CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Le phage ΦKZ entoure son ADN d’une capsule de protéines lorsqu’il infecte une bactérie, ce qui permet de déjouer le système immunitaire de cette dernière.

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Comprendre les interactions des bactéries et de leurs virus, les phages, est crucial à l’heure où l’antibiorésistance devient un problème de santé publique.

1Invisible à nos yeux, une guerre entre virus et bactéries fait rage depuis des millions d’années. Du côté des bactério-phages (ou phages) – les virus « mangeurs de bactéries » – il s’agit d’insérer de l’ADN viral dans la cellule bactérienne pour détourner sa machinerie et lui faire produire d’autres virus. Les bactéries, elles, cherchent à bloquer au plus tôt l’action du virus, par exemple en détruisant son ADN à l’aide d’enzymes, des endonucléases. Senén Mendoza et Joseph Bondy-Denomy, de l’université de Californie à San Francisco, et leurs collègues se sont intéressés au phage géant ΦKZ qui infecte Pseudomonas aeruginosa, une bactérie particulièrement résistante aux antibiotiques et de plus en plus souvent responsable chez l’humain d’infections graves. Les chercheurs ont montré que, lors de l’infection, ce virus déjoue les stratégies immunitaires de la bactérie en protégeant son ADN par une capsule de protéines.

2Les endonucléases constituent la principale ligne de défense chez les bactéries. Parmi elles, les systèmes CRISPR-Cas reconnaissent chacun une séquence spécifique de l’ADN viral et la coupent. Certains virus sont résistants à un de ces systèmes, mais cette immunité est très spécifique. Senén Mendoza et ses collègues ont soumis différents virus infectant P. aeruginosa à une dizaine de CRISPR-Cas distincts. Étonnamment, ΦKZ s’est révélé résistant à toutes les endonucléases. Le virus est même insensible à EcoRI, une endonucléase produite par Escherichia coli, une bactérie que par ailleurs il n’infecte pas !

3Quel mécanisme confère à ce phage une immunité aussi étendue ? Serait-ce une autre de ces caractéristiques connue depuis 2017: ce virus géant entoure son ADN d’une coquille protéique lors de l’infection ? Pour le savoir, Senén Mendoza et ses collègues ont modifié des souches de P. aeruginosa pour qu’elles produisent des endonucléases fluorescentes. Grâce à cela, ils ont confirmé que les endonucléases de la bactérie étaient effectivement incapables de franchir la barrière protéique du virus. Toutefois, les chercheurs ont constaté que d’autres molécules continuaient de traverser cette coque : des protéines, comme ORF152, nécessaires aux virus notamment pour se dupliquer. L’armure de ΦKZ semble donc aussi jouer le rôle d’un filtre moléculaire.

4Afin de s’en assurer, Senén Mendoza et ses collègues ont alors eu l’idée de fusionner l’enzyme EcoRI avec ORF152. Les bactéries P. aeruginosa produisant cette molécule hybride se sont révélées cinq fois plus résistantes aux bactériophages ΦKZ. De plus, des expériences de fluorescence ont confirmé que la molécule EcoRI-ORF152 traversait l’enveloppe protéique et digérait l’ADN viral.

5L’armure du virus ΦKZ lui confère donc une résistance particulière aux défenses immunitaires bactériennes. Un nouveau pas vers la phagothérapie (l’utilisation des bactériophages pour endiguer les infections bactériennes), à l’heure où le développement de l’antibiorésistance devient un problème de santé publique.

  • En ligneS. Mendoza et al., Nature, vol. 577, pp. 244-248, 2020
Coraline Madec
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/01/2022
https://doi.org/10.3917/pls.508.0008
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