CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Je suis particulièrement heureux de vous présenter aujourd’hui les actes du colloque « Regards croisés » de Bamako. Cette publication me touche, dans la mesure où elle constituera, après que le colloque lui-même a permis de faire connaître le programme « Regards croisés » à un large public, la première trace durable d’un projet à la naissance duquel j’ai contribué et en l’importance duquel je crois.

2 Ambassadeur de France au Mali d’octobre 1998 à octobre 2002, j’ai en plusieurs circonstances éprouvé combien des lectures différentes du passé commun pouvaient entraîner une appréciation erronée de tel ou tel comportement actuel du partenaire et engendrer des interprétations divergentes de faits présents. Les malentendus qui en résultaient n’ont, pour ceux dont j’ai eu à connaître, guère eu d’incidences, mais ils étaient d’autant plus remarquables que les relations bilatérales étaient excellentes.

3 C’est ainsi que j’en suis venu à penser qu’il pourrait être utile de confier à des équipes mixtes d’historiens, français et maliens, le soin de procéder à une relecture conjointe du passé commun à nos deux pays.

4 L’entreprise pourra paraître présomptueuse. De par son ampleur tout d’abord.. De par les questions méthodologiques qu’elle soulève ensuite. C’est ainsi que la simple délimitation de son champ géographique ne va pas de soi. Non seulement, en effet, les frontières issues de la décolonisation présentent, ici comme ailleurs en Afrique, leur part d’artifice, mais le Mali n’a pas toujours été le Mali, et les différentes entités successivement connues comme « Empires du Mali » ont occupé au cours de l’histoire des territoires qui ne se recouvraient que fort partiellement ; le recours à la notion de Soudan ne saurait suffire à trancher le dilemme.

5 Cette incertitude géographique ne doit cependant pas être considérée comme un problème, mais comme une invitation à élargir le cercle des chercheurs qui participent actuellement au projet à des collègues issus des pays voisins, d’Afrique de l’Ouest comme « de l’autre côté du Sahara », je veux dire d’Afrique du Nord. Comment ignorer l’influence marocaine, et plus généralement celle des échanges trans-sahariens, sur le Nord de l’actuel Mali ? Seul aussi l’élargissement du cercle des participants permettra d’aborder progressivement, au fil du temps, la multiplicité des sujets dont l’ambitieux dessein initial commande la prise en compte.

6 Mais si l’entreprise est ambitieuse, voire peut paraître présomptueuse, c’est plus encore dans son principe même. Ne pose-t-elle pas, en dernière analyse, la question de la vérité historique ? Je n’avais pas la naïveté d’espérer que la méthode proposée permettrait d’obtenir la vérité, objective et irréfragable. Plus modestement, il me semblait que la confrontation des points de vue favoriserait une meilleure connaissance réciproque des manières de penser et des motivations, et aiderait par conséquent à éclairer, pour les responsables politiques aussi bien que pour les opinions publiques, certaines sources potentielles d’incompréhension.

7 En ce sens, « Regards croisés » est, à l’origine, un projet politique. Pourtant, il ne s’agit évidemment pas d’écrire une histoire officielle, et le programme ne pourra répondre à sa finalité et atteindre ses objectifs que dans la mesure où il est conduit par les chercheurs qui y participent, en toute liberté, comme un projet scientifique.

8 Il leur reviendra, tout d’abord, d’établir certains faits ; l’abondance des archives inexploitées est telle, en effet, que des pans entiers de cette histoire commune demeurent ignorés. Il leur reviendra, ensuite, de parvenir, dans toute la mesure du possible, à une interprétation partagée de ces faits, sans masquer les opinions dissidentes lorsqu’il ne sera pas possible dégager une interprétation consensuelle.

9 Ces objectifs ont dicté la méthode. Après que l’ambassade de France au Mali se fut assurée de l’intérêt pour le projet des autorités maliennes comme de ses propres autorités, deux maîtres d’œuvre furent choisis, en France le GEMDEV [1] et au Mali le doyen de la FLASH [2], et, en décembre 2000, un premier séminaire a réuni à Bamako, autour des services concernés de l’ambassade de France, du ministère malien de l’éducation et des maîtres d’œuvre, des chercheurs reconnus, français et maliens, naturellement, historiens, mais aussi économistes, sociologues, juristes, ethnologues. C’est en effet, me semble-t-il, un autre intérêt majeur de ce programme que d’avoir adopté une approche pluridisciplinaire.

10 Après quelques interrogations et hésitations initiales, un accord est facilement intervenu sur quelques principes de base :

  • la confirmation de l’approche paritaire et pluridisciplinaire,
  • la volonté de traiter progressivement toute l’histoire des relations franco-maliennes depuis l’origine (ce qui impliquera, par exemple, d’aborder la traite des esclaves),
  • le choix de considérer en priorité, sans tabous, des questions contemporaines qui ont pu donner lieu à controverses (la sortie du Mali de la zone franc, les questions migratoires),
  • la décision de compléter le programme de recherche par un échange d’étudiants permettant à de jeunes Maliens et Français de séjourner, pour plusieurs mois, dans le pays partenaire, pour y procéder à des recherches d’archives ou aux enquêtes de terrain nécessaires pour mener à bien leur travail de recherche (maîtrise, master, doctorat de troisième cycle).

11 Les chercheurs intéressés ont été invités à se regrouper, en fonction des affinités personnelles et des appétences respectives pour tel ou tel sujet, en binômes franco-maliens, ou, bien entendu, en équipes plus larges dès lors qu’était respectée une certaine parité, et ce sont ces équipes qui ont choisi leur thème de recherche.

12 Cinq ans plus tard, les premiers fruits de ce travail collectif étaient présentés au colloque de Bamako, dont voici les actes. J’espère - et ne doute pas - que c’est la première d’une longue série de publications. Car l’œuvre entreprise est de longue haleine. Par ailleurs, on l’aura compris, « Regards croisés » ne saurait se limiter à un projet de recherche, même si celle-ci en est le fondement. Le programme ne prendra tout son sens que si le résultat des travaux scientifiques qu’il promeut sont diffusés, aussi largement que possible, auprès des responsables politiques économiques et culturels des deux pays comme auprès de leurs opinions publiques.

13 C’est dans cette perspective que s’est situé l’excellent colloque de Bamako, et l’on ne saurait trop remercier les organisateurs d’avoir su associer diverses formes d’expressions – conférences, livres, films, photos – pour permettre aux participants et au public de mieux saisir dans toute leur dimension les sujets abordés.

Notes

  • [1]
    Groupement d’intérêt scientifique pour l’Etude de la Mondialisation et du Développement
  • [2]
    Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines
Christian Connan
SE Christian Connan, ex-Ambassadeur de France au Mali.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 05/06/2018
https://doi.org/10.3917/kart.gemd.2005.01.0009
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