CAIRN.INFO : Matières à réflexion

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Autrefois, la gourmandise était condamnée, notamment par les autorités religieuses qui y voyaient un péché. Au 19e siècle, la tendance s’infléchit. La gourmandise gagne ses lettres de noblesse. Ce numéro de la revue Romantisme étudie cette transformation des représentations.

2Les intellectuels sont parmi les premiers à en vanter les mérites. Dès 1803, Grimod de la Reynière rédige un Almanach gourmand dans lequel il entreprend de transformer la gourmandise en un signe positif de distinction social. L’ouvrage se veut à la fois un guide gastronomique des bonnes tables et un premier ouvrage de vulgarisation culinaire. On y retrouve des établissements comme Le Rocher de la Cancale, l’un des premiers lieux de promotion de la mode gourmande.

3Quelques années plus tard, en 1825, le professeur Brillat-Savarin entreprend de fonder une science de la gastronomie et de définir scientifiquement la gourmandise. D’autres intellectuels comme Horace Raisson ou Balzac poursuivent la démarche. Sous la plume de ces intellectuels, la gourmandise devient un art du vivre ensemble, un signe de civilisation et elle se masculinise, alors qu’elle était pendant longtemps considérée comme une faiblesse féminine.

4On retrouve des traces de cette valorisation dans les écrits de George Sand. Selon elle, un esprit sain nécessite un ascétisme alimentaire. Néanmoins, Sand reconnaît l’utilité d’une gourmandise « éthique » c’est-à-dire modérée et de bon goût, partagée avec d’autres. Pour Sand, ces petits plaisirs maîtrisés célèbrent la fraternité républicaine.

5La gourmandise se banalise progressivement, comme le montre le spécialiste de la littérature Francis Marcoin en étudiant les ouvrages pour enfants. Globalement condamnée dans les contes, la gourmandise l’est cependant un peu plus lorsqu’elle s’adresse aux enfants pauvres, invités à la sobriété. Elle est davantage tolérée dans les contes pour enfants bourgeois, comme ceux de la comtesse de Ségur, où le péché de gourmandise de Sophie, par exemple, bénéficie d’une relative indulgence de la part des adultes. Ces distinctions sociales disparaissent au cours du siècle, alors que les livres pour enfants vantant l’art de la table et les plaisirs du sucré se développent.

6En parallèle, à partir des années 1850, la production des produits sucrés augmente en France, à Paris et dans les grandes villes. La consommation de gourmandises devient quotidienne et s’élargit à de nouveaux publics comme la bourgeoisie en plein essor. Trois phénomènes sont à l’origine de ce mouvement rappelle Pearl Michel, doctorante en littérature. Tout d’abord, les fêtes religieuses continuent de promouvoir les sucreries. Ensuite, l’industrie culinaire se développe, grâce à la Révolution industrielle et aux innovations techniques. Enfin, l’apparition de la publicité contribue à banaliser la consommation des friandises. Les publicitaires rivalisent de créativité quant aux emballages des produits. Apparaissent aussi les premiers cadeaux promotionnels à destination des enfants. Ces changements marquent l’entrée de la France dans la société de consommation.

7Au terme du 19e siècle, l’ambiguïté demeure pourtant quant à la gourmandise : plaisir des sens et bon goût pour les uns, entrave aux normes morales et diététiques pour les autres. Comme le rappelle Bertrand Marquer, maître de conférences en littérature et coordinateur du numéro, le siècle de la modernisation de la France fut aussi celui de ce paradoxe. 

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  • « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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    Critique - N° 872-873, 2020, 205 p., 12 €.
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    L’École des parents - Érès, n° 634, 2020, 90 p., 9 €.
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Maud Navarre
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Mis en ligne sur Cairn.info le 13/05/2020
https://doi.org/10.3917/sh.324.0059
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