1 Si la retraite est une invention relativement récente, le vieillissement de la société en fait aujourd’hui une donnée centrale de l’économie et des mœurs. Après s’être institutionnalisée, elle a tendance aujourd’hui à voir ses formes se diversifier. Le mouvement vers la « retraite à la carte » se précise. Se dessine aussi une évolution vers un « vieillissement actif », marqué par une croissante implication sociale des seniors. Les activités sociales des retraités se multiplient, au point de représenter une véritable valeur monétaire.
2 Une véritable « silver économie » s’est instaurée. Elle est marquée par de fortes inégalités. Les ouvriers sont confrontés à la « double peine » d’une santé plutôt dégradée et d’une vie plus courte. L’inégalité concerne aussi les territoires, plus ou moins investis par les personnes âgées et plus ou moins dépourvues de services adaptés. La « société de la longévité » génère un vaste marché, dont les retombées intéressent d’autres franges de la population, jeunes y compris. Les assistés côtoient des « seniors entrepreneurs » et des sportifs. Personnes dépendantes et retraités actifs forment un ensemble composite. Les promesses des nouvelles technologies sont à accueillir avec précaution : elles ne doivent pas masquer le besoin de présence humaine et de bienveillance. La retraite n’est pas vécue de la même manière en Europe du sud, où la famille continue de jouer un rôle central, et en Europe du nord, où les institutions publiques et privées sont davantage mobilisées.
Une double épreuve
3 La retraite est une invention récente, rappelle le sociologue Vincent Caradec dans la Nouvelle revue de psychosociologie. Elle « s’est institutionnalisée en France dans la première moitié du XXe siècle ». Et elle a « profondément transformé la vieillesse ». Mais elle prend des visages multiples et continue d’évoluer. Il cite le sociologue suisse Martin Kohli, pour qui l’on observe aujourd’hui un mouvement de désinstitutionnalisation relative des parcours de vie en général, troisième âge y compris. En France il existe depuis 2003 deux âges de la retraite, selon que l’on fait valoir ses droits avec ou sans décote. Le mouvement vers la « retraite à la carte » se précise. De même les règles concernant un cumul possible entre emploi et retraite ont été assouplies.
4 L’évolution s’évalue aussi au regard de la façon dont les intéressés eux-mêmes conçoivent leur passage à la retraite. Dans un premier temps, il s’agissait d’un « droit au repos » : ce que défendaient les syndicats en 1945 lors de la création de la Sécurité sociale. À partir des années 1970 se répand la notion d’un « troisième âge », orienté vers « l’épanouissement de soi et les activités de loisirs ». Plus récemment se développe l’idée d’un « vieillissement actif », davantage « orienté vers l’utilité sociale ».
5 Dans l’ensemble, contrairement à une idée répandue, le passage à la retraite est « plutôt bien vécu » : seul un retraité sur dix s’en souvient comme d’ « une mauvaise période ». Mais bien que le niveau de vie moyen des retraités reste encore « du même ordre que celui des actifs » (cela va changer), les inégalités devant la retraite restent prononcées. Les ouvriers sont confrontés à ce que certains auteurs appellent une « double peine » : leur santé se dégrade plus tôt et leur vie est plus courte. L’un des phénomènes les plus frappants révélés par les enquêtes est la tendance des jeunes retraités à éviter de réfléchir aux difficultés du grand âge qui les guettent. La retraite, conclut Vincent Caradec, doit être considérée comme une épreuve, pour l’individu comme pour la société.
Pour aller plus loin
La « silver économie »
7 La notion de « silver économie » désigne depuis quelques années l’économie qui se développe autour des personnes âgées. Le sociologue Serge Guérin s’interroge sur ses tenants et aboutissants. Il en montre les potentialités tout en soulignant les écueils à éviter. Il ne s’agit pas d’en faire « un eldorado numérique pour une économie déclinante », écrit-il dans la revue Pour du Groupe Ruralités Education et Politiques (GREP). Or « la silver économie se développe au moment où le pouvoir d’achat des retraités entame sa diminution ». Il montre aussi que la silver économie « ne doit pas s’inscrire dans la perspective d’un marché communautarisé ». D’autant que les biens et services adaptés aux personnes âgées (un escalier roulant dans le métro, par exemple) peuvent intéresser d’autres populations. La silver économie ne doit pas non plus être considérée comme un tout homogène : ce serait oublier la très grande variété de situation et de style de vie des seniors. Mais la principale mise en garde formulée par Serge Guérin concerne le danger d’une « vision trop centrée sur la technologie ». Quantité de systèmes informatiques et d’applications pour mobile sont et seront inventés, notamment à des fins de surveillance et d’alerte, mais beaucoup de personnes âgées manifestent une réticence à être trop étroitement encadrées. De même la place des robots de compagnie trouvera vite ses limites. Les seniors dépendants ont surtout besoin de présence humaine et de bienveillance. Aussi la silver économie est-elle très fortement créatrice de nouveaux métiers et d’emplois dans les domaines du « care ». En même temps, ce n’est pas non plus une économie réservée aux assistés. Les « senior entrepreneurs » sont de plus en plus nombreux, qu’il s’agisse de créer de véritables entreprises ou de lancer des associations. C’est donc toute une « société de la longévité » qui est en train de s’installer. Serge Guérin insiste aussi sur la grande diversité territoriale. Il faut regarder la carte de la population des plus de 65 ans et celle des plus de 75 ans et réfléchir aux adaptations territoriales nécessaires. Un problème est que « les territoires qui accueillent et accueilleront les plus âgés » sont souvent ceux qui « souffrent le plus de la désertification des services ». Ici encore, les solutions techniques se révéleront insuffisantes : « Là où les plus âgés vont vivre, il est essentiel que des plus jeunes soient présents ».
Pour aller plus loin
Engagement social
9 Peut-on mesurer l’impact de la retraite sur les activités sociales ? L’enquête européenne Share, menée dans dix pays d’Europe continentale pendant sept ans, permet de répondre à la question avec une certaine précision, constate l’économiste Anne Laferrère. Dans la revue Retraite et société, elle montre que le passage à la retraite augmente l’engagement dans les activités sociales. 42 % des individus de 50 ans et plus déclarent avoir au moins une activité sociale répertoriée. Pas loin de la moitié d’entre eux en déclarent deux. La réalité est sans doute plus importante encore, car l’enquête limitait le champ des réponses à cinq activités formalisées : bénévolat, formation, participation à un club, à une activité religieuse ou politique. Elle ne rend pas compte d’activités sociales informelles comme jouer aux boules ou au bridge, chanter dans une chorale etc. Ni du temps passé à s’occuper de parents dépendants ou de petits-enfants. Les pays du Sud (Espagne, Italie) sont ceux où l’on déclare le moins d’activités, ceux du Nord le plus. La France occupe une position médiane. Il y a aussi des différences entre les pays selon le type d’activité (prendre une responsabilité politique, civique ou syndicale est plus fréquent en Suisse, Belgique, Autriche et France) et des différences notables en fonction du niveau d’études (lequel a un effet positif sur l’engagement bénévole). L’enquête portant sur les plus de 50 ans, on peut évaluer l’impact de la prise de retraite. Elle augmente l’intensité du bénévolat de plus de 50 %. Et l’on constate que « ceux qui prennent leur retraite le plus tardivement ont plus de chances d’augmenter l’intensité de leur activité bénévole ». Grâce à une évaluation du nombre d’heures passées par les retraités dans une activité sociale, l’enquête permet de calculer grossièrement « la valeur monétaire de l’engagement des retraités » : elle représenterait de l’ordre de 3 % de la valeur des retraites.