Au Maasina, l’administration coloniale a été rapidement confrontée à la complexité de mondes locaux fortement stratifiés. Tout en reconduisant partiellement le pouvoir des aristocraties précoloniales, elle a tenté de penser cette complexité et énoncé un certain nombre de paradigmes sur les rapports entre la tradition et la loi. Elle a défini des rôles entre ces deux pôles, désigné des acteurs sociaux qui les incarnaient, mis en place des conceptions orientées de la communauté, des solidarités, de l’histoire et des pouvoirs. Ce sont ces paradigmes et conceptions qu’on examine ici en se demandant s’ils ne dessinent pas une matrice symbolique particulière qui est restée active dans la gestion post-indépendante des mondes locaux par l’État et le reste peut-être jusqu’à nos jours. En effet, la volonté démocratique et décentralisatrice de rompre avec un modèle vertical de pouvoir issu de la colonisation et de « ramener le pouvoir à la maison » apparaît de prime abord comme une rupture avec l’ordre ancien. Mais la combinaison paradoxale d’une promotion-réhabilitation de solidarités traditionnelles, d’une utilisation orientée de référents historiques précoloniaux de pouvoir et du recours à un modèle de démocratie d’origine occidentale, ne reconstitue-t-elle pas sous une autre forme les ambiguïtés antérieures, reformulant de façon originale un jeu social de rôles inauguré à l’époque coloniale ?
Chapitre
Après la conquête, l’administration coloniale a été rapidement confrontée, au Mali comme ailleurs, à la complexité de mondes locaux fortement stratifiés. Au Maasina par exemple, coexistaient des chefferies dites janyeeli ou leyde , correspondant aux découpages territoriaux instaurés par la Diina au XIXe siècle. Celles-ci avaient elles-mêmes été le plus souvent calquées sur les délimitations de chefferies païennes antérieures, dont les lignages dominants avaient souvent reconduit leur pouvoir sous l’empire théocratique au prix de l’islamisation. Des droits éminents sur les terres, les eaux et les pâturages étaient par ailleurs distribués, d’une part, sur la base d’identités ethniques (pêcheurs bozo et somono, pasteurs peuls, agriculteurs malinké-marka), d’autre part sur celle de la prééminence de lignages « maîtres-propriétaires » (jeybe) de territoires. Ces maîtrises pouvaient être acquises du fait d’une primo-installation sur ces territoires et de l’alliance sacrificielle fondatrice avec les divinités concernées (« génies » d’eau ou de terre). Elles pouvaient l’être par éviction ou par subordination des premiers installés ou par ralliement à une chefferie guerrière attribuant un territoire au détriment d’un autre lignage. Ces lignages avaient par la suite distribué des droits différenciés (droits d’exploitation, droits sacrificiels mineurs) à d’autres lignages, l’ensemble des différents droits se traduisant en divers(es) exclusivités, privilèges ou préséances dans l’exploitation de…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 05/06/2018
- https://doi.org/10.3917/kart.gemd.2005.01.0143
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