L’emploi d’une force de travail enfantine, traditionnelle dans le monde rural et proto-industriel du travail familial, se développe au XVIIIe siècle avec la concentration du procès de travail en « manufactures ». Ainsi, par exemple, de l’aiguisage des rasoirs, par des meules mues à la main par des gamins, ou de l’épluchage des feuilles de tabac, ou encore de la préparation des couleurs par un « tireur » dans les fabriques d’indiennes. Dans chacun de ces exemples, soulignons-le, le travail demandé à de jeunes enfants (plutôt des garçons) est une tâche auxiliaire, quasi ancillaire, accomplie sous la surveillance directe d’un ouvrier adulte, responsable de sa bonne conduite – responsabilité encore plus naturelle si cet adulte est son père (ou un proche parent). Par ailleurs, l’enfermement des pauvres dans les hôpitaux généraux (après 1660), puis dans les dépôts de mendicité (après 1730), avait également eu pour conséquence la mise au travail, moralisatrice, des enfants enfermés : on leur faisait alors tricoter des bas ou préparer les bobines de fil pour le tissage de toiles grossières ou de mouchoirs par des adultes dans l’hôpital. Ce modèle de travail utile et moralisateur parut à beaucoup s’imposer, vers 1780, pour la diffusion des premières mécaniques à filer (les jennies). Un notaire d’Amiens propose ainsi au contrôleur général de les « attribuer exclusivement aux pères et mères de famille nombreuse en nombre égal à celui de leurs enfants. Le gouvernement ne serait pas surchargé, les fabriques ne souffriraient pas et les parents trouveraient des ressources pour occuper les enfants avec utilité et d’une manière à les rassurer sur leur conduit…