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La notion de métissage en clinique transculturelle

L’année 2022 marque l’anniversaire des vingt ans de parution d’Enfants d’ici venus d’ailleurs, dans lequel la Professeure Marie Rose MORO propose ses observations de clinicienne et de chercheuse sur l’accompagnement des enfants migrants et des enfants dits de seconde génération.

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  • Suivre cet auteur Juliette Rodriguez, Suivre cet auteur Laurent Deburge
  • 1 L’année 2022 marque l’anniversaire des vingt ans de parution d’Enfants d’ici venus d’ailleurs, dans lequel la Professeure Marie Rose MORO propose dans un style fluide et accessible ses observations de clinicienne et de chercheuse sur l’accompagnement des enfants migrants et des enfants dits de seconde génération. Sa pensée s’inscrit dans la continuité de l’ethnopsychanalyse élaborée par Georges Devereux, avec pour principe méthodologique central le complémentarisme – en tant qu’utilisation obligatoire mais non simultanée de différents champs intellectuels dans la compréhension des phénomènes humains (par exemple, dans le cas de Devereux, l’anthropologie et la psychanalyse).

    2 Marie Rose Moro propose le concept de métissage culturel. Pour l’école transculturelle qu’elle défend, la définition du métissage s’éloigne de son acception biologique ou naturaliste, dépassant la question de la couleur de peau pour englober de façon plus large le processus par lequel les identités culturelles des individus se mélangent les unes aux autres. Ainsi, « le migrant est un métis dans la mesure où son voyage l’a conduit dans un autre monde qui aura une action sur lui comme lui d’ailleurs aura une action sur ce monde. Ce qui est vrai pour la première génération l’est a fortiori pour la seconde dont le destin est de se métisser, de devenir des femmes, des hommes, des citoyens d’ici même si leurs parents venaient d’ailleurs » (Moro, 2015a). Le métissage est alors compris comme un processus étroitement lié à la construction identitaire des enfants issus de couples d’origines culturelles, ethniques ou religieuses différentes, mais aussi des enfants nés de parents migrants. Selon les termes de M.R. Moro, ces enfants sont exposés au risque transculturel, vulnérables car fragilisés par les difficultés liées aux menaces qui pèsent sur la transmission culturelle en situation de migration ; mais ils développent aussi un potentiel de créativité accru pour trouver des voies qui leur permettront de dépasser ces clivages et de tisser des liens entre leurs différents sentiments d’appartenance. Aider à créer des ponts entre la « culture d‘ici » et celle de « là-bas » transmise par ses parents, pour permettre aux jeunes de se métisser, c’est-à-dire d’intégrer pleinement leurs identités multiples pour se créer une identité unique et singulière : tel est l’objectif des thérapeutes transculturels avec ces enfants de la migration.

    3 Le premier article de ce dossier s’intéresse à la question du bilinguisme et à la nécessité de le valoriser au sein des familles migrantes (Camara, 2015). Le second est une réflexion sur les spécificités de construction identitaire des métis issus de couple mixtes (Ahovi, 2007). Enfin, le troisième article explore à travers une revue de la littérature la question de l’identité et du métissage dans le contexte particulier de l’adoption internationale (Harf et al., 2015).

    De la série Los cuadros del mestizaje del Virrey Amat
    Attribué au peintre péruvien Cristóbal Lozano (1705-1776)

    Les compétences langagières des enfants de migrants : plaidoyer pour le bilinguisme

    4 On entend encore parfois dire que le fait d’entendre parler à la maison une langue différente de celle de l’école peut perturber le développement langagier des enfants : c’est faux ! La pluralité linguistique est une véritable chance. La littérature nous montre par exemple que les enfants bilingues sont plus performants que les monolingues dans des tâches linguistiques impliquant analyse et synthèse, qu’il leur est plus facile d’apprendre une troisième langue qu’il ne l’est pour les monolingues d’en apprendre une seconde, ou encore qu’ils présentent une sensibilité accrue aux aspects non verbaux de la communication.

    5 L’enfant bilingue développe des compétences spécifiques et une souplesse psychique liée à la nécessité de naviguer entre les langues et les univers. Le bilinguisme est un phénomène dynamique et non figé, l’utilisation et la maîtrise de chacune des langues évoluant en fonction du temps, mais aussi du contexte familial, scolaire et sociologique. L’usage de la langue maternelle peut ainsi être plus marqué dans les registres impliquant l’oral et la dimension affective, alors que l’utilisation du français peut être privilégiée dans l’expression écrite et après l’entrée à l’école. Selon la fréquence et la qualité des sollicitations verbales, la langue maternelle pourra se maintenir, subir un phénomène d’attrition, ou s’éteindre alors qu’elle avait été précédemment acquise.

    6 Évaluer les compétences langagières d’enfants dont la langue maternelle n’est pas le français constitue une tâche ardue. L’ELAL d’Avicenne (outil d’Evaluation Langagière des enfants Allophones) a été conçu afin de permettre en pratique clinique l’évaluation des compétences langagières des enfants plurilingues, dans les deux domaines d’évaluation du langage que sont la compréhension et la production. L’ELAL permet l’évaluation dans les deux langues.

    7 Le bilinguisme de l’enfant s’intègre dans la transmission culturelle au sein de la famille, qui peut être mise à mal en situation de migration. Transmettre sa langue, c’est aussi transmettre une identité et des valeurs : la langue constitue une attache identitaire, trans-générationnelle, familiale, culturelle et historique indispensable pour l’estime de soi et pour la constitution d’un sentiment d’identité métissée apaisé.

    Hawa Camara est psychologue clinicienne, docteure en psychologie. Elle exerce à la Maison de Solenn (Cochin, APHP) et à la Maternité de Montreuil. Cet article a été publié dans Le Carnet PSY en 2015 au sein d’un dossier dirigé par MR MORO intitulé Actualités de la clinique transculturelle.

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    Pour aller plus loin

    Évaluation Langagière pour ALlophones (ELAL) d’Avicenne

    Mieux comprendre les enjeux de construction identitaire des adolescents métis

    9 Le métis dont il est question dans cet article est celui qui a des parents qui proviennent de groupes culturels (avec parfois des marqueurs phénotypiques) distincts. Jonathan Ahovi nous livre ici une pensée personnelle et clinique sur les métis. Il rappelle que le métissage est un fait d’actualité, du fait des migrations internationales, des déplacements de populations, des adoptions mais aussi des traumatismes historiques, qu’on pense aux violences coloniales ou aux métis du Congo belge ayant subi des séparations précoces dans le cadre d’une politique de ségrégation spécifique. Pour l’auteur, la provocation par laquelle les métis ne sont « jamais là où on veut qu’ils soient » est une spécificité. Le fait de se voir physiquement différent de ses parents, de ne pouvoir totalement s’identifier à l’un ou à l’autre serait la source d’une « pensée métisse ». Cette nature « rebelle », brouillant « les frontières sociologiques érigées entre les catégories identitaires » fait du métis une source de différenciation, vivant dans un « troisième monde » et générant un mouvement continu de nouvelles entités culturelles. Pour Ahovi, le métissage serait dès le départ ressenti comme une transgression, une désobéissance liée au choix d’un partenaire sexuel au sein d’un autre groupe que celui de ses parents. En renvoyant à des fantasmes de pureté et d’impureté, le métissage peut susciter des réactions de peur et de crainte d’une « dilution d’identité » sensible dans les débats politiques actuels. En outre, la question de la transmission trans-générationelle prend une forme particulière au sein des familles métissées. Jonathan Ahovi en propose un exemple éclairant en évoquant les relations établies par les grands-parents avec leurs petits-enfants métis, relations pouvant être empreintes d’ambivalence puisqu’elles mêlent le désir intense de transmettre sa culture et de ne pas voir l’enfant abandonner la culture familiale, à des fantasmes parfois négatifs associés à la culture de l’autre branche.

    10 Dans cette ode au métissage, l’auteur invite enfin le clinicien à prendre en considération la réalité physique, corporelle du métissage dans laquelle se fonde tout sentiment d’identité. Avec un objectif : accueillir les êtres dans leur diversité.

    Jonathan Ahovi est pédopsychiatre, chef de service de la Maison des Adolescents du Jura, et thérapeute transculturel.

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    Pour aller plus loin

    Moïse sauvé des eaux, Edouard Elzingre (avant 1923)

    Accompagner les enfants adoptés à l’international et leurs familles : quelle place pour la culture du pays d’origine ?

    12 Mêlant une revue de la littérature anglo-saxonne sur le concept d’identité culturelle à des notes cliniques issues de leur activité à la consultation « adoption internationale » de la Maison des Adolescents de l’hôpital Cochin, l’article de Harf et al. Interroge la place de la culture dans la construction identitaire des enfants adoptés. Les enfants adoptés à l’étranger sont des enfants « métissés », en tant qu’ils sont porteurs d’appartenances et d’identifications multiples, pouvant être source de souffrance mais aussi d’une grande richesse. Dans la littérature anglo-saxonne, la notion de culture de naissance fait référence au fait d’être perçu comme appartenant à une minorité ethnique. Les autrices invitent à remettre en question et à démêler cette notion, qui peut entraver la nécessaire inscription dans la filiation imaginaire des parents adoptants. L’idée qu’il existerait une culture de naissance est empreinte de fantasmes et de représentations, et peut être source de discriminations, si elle devient une « affiliation imposée par le regard de l’autre ». L’identité ethnique est en effet souvent imposée par autrui : c’est une « identité fine », au sens de Pap N’Diaye, qui la distingue de « l’identité épaisse », plus subjective, complexe et plurielle. Par ailleurs, les enfants adoptés à l’international incarnent un paradoxe : s’ils semblent appartenir à un groupe minoritaire par leur apparence physique, leur culture familiale est celle du groupe majoritaire. Faut-il alors valoriser ou entretenir un lien avec la culture du pays d’origine, même si l’enfant adopté y a été peu exposé ?

    13 Pour les autrices, l’approche transculturelle permet de parler d’altérité, de migration et de métissage et d’interroger le contre-transfert culturel des parents adoptants, dans la mesure où les représentations parentales du pays de naissance sont transmises à l’enfant. L’identité est alors à considérer de manière dynamique, comme un devenir, « jamais finie, définie ou définitive » mais toujours à renouveler dans la relation à l’autre.

    Les autrices Aurélie HARF, Sara SKANDRANI, Anne REVAH-LEVY & Marie Rose MORO sont pédopsychiatres et psychologue.

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    Pour aller plus loin

    Juliette Rodriguez
    interne en psychiatrie
    Laurent Deburge
    psychologue en formation
    L’année 2022 marque l’anniversaire des vingt ans de parution d’Enfants d’ici venus d’ailleurs, dans lequel la Professeure Marie Rose MORO propose ses observations de clinicienne et de chercheuse sur l’accompagnement des enfants migrants et des enfants dits de seconde génération.
    Mis en ligne sur Cairn.info le 03/03/2022
    Pour citer cet article
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