, qu’il crée des emplois durables et encourage des activités rémunératrices. Ceux qui persistent à retourner en Côte d’Ivoire veulent seulement assurer le bien-être de leurs parents vivant au pays », Sidwaya, 1er juillet 2004.
  • [31]
    Plutôt que de soutenir l’action des émigrés de retour de Côte d’Ivoire, en 2004 et 2005, le CSBE a développé essentiellement des actions à l’endroit de la diaspora burkinabè émigrée à l’étranger (Italie, Gabon, Arabie saoudite), dans la perspective de canaliser ses investissements avec l’aide des banques de la place.
Français

Résumé

Depuis 1999, la succession des troubles ayant touché la Côte d’Ivoire a entraîné le retour de nombreux Burkinabè vers leur pays d’origine. Comment s’est déroulé ce retour au pays ? Jusqu’à quel point l’opération a-t-elle été préparée et contrôlée par les autorités burkinabè ? Comment opère la réinsertion des migrants à rebours ? Autant de questions auxquelles cet article tente de répondre à partir d’un travail de terrain conduit à Abidjan et à Ouagadougou.

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Sylvie Bredeloup [1]
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2006
https://doi.org/10.3917/afco.217.0185
Pour citer cet article
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