CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les votes profanes qui rythment la vie des institutions comme les syndicats, les caisses de Sécurité sociale et, plus largement, les divers conseils et commissions « professionnels » sont relativement délaissés par les travaux d’histoire et de science politique [1]. Ceux-ci entérinent pour une part la sacralisation du vote « politique », implicitement considéré comme le seul digne de ce nom, lui-même hiérarchisé entre les votes électoraux proprement dits (en particulier ceux des « grandes élections », présidentielles, législatives, etc.) et les opérations de vote ordinaires qui leur sont subordonnées (votes en commission, en section, votes de motions, etc.). La « visibilité médiatique » des opérations quotidiennes de ces votes dits « professionnels » est faible : seules les élections de représentants des « partenaires sociaux » à caractère national (comme les élections aux conseils de prud’hommes) ou dans de grandes entreprises semblent échapper – au moins partiellement et ponctuellement – au désintérêt massif des commentateurs. Elles sont d’ailleurs souvent, en France tout au moins, interprétées selon les schèmes de perception issus du champ politique, comme manifestations de l’état de la concurrence syndicale, du déclin ou de l’affirmation de telle ou telle idéologie, etc. Les élections professionnelles les plus institutionnalisées, qui constituent une forme relativement officielle de vote, ne font d’ailleurs pas l’objet d’une préoccupation constante de la part des autorités publiques : Dominique Andolfatto (1992, p. 99-103) montre par exemple que les résultats des élections aux comités d’entreprise n’ont été systématiquement collectés et traités par le ministère du Travail qu’en fonction de l’intérêt politique variable pour cette institution [2]. Ces élections « négligées », comme dit Georges Ubbiali (1993), le seraient d’abord parce que « [les élections professionnelles] peuvent se définir comme régulant un état de nature – celui des rapports économiques et sociaux saisis dans leur quotidienneté – tandis que [les élections politiques] renvoient à un état de culture – celui de la cité – fondant et organisant le système politique » (D. Andolfatto, 1992, p. 9). Plus largement, dans l’espace des votes, certains sont plus ou moins dignes d’être constitués comme enjeu public (par exemple le vote en assemblée générale du rapport d’activité d’une association ou d’une entreprise, procédure le plus souvent perçue comme routinière et sans enjeu), là où les autres sont considérés comme au fondement d’une sorte de « contrat social » très général.

2L’opposition convenue entre « politique » et « économie » contribue ainsi, à côté de nombreux autres effets de dépolitisation, à occulter l’importance des opérations et des conceptions liées au vote dans le fonctionnement ordinaire de la vie économique. S’il est désormais mieux établi que le marché est, pour une bonne part, le produit d’un travail de construction étatique et juridique, même lorsqu’il est pensé comme pur de toute contrainte externe (voir P. Bourdieu, 2000, N. Fligstein, 2001), il est sans doute moins facilement admis qu’il est, et avec lui la plupart des institutions économiques (entreprises, administrations, syndicats, associations, etc.), le lieu d’exercice de technologies sociales et de pratiques associées communément au champ politique [3], et que celles-ci participent de façon essentielle à la reproduction de l’ordre économique lui-même.

3Souvent bien antérieures aux philosophies politiques qui se sont attachées à penser l’exercice de la « citoyenneté » en référence à l’acte de vote et ont contribué à réduire celui-ci à l’expression de celle-là, parfois en étendant de façon mécanique les schèmes politiques à l’interprétation des votes dits « professionnels » (avec, par exemple, la notion galvaudée et trompeuse de « démocratie sociale » telle qu’elle est par exemple mobilisée en France dans les débats récents sur la « refondation sociale »), ces pratiques sont des éléments structurants qui ont des effets de longue durée sur la reproduction des agents et groupes économiques, comme les corporations de métiers pendant et bien après le Moyen Âge (voir l’article d’Olivier Christin dans ce même numéro), les tribunaux et les chambres de commerce (D. Andolfatto, 1993), mais également les unités plus modernes du capitalisme développé que sont par exemple les sociétés par actions, les organisations professionnelles, syndicales, ou encore les fonds de pension, les mutuelles, les coopératives, les associations, voire les administrations. Les usages du vote, avant d’être la manifestation de conceptions plus ou moins antagonistes de « la démocratie », en font un instrument de la définition et du maintien de l’ordre à l’intérieur de certains espaces sociaux et entre les différents espaces. Ils sont un moyen privilégié pour régler les multiples « tensions » (concurrence, conflits d’intérêts, luttes de classes, de catégories, etc.) inhérentes à l’ordre économique, et en premier lieu l’enjeu de la distribution du capital et du pouvoir relatif sur le jeu économique. Cette fonction s’est en particulier affirmée depuis le développement du mouvement ouvrier et la formation, au xxe siècle, des États providence [4].

4Les pratiques de vote visent en premier lieu à donner une représentation légitime aux agents économiques à côté des institutions proprement politiques, mais elles servent également à organiser les formes d’exercice des droits et pouvoirs associés à la propriété et à l’activité économique, et déterminent certains des mécanismes de distribution du capital détenu dans le champ économique. Les luttes autour de la reproduction et de la transformation des règles associées au vote, dévaluées dans l’ensemble du mouvement ouvrier parallèlement à leur monopolisation par une couche de « professionnels », sont ainsi devenues un lieu central de la construction politique de l’ordre économique.

La représentation légitime des agents économiques

5Il n’est guère d’institution qui ne recoure, à un niveau ou à un autre, à une procédure électorale de désignation de « représentants », qui sont conduits à participer à des instances de décision telles que les conseils d’administration ou à des instances dites « consultatives ». La montée récente de la « gouvernance d’entreprise » (voir en particulier N. Fligstein, 1990) illustre de façon particulièrement vive l’importance des instances et des procédures permettant d’assurer le contrôle, par les détenteurs de capital, de la désignation des représentants officiels d’une entreprise, notamment dans les conjonctures critiques : « Entre 1980 et 1996, on estime que 1 300 dirigeants appartenant au classement Fortune des 500 plus grandes sociétés américaines ont mis fin à leur expérience dont 450 par licenciement du fait des actionnaires » (P.-Y. Gomez, 2001, p. 61-62).

6De façon analogue, les conflits autour des procédures de décision internes à la Commission européenne, qui se sont conclus provisoirement au sommet de Nice, rappellent à quel point toute organisation internationale suppose un immense et intense travail de codification des systèmes de vote préalable à toute forme d’action publique transnationale. Que la représentation électorale soit fondée sur des critères quantitatifs explicites (la part du capital détenu dans une société par actions, la population d’un pays ou la contribution au budget pour une organisation internationale, la taille des entreprises dans le cas des organismes consulaires, etc.), ou sur la seule existence d’une unité administrative ou politique qui mérite d’être représentée (par exemple une association), elle est dans de nombreux cas une condition de la visibilité de l’institution, de son existence non seulement juridique, mais concrète, effective, de sa capacité à « agir », c’est-à-dire d’abord à « parler d’une seule voix » et à « prendre des décisions » reconnues comme légitimes. Là où l’économie théorique pense les institutions (les entreprises en particulier) comme des acteurs abstraits qui opèrent directement et indistinctement sur le marché, il faut rappeler qu’elles sont, aussi et sans doute d’abord, des espaces de confrontations, symboliques et matérielles, plus ou moins institutionnalisées, codifiées, entre des représentants de catégories sociales différenciées et dotées de ressources sociales inégales [5] (P. Bourdieu, 2000a).

7La « représentation des salariés » dans l’entreprise est, par exemple, le résultat d’un long processus historique de légitimation d’instances nouvelles : en France, les conseils de prud’hommes, les délégués du personnel, les comités d’entreprise, etc., n’ont été arrachés aux mécanismes de reproduction traditionnels de l’ordre interne à l’entreprise – caractérisé par l’absence de toute expression publique des catégories subalternes – qu’à l’issue de luttes intenses et de conjonctures politiques relativement plus favorables au mouvement ouvrier (1936, 1945, 1981). Encore aujourd’hui, la représentation des personnels « précaires » (intérimaires, en contrats à durée déterminée) n’est nullement acquise dans de nombreux secteurs. Les instances dites « paritaires » typiques de l’État providence ont fait de la logique de la délégation électorale l’un des fondements du « consensus » caractéristique de ce que les économistes de la régulation appellent le fordisme : ces instances ont ainsi contribué à créer un cadre d’enjeux communs et des espaces de confrontation réglée qui ont permis de pacifier les traits les plus violents pris par les luttes de classes (voir notamment L. Boltanski, 1982). Cette construction a parallèlement contribué à la définition légitime des groupes sociaux et, en même temps, à la concentration des ressources liées à l’opération électorale et, plus encore, aux luttes spécifiques au sein des instances officielles qui sont, d’abord, des lieux où l’on vote en toute légitimité au nom des mandants. L’intensification actuelle des enjeux autour de la « représentativité » des organisations syndicales, de la définition de la « majorité », de la place des référendums, le renouveau de critiques d’inspiration anarcho-syndicaliste rappellent à quel point ces concepts de sens commun sont le résultat de luttes symboliques cristallisées dans des institutions et susceptibles de remises en cause plus ou moins radicales.

8Selon une logique pressentie au début du xxe siècle par des auteurs comme Roberto Michels, celle des « lois d’airain de l’oligarchie », et dont Pierre Bourdieu a fait apparaître les ressorts (2000b), ce processus a eu pour effet d’accentuer la distance sociale entre le groupe représenté et le groupe de ses représentants, l’un des enjeux permanents dans le champ syndical étant la conciliation de l’efficacité dans les instances légitimes, qui suppose l’accumulation d’un capital de compétences politiques, juridiques, économiques, de plus en plus « professionnelles », et le « contact » avec la base électorale (D. Andolfatto et D. Labbé, 1995) [6], qui reste le fondement, problématique, de l’acte de délégation.

9En dehors des conséquences de la naturalisation usuelle de l’économie, la dévaluation de la place des procédures de vote dans l’ordre économique trouve peut-être un de ces principes dans le phénomène de concentration et de monopolisation auquel elles sont associées, en particulier (mais pas uniquement) dans le cas de la représentation des salariés ou des sociétaires de mutuelles, coopératives, associations, qui se réclament avec force, à la différence des sociétés capitalistes (du moins avant l’émergence du discours et des enjeux de la « corporate governance »), de l’idéal « démocratique », voire de l’« autogestion ». La formation d’un corps de professionnels des procédures électorales et des commissions, élite dirigeante très semblable à celle que produit la démocratie parlementaire, a pour effet de renforcer le sentiment d’élimination et d’exclusion de tous ceux qui « n’en sont pas », et dont les formes de légitimité sont d’une autre nature (citoyens « de base », intellectuels, et surtout militants les plus radicaux, dont la légitimité repose sur des situations de vote très particulières, « directes », comme les assemblées générales spontanées, les « coordinations » [7], etc.) [8].

La définition des droits et pouvoirs associés à l’activité économique

10Les procédures de vote ne visent pas principalement à doter des organisations de « représentants ». Elles sont, plus banalement, des techniques de gestion formalisée des rapports entre agents et groupes et, à ce titre, elles participent très directement de la reproduction des pouvoirs différentiels sur toute institution (même la moins « démocratique », si l’on se permet cette expression consacrée et routinisée renvoyant, selon les cas, au formalisme des procédures, comme dans le cas de la « corporate governance », ou à des principes de proportionnalité et d’équilibre rarement explicités autrement que par l’invocation de principes du type « un homme, une voix »).

11La société par actions, caractéristique du capitalisme « moderne », est aussi, peut-être d’abord, une organisation où la détention de titres de propriété octroie un droit proportionnel sur la « décision » et la désignation de représentants (nombre de voix et prise de parole lors des assemblées générales, pouvoir de décision au sein du conseil d’administration, capacité reconnue à intervenir sur les modes de management, etc.) [9]. « Tout actionnaire a un droit de vote » est un des éléments fondateurs de la construction juridique et idéologique de la société par actions, institution centrale dans la reproduction sociale du capitalisme et de la légitimité des inégalités de patrimoine et de revenus. Comme le remarque Pierre-Yves Gomez, auteur d’un plaidoyer récent pour la « corporate governance », les sociétés par actions sont aujourd’hui le lieu de stratégies, plus ou moins « subversives », de certains actionnaires ou groupes d’actionnaires (notamment les fonds de pension) [10], visant à « peser » sur le management (P.-Y. Gomez, 2001) à travers les dispositifs institutionnels. Ces stratégies peuvent passer par des pratiques de proxies votings, c’est-à-dire des politiques d’usage systématique du droit de vote (voir également S. Montagne, 2000, p. 28-29). Elles s’accompagnent de l’importation dans le domaine du management de schèmes élaborés au sujet des mécanismes de délégation politique : « transparence », « contrôle », construction de « comités spécialisés », etc. La prétendue « démocratie actionnariale » cache ainsi, de façon sociologiquement prévisible, l’intensification des luttes autour des stratégies d’entreprise, tant entre les « gros » détenteurs de capitaux qu’au sein de coalitions d’actionnaires mobilisés et dotés de capital juridique, politique, etc., rendues possibles par un contexte d’actionnariat relativement plus dispersé du fait de l’existence des fonds de pension (en particulier aux États-Unis). Mais les assemblées générales, contrôlées par les directions et les actionnaires majoritaires, même investies parfois par des « activistes » plus ou moins radicaux, sont avant tout aujourd’hui le lieu d’« un processus d’enregistrement et de consécration plébiscitaire des propositions des dirigeants experts » (P.-Y. Gomez, 2001, p. 133) [11].

12C’est précisément en réaction à la mise en équivalence du capital et des droits (au sens de pouvoirs sur le jeu économique) que les sociétés mutuelles et les coopératives ouvrières se sont formées, au xixe siècle, en se fondant sur la règle « un homme, une voix » considérée comme la seule véritablement « démocratique » (voir Jeantet, 1999) [12]. Certaines d’entre elles ont été, logiquement, un lieu privilégié du processus de monopolisation décrit plus haut et l’évolution récente qui les rapproche à certains égards, dans leur fonctionnement et leurs objectifs, des entreprises capitalistes [13] tient sans doute autant à ce processus social, et à la convergence qu’il implique, qu’aux seules contraintes directes ou indirectes du marché mondial. Aujourd’hui, le développement de la forme associative (avec en particulier ce que l’on appelle de façon significative les organisations « non gouvernementales ») s’accompagne aussi d’enjeux juridico-politiques liés à la représentation interne des forces et intérêts en présence, notamment à travers les procédures électives et de contrôle des décisions et des délégués.

13Le vote est, dans de nombreux secteurs de l’espace social, l’une des principales techniques de légitimation interne et externe des rapports de forces entre des agents placés dans des situations de concurrence, et un instrument de conciliation réglée des prises de position socialement différenciées qui sont associées à des dotations inégales en capitaux [14]. L’occultation des votes « indignes » que sont les votes « professionnels » et plus largement de tout ce qui échappe à l’opération électorale dans ce qu’elle a de plus légitime contribue ainsi à laisser dans l’ombre une composante essentielle de la reproduction (et, partant, de la transformation) sociale de l’ordre économique, construction qui, bien qu’elle soit de part en part politique, est le plus souvent pensée par opposition avec l’univers politique.

Notes

  • [1]
    Il faudrait mesurer le nombre de votes de toutes sortes effectués chaque année selon la position des agents dans l’espace social pour pouvoir faire apparaître dans toute son amplitude un phénomène de concentration sans doute assez semblable à celui qui affecte les revenus ou le patrimoine.
  • [2]
    Entre 1966 et 1973, la volonté de réveiller les comités d’entreprise s’accompagne de la publication de résultats nationaux, régionaux, par branche d’activité et par taille d’entreprise. Après 1974, les données sont informatisées mais, en quelques années, le fichier d’entreprises utilisé devient obsolescent. Après 1980, le fichier est modernisé à partir des nomenclatures ayant cours à l’INSEE.
  • [3]
    La théorie du « choix public » a d’ailleurs, à l’inverse, pour programme scientifique explicite de réduire les procédures électorales au fonctionnement du marché.
  • [4]
    Le développement d’institutions « paritaires » est l’un des aspects importants du « compromis » fordiste tel que le décrivent les économistes de la régulation.
  • [5]
    La question de la proportionnalité du nombre de représentants des différentes catégories par rapport à leur poids démographique dans des instances comme les comités d’entreprise ou les conseils de prud’hommes, qui est depuis les origines un aspect central des enjeux autour de la représentation des salariés et l’appropriation collective de la production, n’est que rarement posée par les idéologues de la « démocratie sociale », souvent présentée comme plus « démocratique » que la « démocratie politique ».
  • [6]
    Le déclin important de la syndicalisation depuis les années 1970 (D. Andolfatto et D. Labbé, 1995) s’accompagne en France de la montée des élus « non syndiqués » dans les instances officielles (voir également IRES-DARES, 1998), mais aussi de taux d’abstention de plus en plus importants aux élections professionnelles (D. Andolfatto, 1992), autant d’indicateurs d’un phénomène de monopolisation des votes et de leurs enjeux par des fractions de plus en plus limitées de l’électorat potentiel.
  • [7]
    Sur le phénomène des coordinations, voir en particulier B. Geay, 1988. On peut voir dans le vote en assemblée générale l’expression d’une conception collective du vote que n’a pas fait disparaître le triomphe de la conception atomistique et libérale. La tension entre ces deux conceptions traverse toute l’histoire du mouvement ouvrier et de la philosophie sociale du vote (voir l’article de Pierre Bourdieu dans ce même numéro).
  • [8]
    La tradition anarcho-syndicaliste a formalisé ce rejet en développant des revendications visant à limiter, voire à détruire, le processus de délégation (souveraineté des assemblées générales, mandats impératifs, etc.). Inspirée par des motivations différentes, la tradition marxiste-léniniste a également contribué au dénigrement de la participation aux procédures électorales « professionnelles », celle-ci risquant de conduire à la compromission de classe et au « trade-unionisme » (par opposition à la construction du « parti révolutionnaire ») dénoncé par Lénine (1904). Elle a ainsi contribué à l’assimilation entre participation aux procédures électorales et acceptation des règles de fonctionnement du jeu économique établies, ce qui réduit l’acte de vote à l’adhésion au fonctionnement « naturel » du capitalisme.
  • [9]
    La première banque par actions moderne que connaît la France, celle de John Law au début du xviiie siècle, est souvent présentée comme l’acte de naissance (raté) d’une transformation de l’économie et surtout du crédit en France. Son intention initiale était d’éteindre la dette de l’État par l’émission d’une monnaie-papier et de pratiquer l’escompte. Voici ce que disent les statuts initiaux :
    « Lettres patentes contenant règlement pour la banque générale accordée au sieur Law et à sa compagnie », mai 1716, Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XXI :
    Art. 5 : « La banque commencera son exercice, aussitôt qu’il y aura des soumissions faites pour les douze cents actions, et alors les actionnaires s’assembleront à l’hôtel de la banque, pour choisir les officiers qui seront nécessaires pour la régie et le détail de ladite banque, et pour régler et ordonner le paiement des actions. »
    Art. 6 : « Dans cette assemblée, et dans les autres assemblées générales de la compagnie, tout sera décidé à la pluralité des voix, qui seront comptées de la manière suivante : ceux qui auront cinq actions et moins de dix, n’auront qu’une voix ; ceux qui auront dix actions et moins de quinze, auront deux voix ; et ainsi de cinq en cinq, et ceux qui auront moins de cinq actions n’auront point de voix. » Je remercie Olivier Christin de m’avoir communiqué cet exemple.
  • [10]
    Sur les tentatives de gestion « syndicale » de fonds de pension aux États-Unis, et sur leurs limites, voir l’article de C. Sauviat et J.-M. Pernot, 2000, « Fonds de pension et épargne salariale aux États-Unis : les limites du pouvoir syndical ».
  • [11]
    En France, « seuls les actionnaires possédant plus de 5 % du capital peuvent demander l’inscription d’un projet de résolution à l’assemblée […] C’est toujours la loi du 24 juillet 1966 et le décret de 1967 qui définissent l’organisation des assemblées générales, comme si rien ne s’était passé depuis, alors qu’il y avait moins de 1 million de petits porteurs actionnaires directs en 1974 contre plus de 5 millions aujourd’hui et que les fonds d’investissement se sont multipliés. Seule modification, la loi du 2 janvier 1983 a introduit la possibilité du vote par correspondance » (P.-Y. Gomez, 2001, p. 132).
  • [12]
    Le discours de légitimation de l’économie sociale insiste fortement sur ce point : « Le pouvoir détenu n’est pas lié à l’apport financier des “propriétaires” collectifs : c’est totalement évident dans le cas des associations et des mutuelles, mais aussi et là encore dans le cas des coopératives, soit parce que s’applique simplement la règle “une personne, une voix” (quel que soit l’apport financier, matériel, etc.), soit parce que, pour des entreprises du second degré s’appliquent des règles particulières, mais jouant également un rôle équilibrant parmi les membres. La règle “une personne, une voix” donne une égalité de pouvoir aux membres des associations, aux sociétaires des mutuelles et aux coopérateurs. C’est certainement une des données qui tranchent le plus avec celles du monde capitaliste et qui, à la fois, l’intrigue et le choque » (Jeantet, 1999, p. 211 et 213). Si l’on ne réduit pas les inégalités de pouvoir à l’effet direct des dotations en capital économique, cette analyse peut sembler naïve, mais elle n’en participe pas moins à la construction d’une forme de propriété tout à fait particulière.
  • [13]
    « Partout en Europe, les mutuelles d’assurance ou les coopératives bancaires ont créé des filiales sociétés anonymes pour développer leur activité » (Jeantet, 1999, p. 61), rendant toujours plus floue l’opposition entre « entreprise d’économie sociale » et « entreprise capitaliste ». Depuis les origines du mouvement mutualiste, on observe ainsi une tendance à l’institutionnalisation et à la routinisation des procédures de vote parallèle à la croissance et au succès des organisations. Voir en particulier M. Dreyfus, 2001.
  • [14]
    Dans les champs les plus autonomes, comme le champ scientifique – ou même le champ littéraire –, les procédures de vote sont une des formes les plus communes de l’évaluation interne (élections par les pairs des commissions de spécialistes universitaires ou du comité national du CNRS jusqu’à l’Académie des sciences et au Collège de France ; attributions de distinctions scientifiques, comme le prix Nobel, etc.). Leur analogie formelle et structurale avec les procédures « politiques » (opposition entre progressistes et conservateurs, entre les agents contrôlant la procédure et les agents moins dotés, etc.) fait oublier qu’elles sont en premier lieu un instrument de dépassement des conflits et des oppositions, de conciliation réglée de forces sociales propres à des univers particuliers : les luttes auxquelles elles donnent lieu prennent d’ailleurs des formes relativement différentes selon les disciplines, les institutions, en fonction notamment des configurations historiques particulières telles qu’elles sont cristallisées – donc en partie naturalisées – dans les procédures établies. Pour une analyse des élections universitaires en France, voir J.-Y. Mérindol, 1991.

Références bibliographiques

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  • Lénine, V. I., 1904, Que faire ? Les questions brûlantes de notre mouvement, Moscou, Éditions de Moscou, trad., 1958.
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  • Sauviat, C. et Pernot, J.-M., 2000, « Fonds de pension et épargne salariale aux États-Unis : les limites du pouvoir syndical », L’Année de la régulation, vol. 4, p. 89-115.
  • En ligneUbbiali, G., 1993, « Syndicalisme en crise, syndicalisme en mutation. Note critique », Politix, 23, p. 84-100.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2010
https://doi.org/10.3917/arss.140.0068
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