CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les conditions dans lesquelles se déroule le travail personnel des élèves peuvent accroître considérablement les inégalités de départ. Cette prise de conscience a permis à un certain nombre d’équipes pédagogiques et éducatives de lutter contre les discriminations en définissant les modalités de prise en charge des élèves pour l’aide aux devoirs, au sein même de l’école ou du collège. Il est indispensable que cette mobilisation s’accentue.
Hors temps scolaire, les inégalités de traitement se manifestent de façon plus choquante encore. L’accompagnement éducatif mis en place dans les écoles et collèges de l’éducation prioritaire, pourtant très utile, a vu les crédits qui lui étaient alloués baisser considérablement depuis l’année qui a suivi sa création. Or, dans le même temps, par le biais des déductions d’impôts consenties aux familles, l’État participe au financement de cours payants assurés par les officines de cours particuliers. En parallèle, l’accompagnement éducatif destiné aux CPGE sous le nom « d’heures de colle » a augmenté deux fois plus vite que le nombre d’étudiants. L’expression de « la solidarité pour la réussite de tous » s’exprime aussi à travers des choix budgétaires, une politique plus volontariste s’impose pour plus de justice[1].

La prise en charge des élèves dans le temps scolaire : l’école doit être davantage mobilisée

1Le travail personnel demandé à l’élève est un élément essentiel dans l’acquisition des connaissances et des compétences. Il est aussi une source majeure d’inégalités. Les devoirs à la maison sont rarement contestés dans leur principe, « mais leur contenu peut devenir un sujet de tension dès lors que les familles les plus en difficulté ne peuvent aider l’enfant à les faire [2]. » Comme le remarque le chercheur Stéphane Bonnéry, « les politiques éducatives devraient mieux faire comprendre aux enseignants que la moitié des élèves ne peuvent pas être aidés le soir par leurs parents. »

2Le travail personnel doit donc être accompagné, tout particulièrement quand il demande à l’élève une tâche qui nécessite l’accès à une documentation. Quand le « devoir à la maison » consiste par exemple à effectuer une recherche ou à préparer un exposé seul ou en groupe, l’école place immanquablement en situation difficile l’élève qui n’a pas les conditions de travail nécessaires chez lui (comment bien travailler dans un logement insalubre ou trop petit ?) ou qui est dans l’impossibilité de rejoindre un pair. Aucune consigne concernant une recherche ou la réalisation d’un exposé, seul ou en groupe, ne devrait donc être donnée sans que l’enseignant n’ait vérifié au préalable que ce travail pourra être réalisé en mobilisant la documentation et les outils de recherche disponibles à l’école ou dans l’établissement. Les horaires et les locaux de l’école ou de l’établissement doivent être organisés en conséquence. C’est pourquoi, les conseils d’école et les conseils d’administration des établissements scolaires devraient débattre de cette importante question au début de chaque année scolaire et envisager les modalités d’accompagnement de tous les élèves pour le travail personnel qui leur est demandé. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. L’action déterminée d’équipes pédagogiques montre que c’est pourtant possible.

3Ainsi, dans une circonscription du premier degré de l’académie de Lyon, un groupe de travail a rédigé un document d’aide à la réflexion du conseil des maîtres de chaque école et du conseil pédagogique du collège. La réflexion collective a abouti à l’écriture d’un avenant aux projets d’école et au projet d’établissement sur le travail personnel des élèves, le principe affiché étant de « passer d’une logique de publics à une logique de questionnement des pratiques professionnelles des enseignants et des accompagnants, pour lutter contre la discrimination dans l’accès au savoir [3]. » De façon tout aussi exemplaire dans un établissement de l’académie de Nancy-Metz, on considère qu’il est « primordial que les élèves de collège rentrent le soir à la maison en ayant réalisé les devoirs écrits au collège, encadrés par des adultes [4]. »

4Il faut sans cesse rappeler ce qui, pourtant, est une évidence : l’accompagnement des élèves, au sein de l’école et de l’établissement, est une action déterminante pour l’égalité de tous. Comme le soulignent les inspections générales, « tout ne peut pas être fait pendant les 24 heures de classe. L’élève en grande difficulté, ou celui qui glisse vers cette situation, a besoin d’un temps qui lui soit réservé quotidiennement. L’école doit prévoir ce temps dans le prolongement de la classe [5]. »

5C’est ce qui est pratiqué dans le collège REP+ Costa Gavras du Mans, où le travail personnel est essentiellement effectué au collège et « l’accompagnement continu » instauré à cet effet en classe de 6e, ou au collège Montgaillard de St Denis de la Réunion où, pour tous les élèves de 6e, les cours s’arrêtent à 15 h 30 et la dernière heure de la journée est consacrée à des études obligatoires (Mesure 3 de la refondation de l’éducation prioritaire). Et, à partir de 16 h 30, les élèves de 6e peuvent aussi participer à l’accompagnement éducatif, l’objectif étant qu’en rentrant chez eux ils n’aient plus de travail à faire.

6On voit ici l’importance fondamentale pour la réussite de tous de la bonne mise en œuvre des trois heures d’accompagnement personnalisé instituées en classe de sixième à la rentrée 2016 dans le cadre de la réforme du collège.

La prise en charge des élèves hors temps scolaire : des inégalités insupportables

7C’est en 2008-2009 qu’a été mis en place un dispositif d’accueil après les cours qui est désormais proposé à chaque collégien ainsi qu’à tous les élèves des écoles élémentaires de l’éducation prioritaire qui le souhaitent. Une excellente mesure. En 2013-2014, plus de 893000 élèves ont été concernés, dont 674461 collégiens du public, soit 25,8 % des élèves des collèges publics.

8Cet accompagnement éducatif d’une durée de 2 heures, 4 jours par semaine, s’organise autour de quatre domaines : l’aide aux devoirs, les activités culturelles, la pratique sportive et les langues vivantes. En collège, l’intervenant type est un enseignant du second degré ou un assistant d’éducation assurant l’aide aux devoirs. En école de l’éducation prioritaire ou des DOM, l’intervenant type est un enseignant du premier degré.

9L’accompagnement éducatif garantit un service d’aide aux devoirs gratuit pour ceux qui ne peuvent payer les services d’un étudiant ou des cours particuliers d’entreprises privées pour faire leurs devoirs. Ainsi, dans un collège rural de l’académie de Lille, l’accompagnement éducatif permet par exemple, selon le chef d’établissement, « l’encadrement des élèves et leur réussite : aide aux devoirs, préparation à l’épreuve d’histoire des arts, révision des disciplines des épreuves ponctuelles du brevet, PPRE [6], et projets transdisciplinaires – Projet Pina Bausch en 2014 par exemple. Ces dispositifs, qui ont un impact réel sur la motivation et le travail des élèves, étaient, et sont encore pour le moment, financés en quasi-totalité par l’accompagnement éducatif. Nous n’avons aucun mal à mobiliser les professeurs sur ces dispositifs, ou sur des projets qu’ils nous proposent. »

10Pour l’atteinte de l’objectif de réduction des écarts de réussite en fonction des milieux sociaux, l’accompagnement éducatif est donc une mesure très utile. Or, les crédits consacrés à l’accompagnement éducatif diminuent depuis 2009.

Évolution des crédits (en millions d’euros) inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour l’accompagnement éducatif de 2008 à 2015

tableau im1
Var Programmes 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2009- 2015 Public 114 273 251 257 257 258 251 239 – 12,6 % Privé 6 30 26 26 26 21 19 17 – 43 % Total 120 303 277 283 283 279 270 256 – 15,6 %

Évolution des crédits (en millions d’euros) inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour l’accompagnement éducatif de 2008 à 2015

Source : DGESCO, 2015.

11À noter que la diminution pour la rentrée 2015 ne concernait que le dernier trimestre de l’année civile, soit 14 millions d’euros. En année pleine ce sera trois fois plus, soit 42 millions de crédits supprimés. Sur l’année civile 2016 la somme consacrée à l’accompagnement éducatif sera donc de 228 millions d’euros, ce qui représentera une baisse de 75 millions d’euros par rapport à 2009 (– 25 %). L’accompagnement éducatif ne sera ainsi plus assuré dans les collèges hors éducation prioritaire. Est-ce bien le moment de supprimer des heures d’aide aux devoirs pour les élèves des milieux populaires qui ne se trouvent pas seulement en éducation prioritaire ? Dans un collège de l’académie de la Réunion, on avance un argument qu’il paraît nécessaire d’entendre : « Persistance nécessaire de l’accompagnement éducatif sinon les différences vont s’accentuer : 50 % des élèves ici ont une aide par les parents, des cours privés… Il faut ici compenser pour aider ceux qui ne peuvent pas aider leurs enfants [7]. »

12Parlons en effet des cours privés et de leur coût pour la collectivité nationale puisque cette activité est assimilée à de l’aide à la personne et peut être partiellement déduite fiscalement. On peut estimer le montant des exonérations fiscales consenties à cet effet en 2016 à 300 millions d’euros, c’est-à-dire que la collectivité nationale dépense plus pour cette aide privée que pour l’accompagnement éducatif public et gratuit en direction des plus modestes. En effet, en 2008, le CERC [8] publiait un rapport [9] dans lequel il était indiqué que « les dépenses publiques au titre des SAP [services à la personne] ne sont pas ventilées par fonction. En particulier, le chiffrage de l’aide publique au soutien scolaire privé n’est pas disponible. Une estimation très grossière peut être établie à partir de l’estimation du volume d’affaires estimé par le XERFI : 600 millions d’euros en 2005 (INRP, 2006). Le soutien public dépasse 50 % des sommes éligibles engagées par les ménages, puisque les entreprises bénéficient d’un taux réduit de TVA et de charges sociales allégées. En supposant que 80 % du chiffre d’affaires du secteur correspond à des dépenses déductibles de l’impôt, l’aide publique dépasserait 240 millions d’euros annuels, soit presque deux fois et demie le budget du soutien scolaire public et presque le quart de celui des ZEP[…]. »

13Tous les crédits d’accompagnement des élèves ne sont pas soumis aux mêmes rigueurs budgétaires. Il existe un accompagnement éducatif qui échappe à toutes les restrictions. Nous voulons ici parler de l’accompagnement éducatif mis en place de façon systématique en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). À ce niveau, l’accompagnement éducatif prend le nom d’heures d’interrogation ou « heures de colle » et consiste essentiellement en une aide à la préparation aux concours. Inscrites dans les arrêtés des programmes, ces heures ne sont pas soumises aux mêmes contraintes budgétaires que l’accompagnement éducatif proposé dans les écoles et dans les collèges. Elles sont d’une certaine manière sanctuarisées.

Évolution du budget consacré aux heures d’interrogation (heures dites de colle) en CPGE[10]

tableau im2
Variation 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2005 2013 En 56 61,3 63,5 66,8 68,6 69,1 69 67,4 70,4 + 25 % millions d’euros 10 Nombre 74790 76 160 78072 80 003 81135 79874 80 411 82221 83 520 + 11,6 % d’étudiants

Évolution du budget consacré aux heures d’interrogation (heures dites de colle) en CPGE[10]

Source : MENESR DGESCO/DAF, novembre 2014.

14En 2013, la somme consacrée à cette dépense sur le budget de l’enseignement scolaire a été de 70,4 millions d’euros pour 83520 étudiants de CPGE, à comparer aux 235 millions d’euros consacrés à l’accompagnement éducatif en 2015 pour environ 800000 élèves. Précisons que les crédits consacrés aux heures de colle ont augmenté deux fois plus vite que le nombre d’étudiants sur la période 2005-2013. Ajoutons que, dans le même temps, les crédits des fonds sociaux destinés à venir en aide aux élèves les plus pauvres ont été diminués par 2,3 en passant de 73 millions d’euros en 2002 à 32 millions en 2012.

15Osons cette question : les économies réalisées en direction des élèves les plus fragiles ne permettent-elles pas de préserver la scolarité d’élèves socialement plus favorisés ? Dans l’affirmative, qui seraient alors les « assistés » ? Un pays qui dépense deux fois plus pour les heures de colle de 83000 étudiants de CPGE que pour l’aide sociale en faveur du 1,2 million d’élèves pauvres que compte aujourd’hui notre pays, et qui finance l’accompagnement éducatif des élites au détriment de l’accompagnement éducatif des plus pauvres, n’exerce-t-il pas une forme de solidarité à l’envers ? Car c’est bien l’argent pris aux pauvres qui permet ici non seulement de préserver mais d’augmenter les crédits destinés aux plus riches. Cette façon de dépenser l’argent public est pour le moins troublante. Chacun comprend les difficultés budgétaires de notre pays, mais pourquoi ne pas demander des efforts à tous ? Pourquoi ne pas ramener les heures d’interrogation des classes préparatoires aux grandes écoles à la somme qui leur était consacrée en 2002, soit 50 millions ? Ce serait une contribution à l’effort budgétaire collectif et permettrait de rétablir en partie l’accompagnement éducatif dans les collèges hors éducation prioritaire qui accueillent des élèves issus des milieux défavorisés.

16En utilisant une formule empruntée au mouvement Emmaüs, nous pourrions dire que si on « ne vaccine pas contre la misère » et l’échec scolaire, « on peut essayer de vacciner contre l’indifférence » et, sommes-nous tenté d’ajouter, l’égoïsme.

17Mais, comme le disait le philosophe Alain « qui parle de ces choses » ?

Notes

  • [1]
    Cet article reprend l’essentiel de la partie du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous » remis à la Ministre de l’Éducation nationale le 12 mai 2015. Ce rapport est consultable en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid88768/grande-pauvrete-et-reussite-scolaire-le-choixde-la-solidarite-pour-la-reussite-de-tous.html
  • [2]
    Propos tenus par la Médiatrice de l’Éducation nationale devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les relations école-familles conduite par la députée Valérie Corre, 2014.
  • [3]
    Voir http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/lesformations-education-prioritaire/reussir-en-education-prioritaire-de-quoi-parlet-on/saint-priest-4-annees-de-reflexions-autour-de-laccompagnement-a-lascolarite-et-du-travail-personnel/.
  • [4]
    Témoignage recueilli lors de la visite de la Cité scolaire Stenay, 16 décembre 2015.
  • [5]
    Inspections générales de l’Éducation nationale (IGEN-IGAENR), Le traitement de la grande difficulté au cours de la scolarité obligatoire, Rapport 2013-095, novembre 2015.
  • [6]
    PPRE : Programme personnalisé de réussite éducative
  • [7]
    Propos du principal recueillis par un IA-IPR.
  • [8]
    CERC : Conseil emploi revenus cohésion sociale
  • [9]
    CERC, Services à la personne, Rapport n° 8, La Documentation française, 2008.
  • [10]
    Source : MENESR DGESCO/DAF, novembre 2014.
Jean-Paul Delahaye
Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2017
https://doi.org/10.3917/admed.150.0017
Pour citer cet article
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