« Je voyais ma mère recroquevillée dans son fauteuil, mal peignée, fatiguée, le regard perdu dans son monde intérieur. Je la revoyais, il y a trente ans, conquérante, femme active, s’occupant de tout et de tout le monde, répondant à chacune des sollicitations de ses fils. Elle était toujours là quand il le fallait et que les choses allaient mal, et nous sentions sa force nous habiter et nous rassurer. Maintenant c’est à nous de faire. Lui préparer le repas, faire son ménage, faire ses courses, veiller à ce qu’elle prenne ses médicaments, imaginer avec elle sa prise en charge sans que celle-ci constitue une atteinte à sa dignité… tant de choses à penser, à mettre en œuvre pour celle que j’appelais Maman ! quand je me réveillais, enfant, après un cauchemar intense. La vie s’écoule et chaque jour me renvoie à mon enfance bénie. Merci, maman. » Écrit comme aidant à propos de ma mère quand elle avait 82 ans. En souvenir d’elle décédée en mai 2021.
Durant près de trente ans et chaque année, j’ai lu aux étudiants du master Action gérontologique et ingénierie sociale d’Aix-Marseille, principalement destinés à occuper des fonctions de direction au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ehpad) ou des services de soutien au domicile, en introduction de mon séminaire sur les solidarités, un très bel article paru dans le journal Le Monde et intitulé « Liens ». Je n’avais, à l’époque, malheureusement pas relevé le nom de l’auteur, ni l’année de publication, qui se situait simplement durant la guerre en Bosnie, donc courant 1992. Ce texte a toujours eu pour moi une valeur symbolique et je guettais chaque année l’effet produit sur mes étudiants lorsque j’évoquais, à la fin de cette lecture, « la revanche des bébés », c’est-à-dire la leur, actuelle et future : « Diverger – au sens des centrales nucléaires – par la gloire ou par la violence, ou par l’échec, ou par la fugue : il y a mille manières qui s’offrent aux jeunes d’échapper aux desseins parentaux…