CAIRN.INFO : Matières à réflexion

On a détecté des microorganismes dans des sédiments situés à plus de un kilomètre sous le plancher océanique, où la température s’élève jusqu’à 120 °C.

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L’équipe internationale a fait appel au navire Chikyū, équipé pour forer à plus de 1 kilomètre de profondeur dans le plancher océanique, lui-même situé, dans la dépression océanique de Nankai, à près de 4,8 kilomètres sous la surface.
© JAMSTEC

1La Terre contient une variété fascinante d’organismes vivants qui occupent tous ses environnements, même les plus extrêmes. Les conditions de vie normales de ces extrêmophiles seraient mortelles pour n’importe quel autre être vivant. Certains s’épanouissent par exemple dans des milieux très salés, comme la mer Morte. Les sédiments situés sous les fonds océaniques forment aussi un habitat particulièrement rude : la température y augmente à mesure que l’on s’enfonce en profondeur (on parle de « gradient géothermique »). Les chercheurs pensent depuis une trentaine d’années que des organismes unicellulaires, dits « thermophiles », pourraient y vivre jusqu’à une profondeur de plusieurs kilomètres… mais quelles sont leurs limites ? Verena Heuer, de l’université de Brême, en Allemagne, et une équipe internationale ont révélé que des organismes vivent effectivement dans de tels sédiments sous des conditions très inhospitalières.

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Grâce à des techniques de microscopie à fluorescence, les chercheurs ont recensé la quantité de microorganismes dans divers échantillons. Plusieurs microorganismes ont été détectés (en haut) dans le prélèvement effectué à 652 mètres dans le plancher océanique (la température était de 76 °C). Un seul a été identifié au centre du prélèvement réalisé à 1 176,8 mètres de profondeur (120 °C) (en bas).
© JAMSTEC/IODP

2En laboratoire, les organismes thermophiles sont capables de survivre, quoique brièvement, jusqu’à une température de 122 °C, s’ils ont à disposition d’abondantes sources d’énergie (sous la forme d’un substrat moléculaire exploitable par la machinerie cellulaire). Mais qu’en est-il en conditions réelles, dans les sédiments sous-marins où de telles sources se raréfient avec la profondeur ? Pour le savoir, les chercheurs ont mené en 2016 une expédition à bord du Chikyū, un navire de forage en eaux profondes. Comme le gradient géothermique moyen de la Terre est de 3 °C par 100 mètres, il faudrait normalement forer jusqu’à quatre kilomètres sous le plancher océanique pour atteindre des sédiments dont la température s’élève à 120 °C ; une entreprise techniquement difficile. Pour cette raison, les géologues ont choisi la dépression océanique de Nankai, au large de l’île japonaise de Honshū, car le gradient géothermique y est exceptionnellement plus fort. Là, à 4,8 kilomètres sous la surface de l’océan, il leur a suffi de creuser un trou de 1,2 kilomètre de profondeur à partir du plancher océanique pour atteindre les 120 °C recherchés.

3La densité des populations microbiennes a chuté drastiquement dès 45 °C ; seulement 100 cellules par centimètre cube de sédiments étaient alors détectées, loin du milliard d’organismes habituellement trouvés dans le sol. À l’inverse, la concentration d’endospores a rapidement augmenté, pour atteindre son pic dans les couches sédimentaires à 85 °C. Une endospore est une forme dormante adoptée par certains organismes unicellulaires pour résister à des conditions défavorables sur de très longues périodes.

4Le forage a aussi révélé de larges intervalles sédimentaires dépourvus de vie, alors que, plus loin en profondeur, des cellules actives ont à nouveau été détectées dans des zones pourtant plus chaudes et même jusqu’à 120 °C. La raison d’une telle disparité reste à élucider, mais ces travaux permettent d’esquisser une idée des « limites de la vie » sur Terre. Ils laissent imaginer que même ailleurs, sur d’autres planètes, des organismes extrêmophiles pourraient surmonter des conditions aussi inhospitalières.

  • V. B. Heuer et al., Science, vol. 370, pp. 1230-1234, 2020
William Rowe-Pirra
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/01/2022
https://doi.org/10.3917/pls.520.0012
Pour citer cet article
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