Pour moi, il existe deux ponts reliant la pensée de Bergson à la phénoménologie. Ces deux ponts sont l’un et l’autre thématiques, quoique l’un le soit plus que l’autre : je pense, respectivement, au pont du continu et au pont de l’Être-au-monde. Avant de donner quelques détails sur ce qui me semble être la rencontre de Bergson et de la phénoménologie sur chacun de ces ponts, quelques précisions pour ainsi dire méthodologiques sont nécessaires.
1 / L’évaluation qui est la mienne est celle d’un lecteur de Bergson purement amateur, qui manque donc a priori de l’information et du recul souhaitables pour juger sainement de l’implication philosophique de Bergson en chacun des lieux où je le croise avec la phénoménologie. Cette incompétence, pourtant, me semble dans une certaine mesure amendée par les nombreuses conversations avec Frédéric Worms, au cours desquelles j’ai eu, comme d’autres je crois, le sentiment d’apprendre de lui quelque chose du « frisson » bergsonien dans ce qu’il a de plus propre.
2 / La double confrontation que je propose n’est liée à aucune sous-estimation de l’écart entre Bergson et la phénoménologie. Pour ce que je comprends, cet écart est extrême. Premièrement, Bergson veut reprendre le projet métaphysique d’une détermination directe de l’en soi, inspirée par une intuition capable d’amener le concept descriptif exact, c’est-à-dire qu’il veut abroger l’interdit kantien portant sur cette sorte de connaissance (à la fois l’interdit portant sur la connaissance directe de l’être en tant que tel, et la vision kantienne de l’écart intuition-entendement), alors que la phénoménologie dans sa fondation husserlienne, clairement, et même encore dans la plupart des suites de cette fondation, s’attache au contraire – ou prétend s’attacher – à confirmer le verdict kantien à cet égard…