Chapitre
On a souvent déploré l'ambiguïté du mot grec logos. Qu'il puisse désigner (entre autres sens puisqu'il signifie aussi « rapport », « proposition », « formule », « définition ») à la fois la « raison » et le « langage », la rationalité et la discursivité, rend certains textes grecs opaques et leur traduction difficile. L'équivocité du mot est regrettable, mais plus encore la confusion des choses, l'assimilation de la faculté de raisonner et de l'aptitude à parler. En effet, la langue naturelle, avec ses équivocités, son imprécision syntaxique et sémantique, est très souvent un obstacle à la clarté et à la rigueur du raisonnement. C'est ce que tous les logiciens, d'Aristote à Frege, ont souligné, et c'est pourquoi ils ont tenu à substituer aux langues naturelles la langue formelle du calcul qui garantit la validité des inférences auxquelles la langue ne se prête guère. En effet, une machine ou un dieu peuvent raisonner sans langage. Une machine calcule. Un dieu pense. Ni l'un ni l'autre n'ont besoin de parler. La raison de la machine ou du dieu semble ainsi doublement libérée des contraintes pesant sur la langue ordinaire : elle est affranchie à la fois de la nécessité de parler de quelque chose (la logique traite de l'objet quelconque) et de la nécessité de parler à quelqu'un. Ainsi purifiée, la raison gagne en pertinence, en fiabilité et en rigueur.
Mais, ne peut-on inversement, déplorer la perte par la ratio de tout rapport à la langue ? À se couper du langage et de la parole, la raison philosophique ne court-elle pas un autre risque, plus grave, celui de se nier elle-même en devenant pathologiquement déraisonnable …
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 06/03/2021
- https://doi.org/10.3917/puf.alloa.2018.01.0183
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