« Ils ont peur du mot, mais pas de la chose. » À travers cette formule lucide, Bossuet visait sans doute l’hypocrisie des hommes de son temps, portés sur les plaisirs défendus. Mais, aujourd’hui, le moraliste – contemporain d’un certain Jean-Baptiste Colbert – pourrait l’appliquer tout aussi bien au… protectionnisme. Le terme fait peur, il charrie des représentations sulfureuses, inhibe celui qui le prononce et accuse celui qui s’en voit affublé. En ces temps de crise, les États jurent de s’en prémunir à longueur de sommets internationaux mais, en coulisse, ils en usent pour leurs propres intérêts.
Cette distance entre la déclaration et l’action, entre le « mot » et la « chose », n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. Consignés dans son dernier rapport publié par le bureau d’études Global Trade Alert, les pointages scrupuleux du professeur Simon J. Evenett (université de Saint-Gall) en attestent : entre le sommet du G20 à Washington de fin 2008 – où les grands de ce monde ont promis de laisser les frontières ouvertes – et celui de novembre 2011, les États ont en fait adopté près de 1 200 mesures protectionnistes. Une par jour en moyenne ! En Europe, en Russie, en Chine, en Amérique du Sud, etc. Partout, chacun y va de sa formule. Les nouveaux protectionnismes ne ressemblent en rien à celui des années 1930, avec la doctrine quasi autarcique et rustique du président américain Herbert C. Hoover, signataire de la loi dite Hawley-Smoot. Non, le « protectionnisme 2.0 » se distingue des barrières commerciales d’antan, dressées presque indistinctement sur fond de visées belliqueuses…