CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Dossiers Cairn

La mondialisation universitaire

Engagée après la chute de l’URSS et la création de l’Union européenne, favorisée par l’émergence d’Internet, la mondialisation universitaire s’est traduite par deux dynamiques qui justifient des analyses séparées. La première est l’expansion du nombre d’étudiants en mobilité internationale, la seconde l’influence du « classement de Shanghai ».

Dans 2022/12

image dossier
linkThis article is available in English on Cairn International

1 Engagée après la chute de l’URSS et la création de l’Union européenne, favorisée par l’émergence d’Internet, la mondialisation universitaire s’est traduite par deux dynamiques qui justifient des analyses séparées. La première est l’expansion du nombre d’étudiants en mobilité internationale, la seconde l’influence du « classement de Shanghai », devenu une référence pour les décideurs de tous les pays. Les deux dynamiques ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, car d’une part la moitié des étudiants en mobilité sont d’origine asiatique, d’autre part les universités chinoises ont régulièrement gagné des places dans le classement. Comme l’explique Michel Mudry, les deux dynamiques ont aussi renforcé la force d’attraction des grandes universités américaines, et ce pour de bonnes raisons. Curieusement, montre Jean Charroin, le succès international du classement de Shanghai n’était pas attendu par les autorités chinoises ; mais celles-ci en ont tiré profit, dans l’optique du « soft power ». Et bien que la population des étudiants en mobilité internationale ne représente que 2 % des effectifs de l’enseignement supérieur, son expansion a suffi à créer un changement de paradigme, soulignent Marcel Gérard et Alice Sanna : une fraction significative des meilleurs étudiants s’installent dans le pays d’accueil, privant ainsi de leurs compétences le pays qui en a assuré la formation initiale. Nathalie Havet met en avant un paradoxe : concernant les étudiants français qui reviennent chercher du travail en France, une mobilité à l’international n’est pas forcément un atout.

2  

3 Notre selection

4 Michel Mudry, Jean Charroin, Marcel Gérard, Alice Sanna, Nathalie Havet

La vitrine des universités américaines

Remise des diplômes, Andrew Schwegler/CC2.0

5 L’ère de la mondialisation universitaire s’ouvre vers 1992, après la chute de l’URSS et la création de l’Union européenne. Comme le souligne Michel Mudry, ancien président de l’université d’Orléans, dans la revue Hérodote, l’impact de ces deux événements a été amplifié par la révolution technologique qu’a représenté Internet. Concrètement, la mondialisation s’est traduite par l’expansion du nombre d’étudiants en mobilité. La progression a été de 74 % de 2004 à 2014. C’est en même temps souligner les limites du phénomène : les 4,3 millions d’étudiants en mobilité en 2014 ne représentaient « que 2 % des effectifs estimés de l’enseignement supérieur dans le monde ». En outre la moitié de ces étudiants sont d’origine asiatique, « venant de pays qui n’ont pas un enseignement supérieur à la hauteur de la demande ». À cet égard la mondialisation reste « très ténue ». Mais un autre événement est venu ajouter une dimension supplémentaire : la publication en 2003 du « classement de Shanghai », l’Academic Ranking of World Universities, établi depuis lors chaque année par l’université Jiaoton de Shanghai. Or ce classement a eu pour effet indirect de mettre surtout en avant « l’attrait qu’exercent un peu partout dans le monde les universités américaines ». Celles-ci trustent les premières places et même l’ensemble du classement : les trois quarts du TOP 20, la moitié du TOP 100 et le tiers du total de 500 qui figurent dans le classement (données 2017). C’est dû notamment au fait que le classement de Shanghai ne concerne que les performances scientifiques. Les autres fonctions des universités ne sont pas prises en compte. Mais il y a un paradoxe : en dépit de l’usage de ce seul critère, montre Michel Mudry, l’attractivité mondiale de grandes universités américaines correspond assez étroitement aux résultats du classement. C’est qu’il existe un lien étroit entre l’aura d’une université et ses performances scientifiques. Pour preuve, le classement établi régulièrement aux États-Unis par le magazine U.S. News & World Report : « Ce classement présente une forte corrélation » avec celui de Shanghai, alors même que les critères sont beaucoup plus larges : il inclut ce que Michel Mudry appelle « les quatre atouts de l’attractibilité » : le campus avec ses agréments et équipements, l’excellence dans l’enseignement undergraduate (avant la licence), le doctorat de recherche et l’existence de deux grands pôles, business et engineering. Michel Mudry décrit en détail la complexité de la galaxie universitaire américaine. Fondée sur les principes d’autonomie et de compétitivité, y compris entre établissements publics et privés, celle-ci peut être présentée comme un « non-système, tiré par le marché ». En termes de mondialisation, le résultat est là : « les étrangers représentent environ le tiers de tous les doctorats de recherche délivrés aux États-Unis ». Et aujourd’hui certaines grandes universités américaines s’implantent à l’étranger, où elles exportent leur culture compétitive.

Michel Mudry, président honoraire de l’université d’Orléans, est associé fondateur du cabinet Ither Consult, spécialisé dans l’enseignement supérieur.

6

Pour aller plus loin

Le classement de Shanghai

Université de Columbia, New York/DR

7 L’histoire du classement de Shanghai fournit un éclairage particulier sur la mondialisation universitaire. À l’origine, il faut mettre en avant la décision du président chinois Jiang Zemin, en 1998, de « fixer à la Chine l’objectif d’avoir plusieurs universités de rang mondial », écrit Jean Charroin dans la Revue internationale et stratégique. Peu de temps après, le professeur Nian Cai Lu de l’université Jiao Tong à Shanghai est chargé de concevoir un classement mondial annuel destiné à situer l’évolution des meilleures universités chinoises par rapport aux meilleures universités du monde. La première édition du classement paraît en 2003. Les universités chinoises sont mal placées. Les plus célèbres universités américaines occupent les premières places, aux côtés de quelques universités britanniques. Les Chinois ne médiatisent pas leur classement. Il semble que la médiatisation, soudain très forte, soit venue d’un site d’information de la Commission européenne. À partir de 2007 le classement de Shanghai devient ainsi le classement de référence, alors qu’il en existe d’autres et que les critères retenus par les Chinois paraissent sommaires (il ne s’agit en gros que de la visibilité scientifique). En dépit des critiques formulées, notamment en France (mal classée), le classement de Shanghai s’impose à la plupart des gouvernements : être bien classé devient l’objectif prioritaire des responsables de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’une des raisons de ce succès est la progression des universités chinoises au sein du classement, en phase avec le spectaculaire développement économique de la Chine. Les investissements dans l’enseignement supérieur chinois progressent encore plus vite que l’économie, à un rythme de 22 % par an, plus élevé encore que celui impulsé par les États-Unis après le lancement du Spoutnik. Les dirigeants de Pékin comprennent aussi l’intérêt qu’ils peuvent en tirer au plan international : le classement de Shanghai devient un élément central du « soft power » chinois. « La Chine est parvenue à faire accepter un outil de pilotage lui permettant de s’imposer dans l’économie des savoirs », conclut Jean Charroin.

Jean Charroin dirige l’École de management Audencia à Nantes.

8

Pour aller plus loin

Changement de paradigme

Bibliothèque de l'université de Swansea, ISSoDD/CC4.0

9 Après avoir analysé en détail les mouvements d’étudiants entre pays dans les années 2010 dans un article publié dans Journal of international mobility, deux chercheurs belges, Marcel Gérard et Alice Sanna, concluent à un véritable changement de paradigme, aux implications importantes pour les États. Autrefois, en règle générale, un étudiant né dans un pays y recevait son instruction, y travaillait, s’y retirait et y mourait. Aujourd’hui le marché pour les plus doués et/ou les plus riches s’est largement ouvert à l’international. Il s’ensuit que les pays disposant des institutions d’enseignement supérieures les plus attractives ont le plus de chance de retenir les bons éléments et de tirer profit de leur installation dans le pays d’accueil. À l’inverse, les pays dont les établissements d’enseignement supérieur sont moins attractifs et qui laissent partir ailleurs un capital humain de qualité se retrouvent privés de ce capital, alors même qu’ils ont financé la formation initiale de ces étudiants.

10 Toutes les données ne sont pas disponibles mais il y en a suffisamment pour appréhender la réalité des mouvements en cause. Ils se caractérisent par un fort déséquilibre. Dans le monde, les États-Unis et le Royaume-Uni sont de loin les principaux importateurs nets. Le premier exportateur net est de loin la Chine, suivie de l’Inde. Si l’on ne considère que les mouvements intra-européens, le Royaume-Uni est logiquement le premier importateur net, d’assez loin. De manière un peu moins attendue, il est suivi, dans cet ordre, par l’Autriche, la Belgique, le Danemark et la République tchèque. La France n’est qu’en sixième position, l’Allemagne en dixième. La position de l’Autriche et de la Belgique tient au fait que ces pays attirent des étudiants germanophones et francophones, respectivement, qui ont échoué dans leur pays d’origine. Cherchant à combler l’absence de statistiques globales, diverses études indiquent que le taux de rétention des étudiants est le plus élevé dans les pays anglo-saxons, qui disposent des universités parmi les plus attractives, et ce en dépit du fait qu’elles font souvent payer les admissions au prix fort. Une étude néerlandaise montre qu’étudier à l’étranger fait diminuer de 30 % la probabilité pour les étudiants de rentrer travailler aux Pays-Bas. Une étude allemande évalue le pourcentage à 15 %. « Ce changement de paradigme pose la question du financement de tout le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche », concluent les auteurs.

Marcel Gérard est professeur d’économie à l’université catholique de Louvain ; Alice Sanna est doctorante dans la même université.

11

Pour aller plus loin

Quel impact sur l’emploi ?

Conférence de mathématiques à l'université d'Helsinki, Tungsten/ CC0

12 Comment évaluer l’impact d’une mobilité internationale sur l’emploi futur des étudiants ? Les analyses sont peu nombreuses et surtout de type qualitatif : bien peu « se basent sur une approche quantitative rigoureuse », observe Nathalie Havet dans la Revue française d’économie. Pour faire avancer le sujet, elle a mené une enquête sur l’accès à l’emploi d’étudiants du supérieur ayant bénéficié entre 2007 et 2012 d’une bourse de mobilité internationale Explo’Ra accordée par la région Rhône-Alpes. Appliquant des techniques économétriques, elle a modélisé la durée de recherche avant le premier emploi, l’obtention d’un emploi stable dès le premier recrutement ainsi que le niveau de salaire obtenu. Ses conclusions : les formes de mobilité les plus favorables sont celles effectuées dans un établissement d’accueil de langue anglaise, celles de courte durée et, sauf pour les étudiants qui trouvent un emploi à l’étranger, celles permettant l’obtention d’un diplôme dans leur établissement d’origine. Pour les étudiants qui cherchent un emploi en France, les avantages d’une mobilité à l’international ne compensent cependant pas les avantages acquis par un cursus dans une grande école plutôt qu’à l’université ni ceux associés à la discipline étudiée et même au genre. « Les employeurs français semblent baser leurs recrutements et leurs offres d’emploi davantage sur les signaux “classiques” tels que le diplôme ou la réputation de l’établissement », écrit Nathalie Havet. Il faudrait poursuivre l’analyse en étudiant le devenir des étudiants à plus long terme, ajoute-t-elle.

Nathalie Havet est maîtresse de conférences à l’Institut de science financière et d’assurances de l’université Claude Bernard Lyon I .

13

Pour aller plus loin

Engagée après la chute de l’URSS et la création de l’Union européenne, favorisée par l’émergence d’Internet, la mondialisation universitaire s’est traduite par deux dynamiques qui justifient des analyses séparées. La première est l’expansion du nombre d’étudiants en mobilité internationale, la seconde l’influence du « classement de Shanghai ».

Mis en ligne sur Cairn.info le 21/06/2022
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Cairn.info © Cairn.info. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...