Chapitre
La double tradition des contre-récits marxistes (messianisme collectiviste et progressiste du peuple ouvrier, fondé sur la refondation de l’État) et anarchistes (messianisme individualiste et naturaliste – anti-étatique, tourné vers le primitivisme de l’idée de société naturelle) a connu, à la fin du xxe siècle, une double révolution qui rend leur lecture et leur compréhension désormais très hasardeuses.
Le premier événement est d’ordre socioculturel. Il s’agit de la révolution antimoderne et anti-Lumières du postmodernisme, qui eut pour caractéristique première de discréditer l’utopie du progrès en la rabattant schématiquement sur le nazisme (dans une moindre mesure le stalinisme et la colonisation) – paradoxe grotesque, mais hélas très courant, qui revint à faire d’Hitler le meilleur représentant des Lumières, chez de nombreux sophistes – ce qui est à peu près la thèse d’Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme (1950, Hitler y étant une sorte de châtiment envoyé aux « Blancs » pour les punir de la colonisation). Tout récit tendant désormais à laisser craindre un procédé dissimulé « d’assignation du sens » voire de « domination », il deviendra petit à petit impossible, à l’ère du soupçon, de faire récit. La viralité actuelle de la phraséologie contre l’« assignation » et la « domination » (termes aussi vagues que, par conséquent, indestructibles) hérite de cette impossibilité de faire œuvre, de faire poème, de faire récit qui a métabolisé les contre-récits contestataires dans une économie des équivalences, après la seconde guerre mondiale…
Auteur
html et feuilletage (par chapitre) Ajouter au panier
- Mis en ligne sur Cairn.info le 07/02/2022
- https://doi.org/10.3917/puf.zarka.2020.01.0619
![Chargement](./static/images/loading.gif)
Veuillez patienter...