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Où va l’Amazonie ?

Symbole d’une nature vierge en péril, l’Amazonie suscite autant d’inquiétudes que de fantasmes. Plusieurs revues françaises s’efforcent de préciser la nature des enjeux et, pour ce faire, ouvrent leurs colonnes à des spécialistes latino-américains. Notre dossier oscille entre la présentation de facteurs parfois de plus en plus préoccupants et d’autres plus encourageants.

Dans 2022/13

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1 Symbole d’une nature vierge en péril, l’Amazonie suscite autant d’inquiétudes que de fantasmes. Plusieurs revues françaises de sciences humaines et sociales s’efforcent de préciser la nature des enjeux et, pour ce faire, ouvrent leurs colonnes à des spécialistes latino-américains. Il en ressort un tableau contrasté, beaucoup plus nuancé que les images souvent simplificatrices véhiculées par les médias. Quelques idées valent d’être bousculées : ainsi l’Amazonie est une région si gigantesque et si multiple dans ses formes de paysage et dans ses populations qu’il vaudrait mieux parler d’Amazonies au pluriel ; contrairement à une idée répandue, ce n’est pas une nature « vierge », mais un ensemble de territoires policés par l’homme depuis des millénaires ; son rôle dans la capture du CO2 est moins crucial que son statut hydrologique ; s’il est clair que la politique de « colonisation » menée par les États, le Brésil en tête, met en péril certaines zones, même celles qui sont en principe protégées, ces dernières représentent tout de même 48 % de l’Amazonie brésilienne et 80 % de l’Amazonie colombienne. C’est donc une terre de contrastes, et la question de savoir dans quel sens elle va évoluer dépend de la confiance que l’on met dans la capacité des États et des défenseurs de l’environnement à enrayer et canaliser les tendances perverses qui sont à l’œuvre : déforestation sauvage, privilèges donnés aux exportateurs de soja et de maïs, perturbation des fleuves par des barrages gigantesques, agressions perpétrées contre des écologistes… Notre dossier oscille entre la présentation de facteurs parfois de plus en plus préoccupants (comme l’attitude du gouvernement brésilien de Jair Bolsonaro) et d’autres plus encourageants. La multiplicité des pressions contraires qui s’exercent sur l’ensemble amazonien invite à penser que les dés ne sont pas jetés.

Des ressources menacées

Vue satellite de la rivière Amazone, 2005/ NASA

2 Le territoire amazonien représente presque le double de la superficie de l’Union européenne. Le fleuve Amazone fait plus de 7 000 km de long et le Rio Madeira plus de 3000, ce qui en fait le plus long affluent de la planète. L’Amazonie héberge 420 peuples parlant 86 langues et 650 dialectes. L’essentiel du territoire est très peu peuplé mais deux villes ont plus d’un million d’habitants (au Brésil) et une près d’un demi-million (au Pérou). Sans compter la Guyane française, sept autres États se partagent le bassin amazonien. En énumérant ces données dans un article de synthèse publié par la revue jésuite Etudes, le prêtre et ethnobotaniste péruvien Fernando Roca Alcázar entend insister sur la diversité méconnue de ce qu’on appelle « l’Amazonie ». Elle comporte des terres côtières salées, des landes dans la chaîne andine, des forêts de moyenne montagne, des zones très sèches et d’autres inondables, des savanes… L’Amazonie n’est pas non plus une région « vierge ». Elle est cultivée depuis des millénaires et sa biodiversité, loin d’avoir régressé, a augmenté au fil des interventions humaines. Les bassins de l’Amazone et de l’Orénoque ont été reliés par un canal bien avant l’arrivée des Européens. Il est possible que les noyers d’Amazonie résultent de plantations humaines datant de plusieurs siècles. Une leçon à en tirer aujourd’hui est qu’« une intervention humaine bien conçue peut enrichir la nature ». Il reste aussi beaucoup à apprendre des remèdes découverts par les Indiens dans les plantes. L’Amazonie n’est que secondairement un capteur de carbone ; mieux vaut insister sur le fait qu’elle produit un cinquième de l’eau douce de la planète. Or ces réserves d’eau sont menacées. Les vastes projets d’élevage et d’agriculture « modifient le cycle des précipitations, entraînant la disparition de nombreuses espèces ». On parle d’un « processus de savanisation ». L’exploitation minière pollue les cours d’eau. Les grands barrages perturbent le cours des rivières ; la construction de l’énorme barrage de Belo Monte au Brésil est problématique, comme l’est le projet de dragage des rapides des fleuves péruviens. Mais pour tous ces problèmes, « des solutions existent », insiste le père Roca Alcázar, qui en évoque quelques-unes et affiche un certain optimisme.

Fernando Roca Alcázar, père jésuite ethnobotaniste, dirige le Programme d’études amazoniennes de l’Université catholique du Pérou.

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Pour aller plus loin

Retour en arrière

Vue aérienne de la forêt amazonienne, Brésil/ ©2011CIAT/NeilPalmer

4 Si l’on considère l’histoire longue du Brésil, on se rend compte que depuis le XIXe siècle les dirigeants du pays ont tous peu ou prou considéré l’Amazonie comme un espace à coloniser, à des fins tant stratégiques qu’économiques. L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, en janvier 2019, a exacerbé cette tradition jusqu’à la caricature. Dans la revue Politique étrangère, l’historienne Ombelyne Dagicour montre que les incendies qui ont « ravagé » l’Amazonie en 2019 et le regain d’une déforestation encouragée par l’actuel gouvernement témoignent à cet égard d’un indéniable recul. Le retour de la démocratie en 1985 avait en effet inscrit « la responsabilité de l’État en matière de protection environnementale » et reconnu « le droit des peuples amérindiens à préserver leur mode de vie ». Quatrième émetteur mondial de gaz à effet de serre, le Brésil s’était aussi imposé », ces dernières années, « comme un acteur incontournable des négociations internationales sur le climat ». Le président Bolsonaro, qui aligne son climatoscepticisme sur celui de Donald Trump, a retiré la candidature du Brésil pour organiser la COP25.

5 L’historienne revient sur les avancées souvent ambiguës impulsées par les gouvernements successifs depuis les années 1980. Contrairement à ce qu’on croit souvent, l’élection de Lula da Silva en 2002 avait en réalité « signifié un retour à la politique d’Etat développementaliste ». Marina Silva, qui était parvenue à ralentir la déforestation pendant son mandat de ministre de l’environnement, a dû démissionner. C’est pourtant à cette époque que les territoires amérindiens ont été érigés en « unités de conservation », des aires en principe protégées « qui représentent à l’heure actuelle 13,7 % de la superficie totale du Brésil ». Une politique aujourd’hui remise en cause par Jair Bolsonaro, qui a déclaré : « Les minorités doivent se plier à la majorité, […] s’adapter ou simplement disparaître ». Cette attitude reflète selon l’historienne une autre tradition profondément ancrée, celle d’une société « façonnée par les idées racialisées ». Fait significatif, avant même l’élection de Bolsonaro, des dizaines de militants environnementaux amérindiens ont été assassinés. En dépit des enjeux que présente l’Amazonie pour la planète, le gouvernement brésilien est farouchement opposé à toute forme d’internationalisation et se montre même très réservé à l’égard des projets d’une politique de coopération régionale.

Ombelyne Dagicour est spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Amérique latine. Elle enseigne à Sciences-Po (campus de Poitiers)

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Pour aller plus loin

Amazonie 4.0

Plage de Ponta Negra, Manaus, Brésil, 2019/ TV Em Tempo Online

7 Un biologiste et un climatologue brésiliens, Ismael et Carlos Nobre, décrivent dans la revue Futuribles l’ambitieux projet « Amazonie 4.0 ». Il s’agit de créer « un nouveau paradigme de développement […] socialement inclusif » fondé sur une « bioéconomie » conciliant développement économique, préservation de la forêt tropicale et valorisation de ses habitants. Au cours des deux ou trois dernières décennies, écrivent les frères Nobre, le débat s’est polarisé entre deux voies opposées. La première a consisté à « isoler complètement les grands espaces forestiers à des fins de conservation ». La seconde, « réputée durable », s’appuie sur l’agriculture, l’élevage et l’exploitation minière. Or, selon les auteurs, aucune de ces voies n’a donné de résultats satisfaisants, en raison de « l’expansion constante de la frontière », ce qui se traduit par la poursuite de la déforestation et de la construction d’infrastructures au sein de la forêt. « La crise climatique et la menace globale sur la biodiversité exigent des solutions novatrices », écrivent-ils. Le projet « Amazonie 4.0 » entend « générer des bio-industries locales diversifiées, des produits à valeur ajoutée à tous les maillons de la chaîne de valeur, des emplois et de l’inclusion sociale ». Prenant l’exemple de divers produits « issus des actifs biologiques de l’Amazonie », comme l’huile de palissandre, l’huile de châtaigne du para, le bois de l’ucuuba, la pulpe d’açai, le camu-camu, mais aussi les multiples « secrets biochimiques » de la nature amazonienne, les auteurs appellent à mener des recherches systématiques pour exploiter ces ressources dans le respect de l’environnement et des populations locales. Pour y parvenir, il convient selon eux de mobiliser les capacités de « l’industrie 4.0 » (systèmes cyberphysiques, objets connectés, intelligence artificielle, drones…) et d’engager une vaste politique de formation exploitant les outils les plus modernes (recours à la réalité virtuelle etc). Pour engager ce processus vertueux, les responsables du projet ont conçu des laboratoires de campagne « montés en tentes ou en plates-formes flottantes »

Ismael Nobre est biologiste, membre de l’équipe scientifique de l’initiative Terceira Via para a Amazonia. Carlos Nobre est climatologue, membre de l’Académie brésilienne des sciences.

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Pour aller plus loin

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  3. Amazonie 4.0

Symbole d’une nature vierge en péril, l’Amazonie suscite autant d’inquiétudes que de fantasmes. Plusieurs revues françaises s’efforcent de préciser la nature des enjeux et, pour ce faire, ouvrent leurs colonnes à des spécialistes latino-américains. Notre dossier oscille entre la présentation de facteurs parfois de plus en plus préoccupants et d’autres plus encourageants.

Mis en ligne sur Cairn.info le 21/06/2022
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