CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Indubitablement, les contributions de la modernisation de l’agriculture au progrès humain au cours des dernières décennies ont été cruciales. La plus grande réussite en la matière a été la croissance plus rapide de la production agricole que de la population, en particulier dans les pays en développement eux-mêmes. Même la performance de l’agriculture sub-saharienne, en se basant sur ce critère essentiel, a été honorable, bien supérieure à ce que l’on croit généralement. Il faut certes reconnaître que la modernisation de l’agriculture implique des risques, mais ceux-ci peuvent, et donc doivent, être gérés. Ces risques correspondent bien souvent à des conséquences involontaires du processus de modernisation lui-même. Des erreurs ont été commises dans le passé parce que certaines de ces conséquences involontaires auraient pu être prévues et, si cela avait été le cas, l’impact de ces conséquences négatives aurait pu être réduit. Le défi pour l’avenir est de faire mieux en la matière.

2Reconnaître ces risques ne doit cependant pas occulter les bénéfices considérables que de nombreuses parties prenantes ont tirés de la modernisation de l’agriculture :

  • des améliorations des régimes alimentaires, dues à une abondance relative de ressources alimentaires totales, avec pourtant une persistance de la faim et de la malnutrition dans de nombreuses régions du monde. Il faut cependant souligner que les problèmes de faim et de malnutrition seraient encore plus graves qu’ils ne le sont aujourd’hui si la production agricole totale n’avait pas augmenté aussi vite. De fait, les causes principales des problèmes actuels de faim et de malnutrition sont la pauvreté et la répartition inégale des gains de la croissance. L’abondance générale de ressources alimentaires a permis à beaucoup de mieux profiter de la vie et de mieux réaliser leur potentiel en tant qu’êtres humains. Ces progrès qualitatifs seraient remis en cause si la croissance de la production agricole totale se ralentissait ;
  • des bénéfices importants pour les consommateurs en matière d’amélioration de la qualité de vie, de réduction de la part des budgets familiaux consacrée aux dépenses alimentaires, permettant un accroissement des dépenses d’éducation, des soins de santé, etc. ;
  • le maintien de l’environnement, en particulier par la réduction des processus de déforestation et d’extension de l’agriculture sur des terrains marginaux, ce qui aurait entraîné des pertes de biodiversité et la destruction d’habitats fragiles ainsi qu’une augmentation des pollutions de l’air et des eaux et un accroissement de la dégradation et de l’érosion des sols. Tous ces phénomènes négatifs se seraient en effet produits à un rythme accéléré en l’absence de l’intensification de l’agriculture en place, dont la modernisation est le moteur. A contrario, de nombreuses situations où l’agriculture traditionnelle n’a pas pu se moderniser et où la pression démographique croissante a entraîné de graves dégradations de l’environnement par la mise en culture de terrains marginaux, illustre ces avantages de la modernisation de l’agriculture ;
  • l’amélioration de la sécurité sanitaire des aliments et la réduction des pertes de récoltes résultant de l’amélioration des techniques de transformation des produits agricoles en produits alimentaires ;
  • une plus grande stabilité politique liée à l’abondance plus grande de ressources alimentaires, comme l’illustre a contrario la recrudescence des émeutes de la faim lorsque les ressources alimentaires sont rares et que leurs prix augmentent rapidement.
Au total, les leçons des dernières décennies sont claires : la modernisation de l’agriculture a permis des progrès considérables dans l’approvisionnement alimentaire à l’échelle mondiale et dans toutes les grandes régions du monde. Cette modernisation a eu des conséquences négatives, non désirées le plus souvent mais parfois sérieuses. Cette modernisation implique donc des risques qu’il convient de gérer. Rien n’indique cependant qu’une telle gestion soit irréaliste à l’avenir. Et comme le défi représenté par la nécessité d’augmenter la production agricole de quelque 70 % d’ici à 2050, tout en protégeant l’environnement, sera considérable, il est clair que la modernisation de l’agriculture demeurera une nécessité impérieuse. Et le principal défi auquel nous serons confrontés consistera à trouver les moyens d’intégrer dans les processus de modernisation les petites exploitations, à caractère familial le plus souvent, qui resteront largement majoritaires dans de nombreux pays en développement.

Michel Petit
La carrière de Michel Petit, ancien directeur du département « Agriculture et développement rural » de la Banque Mondiale, l’a aussi amené à occuper des fonctions de responsabilités à l’Inra, à la Fondation Ford en Inde, à l’Institut national agronomique Paris-Grignon et à l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier. Il s’intéresse tout particulièrement aux politiques publiques affectant les agricultures du monde.
Avec la collaboration de
Pascal Tillie
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2014
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